Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 22 avril 2020 à 14h00

Résumé de la réunion

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  • CICR
  • afrique
  • conflit
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  • croix-rouge
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La réunion

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Audition, en visioconférence, de M. Peter Maurer, président du Comité international de la Croix-Rouge.

La séance est ouverte à 14 heures.

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Je veux remercier très sincèrement le président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Peter Maurer, pour le temps qu'il nous offre cet après-midi. Je sais qu'il est mobilisé sur tous les fronts. C'était très important pour nous de pouvoir vous entendre à ce stade de la ccrise. Je veux rappeler que le rôle du CICR est un rôle tout à fait à part. Vous avez la responsabilité qui est pour nous essentielle de mettre en œuvre le droit international humanitaire. Deux collègues ont fait un rapport d'information très complet sur cette grande question, Jean François Mbaye et Moetai Brotherson.

Vous êtes aussi chargé par la communauté internationale, au nom de la communauté internationale, de fournir protection, assistance aux victimes de conflits armés et d'autres situations de violence. Nous sommes donc vraiment très intéressés de vous entendre, monsieur le président, dans cette grande crise mondiale qui touche aujourd'hui l'humanité toute entière. Vous nous direz comment vous adaptez vos modalités d'action dans les pays, régions, zones dans lesquels vous intervenez. Comment vous développez sur le terrain une politique active en matière de prévention, pour limiter le plus possible la propagation du virus, empêcher la saturation des infrastructures médicales, dans un contexte où, nous le savons tous, et vous le savez évidemment mieux que nous encore, les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sont particulièrement difficiles à mettre en œuvre dans les pays les plus fragiles. Vous nous direz comment nous pouvons agir à vos côtés, car c'est un sujet qui nous préoccupe, pour ce que j'appelle la mise en place de couloirs humanitaires dans un contexte où de très nombreuses restrictions de déplacements sont imposées dans le monde entier. Ceci concerne évidemment les personnels de santé qui doivent aller sur certains terrains, les personnels humanitaires, cela concerna aussi l'acheminement des médicaments.

Vous nous direz quelle est la politique mise en place pour protéger vos personnels humanitaires sur place, et faciliter leur acceptation par les autorités locales. C'est le premier point, sur la crise et la gestion de la pandémie par le CICR.

Monsieur le président, comme-vous l'avez vous-même dit récemment dans une tribune, il y a évidemment des points de grande vigilance. Dans de très nombreuses régions du monde, la crise sanitaire mais aussi la crise économique et sociale va s'ajouter à des conflits déjà existants. Aujourd'hui, malgré l'appel au cessez-le-feu immédiat et global lancé par le Secrétaire général des Nations unies et que la France soutient, les combats continuent sur la plupart des théâtres de conflit. Je pense à la Syrie, au Yémen, je pense au Soudan du Sud, à la Somalie, à la Libye, je pense au Sahel, mais il y a encore d'autres zones dans lesquelles c'est le cas. Vous nous direz, monsieur le président, quelle est votre action et comment vous pouvez agir dans ces différents pays et quelles sont vos craintes. Puis vous pourrez nous faire un point sur les camps de réfugiés et les camps de déplacés qui sont évidemment des zones particulièrement vulnérables et dans lesquelles vous êtes présents.

Enfin, nous serions intéressés d'entendre analyse sur les risques de long terme. Ces risques ne sont pas seulement sanitaires, mais aussi d'une grave déstabilisation sociale. Le CICR a parlé d'un « tremblement de terre socio-économique » avec de très graves conséquences humanitaires. Nous partageons ce constat et cette analyse et nous serons à vos côtés pour vous aider dans votre action.

Avant de vous donner la parole, je veux d'abord remercier toute l'équipe du CICR qui vous accompagne aujourd'hui et qui participe à vos côtés à cette audition. Je veux remercier particulièrement Yves Arnoldy chef de la délégation régionale du CICR à Paris, et Jean-Christophe Combe, directeur général de la Croix-Rouge française. Monsieur le président, je suis heureuse de vous donner la parole pour une intervention préliminaire, nous aurons ensuite un dialogue nourri et profond avec l'ensemble des parlementaires.

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Peter Maurer, président du Comité-international de la Croix-Rouge

Un grand merci madame la présidente, mesdames et messieurs les députés. C'est pour moi un grand honneur d'être avec vous cet après-midi, une fois de plus. Les échanges entre la commission des affaires étrangères et le CICR sont nombreux, je voudrais exprimer toute notre satisfaction sur ces échanges qui ont eu lieu à différentes reprises et sur différents aspects de notre travail. J'aimerais aussi saluer particulièrement mon collègue Jean-Christophe Combe, je pense qu'il est important de montrer et de souligner combien nous apprécions le travail des sociétés nationales dans chacun des pays. Je pense qu'en tant que Français et Françaises vous avez pu constater ces dernières semaines combien l'action de la Croix-Rouge française est importante à l'intérieur du pays. Je voudrais souligner aussi combien il est important qu'une société nationale comme la Croix-Rouge française puisse venir en aide à d'autres sociétés nationales qui n'ont pas les capacités, les moyens et le savoir que possède la Croix-Rouge française. Je veux souligner notre grande satisfaction à être ensemble sur les terrains internationaux aujourd'hui pour affronter cette crise, qui comme vous l'avez bien dit, madame la Présidente, est assez unique. Je ne pourrai pas répondre dans mon propos liminaire à tous les chapitres ouverts et à toutes les questions soulevéês mais j'essaierai d'y répondre aussi dans mes réponses aux questions.

Je souhaiterais commencer par souligner que beaucoup de défis que nous rencontrons aujourd'hui ne sont pas des défis nouveaux. Rien n'a changé ces dernières quatre à six semaines : les victimes, les populations vulnérables, les contextes vulnérables, les crises humanitaires. Mais le Covid- 19 a changé radicalement l'environnement dans lequel nous opérons, une pandémie globale se superpose ainsi aux défis existants. Les systèmes de santé, déjà en peine de répondre dans les pays industrialisés et développés, sont encore plus sous pression dans les pays dans lesquels nous travaillons. Les systèmes politiques sont sous pression, les économies et les sociétés sont profondément secouées, peu sont ceux qui pensent que c'est un phénomène éphémère. On entend de grands leaders d'organisations économiques internationales dire que nous entrons dans une grave crise économique qui va secouer le monde et qui aura des impacts humanitaires auxquels nous devrons tous répondre. Dans une telle situation, l'avenir se construit aussi par la manière dont nous répondons à l'urgence. Nous sommes tous conscients que les réponses peuvent être plus ou moins inclusives et discriminatoires, plus ou moins basées sur les évidences ou sur les fictions et rumeurs.

J'aimerais commencer par vous parler, d'une manière plus systématique, avant de revenir sur les grandes lignes de l'action du CICR, des grands risques que nous percevons aujourd'hui. Les pays déchirés par la guerre sont exposés à des risques sans précédent. À l'heure actuelle, les pires problèmes sanitaires se posent dans les pays dont les systèmes sanitaires sont déjà mis à mal par les guerres et les violences. Le risque de contagion est particulièrement élevé lorsque les moyens de dépistage, de prise en charge et de suivi des malades sont extrêmement limités. Dans des contextes comme le Yémen, nous nous trouvons à 30 % de capacités des systèmes de santé par rapport à la période d'avant la guerre, ce pourcentage s'applique aussi dans des contextes comme la Syrie ou la Libye. Nous ne sommes pas seulement confrontés à une pandémie mais à des systèmes défaillants. L'idée d'une pression supplémentaire sur ces systèmes déjà fragiles est extrêmement préoccupante. Les pays et régions très fragilisés continuent de souffrir de multiples défis : pauvreté, violences, faiblesses économiques, de gouvernance, corruption, exposition au changement climatique. Tous les problèmes qui n'ont pas été résolus par le passé sont toujours présents aujourd'hui. Il existe un manque de résilience dans les contextes dans lesquels nous avons concentré nos opérations. Pour donner une illustration, un chiffre que je trouve toujours intéressant : les vingt opérations les plus importantes aujourd'hui du CICR correspondent à environ 80 % des déplacements de population irréguliers qu'on observe. Un deuxième élément préoccupant : pour les personnes qui vivent en zone de guerre, le Covid-19 n'est qu'une menace de plus au regard de l'immense souffrance du quotidien. Quand vous êtes confrontés à des dangers mortels, donner la priorité aux mesures faites pour contrer la propagation du Covid-19 tient presque de l'impossible. Pour vous donner un exemple, nos équipes chirurgicales dans les cliniques du Soudan du Sud ont reçu ces dernières semaines plus de cent cinquante personnes blessées. Elles doivent donc intervenir, alors qu'on leur demande aussi de mettre en place des dispositifs pour se préparer face à la pandémie. Les combats, comme vous l'avez bien dit madame la Présidente en Libye, au Yémen, dans le bassin du lac Tchad, dans la Corne de l'Afrique, continuent, et les cessez-le-feu sont difficiles à obtenir, nous l'avons vu avec l'appel du Secrétaire général des Nations unies, qui peine à vraiment se mettre en place. Vous avez peut-être vu que nous essayons, surtout en Afghanistan, au Yémen, en Ukraine, de construire sur la base de notre mandat humanitaire des échanges de prisonniers pour établir un minimum de confiance entre les belligérants, pour les amener par le biais de ces échanges à des positions communes, et plus humanitaires aussi face à la pandémie. En fin de compte, la pandémie complexifie encore ces travaux de création de confiance entre les belligérants, la situation est extrêmement difficile.

J'aimerais vous parler brièvement des systèmes pénitentiaires, des camps de réfugiés et des camps de personnes déplacées. Là encore nous sommes confrontés à une situation explosive. Des recommandations ont été faites il y a des années pour la création de systèmes de santé, d'approvisionnement de l'eau, d'hygiène, de réponse aux besoins humanitaires minimaux dans ces lieux spécifiques. Aujourd'hui, ces zones sont sous tension extrême, parce qu'elles réunissent des gens soumis à de grands risques sans pouvoir se préparer à contrer la propagation d'un virus. Je peux mentionner des signes encourageants, au moins dans les prisons. C'est peut-être l'endroit où l'on a constaté, de la part des autorités, le plus d'intérêt ces dernières semaines pour faciliter le travail du CICR. Si je regarde l'éventail de notre action, malgré les restrictions mises en place par les États pour réduire les mouvements de population, nous sommes extrêmement sollicités dans le milieu carcéral par les directeurs de prisons qui nous invitent à venir, à mettre en place des programmes d'urgence, des salles médicales, des salles d'isolement, à monter davantage de programmes d'hygiène, d'approvisionnement en eau pour prévenir le pire. C'est une leçon que nous avions déjà tirée, lors d'épidémies précédentes, par exemple Ebola. Nous avions réussi à quasiment maintenir ce virus en dehors des systèmes pénitentiaires. Aujourd'hui, nous sommes dans une lutte contre la montre pour voir comment, dans les milliers de prisons dans lesquelles nous sommes actifs, on peut mettre en place des réformes d'urgence pour prévenir le pire.

Pour vous parler brièvement des risques pour le personnel de santé et pour le personnel humanitaire, nous sommes face à des dilemmes : d'un côté on veut aider les États à mettre en place les recommandations de l'OMS sur les restrictions et, de l'autre, nous voyons que ces politiques peuvent aller à l'encontre de l'effort de création d'un espace humanitaire, neutre, impartial et indépendant pour servir les populations. Je pense que nous pouvons surmonter ces dilemmes seulement si nous mettons en place nous-mêmes des protocoles rigoureux pour avoir des assurances accrues que nos personnels sur le terrain ne deviennent pas des instruments de propagation du virus. Nous nous efforçons donc de mettre en place une discipline importante en interne.

Un autre point important auquel nous sommes confrontés aujourd'hui, et qui existe aussi dans nos sociétés industrialisées, c'est la hausse des violences domestiques, des violences sexuelles, des violences de genre. Nous y sommes confrontés à l'extrême, on voit la situation se dégrader dans les terrains dans lesquels travaille le CICR. Nous sommes face à un continuum de violence des champs de bataille jusqu'à l'espace domestique. Je pense que tout ce qui a été fait par le passé pour mettre en place des programmes contre les violences sexuelles et domestiques devient encore plus important aujourd'hui. Je pourrais vous dire la même chose sur la santé mentale. Cette crise est une pandémie qui nécessite des réponses épidémiologiques mais qui pèse en même temps sur les populations d'une manière particulière.

Je ne vous ai pas parlé des conséquences sociales et économiques qu'on voit déjà apparaître à l'horizon. Les politiques restrictives pour prévenir la pandémie sont aussi en train de créer des problèmes humanitaires et sociaux dans des régions et pays dans lesquels nous travaillons. Il y a des pays comme le Yémen, l'Irak ou la Syrie où le nombre de contaminations n'est pas considérable mais où les conséquences humanitaires des politiques restrictives et exceptionnelles des États créent de grandes difficultés. On l'a vu en Inde, en Afrique du Sud, dans d'autres pays et dans les régions de conflit, nous sommes préoccupés par les restrictions imposées aux mouvements de populations qui dépendent du secteur informel de l'économie, ce qui cause des problèmes humanitaires importants.

Pour répondre aux thèmes et questions que vous avez mis en avant madame la présidente au début de la réunion sur nos modes opératoires, la première priorité pour nous a été d'accélérer et de prioriser toute action qui peut être conçue comme ayant un lien direct avec la prévention de l'épidémie. Nous avons accéléré notre livraison dans près de 400 centres de santé et hôpitaux dans lesquels le CICR travaille toujours aujourd'hui dans trente-cinq contextes dans lesquels nous sommes présents sur les lignes de front. Nous sommes en train de chercher les créneaux d'approvisionnements pour mettre en place la prévention et la protection dans ces centres de santé. Deuxièmement nous avons un grand programme dans ces mêmes pays d'hygiène, de formation, d'éducation des volontaires de la Croix-Rouge auprès des personnels médicaux, des personnels pénitentiaires et des détenus. Nous sommes en train aussi de nous engager dans la gestion des dépouilles mortelles, pour construire des capacités là où c'est particulièrement difficile. Nous nous engageons à négocier avec des pays des surfaces opérationnelles importantes, je pense que la « diplomatie Covid-19 » ou « diplomatie corona » devient de plus en plus importante aujourd'hui pour négocier chaque jour des surfaces opérationnelles qui nous permettent de mettre ces programmes d'urgence en place. En même temps, nous avons essayé et essayons de nous connecter au mieux avec les acteurs systémiques, on sait très bien qu'on ne peut pas lutter contre la pandémie en se focalisant sur ces effets immédiats. Nous sommes en train de nouer des alliances avec des organisations de développement pour élargir notre action dans le renforcement de systèmes d'assainissement de l'eau, de santé.

La situation est donc extrêmement complexe pour le moment. Si je vous donne une évaluation des restrictions auxquelles nous sommes confrontés aujourd'hui, je dirais que sur les quatre-vingt-quinze contextes dans lesquels le CICR a des activités opérationnelles, il y en a une dizaine dans lesquels il est vraiment impossible de mettre en place des actions en raison des restrictions sanitaires, politiques, qui sont imposées à des organisations comme le CICR. Il y a quand même un grand nombre de pays dans lesquels nous continuons à être présents, à déployer nos opérations – santé, eau, urgence, pénitentiaire. À peu près quarante-cinq à cinquante délégations sont opérationnelles aujourd'hui. Même si elles ne sont pas toujours à 100 % de leurs effectifs, elles ont une capacité d'action réelle. Je pense que chaque jour le CICR réussit à élargir son espace opérationnel. Il y a aussi la mobilisation dans les pays industrialisés où les personnels travaillent en « home office » à plein temps. La majorité des délégations sont aujourd'hui en train de lutter contre des restrictions et nous sommes très sollicités par la négociation de cet espace impartial, neutre et indépendant indispensable à nos interventoins.

Pour conclure mes propos liminaires je peux faire deux ou trois remarques, comme vous m'y avez invité madame la présidente, sur les recommandations. Politiquement, nous sommes face à des situations très délicates, nous sommes confrontés à un problème global qui nécessite des réponses globales. Je pense au renforcement du système multilatéral, mais aussi aux réponses multi-acteurs, qui sont absolument cruciales. Ni le traitement ni les tests sur le Covid-19 ne pourront être mis au point sans un effort coopératif entre experts, scientifiques, États, organisations humanitaires pour les mettre en place sur le terrain. C'est seulement en « multi-acteurs » qu'on pourra imaginer des solutions face aux restrictions dans les semaines qui viennent. D'un point de vue politique, il faut trouver un chemin entre restrictions nécessaires et possibilités d'action. Je voulais souligner cela car la France comme vous le savez bien, avec l'Alliance pour le multilatéralisme, a montré le chemin vers lequel il faut aller, et je pense que c'est absolument essentiel.

Deuxième chose, je pense qu'on voit aujourd'hui que, sur le plan de la gouvernance, on se dirige vers une gouvernance plus virtuelle. Les infrastructures virtuelles aujourd'hui sont clef, même dans les contextes fragiles quand on ne peut plus facilement atteindre les populations. Cces populations sont souvent connectées et par l'« humanitaire connecté » on peut envisager des solutions. Nous en faisons l'expérience en ce moment même. Nous n'aurions jamais pensé pouvoir dialoguer ainsi, entre le président du CICR et la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, de la manière dont nous le faisons aujourd'hui. Nous voyons les solutions virtuelles et numériques prendre une importance cruciale.

Troisième tendance que nous identifions aujourd'hui, nous ne pouvons plus penser aujourd'hui à gérer une telle crise avec toutes ses spécificités d'une manière centralisée. Il faut laisser plus d'espace aux initiatives locales, à nos collègues sur le terrain pour trouver les solutions adaptées aux situations. Je pense que nous avons fait un apprentissage très rapide ces dernières semaines. Je pense que les dernières semaines ont montré aussi combien il est important de fonder nos politiques sur les évidences, la science, le dialogue critique. Nous savons tous que les uns et les autres n'ont pas exactement les mêmes sensibilités. J'ai souvent pensé ces dernières semaines que si nous avions pour la pandémie ce qui a été mis en place pour lutter contre le changement climatique, c'est-à-dire un panel international de scientifiques, qui conseille les gouvernements, qui a l'autorité pour vérifier les faits et les évidences, cela faciliterait les processus décisionnels et politiques qui sont très difficiles à trouver. Nous n'avons pas aujourd'hui d'organisation internationale qui aurait une légitimité incontestée pour être cette autorité de référence. Je pense que nous sommes confrontés, dans l'irrationnel de la pandémie, à un problème que peuvent résoudre l'intelligence des professionnels, des scientifiques, les progrès qu'ils font dans le dialogue avec les opérateurs sur le terrain.

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Merci beaucoup, monsieur le président, j'ai reçu beaucoup de demandes de prises de parole. Nous allons faire plusieurs séries de questions.

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Les réfugiés, les déplacés, les personnes prises dans un conflit sont confrontés à des vulnérabilités particulières, vous l'avez rappelé. C'est pourquoi António Guterres a appelé à un cessez-le-feu mondial. Il a aussi déclaré : « Alors que le monde combat la pandémie mortelle de Covid-19, nous assistons également à une autre épidémie, un épidémie dangereuse de désinformation. » Partout dans le monde, les gens ont peur, ils veulent savoir quoi faire et vers qui se tourner pour obtenir des conseils. Les Nations unies ont donc lancé une campagne de communication pour diffuser sur internet des faits et des données scientifiques, tout en combattant le fléau croissant de la désinformation, un poisson mortel qui met encore plus de vies en danger. Le CICR a aussi lancé une campagne sur les réseaux sociaux qui promeut quatre conseils pour ne débusquer une « infox » en temps de pandémie, permettez-moi de les rappeler. D'abord, chercher la source de l'information, ensuite, lire plus – les gros titres sont parfois trompeurs –, s'interroger sur ce que disent les autres sites, et enfin, ne pas partager si nous pensons que les informations ne sont pas sûres à 100 %. Vous nous avez exposé les grands risques, vous avez évoqué aussi la gouvernance virtuelle et l'humanitaire numérique, dans ce contexte, monsieur le président, pouvez-vous nous exposer concrètement les conséquences de la désinformation sur les populations les plus vulnérables, et nous dire si la transparence est le seul remède pour que le droit à l'information de ces populations soit protégé ?

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Avez-vous un état précis de l'évolution de la pandémie en Afrique subsaharienne et en Afrique équatoriale ? Comment expliquez-vous à ce stade la lente évolution de l'épidémie ? Ce dont on peut se réjouir, mais est-ce que c'est définitif ou seulement provisoire ? Deuxièmement, je souhaitais savoir si vous connaissiez des cas précis de malnutrition ou de même famines consécutifs à cette pandémie ? Troisièmement, sur un ton un peu plus optimiste, notre collègue Marion Lenne vient de faire allusion à l'appel du Secrétaire général des Nations unies, est-ce qu'il y a des cas de cessez-le-feu ou de pauses ? Vous avez parlé notamment d'échanges de prisonniers pour créer un climat de confiance, est-ce qu'il y a des exemples précis ? Enfin, je voulais savoir quel était l'état de votre coopération avec le Croissant-Rouge, au Proche-Orient. Enfin, à la fin de votre exposé, vous avez parlé d'un panel international, pour conseiller les gouvernements, peut-être à l'image de ce qui est fait en matière climatique et je dois dire que vous rejoignez une idée qui nous a été soumise il y a quelques jours lors de l'audition de notre ministre des affaires étrangères, M. Jean-Yves Le Drian, l'idée d'un GIEC sanitaire pour faire face aux pandémies.

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Effectivement le GIEC santé est une proposition que Jean-Yves Le Drian nous a rappelée, qui est soutenue et portée par la France, et il sera intéressant de vous entendre sur cette question.

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En préalable à mon propos et même si cela déjà était dit, je souhaite rappeler que le CICR a pour lui une histoire, des engagements, qui lui valent le respect sur tous les théâtres de guerre et de conflit sur lesquels vous êtes amenés à intervenir. Vous vous déplacez vous-même régulièrement sur le terrain et je salue la hauteur de votre réflexion, encore exprimée dans votre récente tribune dans le journal Le Temps. Vous y invitez les responsables du monde et les leaders gouvernementaux à prendre la mesure des dangers du Covid-19, afin de protéger autant que possible les réfugiés du monde entier et les détenus des pays en guerre ou en situation de conflit. Parmi nos préoccupations communes, la situation des réfugiés Rohingyas, que je suis avec une attention particulière. On peut notamment s'inquiéter pour ceux qui se trouvent dans les gigantesques camps du district de Cox's Bazar au Bangladesh, que nous visité avec mon collègue Frédéric Petit au mois de décembre. Aussi, pouvez-vous nous indiquer l'appréciation du CICR sur leur vulnérabilité face à la pandémie ?

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Vous serez toutes et tous d'accord avec moi pour dire que le monde entier, tous les écosystèmes, qu'ils soient financiers, sanitaires ou encore climatiques, sont profondément en train de changer. La souveraineté nationale, les enjeux internationaux, se trouvent à un carrefour majeur, les États prennent la mesure de cette crise sanitaire et adaptent leurs économies, leurs systèmes sanitaires, et des moyens sans précédent sont déployés auprès de leurs populations. Cependant, dans de nombreuses régions du monde, on est confrontés des conflits armés, des famines, des déplacements de population et diverses situations de violences extrêmes – en Syrie, au Yémen, au Bangladesh, dans la bande de Gaza, et dans de nombreux pays africains – vous l'avez souligné le Covid-19 ajoute une pression supplémentaire qui rend encore plus difficile la gestion des crises qui préexistaient. La crise sanitaire actuelle va perdurer et rendre encore plus instables ces régions en difficultés. Dès lors, vos missions seront indispensables pour combler les failles et insuffisances de certains États. À l'heure où les pays ferment leurs frontières, où le matériel médical devient une denrée très rare, comment votre organisation se prépare-t-elle à venir en aide à ces populations ? Ne craignez-vous pas face à ce choc planétaire que les États adaptent leurs économies et que cela entraine une diminution de vos ressources ? J'aimerais conclure très rapidement pour vous interroger sur le monde de demain. Cette crise a démontré que les nations étaient interdépendantes, elle a aussi mis en lumière l'importance de l'humain, sa santé, qu'elle place au premier plan. Ce choc anthropologique va-t-il changer selon vous la nature de la mondialisation et les termes de la solidarité internationale ? Pensez-vous que l'espoir d'un renouveau de la coopération internationale soit possible dans les différents domaines concernés ? Le CICR pourra-t-il imposer une réalité au principe de précaution et cultiver une approche préventive ?

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Monsieur le président, je vous remercie pour votre propos liminaire et pour votre présence et je vous remercie d'avoir évoqué la question des prisons. Les prisonniers représentent 11 millions de personnes détenues dans le monde. Les prisonniers sont souvent hors du droit, loin des yeux, et la situation est inquiétante comme vous l'avez rappelé : surpeuplement, manque de soins médicaux, piètres conditions d'hygiène et sanitaires. Deux exemples de pays, auxquels je m'apprête à écrire : la Turquie et l'Égypte. En Égypte les visites aux prisonniers ont été interrompues, il n'y a plus de témoins et d'aides extérieurs pour soulager la condition des prisonniers, et aucune autre mesure préventive n'est prise pour l'économie. La Turquie a pris des mesures pour désengorger les prisons mais a laissé derrière les barreaux les militants et défenseurs des droits humains, les journalistes et les opposants pacifiques qui sont des prisonniers d'opinion. Il y a eu certes des réactions et prises de position sur le plan international, comme le 25 mars celle du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, qui a exhorté les gouvernements à prendre des mesures d'urgence afin de protéger la santé et la sécurité des personnes privées de liberté. Vous avez vous-même mentionné les appels de certaines autorités, directeurs de prison ou autorités de justice, car ces prisons pourraient devenir un foyer d'épidémie. Pourriez-vous nous en dire un peu plus, en particulier pour les deux pays que j'ai mentionnés, la Turquie et l'Égypte ?

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Monsieur le président, j'ai trois questions brèves. Tout d'abord, vous avez dit que la Croix-Rouge intervenaît dans quatre-vingt-quinze pays et qu'il y avait di contextes dans lesquels vous ne pouviez pas intervenir. Cela rejoint la remarque de Didier Quentin tout à l'heure, est-ce que dans ces pays-là, le Croissant-Rouge ou des organisations similaires sont susceptibles d'intervenir ? Ma deuxième question touche à la question des migrants. Vous avez lancé un appel aux différents gouvernements d'Afrique australe pour qu'ils suspendent toutes les arrestations et expulsions forcées de migrants afin de prévenir la propagation du Covid-19 dans les centres de rétention de la région. Est-ce que cet appel a été entendu et qu'en est-il de la situation dans les centres de rétentions là-bas en ce moment ? Ma dernière question concerne l'Europe plus particulièrement et des pays comme l'Italie, comme l'Espagne, comme la France ou comme la Grèce. En effet, lorsque cette crise sanitaire a débuté, les frontières ont été fermées mais l'on sait bien qu'il y avait des gens sur les routes, qu'il y avait des gens dans des centres. Je voulais savoir si aujourd'hui, compte tenu du fait que tout est bloqué de part et d'autre de nos frontières, est-ce que la Croix-Rouge intervient auprès des migrants qui sont en errance ? Si je vous pose cette question, c'est parce que je préside moi-même une association qui s'occupe de migrants qui sont dans des centres d'accueil. Nous avons vu la vie s'arrêter pour eux aussi. Ces migrants se retrouvent dans un isolement total car les bénévoles ne peuvent plus agir, et les médecins sont occupés par ailleurs. La promiscuité qui est la leur est complètement contraire aux mesures de confinement. À l'inquiétude de la souffrance de leur déplacement s'ajoute aujourd'hui une inquiétude qui est celle du virus.

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Peter Maurer, président du Comité international de la Croix-Rouge

Commençons avec les questions portant sur l'information. Je pense en effet que transparence, critique, professionnalisme sous une forme ou une autre sont les recettes pour combattre la situation actuelle. Je pense que c'est la première pandémie que l'on vit sous des conditions de connectivité internationale importante. Le mot et la désinformation pèsent et se globalisent donc encore davantage alors que les structures pour vérifier, discuter et avoir une vue critique ne sont pas en place. Je pense que Jean-Yves Le Drian a vraiment mis le doigt sur une préoccupation qui est aussi la nôtre et sur laquelle on lutte sur tous les fronts. Je pense que c'est une demande qui doit être gérée politiquement mais, en tant qu'acteur humanitaire, nous faisons de notre mieux pour contribuer aussi à une discussion et à des processus de décision fondés sur des évidences.

Il y a eu des questions sur les cessez-le-feu. Je pense que, pour le moment, nous voyons peu de réduction d'activités militaires à l'exception de la situation au Yémen où le conflit se localise maintenant sur la région de Mahra. En Afghanistan, des pourparlers sont en cours malgré les difficultés et il y a des perspectives de cessez-le-feu. Nous avons également vu des signaux positifs en Ukraine. Malheureusement en Libye les combats sur Tripoli continuent pour le moment. Pour les autres contextes, il est encore prématuré de dire qu'il y a de réels progrès pour la mise en œuvre de l'appel du Secrétaire général sur les cessez-le-feu.

Je n'ai pas d'informations généralisées sur les questions de malnutrition. Nous n'avons pas de vue d'ensemble mais il est clair que mes collègues du Programme alimentaire mondial voient une nécessité d'élargir les actions comme l'opération eau, assainissement et santé. Je pense que ce sont les facteurs essentiels sur lesquels il faut travailler car nous reconnaissons tous que c'est là que les populations sont dans les plus grandes difficultés. Il est prématuré d'avoir des faits et des évidences statistiques clairs mais nous avons des indications ponctuelles. Nous travaillons pour y répondre en tant que mouvement de la Croix-Rouge ou en coopération avec les Nations unies.

Il n'y a rien de spécifique pour le moment dans la situation de la population réfugiée Rohingya au Bangladesh. Nous continuons d'avoir des accès, nos programmes fonctionnent à Cox's Bazar et dans tout le Bangladesh. Nous avons eu quelques petits succès par rapport à notre action humanitaire au Myanmar. Par exemple, malgré le fait que les combats se soient accentués ces dernières trois semaines au Rakhine provoquant une nouvelle vague de déplacement de plus de 10 000 personnes nous avons, pour la première fois depuis deux ans, eu l'impression d'avoir des autorités coopérant avec le CICR. Elles nous donnent des accès pour répondre à l'urgence de ces nouveaux déplacements. Nous avons également pu conclure un accord avec le ministère de la santé du Myanmar pour répondre aux questions spécifiquement liées au Covid-19 mais aussi aux nouveaux déplacements qui sont intervenus dans les États du Rakhine et du Shan dans lesquels les combats se sont accentués récemment.

Sur la réaction à la fermeture des frontières, qui nous mobilise énormément, je pense qu'aujourd'hui le grand défi n'est pas tellement de savoir ce qu'il faut faire pour répondre aux questions humanitaires mais de négocier cet espace dans lequel on peut travailler. Nous sommes extrêmement sollicités sur le terrain pour trouver des arrangements pour pouvoir travailler et avoir accès aux populations. Je pense qu'il y a peu de pays qui aujourd'hui utilisent les restrictions liées au Covid-19 pour empêcher les acteurs humanitaires d'accéder aux populations. Dans la plupart des cas, nous sommes en dialogue et nous sommes en train de négocier des arrangements sur des soucis qui sont légitimes. Ces pays ont des structures sanitaires et gouvernementales tellement faibles qu'un accès illimité, un accès incontrôlé ou un mouvement de population incontrôlé peuvent avoir des effets néfastes. Aujourd'hui, je vois plutôt des opportunités d'explications et de négociations. Au CICR, nous sommes en train de faire vivre une plateforme hebdomadaire avec plus de trois cents négociateurs sur les lignes de fronts pour échanger les meilleures pratiques de négociations, les formules de négociation qui peuvent convaincre les États à trouver de meilleurs équilibres. Nous sommes extrêmement engagés sur ce front diplomatique. Nous mettons ainsi en relation tous les professionnels du CICR et de l'ONU qui travaillent sur les lignes de fronts pour trouver des arrangements et pour avoir accès aux populations.

Encore une fois, il est difficile d'avoir des chiffres précis à ce stade. Pour le continent africain, c'est tout simplement impossible. La réponse honnête c'est que l'on ne sait pas. Il faut supposer que les chiffres officiels sont incomplets aujourd'hui. Tout le monde le reconnaît. Nous avons déjà des difficultés à avoir la mesure exacte des problèmes auxquels nous sommes confrontés en Europe. En Afrique, c'est encore plus compliqué. La réalité va seulement se dessiner à l'horizon des différentes expériences que l'on va faire dans les semaines et mois à venir. Pour le moment, lorsque l'on parle aux communautés dans lesquelles on travaille, on sait que le Covid-19 est une préoccupation des populations mais nous savons également que ce n'est pas leur unique préoccupation. Ils sont quand même confrontés à un éventail beaucoup plus grand de difficultés. Un des messages que j'aimerais vraiment vous faire passer c'est qu'il faut rester ouverts à cette articulation de besoins telle qu'elle nous parvient des populations, car souvent ces populations savent mieux ce que sont les problèmes immédiats. Par exemple, nous avons constaté, et c'est un élément à ne pas sous-estimer, que beaucoup de populations et de communautés africaines ont des mécanismes de défense traditionnels contre les pandémies qui sont très efficaces. Elles pratiquent d'elles-mêmes des politiques d'isolement, et non pas par décrets gouvernementaux. Je pense qu'il faut partir de ces intelligences dans les communautés. Notre approche qui consiste à travailler sur les lignes du front nous permet, je pense, de bien apprécier la façon dont les communautés répondent à ces sujets. Je suis toujours en peine de vous donner des chiffres car si je vous en donne je violerai le principe, que votre collègue a cité, de ne pas propager des chiffres qui ne sont pas sûrs. En ce moment, je suis donc extrêmement prudent sur les statistiques au Proche-Orient et en Afrique.

Sur la question du futur que nous envisageons pour le système international, je dois vous dire que nous sommes sur une ligne de crête étroite. Les développements peuvent tomber d'un côté ou d'un autre. Je vous ai parlé de grands défis auxquels on est confrontés mais je vous ai aussi parlé d'opportunités que le Covid-19 offre en termes de réformes sociales, de possibilités de changements politiques. Je pense que toute la lutte politique que l'on va avoir à mener ces prochaines semaines et prochains mois consistera à savoir de quel côté tomberont les grands développements. Je pense que la France a la responsabilité énorme de donner le ton en tant que membre du G7 et du G20. Je pense qu'il est important que les pays responsables soutiennent clairement des solutions globales et coopératives plutôt que des solutions concurrentes, des solutions, comme je vous l'avais préconisé, multi-agences et multi-acteurs.

Sur les détenus, nous partons des mêmes chiffres. À peu près un million de détenus reçoivent des visites du CICR. Nous sommes de loin l'organisation qui visite le plus de prisonniers au monde. Nous faisons des visites de prisons dans à peu près cent pays. Je pense qu'aujourd'hui, dans les pays que vous avez évoqués ou d'autres, il y a une forte pression qui vient des systèmes pénitentiaires pour s'attaquer au problème de la surpopulation des prisons. Je pense qu'il y a des biais politique évidents dans le choix de ceux qui sont libérés pour répondre à cette situation d'épidémie, dans le choix de ceux dont les crimes sont considérés comme mineurs et donc donnant droit à une libération prématurée, provisoire ou conditionnelle. Il y a des endroits où les « petits » criminels sont libérés et il y a d'autres endroits où les gouvernements choisissent de faire un pas vers l'opposition. Il n'y a donc pas de modèle unique. Cependant, en tant que tel, ce que je trouve encourageant c'est que même des pays qui sont connus pour des régimes pénitentiaires difficiles et restrictifs envisagent aujourd'hui, avec la pandémie, de changer leur politique. Je pense que c'est un début qui offre aussi certains espaces de dialogue.

Par rapport au continent européen, aux migrants qui sont sur les chemins, aux centres de rétention de migrants, je pars de l'idée que les sociétés nationales sont les premières à être sur le front pour répondre. Mais le CICR est toujours prêt à soutenir ces sociétés nationales.

C'est dans cette logique que le CICR opère en soutien aux Croix-Rouges grecque et italienne, ainsi qu'à d'autres sociétés nationales selon des besoins qui sont différents d'un contexte à l'autre. Dans ces domaines, les sociétés nationales restent en première ligne. Cela inclut les sociétés du Croissant-Rouge, qui appartiennent, comme toutes les Croix-Rouges, au Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Nous avons les mêmes principes d'engagement, les mêmes types de coopération. Le CICR s'occupe davantage des questions liées au droit international humanitaire, à l'utilisation de la force, mais les visites de prison ou actions humanitaires d'assistance sont réalisées souvent ensemble avec les sociétés nationales.

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Monsieur le président, merci de votre présence et des éléments d'informations et réponses aux questions qu'on peut se poser dans le contexte inédit que nous traversons. Vous avez déjà apporté un certain nombre de réponses aux questions que je souhaitais aborder, mais je veux insister dans ce contexte sur la menace qui pèse sur le Moyen-Orient. Cette menace laisse envisager des conséquences humanitaires considérables, qui résulteraient à la fois du strict aspect sanitaire, des effets économiques et sociaux et de la situation déjà difficile, voire critique, dans certains pays touchés par des conflits. Il en a été question, je pense au Yémen, à l'Irak et à la Syrie. Je pense également à des pays en proie à des conditions de vie extrêmement précaires, je pense aux Territoires palestiniens et notamment à Gaza. Dans d'autres pays, comme le Liban et la Jordanie, se concentre un nombre très important de réfugiés.

Les structures médicales défaillantes, et en nombre limité, les maladies chroniques, la malnutrition et l'impact considérable du stress, des problèmes de la vie quotidienne, relatifs à l'approvisionnement en vivres, en eau, en électricité, sont autant de facteurs qui justifient beaucoup d'inquiétudes et de préoccupations face aux conséquences du Covid-19 qui vont accroître la dure réalité d'une situation déjà catastrophique. Comment le CICR, en collaboration avec d'autres partenaires sur place, je pense au Croissant-Rouge et aux ONG, et en lien avec les organisations internationales, envisage-il de répondre à ces difficultés accrues, à la fois en termes de sensibilisation, de prévention, d'aide, d'assistance et d'accompagnement des initiatives locales ?

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Monsieur le président, vous savez tout le soutien que vous avez de part de la commission des affaires étrangères, tous groupes politique confondus, pour l'action de votre organisation, sa neutralité, son efficacité et son éthique. Ce sont des choses qui sont importantes pour nous, et c'est pour cela que vous ne m'en voudrez pas de vous poser une question géopolitique. Je m'interroge sur le poids que peut prendre un grand pays comme la Chine dans les organisations onusiennes. Il me semble aujourd'hui essentiel de comprendre ce qu'il se passe sur le terrain, et nous avons la chance aujourd'hui d'avoir une organisation qui a une éthique irréprochable. Existe-il aujourd'hui sur le terrain des actions menées par la Chine qui seraient spécifiques, synergiques et prosélytes? Nous sommes témoins d'une situation inédite à l'OMS avec le retrait des États-Unis, pour des raisons contestables, mais pas uniquement. Quelle est la situation sur le terrain ? Y a-t-il une coopération avec la Chine ? Sous quelles structures est-elle présente et réussissez-vous à travailler avec elle ?

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Monsieur le président, merci de votre présence parmi nous. Le multilatéralisme, né à la fin de la Seconde guerre mondiale, traverse actuellement une prise sans précédent comme vous l'avez évoqué dans votre propos liminaire. Donald Trump suspend la contribution américaine à l'OMS, organisation affaiblie par les tensions avec la Chine. En théorie, cette pandémie devrait appeler à une solidarité interétatique. En pratique, elle révèle une compétition entre les États et affirme les fractures mondiales, ainsi que des rivalités. À ce jour et à l'aune de votre expérience dans les institutions internationales, quel diagnostic pouvez-vous poser sur l'état du multilatéralisme contemporain ? Partagez-vous les craintes du ministre français des affaires étrangères ? Cette crise du multilatéralisme ne risque-elle pas de menacer l'efficacité et la faisabilité des actions humanitaires ? Deuxièmement, l'annulation massive des dettes des pays en développement est évoquée à plusieurs niveaux. Toutefois, ces dettes sont détenues par de multiples acteurs, dont la Chine. Quel regard portez-vous sur cette proposition et avez-vous des propositions alternatives ?

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Merci monsieur le président. Premièrement et concernant votre remarque sur la détente de la situation dans les prisons, je partage votre préoccupation mais demeure dubitatif. Je vois que la façon dont la Turquie a géré l'allégement de ses prisons est tout à fait discriminatoire, en laissant incarcérés les prisonniers politiques, des opposants et journalistes, et en laissant sortir les prisonniers de droit commun, y compris les plus violents. Je pense que les politiques d'amnistie ont parfois pour conséquence d'aggraver la situation en matière de respect de l'État de droit, plutôt que de trouver des solutions de long terme. Par ailleurs, j'avais une question sur la Croix-Rouge chinoise. Vous avez dit que la Croix-Rouge était une grande famille. La Croix-Rouge chinoise a été remise en question, dans sa gestion de la crise à Wuhan, y compris par la société civile. Je voulais vous entendre sur deux aspects : comment gérez-vous la diversité de vos propres membres ? Comment pensez-vous la transparence dans vos relations avec la Croix-Rouge chinoise ? Enfin, pouvez-vous nous donner votre point de vue, en tant qu'acteur d'une organisation multilatérale, sur la performance de l'OMS dans la gestion de la crise ?

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J'aurais voulu vous demander un complément d'information, puisque le ministre des affaires étrangères, M. Jean-Yves Le Drian, écrivait dernièrement, dans une tribune au journal Le Monde, que l'ampleur de la crise sanitaire en Afrique était impossible à prédire. Je m'inquiète notamment du Nigéria, avec ses 90 millions d'habitants. Disposez-vous de plus d'informations à ce sujet ? Avez-vous des informations sur la stratégie que certains pays peuvent commencer à mettre en place pour sortir de cette ornière ?

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Dans le sillage de la question posée par ma collègue, j'aimerais vous interroger sur l'action que vous menez au Burkina Faso où 28 décès ont été enregistrés, ainsi que plus de 500 cas. Je souhaitais en savoir plus sur votre action au Burkina Faso. J'ai vu que vous aviez ouvert un bureau à Djibo. Quelles sont les orientations que vous allez mettre en œuvre dans les jours à venir ?

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Je voudrais revenir sur les priorités que vous avez fixées, afin que la France, le Parlement puissent vous soutenir en ce sens. Aujourd'hui, les pays sont concentrés sur la gestion de la pandémie, mais les pays d'Europe et d'autres se préparent à leur déconfinement. Quelles sont, de votre point de vue, les priorités qui devraient être celles des pays qui élaborent leurs plans de déconfinement ? S'agit-il du problème des vaccins, de la nutrition ou de l'eau ? Je vous rejoins sur la nécessaire amélioration de la gouvernance sanitaire internationale et sur l'idée d'un GIEC Santé, mais je veux parler ici des préoccupations de court-terme, dans les trois à quatre mois à venir.

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Peter Maurer, président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR)

J'aimerais tout d'abord confirmer mes propos sur les grandes lignes d'action du CICR, qui sont valables pour le Proche-Orient. L'action au Proche-Orient représente à peu près un tiers de toutes nos opérations, qu'il s'agisse de la Syrie, de l'Irak, du Yémen, de la Jordanie, du Liban ou des Territoires palestiniens. Nous n'agissons pas fondamentalement différemment au Moyen-Orient et en Afrique. Face à la crise du Covid-19, nous donnons la priorité aux actions qui sont immédiatement effectives, c'est à dire la préparation et la prévention. En deuxième lieu, vient notre effort pour soutenir les autorités dans la création des systèmes plus durables et pour la résilience des populations. Chacun des pays a sa propre dynamique comme vous le savez, mais il n'y a pas de différences sur ces principes. Nous avons des interventions d'assistance et d'urgence qui sont absolument prioritaires aujourd'hui et qui relèvent des précautions que nous prenons avant qu'une potentielle grande vague n'affecte les pays dans lesquels on travaille. J'ai fait mention de plus de 400 centres sanitaires et hôpitaux dans lesquels le CICR intervient, avec la priorité urgente de mettre en place des dispositifs permettant de faire face au plus fort de la crise.

Aujourd'hui, certains de ces centres sont déjà en train de répondre aux premiers cas, c'est là l'urgence absolue et la priorité absolue. Dans le même temps, nous savons que nous ne pouvons pas limiter notre action à une action immédiate d'urgence, c'est la raison pour laquelle nous entretenons des dialogues pour renforcer à moyen terme les systèmes sanitaires. Dans ces pays, nous menons aussi des campagnes publiques sur demande des gouvernements. Vous avez mentionné le Burkina Faso, où le CICR, sur demande du gouvernement, a mené une campagne sanitaire. L'éventail de notre action est basé sur les besoins que l'on rencontre et qui peuvent être très individuels. J'ai aussi mentionné l'importance qu'ont pour nous les questions de formation dans beaucoup de contextes dans lesquels nous opérons. Les formations de volontaires Croix-Rouge ou Croissant-Rouge, pour répondre aux crises actuelles ou imminentes, mais aussi les formations dans les centres de santé dans lesquels nous sommes présents.

Concernant l'action de la Chine, c'est une question très politique. La Chine est devenue un acteur important ces dernières semaines pour soutenir les États dans la réponse contre la pandémie. Les Chinois ont une grande expérience, ont des centres de production de matériel préventif. Il y a des situations que vous connaissez aussi bien que moi où la Chine a répondu à des appels de gouvernements qui ont besoin de savoirs comme de matériels. Le CICR est toujours en train de voir avec la Croix-Rouge chinoise, dans les endroits où nous opérons ensemble, comment s'engager avec elle et s'organiser pour mener une action crédible qui soit en accord avec les principes du mouvement de la Croix-Rouge. Nous gérons notre diversité à l'intérieur du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en essayant d'avoir un dialogue sur nos principes, en ayant un dialogue continu avec les sociétés nationales. Nous essayons de les encourager, quand nous avons l'impression qu'elles sont en déroute par rapport au respect des principes, à revenir à une action humanitaire basée sur ces principes. Nous savons que c'est une tâche compliquée. C'est une balance difficile dans lesquels ces sociétés nationales se trouvent, entre un pouvoir politique qui veut les utiliser pour répondre à des questions humanitaires et le respect des principes. Je pense que notre action est une action de moyenne et de longue haleine pour amener les sociétés nationales à prendre les principes au sérieux. Nous soutenons les sociétés nationales, chinoise comme les autres, dans la mesure ou leur activité est conforme aux principes que nous soutenons.

Concernant le désendettement, c'est là encore une question politique. Je peux tout simplement vous exprimer mon inquiétude. Nous espérons que la dette que nous avons accumulée et qui a tellement augmenté ces dernières semaines soit soutenable et puisse mener à des financements durables sur les objectifs de développement et les questions humanitaires. Nous sommes assez inquiets des effets sur les systèmes financiers qui vont sans doute se faire sentir vers l'été ou l'hiver au plus tard. Quand la communauté internationale réalisera tout le déséquilibre financier qui a été accru ces dernières semaines, je pense que cela nécessitera des actions politiques importantes, mais ce n'est pas au CICR de dire sous quelles conditions et comment ce désendettement doit se faire. Ce que nous savons déjà aujourd'hui, c'est que l'accumulation de dette va amener à des difficultés de financement des actions humanitaires et va créer des difficultés pour les États à répondre par des programmes sociaux et humanitaires. Cela va encore augmenter la pression sur les acteurs internationaux, qui auront de la peine à mobiliser les ressources nécessaires vu l'endettement incroyable qui s'est accru ces dernières semaines, surtout chez les donateurs. C'est un cycle assez vicieux qui est en train de se mettre en place. Il doit être résolu par une action politique et non humanitaire, mais il est clair que nous ne pouvons pas imaginer comment on peut engendrer pendant des décennies une telle dette sans qu'il n'y ait de conséquences néfastes sur les systèmes sociaux et donc aussi sur un acteur comme le CICR.

Sur la question du déconfinement et des priorités, j'ai personnellement l'impression que les réponses vont se faire individuellement selon les pays, les régions et les contextes. Il est difficile de trouver aujourd'hui la formule magique qui nous permettrait d'avoir la solution miracle pour tous. Nous constatons de plus en plus que les opinions, les contextes et les dynamiques politiques sont différents d'un pays à l'autre. Il faudra ménager ces situations et voir comment nous pouvons trouver des solutions pour les populations. Pour nous, la première priorité est d'avoir une voix à la table quand les gouvernements décideront du déconfinement et des politiques restrictives, pour que nous poussions nous assurer d'avoir accès aux populations vulnérables, et que ces populations aient de manière générale accès à l'aide humanitaire et aux services sociaux que nous apportons.

Une série de questions sur l'OMS ont été posées. Comme tout bon médecin, je ne vais pas m'exprimer sur la qualité du travail professionnel d'un autre médecin. Ce que j'aimerais bien souligner c'est que je pense que ces dernières semaines ont montré qu'il était difficile d'avoir une formule pour répondre à une pandémie. Nous avons bien vu que les recommandations qui viennent de l'OMS, qui sont importantes et utiles en Europe et dans les pays industrialisés, ne sont pas nécessairement utiles et ne peuvent pas être appliquées de la même manière en Afrique, au Moyen-Orient ou même en Amérique latine. On aura affaire dans les jours et semaines prochaines à une dynamique intéressante sur les différents modèles, par rapport à la première réaction que l'on a vu émerger. C'est aux États de gouverner l'OMS et non aux partenaires humanitaires, je ne peux personnellement pas me plaindre de l'excellence des relations que nous avons avec le système des Nations unies, agences humanitaires, OMS, mais aussi avec des ONG importantes comme Médecins sans frontières avec lesquelles on essaye de répondre à cette crise.

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Mon collègue Moetai Brotherson et moi avons eu l'honneur de déposer devant la commission des affaires étrangères un rapport d'information sur le respect du droit international humanitaire. Je voudrais vous interroger sur quelques questions que soulève la pandémie dans ce domaine. Concernant les professionnels de santé, qui sont extrêmement importants pour lutter contre la pandémie, le rapport mettait en lumière les attaques récurrentes qui étaient perpétrées à l'encontre du personnel médical et humanitaire. Face à cette double difficulté, les réseaux humanitaires sont-ils en mesure aujourd'hui de pourvoir à la distribution de matériel médical même basique pour aider l'effort qui est déjà fourni par les personnels de santé locaux ? Depuis le début de l'épidémie, avez-vous constaté l'utilisation de la faim comme tactique de guerre, nous savons qu'elle est largement utilisée dans certains conflits ? Concernant le Yémen, si aucun cas de Covid-19 n'a été recensé aujourd'hui, quels sont les modes de prévention que le CICR pourrait mettre en œuvre de manière à prévenir une propagation qui viendrait totalement détruire un système de santé, qui a déjà été largement ébranlé du fait de ce conflit armé.

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Vous avez évoqué un effort coopératif qui devait être mis en place. On sait que l'Union africaine a mis en place une stratégie continentale de lutte contre le Covid-19, validée par l'ensemble de ses membres fin mars. Comment les ONG internationales se coordonnent-elles avec l'Union africaine sur les interventions opérationnelles ? Avons-nous une stratégie opérationnelle conjointe ou est-ce que chaque pays a son propre schéma d'intervention en fonction de son territoire ?

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Je voulais d'abord remercier le personnel humanitaire qui joue un rôle essentiel en cette période très difficile. Concernant, les réseaux sociaux et les fake news dont vous avez parlé, il faut tout de même reconnaître que s'il y a de fausses informations sur les réseaux sociaux, ce sont malheureusement les États qui ont propagé les plus grosses fakes news, soit pour cacher l'ampleur de l'épidémie comme en Chine, soit l'OMS qui a tardé à reconnaître l'ampleur de l'épidémie et même en France ou certaines préconisations ont été totalement décalées par rapport à l'avis scientifique. Je crois donc qu'en matière de fake news, il faut commencer par balayer devant sa porte et c'est pourquoi les gens vont sur les réseaux sociaux. Mais plus important, je voulais avoir votre avis concernant la crise alimentaire, la conséquence des fermetures de frontières sur la crise alimentaire et notamment en Afrique. Comment peut-on prévenir les conséquences des changements des réseaux de distribution ? Comment peut-on anticiper et éviter que la crise sanitaire fasse apparaître des crises alimentaires, et notamment dans les pays du Sud ?

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Merci monsieur le président Maurer, et merci à l'ensemble de vos salariés et bénévoles qui font un travail extraordinaire, d'autant plus dans cette période de crise. Votre travail est rendu plus difficile car des structures sociales ont dû fermer leurs portes faute de bénévole, et la chaîne de solidarité a dû se réorganiser. Dans certaines villes il y a eu jusqu'à cinq fois plus d'affluence à la Croix-Rouge qu'en temps normal. Il y a les bénéficiaires réguliers, et ceux que la crise et le confinement ont fait basculer dans la précarité, qui correspondent différents publics : des familles, des jeunes, des migrants, etc. Ne craignez-vous de garder demain tous ces nouveaux bénéficiaires fragilisés par la crise, ces gens durement touchés par le confinement qui le seront encore post-confinement ?

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Je voulais, monsieur le président, vous poser une question sur les stocks de matériels de protection qui sont à votre disposition, d'une part pour les agents de la Croix-Rouge mais aussi le matériel de protection, masques, blouses, etc., qui peut être distribué sur le terrain. Sans rentrer dans aucune polémique, on a vu la manière dont les choses se sont passées dans notre pays. Je voulais savoir comment vous gériez, en dehors des périodes tendues, tous ces stocks ? Que ce soit en direction de tous les personnels de la Croix-Rouge, mais aussi toutes les formes de matériel envoyé sur le terrain.

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Monsieur le président, je voulais d'abord vous remercier pour votre disponibilité et pour toutes les informations que vous avez partagées avec nous. Je voulais recueillir votre avis sur le fonctionnement de la Croix-Rouge sur le plan international, et notamment au regard des difficultés qu'engendre l'épidémie en termes de mobilité, de communication et de conduite opérationnelle. Pouvez-vous nous préciser l'impact de l'épidémie sur la gestion au quotidien dans différents pays touchés ainsi que la façon dont sont articulées les missions qui englobent plusieurs pays ? Comment travaillez-vous avec différentes sociétés nationales et avec les différents gouvernements nationaux ? Enfin, étant donné votre expérience, votre réseau et votre accès au terrain et la qualité de vos personnels, quels sont les bénéfices qu'un organisme comme le vôtre est susceptible d'apporter au cours d'une crise comme celle-ci ? Au niveau international, mais aussi avec chaque pays dans lequel vous êtes présents.

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Monsieur le président, je voulais vous parler des pays qui sont sous sanctions, notamment le Venezuela et l'Iran. L'Iran est dans une situation particulièrement inquiétante car la pandémie s'y est beaucoup propagée comparé au reste de la région et du fait de sa proximité avec l'Afghanistan, pays qui n'est pas dans une situation de cessez-le-feu malgré l'accord dit de paix. L'ONU a demandé un allégement des sanctions, tandis qu'un appel transatlantique a été lancé par d'anciens diplomates et hauts fonctionnaires. Ils ont souligné le fait que le périmètre de l'aide humanitaire n'était pas suffisant, bien que l'aide humanitaire ne soit pas sous sanctions. Il est notamment impossible d'apporter des réanimateurs ou des bouteilles d'oxygène. Il y a donc une pression pour demander l'allégement des sanctions et pouvoir répondre à la crise humanitaire. Pouvez-vous intervenir dans ce pays ? Je rappelle que le président iranien a annoncé une levée partielle du confinement car il fallait reprendre les activités économiques et qu'il redoutait qu'il y ait plus de morts du fait de l'arrêt de l'activité économique et sociale que du fait de la pandémie elle-même. Si vous pouvez intervenir, essayez-vous de peser au niveau international dans le but d'alléger les sanctions et réduire la pandémie, ce qui aidera la région mais aussi le monde puisqu'évidemment le virus voyage ?

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193 membres de l'Assemblée générale ont adopté le 20 avril dernier une résolution non contraignante qui réclame un accès équitable au futur vaccin contre le coronavirus ainsi qu'aux moyens de prévention. Ils appellent aussi à ce que l'ONU, en s'appuyant sur l'OMS, puisse coordonner et suivre efficacement les efforts déployés pour garantir et promouvoir cet accès. Pensez-vous que l'expression du multilatéralisme soit efficace pour vaincre les obstacles techniques, car il y en a beaucoup, à la diffusion des vaccins et à la prévention du Covid-19 ? Quel rôle le CICR pourrait-il jouer dans la coordination internationale dont devrait découler cette résolution ? Concernant les équipements de protection, pensez-vous être suffisamment dotés de ces équipements ? J'avoue être personnellement démunie dans ma circonscription même si une entreprise a pu changer son activité pour répondre à la crise. Qu'en est-il pour vous et pour votre personnel ?

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Comment mettre en place l'annulation de la dette des pays africains évoquée par le Président de la République, et quels retentissements cela pourrait avoir sur l'aide humanitaire qui est délivrée à l'Afrique ? Quelles sont les priorités de la Croix-Rouge vis-à-vis des pays touchés par la pandémie, pour pouvoir continuer son activité dans les meilleures conditions ? Qu'en est-il de l'aide aux pays non reconnus par la communauté internationale ? Je pense notamment au Haut-Karabagh, isolé et touché par la pandémie. Je voudrais savoir comment, compte tenu des difficultés liées à l'isolement que connaît une grande partie de l'humanité du fait de la pandémie, des territoires comme celui-ci pourraient être aidés par la communauté internationale ?

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Je souhaitais vous réinterroger sur les chiffres, même s'il faut prendre des précautions. On décompte aujourd'hui 170 000 décès à travers le monde, essentiellement en Europe et aux États-Unis, et selon l'OMS, l'Afrique pourrait devenir le prochain épicentre de l'épidémie, où elle pourrait engendrer 300 000 décès, et plonger 30 millions d'Africains dans la pauvreté. La détérioration des conditions de vie en Afrique pose problème. Selon vous, la solidarité internationale qui s'est exprimée par la possibilité d'annulation de dettes, est-elle suffisante ? Le Conseil de sécurité des Nations unies a par exemple évoqué des mesures supplémentaires et devrait se réunir sur ce sujet prochainement. Pensez-vous que d'autres mesures d'aides, notamment économiques, pour améliorer les conditions de vie de populations déjà précaires, pourraient être envisagées et comment pourriez-vous y contribuer ? Vous parliez des populations vulnérables, je voudrais évoquer la situation des femmes et filles réfugiées qui se trouvent dans des situations sanitaires très difficiles. Elles font face à des violences grandissantes, à tel point que le Haut Commissariat des Nations aux réfugiés (HCR) a appelé à porter une attention urgente à leur protection. Quelles actions urgentes pourrait-on engager envers ces populations ?

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La solidarité envers l'Afrique doit être exemplaire. Nous allons effacer, échelonner une partie de la dette, mais ne pensez-vous pas, pour concilier l'éthique humanitaire avec l'objectif de contrôle de nos frontières qui ne va pas disparaître avec cette pandémie, qu'il faudra aussi demander aux pays africains d'accepter le retour en Afrique de ressortissants en situation irrégulière en Europe ? La situation des réfugiés dans les camps en Grèce est préoccupante, c'est le résultat d'une pression migratoire très importante favorisée par la Turquie. Quel est votre avis à ce sujet ? Enfin, je ne partage pas l'avis de notre ministre des affaires étrangères qui pense que le monde d'après la pandémie sera plus dur que le monde d'avant, je suis plutôt optimiste, je pense que certains conflits pourront s'arrêter, qu'il y aura une forme de solidarité. Êtes-vous optimiste ou pessimiste quant à l'après-crise ?

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Quelle est la situation des prisons en Afrique, notamment au Niger, en Côte d'Ivoire, en Éthiopie ? J'ai des inquiétudes pour Haïti où y a eu des troubles politiques juste avant la crise. Quelle est la situation en Haïti ?

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Peter Maurer, président du Comité international de la Croix-Rouge

Nous sommes concernés par les difficultés des flux d'échange mondiaux, nous avons les mêmes difficultés que tout autre opérateur à acquérir les biens nécessaires, mais, après les premières difficultés, nous avons pu avoir à disposition du matériel médical. C'est une lutte de tous les jours, pour nous tous. Nous avons au niveau mondial six centres logistiques depuis lesquels on est train de créer des flux vers les situations de conflits où nous intervenons. Nous avions rempli nos stocks avant la crise, beaucoup de matériel médical peut être utilisé dans les situations de conflits et de violences mais peut aussi être utile face au Covid-19. En mobilisant le réseau des sociétés nationales, nous avons réussi à maintenir notre chaîne logistique. Nous sommes en train d'adapter les conditions du personnel afin qu'ils soient les plus efficaces dans la lutte contre le Covid-19. Beaucoup travaillent de chez eux, la circulation est limitée mais nous faisons aussi des relèves des personnels via les réseaux existants, c'est difficile mais nous y parvenons pour le moment. Après quelques semaines d'extrêmes difficultés les choses se sont améliorées ces dernières semaines.

Le CICR déploie des opérations importantes au Venezuela et en Iran. Il a réussi à définir une action humanitaire avec des autorisations des pays à l'origine des sanctions. Des régimes d'exemption de sanctions ont été prononcés afin que le CICR puisse accomplir ses missions. Nous sommes conscients que ces mesures ne résolvent pas tous les problèmes posés par les sanctions. Le CICR ne se prononce pas sur la légitimité de ces sanctions, mais négocie des accès pour pouvoir limiter les effets humanitaires que certains régimes de sanctions peuvent avoir. Il est l'une de seules organisations à agir dans les territoires non reconnus et difficilement accessibles comme le Nagorny-Karabagh. C'est un bon exemple de la valeur ajoutée que le CICR peut avoir au plan humanitaire. Au Nagorny-Karabagh, le CICR est la seule organisation présente. Nous avons aussi des possibilités d'actions au nord du Nigéria à la frontière avec le Mali, le Niger et le Burkina Faso où peu d'autorités étatiques ont une possibilité d'action, dans les zones rurales en Afghanistan et dans le centre Sud de la Somalie, le CICR a également des accès. C'est l'une des forces d'un acteur humanitaire neutre, impartial et non politique.

Il y a eu toute une série de questions sur l'Afrique, je ne peux pas spéculer sur ce arrivera, mais si nous prenons des actions d'urgence entreprises pour aider les cliniques et les hôpitaux dans lesquels on travaille, soutenons les gouvernements au plan logistique, pour apporter des équipements de protection, des médicaments, établir des programmes d'assainissement, d'hygiène, c'est parce que nous avons peur que le Covid-19 affecte les populations. En tant qu'humanitaires, nous devons pouvoir être rapides. Pour le moment nous agissons dans une logique de prévention en Afrique. Il existe une coordination stratégique entre l'Union africaine et le CICR, il y a un dialogue régulier, mais la coordination opérationnelle se fait avec les différents pays, qui décident des régimes d'accès et de restrictions.

Concernant les populations vulnérables, dont les femmes et les enfants, il faut aussi mentionner les personnes âgées et handicapées, qui sont d'autant plus vulnérables face à la pandémie et risquent une surmortalité. Ce sont vers ces populations que nos priorités et nos programmes se dirigent.

Les modalités d'annulation de la dette posent des questions hautement politiques sur lesquelles le CICR n'a pas à se prononcer, mais, compte tenu du volume de la dette, il s'agit bien d'une priorité incontestable. Sans action sur la dette, je ne peux pas imaginer qu'on puisse trouver une sortie de crise.

Le retour de migrants et de réfugiés doit tenir compte du principe de non-refoulement. Il faut que les retours soient volontaires et informés. Nous sommes confrontés à des dilemmes importants, et c'est une question de pondération politique sur laquelle je ne peux pas me prononcer dans le détail. Le CICR a toujours été là pour faciliter les retours volontaires, bien informés, et respectant le principe de non-refoulement.

Sur l'avenir du système multilatéral, je préconise une attitude multi-acteurs. Je ne pense pas qu'on pourra imaginer un ordre multilatéral dans l'avenir qui soit basé uniquement sur la volonté des États. Les économies, le monde scientifique, la société civile doivent pleinement participer à ce qu'on appelle anglais « the multistakeholder relationship ». Je pense qu'il est important d'utiliser cette crise pour mobiliser les forces, et ne pas considérer le multilatéralisme uniquement du point de vue des États. Je pense que le Covid-19 est une excellence opportunité pour nous apprendre que d'autres acteurs ont quelque chose à apporter, si on veut gagner la lutte pour un ordre coopératif, c'est en incluant ces acteurs qu'on y arrivera. En ce sens je me dois d'être optimiste, c'est en ce sens qu'on pourra offrir des plateformes, des alliances, et des possibilités d'actions plus inclusives. Cela pour répondre au Covid-19 mais aussi à d'autres points que vous avez évoqués. Pour le CICR, il faudra être proche des populations, proche des acteurs, et informer les décideurs politiques des difficultés qu'on rencontre sur le terrain, pour que les décisions politiques soient prises à la mesure de cette réalité, c'est là que je vois l'avantage comparatif du CICR. Je suis fier d'être représentant d'un mouvement qui est l'un des plus grands mouvements sociaux au monde, et qui a des accès et des possibilités d'actions que d'autres n'ont pas, dans des endroits auxquels d'autres n'ont pas accès, qui ont des réseaux et des interactions avec des acteurs politiques non gouvernementaux et gouvernementaux, dont l'inclusion dans les processus politiques est cruciale. Je suis fier de construire et de contribuer à construire, avec vous en tant qu'acteurs politiques, ces alliances qui sont nécessaires pour répondre à cette pandémie et plus largement pour rétablir un monde plus juste et un système plus durable, c'est une occasion aujourd'hui d'aller dans cette direction d'une manière plus déterminée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez raison d'être fier. Je vous remercie, tout d'abord personnellement, je trouve que vos propos sont toujours empreints d'humanité, dans les temps actuels c'est extrêmement important. À travers vous, je veux dire toute notre reconnaissance pour tout le personnel du CICR, pour ceux qui sont engagés sur le terrain, nous avons une grande reconnaissance pour eux. J'en profite pour saluer aussi toutes ONG qui sont engagées dans la lutte contre cette pandémie et face à l'aggravation que cette crise sanitaire va causer du point de vue social et économique. Je retiens de ce que vous avez dit que nous avons un double impératif : au niveau mondial, il faut renforcer la coopération et la solidarité entre États, c'est absolument vital, et en même temps il faut qu'on puisse avoir une action qui soit au plus près du terrain, que nous prenions en compte ceux qui sont dans des situations de crise, de conflit, dans les situations les plus difficiles. Il faut que nous prenions en compte leurs attentes. Je vous laisse volontiers, monsieur le président, le mot de la fin.

Permalien
Peter Maurer, président du Comité international de la Croix-Rouge

. Je voudrais vous remercier de l'occasion que vous m'avez donnée de m'exprimer aujourd'hui. Je suis désolé de n'avoir pas pu répondre à toutes les questions dans le détail, mais je me réjouis d'être revenu devant la commission des affaires étrangères, c'est une occasion importante. J'apprécie la relation étroite et tout le soutien que nous avons de la France, du ministère des affaires étrangères, de l'Agence française de développement Je remercie les collègues de la Croix-Rouge française qui font un travail exceptionnel, ils sont à nos côtés dans beaucoup de pays, notamment en Afrique.

La séance est levée à 16 heures.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Ramlati Ali, Mme Aude Amadou, M. Hervé Berville, M. Yves Blein, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Valérie Boyer, M. Moetai Brotherson, M. Pierre Cabaré, Mme Samantha Cazebonne, Mme Annie Chapelier, Mme Mireille Clapot, M. Jean-Michel Clément, M. Pierre Cordier, M. Olivier Dassault, M. Alain David, M. Bernard Deflesselles, M. Christophe Di Pompeo, Mme Frédérique Dumas, Mme Laurence Dumont, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. M'jid El Guerrab, M. Michel Fanget, Mme Anne Genetet, M. Éric Girardin, M. Meyer Habib, M. Michel Herbillon, M. Christian Hutin, M. Bruno Joncour, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Sonia Krimi, Mme Aina Kuric, M. Mustapha Laabid, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, M. Jacques Maire, M. Denis Masséglia, M. Jean François Mbaye, M. Christophe Naegelen, M. Frédéric Petit, Mme Bérengère Poletti, M. Jean-François Portarrieu, M. Didier Quentin, Mme Isabelle Rauch, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Marielle de Sarnez, Mme Sira Sylla, Mme Michèle Tabarot, M. Buon Tan, Mme Liliana Tanguy, Mme Valérie Thomas, Mme Nicole Trisse, M. Sylvain Waserman

Excusés. - M. Claude Goasguen, M. Philippe Gomès, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Jean-Luc Reitzer, M. Hugues Renson