Intervention de Peter Maurer

Réunion du mercredi 22 avril 2020 à 14h00
Commission des affaires étrangères

Peter Maurer, président du Comité international de la Croix-Rouge :

Commençons avec les questions portant sur l'information. Je pense en effet que transparence, critique, professionnalisme sous une forme ou une autre sont les recettes pour combattre la situation actuelle. Je pense que c'est la première pandémie que l'on vit sous des conditions de connectivité internationale importante. Le mot et la désinformation pèsent et se globalisent donc encore davantage alors que les structures pour vérifier, discuter et avoir une vue critique ne sont pas en place. Je pense que Jean-Yves Le Drian a vraiment mis le doigt sur une préoccupation qui est aussi la nôtre et sur laquelle on lutte sur tous les fronts. Je pense que c'est une demande qui doit être gérée politiquement mais, en tant qu'acteur humanitaire, nous faisons de notre mieux pour contribuer aussi à une discussion et à des processus de décision fondés sur des évidences.

Il y a eu des questions sur les cessez-le-feu. Je pense que, pour le moment, nous voyons peu de réduction d'activités militaires à l'exception de la situation au Yémen où le conflit se localise maintenant sur la région de Mahra. En Afghanistan, des pourparlers sont en cours malgré les difficultés et il y a des perspectives de cessez-le-feu. Nous avons également vu des signaux positifs en Ukraine. Malheureusement en Libye les combats sur Tripoli continuent pour le moment. Pour les autres contextes, il est encore prématuré de dire qu'il y a de réels progrès pour la mise en œuvre de l'appel du Secrétaire général sur les cessez-le-feu.

Je n'ai pas d'informations généralisées sur les questions de malnutrition. Nous n'avons pas de vue d'ensemble mais il est clair que mes collègues du Programme alimentaire mondial voient une nécessité d'élargir les actions comme l'opération eau, assainissement et santé. Je pense que ce sont les facteurs essentiels sur lesquels il faut travailler car nous reconnaissons tous que c'est là que les populations sont dans les plus grandes difficultés. Il est prématuré d'avoir des faits et des évidences statistiques clairs mais nous avons des indications ponctuelles. Nous travaillons pour y répondre en tant que mouvement de la Croix-Rouge ou en coopération avec les Nations unies.

Il n'y a rien de spécifique pour le moment dans la situation de la population réfugiée Rohingya au Bangladesh. Nous continuons d'avoir des accès, nos programmes fonctionnent à Cox's Bazar et dans tout le Bangladesh. Nous avons eu quelques petits succès par rapport à notre action humanitaire au Myanmar. Par exemple, malgré le fait que les combats se soient accentués ces dernières trois semaines au Rakhine provoquant une nouvelle vague de déplacement de plus de 10 000 personnes nous avons, pour la première fois depuis deux ans, eu l'impression d'avoir des autorités coopérant avec le CICR. Elles nous donnent des accès pour répondre à l'urgence de ces nouveaux déplacements. Nous avons également pu conclure un accord avec le ministère de la santé du Myanmar pour répondre aux questions spécifiquement liées au Covid-19 mais aussi aux nouveaux déplacements qui sont intervenus dans les États du Rakhine et du Shan dans lesquels les combats se sont accentués récemment.

Sur la réaction à la fermeture des frontières, qui nous mobilise énormément, je pense qu'aujourd'hui le grand défi n'est pas tellement de savoir ce qu'il faut faire pour répondre aux questions humanitaires mais de négocier cet espace dans lequel on peut travailler. Nous sommes extrêmement sollicités sur le terrain pour trouver des arrangements pour pouvoir travailler et avoir accès aux populations. Je pense qu'il y a peu de pays qui aujourd'hui utilisent les restrictions liées au Covid-19 pour empêcher les acteurs humanitaires d'accéder aux populations. Dans la plupart des cas, nous sommes en dialogue et nous sommes en train de négocier des arrangements sur des soucis qui sont légitimes. Ces pays ont des structures sanitaires et gouvernementales tellement faibles qu'un accès illimité, un accès incontrôlé ou un mouvement de population incontrôlé peuvent avoir des effets néfastes. Aujourd'hui, je vois plutôt des opportunités d'explications et de négociations. Au CICR, nous sommes en train de faire vivre une plateforme hebdomadaire avec plus de trois cents négociateurs sur les lignes de fronts pour échanger les meilleures pratiques de négociations, les formules de négociation qui peuvent convaincre les États à trouver de meilleurs équilibres. Nous sommes extrêmement engagés sur ce front diplomatique. Nous mettons ainsi en relation tous les professionnels du CICR et de l'ONU qui travaillent sur les lignes de fronts pour trouver des arrangements et pour avoir accès aux populations.

Encore une fois, il est difficile d'avoir des chiffres précis à ce stade. Pour le continent africain, c'est tout simplement impossible. La réponse honnête c'est que l'on ne sait pas. Il faut supposer que les chiffres officiels sont incomplets aujourd'hui. Tout le monde le reconnaît. Nous avons déjà des difficultés à avoir la mesure exacte des problèmes auxquels nous sommes confrontés en Europe. En Afrique, c'est encore plus compliqué. La réalité va seulement se dessiner à l'horizon des différentes expériences que l'on va faire dans les semaines et mois à venir. Pour le moment, lorsque l'on parle aux communautés dans lesquelles on travaille, on sait que le Covid-19 est une préoccupation des populations mais nous savons également que ce n'est pas leur unique préoccupation. Ils sont quand même confrontés à un éventail beaucoup plus grand de difficultés. Un des messages que j'aimerais vraiment vous faire passer c'est qu'il faut rester ouverts à cette articulation de besoins telle qu'elle nous parvient des populations, car souvent ces populations savent mieux ce que sont les problèmes immédiats. Par exemple, nous avons constaté, et c'est un élément à ne pas sous-estimer, que beaucoup de populations et de communautés africaines ont des mécanismes de défense traditionnels contre les pandémies qui sont très efficaces. Elles pratiquent d'elles-mêmes des politiques d'isolement, et non pas par décrets gouvernementaux. Je pense qu'il faut partir de ces intelligences dans les communautés. Notre approche qui consiste à travailler sur les lignes du front nous permet, je pense, de bien apprécier la façon dont les communautés répondent à ces sujets. Je suis toujours en peine de vous donner des chiffres car si je vous en donne je violerai le principe, que votre collègue a cité, de ne pas propager des chiffres qui ne sont pas sûrs. En ce moment, je suis donc extrêmement prudent sur les statistiques au Proche-Orient et en Afrique.

Sur la question du futur que nous envisageons pour le système international, je dois vous dire que nous sommes sur une ligne de crête étroite. Les développements peuvent tomber d'un côté ou d'un autre. Je vous ai parlé de grands défis auxquels on est confrontés mais je vous ai aussi parlé d'opportunités que le Covid-19 offre en termes de réformes sociales, de possibilités de changements politiques. Je pense que toute la lutte politique que l'on va avoir à mener ces prochaines semaines et prochains mois consistera à savoir de quel côté tomberont les grands développements. Je pense que la France a la responsabilité énorme de donner le ton en tant que membre du G7 et du G20. Je pense qu'il est important que les pays responsables soutiennent clairement des solutions globales et coopératives plutôt que des solutions concurrentes, des solutions, comme je vous l'avais préconisé, multi-agences et multi-acteurs.

Sur les détenus, nous partons des mêmes chiffres. À peu près un million de détenus reçoivent des visites du CICR. Nous sommes de loin l'organisation qui visite le plus de prisonniers au monde. Nous faisons des visites de prisons dans à peu près cent pays. Je pense qu'aujourd'hui, dans les pays que vous avez évoqués ou d'autres, il y a une forte pression qui vient des systèmes pénitentiaires pour s'attaquer au problème de la surpopulation des prisons. Je pense qu'il y a des biais politique évidents dans le choix de ceux qui sont libérés pour répondre à cette situation d'épidémie, dans le choix de ceux dont les crimes sont considérés comme mineurs et donc donnant droit à une libération prématurée, provisoire ou conditionnelle. Il y a des endroits où les « petits » criminels sont libérés et il y a d'autres endroits où les gouvernements choisissent de faire un pas vers l'opposition. Il n'y a donc pas de modèle unique. Cependant, en tant que tel, ce que je trouve encourageant c'est que même des pays qui sont connus pour des régimes pénitentiaires difficiles et restrictifs envisagent aujourd'hui, avec la pandémie, de changer leur politique. Je pense que c'est un début qui offre aussi certains espaces de dialogue.

Par rapport au continent européen, aux migrants qui sont sur les chemins, aux centres de rétention de migrants, je pars de l'idée que les sociétés nationales sont les premières à être sur le front pour répondre. Mais le CICR est toujours prêt à soutenir ces sociétés nationales.

C'est dans cette logique que le CICR opère en soutien aux Croix-Rouges grecque et italienne, ainsi qu'à d'autres sociétés nationales selon des besoins qui sont différents d'un contexte à l'autre. Dans ces domaines, les sociétés nationales restent en première ligne. Cela inclut les sociétés du Croissant-Rouge, qui appartiennent, comme toutes les Croix-Rouges, au Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Nous avons les mêmes principes d'engagement, les mêmes types de coopération. Le CICR s'occupe davantage des questions liées au droit international humanitaire, à l'utilisation de la force, mais les visites de prison ou actions humanitaires d'assistance sont réalisées souvent ensemble avec les sociétés nationales.

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