Intervention de Peter Maurer

Réunion du mercredi 22 avril 2020 à 14h00
Commission des affaires étrangères

Peter Maurer, président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) :

J'aimerais tout d'abord confirmer mes propos sur les grandes lignes d'action du CICR, qui sont valables pour le Proche-Orient. L'action au Proche-Orient représente à peu près un tiers de toutes nos opérations, qu'il s'agisse de la Syrie, de l'Irak, du Yémen, de la Jordanie, du Liban ou des Territoires palestiniens. Nous n'agissons pas fondamentalement différemment au Moyen-Orient et en Afrique. Face à la crise du Covid-19, nous donnons la priorité aux actions qui sont immédiatement effectives, c'est à dire la préparation et la prévention. En deuxième lieu, vient notre effort pour soutenir les autorités dans la création des systèmes plus durables et pour la résilience des populations. Chacun des pays a sa propre dynamique comme vous le savez, mais il n'y a pas de différences sur ces principes. Nous avons des interventions d'assistance et d'urgence qui sont absolument prioritaires aujourd'hui et qui relèvent des précautions que nous prenons avant qu'une potentielle grande vague n'affecte les pays dans lesquels on travaille. J'ai fait mention de plus de 400 centres sanitaires et hôpitaux dans lesquels le CICR intervient, avec la priorité urgente de mettre en place des dispositifs permettant de faire face au plus fort de la crise.

Aujourd'hui, certains de ces centres sont déjà en train de répondre aux premiers cas, c'est là l'urgence absolue et la priorité absolue. Dans le même temps, nous savons que nous ne pouvons pas limiter notre action à une action immédiate d'urgence, c'est la raison pour laquelle nous entretenons des dialogues pour renforcer à moyen terme les systèmes sanitaires. Dans ces pays, nous menons aussi des campagnes publiques sur demande des gouvernements. Vous avez mentionné le Burkina Faso, où le CICR, sur demande du gouvernement, a mené une campagne sanitaire. L'éventail de notre action est basé sur les besoins que l'on rencontre et qui peuvent être très individuels. J'ai aussi mentionné l'importance qu'ont pour nous les questions de formation dans beaucoup de contextes dans lesquels nous opérons. Les formations de volontaires Croix-Rouge ou Croissant-Rouge, pour répondre aux crises actuelles ou imminentes, mais aussi les formations dans les centres de santé dans lesquels nous sommes présents.

Concernant l'action de la Chine, c'est une question très politique. La Chine est devenue un acteur important ces dernières semaines pour soutenir les États dans la réponse contre la pandémie. Les Chinois ont une grande expérience, ont des centres de production de matériel préventif. Il y a des situations que vous connaissez aussi bien que moi où la Chine a répondu à des appels de gouvernements qui ont besoin de savoirs comme de matériels. Le CICR est toujours en train de voir avec la Croix-Rouge chinoise, dans les endroits où nous opérons ensemble, comment s'engager avec elle et s'organiser pour mener une action crédible qui soit en accord avec les principes du mouvement de la Croix-Rouge. Nous gérons notre diversité à l'intérieur du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en essayant d'avoir un dialogue sur nos principes, en ayant un dialogue continu avec les sociétés nationales. Nous essayons de les encourager, quand nous avons l'impression qu'elles sont en déroute par rapport au respect des principes, à revenir à une action humanitaire basée sur ces principes. Nous savons que c'est une tâche compliquée. C'est une balance difficile dans lesquels ces sociétés nationales se trouvent, entre un pouvoir politique qui veut les utiliser pour répondre à des questions humanitaires et le respect des principes. Je pense que notre action est une action de moyenne et de longue haleine pour amener les sociétés nationales à prendre les principes au sérieux. Nous soutenons les sociétés nationales, chinoise comme les autres, dans la mesure ou leur activité est conforme aux principes que nous soutenons.

Concernant le désendettement, c'est là encore une question politique. Je peux tout simplement vous exprimer mon inquiétude. Nous espérons que la dette que nous avons accumulée et qui a tellement augmenté ces dernières semaines soit soutenable et puisse mener à des financements durables sur les objectifs de développement et les questions humanitaires. Nous sommes assez inquiets des effets sur les systèmes financiers qui vont sans doute se faire sentir vers l'été ou l'hiver au plus tard. Quand la communauté internationale réalisera tout le déséquilibre financier qui a été accru ces dernières semaines, je pense que cela nécessitera des actions politiques importantes, mais ce n'est pas au CICR de dire sous quelles conditions et comment ce désendettement doit se faire. Ce que nous savons déjà aujourd'hui, c'est que l'accumulation de dette va amener à des difficultés de financement des actions humanitaires et va créer des difficultés pour les États à répondre par des programmes sociaux et humanitaires. Cela va encore augmenter la pression sur les acteurs internationaux, qui auront de la peine à mobiliser les ressources nécessaires vu l'endettement incroyable qui s'est accru ces dernières semaines, surtout chez les donateurs. C'est un cycle assez vicieux qui est en train de se mettre en place. Il doit être résolu par une action politique et non humanitaire, mais il est clair que nous ne pouvons pas imaginer comment on peut engendrer pendant des décennies une telle dette sans qu'il n'y ait de conséquences néfastes sur les systèmes sociaux et donc aussi sur un acteur comme le CICR.

Sur la question du déconfinement et des priorités, j'ai personnellement l'impression que les réponses vont se faire individuellement selon les pays, les régions et les contextes. Il est difficile de trouver aujourd'hui la formule magique qui nous permettrait d'avoir la solution miracle pour tous. Nous constatons de plus en plus que les opinions, les contextes et les dynamiques politiques sont différents d'un pays à l'autre. Il faudra ménager ces situations et voir comment nous pouvons trouver des solutions pour les populations. Pour nous, la première priorité est d'avoir une voix à la table quand les gouvernements décideront du déconfinement et des politiques restrictives, pour que nous poussions nous assurer d'avoir accès aux populations vulnérables, et que ces populations aient de manière générale accès à l'aide humanitaire et aux services sociaux que nous apportons.

Une série de questions sur l'OMS ont été posées. Comme tout bon médecin, je ne vais pas m'exprimer sur la qualité du travail professionnel d'un autre médecin. Ce que j'aimerais bien souligner c'est que je pense que ces dernières semaines ont montré qu'il était difficile d'avoir une formule pour répondre à une pandémie. Nous avons bien vu que les recommandations qui viennent de l'OMS, qui sont importantes et utiles en Europe et dans les pays industrialisés, ne sont pas nécessairement utiles et ne peuvent pas être appliquées de la même manière en Afrique, au Moyen-Orient ou même en Amérique latine. On aura affaire dans les jours et semaines prochaines à une dynamique intéressante sur les différents modèles, par rapport à la première réaction que l'on a vu émerger. C'est aux États de gouverner l'OMS et non aux partenaires humanitaires, je ne peux personnellement pas me plaindre de l'excellence des relations que nous avons avec le système des Nations unies, agences humanitaires, OMS, mais aussi avec des ONG importantes comme Médecins sans frontières avec lesquelles on essaye de répondre à cette crise.

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