Intervention de Peter Maurer

Réunion du mercredi 22 avril 2020 à 14h00
Commission des affaires étrangères

Peter Maurer, président du Comité international de la Croix-Rouge :

Nous sommes concernés par les difficultés des flux d'échange mondiaux, nous avons les mêmes difficultés que tout autre opérateur à acquérir les biens nécessaires, mais, après les premières difficultés, nous avons pu avoir à disposition du matériel médical. C'est une lutte de tous les jours, pour nous tous. Nous avons au niveau mondial six centres logistiques depuis lesquels on est train de créer des flux vers les situations de conflits où nous intervenons. Nous avions rempli nos stocks avant la crise, beaucoup de matériel médical peut être utilisé dans les situations de conflits et de violences mais peut aussi être utile face au Covid-19. En mobilisant le réseau des sociétés nationales, nous avons réussi à maintenir notre chaîne logistique. Nous sommes en train d'adapter les conditions du personnel afin qu'ils soient les plus efficaces dans la lutte contre le Covid-19. Beaucoup travaillent de chez eux, la circulation est limitée mais nous faisons aussi des relèves des personnels via les réseaux existants, c'est difficile mais nous y parvenons pour le moment. Après quelques semaines d'extrêmes difficultés les choses se sont améliorées ces dernières semaines.

Le CICR déploie des opérations importantes au Venezuela et en Iran. Il a réussi à définir une action humanitaire avec des autorisations des pays à l'origine des sanctions. Des régimes d'exemption de sanctions ont été prononcés afin que le CICR puisse accomplir ses missions. Nous sommes conscients que ces mesures ne résolvent pas tous les problèmes posés par les sanctions. Le CICR ne se prononce pas sur la légitimité de ces sanctions, mais négocie des accès pour pouvoir limiter les effets humanitaires que certains régimes de sanctions peuvent avoir. Il est l'une de seules organisations à agir dans les territoires non reconnus et difficilement accessibles comme le Nagorny-Karabagh. C'est un bon exemple de la valeur ajoutée que le CICR peut avoir au plan humanitaire. Au Nagorny-Karabagh, le CICR est la seule organisation présente. Nous avons aussi des possibilités d'actions au nord du Nigéria à la frontière avec le Mali, le Niger et le Burkina Faso où peu d'autorités étatiques ont une possibilité d'action, dans les zones rurales en Afghanistan et dans le centre Sud de la Somalie, le CICR a également des accès. C'est l'une des forces d'un acteur humanitaire neutre, impartial et non politique.

Il y a eu toute une série de questions sur l'Afrique, je ne peux pas spéculer sur ce arrivera, mais si nous prenons des actions d'urgence entreprises pour aider les cliniques et les hôpitaux dans lesquels on travaille, soutenons les gouvernements au plan logistique, pour apporter des équipements de protection, des médicaments, établir des programmes d'assainissement, d'hygiène, c'est parce que nous avons peur que le Covid-19 affecte les populations. En tant qu'humanitaires, nous devons pouvoir être rapides. Pour le moment nous agissons dans une logique de prévention en Afrique. Il existe une coordination stratégique entre l'Union africaine et le CICR, il y a un dialogue régulier, mais la coordination opérationnelle se fait avec les différents pays, qui décident des régimes d'accès et de restrictions.

Concernant les populations vulnérables, dont les femmes et les enfants, il faut aussi mentionner les personnes âgées et handicapées, qui sont d'autant plus vulnérables face à la pandémie et risquent une surmortalité. Ce sont vers ces populations que nos priorités et nos programmes se dirigent.

Les modalités d'annulation de la dette posent des questions hautement politiques sur lesquelles le CICR n'a pas à se prononcer, mais, compte tenu du volume de la dette, il s'agit bien d'une priorité incontestable. Sans action sur la dette, je ne peux pas imaginer qu'on puisse trouver une sortie de crise.

Le retour de migrants et de réfugiés doit tenir compte du principe de non-refoulement. Il faut que les retours soient volontaires et informés. Nous sommes confrontés à des dilemmes importants, et c'est une question de pondération politique sur laquelle je ne peux pas me prononcer dans le détail. Le CICR a toujours été là pour faciliter les retours volontaires, bien informés, et respectant le principe de non-refoulement.

Sur l'avenir du système multilatéral, je préconise une attitude multi-acteurs. Je ne pense pas qu'on pourra imaginer un ordre multilatéral dans l'avenir qui soit basé uniquement sur la volonté des États. Les économies, le monde scientifique, la société civile doivent pleinement participer à ce qu'on appelle anglais « the multistakeholder relationship ». Je pense qu'il est important d'utiliser cette crise pour mobiliser les forces, et ne pas considérer le multilatéralisme uniquement du point de vue des États. Je pense que le Covid-19 est une excellence opportunité pour nous apprendre que d'autres acteurs ont quelque chose à apporter, si on veut gagner la lutte pour un ordre coopératif, c'est en incluant ces acteurs qu'on y arrivera. En ce sens je me dois d'être optimiste, c'est en ce sens qu'on pourra offrir des plateformes, des alliances, et des possibilités d'actions plus inclusives. Cela pour répondre au Covid-19 mais aussi à d'autres points que vous avez évoqués. Pour le CICR, il faudra être proche des populations, proche des acteurs, et informer les décideurs politiques des difficultés qu'on rencontre sur le terrain, pour que les décisions politiques soient prises à la mesure de cette réalité, c'est là que je vois l'avantage comparatif du CICR. Je suis fier d'être représentant d'un mouvement qui est l'un des plus grands mouvements sociaux au monde, et qui a des accès et des possibilités d'actions que d'autres n'ont pas, dans des endroits auxquels d'autres n'ont pas accès, qui ont des réseaux et des interactions avec des acteurs politiques non gouvernementaux et gouvernementaux, dont l'inclusion dans les processus politiques est cruciale. Je suis fier de construire et de contribuer à construire, avec vous en tant qu'acteurs politiques, ces alliances qui sont nécessaires pour répondre à cette pandémie et plus largement pour rétablir un monde plus juste et un système plus durable, c'est une occasion aujourd'hui d'aller dans cette direction d'une manière plus déterminée.

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