Intervention de Rémy Rioux

Réunion du jeudi 30 avril 2020 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement (AFD) :

: Merci madame la présidente. Je suis honoré et heureux d'être devant vous ce matin pour recevoir vos orientations politiques et vous rendre les comptes nécessaires mais aussi de répondre à toutes vos questions.

Quelques mots très rapides sur la situation de l'Agence dans cette crise. Les membres de votre commission qui siègent à notre conseil d'administration – Mmes Bérengère Poletti et Amélia Lakrafi et M. Hervé Berville ainsi que M. Dominique Potier qui représente également l'Assemblée nationale – le savent. Nous tenons un conseil d'administration la semaine prochaine. Nous en avons tenu un depuis le déclenchement de la crise. Je ne suis pas venu devant vous depuis ma nomination au mois de mai 2019. Je vous dis quelques mots de notre situation afin que vous puissiez mieux apprécier notre capacité d'action ensuite, ce qui sera mon second point comme vous m'y invitez madame la présidente.

L'AFD est entrée en bonne forme et dynamique dans cette crise. Nous avons terminé l'année 2019 comme cela avait été prévu, avec 14 milliards d'euros d'engagements financiers, soit 25 % de plus que l'année précédente. Donc beaucoup d'actions engagées. Le plus important demeure tout de même la qualité de ce que nous faisons. Nous avons donné priorité aux questions climatiques avec 51 % de nos projets qui ont un impact bénéfique identifiable sur celles-ci. Nous avons augmenté nos actions sur les questions d'égalité femmes-hommes. Nous espérions beaucoup du forum Génération égalité prévu en juillet. Il sera un reporté. Près de 50 % de nos projets ont un impact positif sur les questions de genre. Nous avons progressé sur les sujets de gouvernance qui vous importent, avec une somme totale de 1,6 milliard d'euros allouées à des projets dans ce domaine. Beaucoup d'actions dans le Sahel. J'y reviendrai. Également à destination du secteur privé via notre filiale Proparco. Les comptes de l'AFD ont été approuvés lors du dernier conseil d'administration. Ils sont en ordre. 172 millions d'euros de résultats nets sur l'exercice 2019, soit 57 millions d'euros de plus que l'année précédente. Je remercie l'État qui a renoncé à son dividende pour contribuer à renforcer les fonds propres de l'Agence. Les actionnaires privés de Proparco l'ont fait également de leur côté. C'est, je crois, une règle dans les entreprises publiques. Le produit net bancaire de l'AFD a augmenté de près de 200 millions d'euros. Son bilan est proche de 50 milliards d'euros désormais.

J'ajoute un point : nous n'avons pas rendu public le sondage annuel que nous faisons sur les Français et l'aide publique au développement. Il a été fait avant la crise donc il a moins de sens. Nous sommes en train de le remettre à jour alors que nous l'avions calé sur le débat parlementaire dans le cadre du projet de loi de solidarité internationale. Nous aurons des données plus récentes dès lors que nous avons interrogé les Français dans la crise elle-même. Ce que montraient les chiffres avant la crise, c'était la perception positive avec 79 % d'avis favorable de l'aide publique au développement, soit 9 points de plus que depuis 2016. Cette prise de conscience des enjeux globaux et de leur impact était forte avant la crise. Gageons que ces chiffres seront plus élevés avec la crise avec une accélération de cette prise de conscience.

J'en viens plus précisément à la crise pour vous dire que nous avons déclenché notre plan d'urgence de poursuite d'activité dès le vendredi 13 mars. Il était prêt. Nous avons placé tout le monde en télétravail obligatoire et en confinement. En métropole et dans les territoires d'outre-mer d'abord et puis maintenant dans le monde entier pour toutes nos agences. Une cellule de crise interne pour notre personnel et nos systèmes est en place. Une cellule de crise externe pour nos clients, nos partenaires, notre activité est également en place et se réunit très périodiquement. Je préside ses réunions.

Les impacts de la crise sont de différentes natures. Il y a d'abord un impact sur les ressources humaines. Nous n'avons pas eu de victimes, ni d'hospitalisation grave parmi nos 3 000 salariés. Nous sommes attentifs à la santé de nos équipes. Comme tous nos collègues des réseaux français à l'étranger, nous sommes soucieux de la santé de nos collègues expatriés ou de droit local notamment dans les pays où les systèmes de santé présentent des capacités moindres que dans notre pays. Le message que je voulais vous faire passer, c'est que nous sommes opérationnels. Les personnels sont restés sur le terrain. Les équipes sont impatientes de se rendre utiles dans cette situation particulière.

Nous allons essayer de jouer au maximum notre rôle d'accompagnement, notre rôle « contracyclique », et de le faire en complément de l'action multilatérale. Vous en avez parlé, madame la présidente. Je pense à ce que font nos collègues du Trésor sur les questions de dette, à ce que font nos collègues du Quai d'Orsay, notamment à Genève auprès de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ou du Fonds mondial et de toutes les agences qui sont mobilisées sur le front sanitaire. Il y a des inconnues fortes, notamment sur notre activité de l'année 2020. C'est pour cela que, bien sûr, nous agissons dans le cadre de la loi de finances qui a été votée, et donc à ce stade par redéploiements des capacités de financement que vous nous avez accordées, mais certains programmes prévus pour 2020 n'auront pas lieu, du fait de la complexité des missions ou de l'impossibilité des approvisionnements.

Il faut donc que nous engagions l'ensemble des moyens que vous nous avez confiés, tout en envisageant d'autres capacités d'action. En 2020, nos moyens en subventions avaient été réduits. Concernant les prêts, nous observons une très forte montée des risques, s'agissant des États mais aussi des entreprises et autres entités. Cela a un impact sur nos provisions et aura un impact sur notre résultat de l'année. Nous aurons l'occasion d'en reparler, mais cela aura aussi probablement un impact sur nos besoins de fonds propres, qui étaient envisagés sur un horizon pluriannuel. Il est probable que ces sujets soient anticipés, et il faudra qu'ils soient débattus au Parlement. Il n'y a pas en revanche de sujets liés à la trésorerie, ce qui est évidemment dans une crise financière et économique la première des préoccupations. Les marchés financiers sont ouverts et nous avons procédé à deux émissions obligataires depuis le début de la crise, pour 1,5 million en euros puis 2 milliards en dollars, nous sommes au-dessus de notre réserve de huit mois d'avances de trésorerie. Les décaissements sur les programmes déjà engagés – ce qui est très important dans une crise – se passent bien jusqu'à présent.

J'en viens maintenant à notre action. Dans une crise d'une telle ampleur, la réponse est d'abord nationale, mais elle est ensuite, immédiatement, multilatérale, les institutions internationales financières et sanitaires doivent se mettre en route. C'est ce que font nos collègues. Elle doit aussi être française et européenne. J'ai essayé de mobiliser au maximum les équipes de l'Agence pour qu'une voie, une action française et européenne se mette en place. Nous le faisons dans un contexte qui est complexe à comprendre, et les équipes techniques de l'AFD sont à votre entière disposition pour essayer de déchiffrer cette crise, qui n'est pas très différente de celles que nous avons connues jusqu'à présent. Le Président de la République a parlé de guerre. D'un poids de vue économique il y a des similitudes par les blocages, la simultanéité, la violence de ce qui se passe en ce moment. Nos économistes produisent des papiers chaque semaine pour essayer de décrypter la crise. Nous les diffusons au sein de l'État et nous les tenons à votre disposition. Notre division santé cherche à comprendre comment la crise va se déployer dans les pays du Sud, en particulier sur l'Afrique, alors que nous avons peu d'informations, parfois contradictoires. CDC Africa a publié un papier assez rassurant il y a quelques jours, mais, dans le même temps, on ne teste pas en Afrique et les mécanismes que nous sommes en train de mettre en place ne permettent pas de le faire non plus. Il faut donc être extrêmement prudent sur le passage et l'ampleur de cette crise sur le continent africain, sachant que la crise économique et sociale, et tous les chefs d'État et de gouvernement africains, tous nos interlocuteurs africains, le groupe des quatre envoyés spéciaux de l'Union africaine (UA), Donald Kaberuka, Tidjane Thiam, Ngozi Okonjo Iweala, Trevor Manuel, et l'ancien ministre des finances algérien le disent, la crise économique et sociale est déjà là, et il faut y répondre.

Nous avons d'abord pensé à l'Europe. Nous avons beaucoup dialogué avec la Commission européenne, notamment la DG DEVCO et la DG NEAR chargée du voisinage. Il y a eu de nombreuses réunions, qui ont abouti il y a deux semaines à une communication de la présidente de la Commission européenne portant sur 20 milliards d'euros, qui réunit les moyens de la Commission et les moyens des États membres ce qui est une première. Le 1,2 milliard d'euros que nous avons annoncé à titre national est inclus dans ces 20 milliards d'euros, et nous cherchons aussi sur le terrain avec les délégations de l'Union européenne à communiquer, un hashtag « team Europe » a été lancé pour essayer d'identifier la réponse européenne dans cette crise, en particulier en Afrique. Il y aura lundi une réunion du réseau des praticiens qui regroupe toutes les agences européennes pour aborder notamment la répartition des tâches, la communication ou encore l'action commune.

Sur la partie spécifiquement française, comme vous l'avez noté, nous avons fait des propositions au gouvernement dans la deuxième quinzaine du mois de mars, selon une action en deux temps. D'abord, mobiliser des moyens pour répondre à l'urgence sanitaire et à l'impact pour nos partenaires de cette crise, c'est l'initiative « Covid-19 santé en commun » qui a été validée par notre conseil d'administration et rendue publique, et que nous sommes en train de dérouler. Les équipes de l'Agence sont à votre disposition pour vous détailler les projets. Nous avions commencé tôt, avant même l'approbation de l'initiative avec un programme avec l'INSERM Aphro-Cov, sur le dépistage, dès la fin de février. Nous avons approuvé six nouveaux projets et une douzaine vont l'être très prochainement, une quarantaine sont prévus à moyen terme. L'objectif est d'engager le 1,2 milliard d'ici à l'été, il s'agit d'une enveloppe d'urgence, centrée sur l'Afrique et le Proche-Orient. Je suis inquiet par la situation en Afrique du Nord et au Proche-Orient, plus encore que pour des pays plus pauvres car la crise va se propager dans toutes ses dimensions sur ces territoires. Ce 1,2 milliard est sans préjudice de ce que nous faisons dans le reste du monde. Le gouvernement du Vietnam par exemple, qui est si exemplaire dans sa gestion de la crise, a fait appel à nous et à d'autres institutions financières pour les appuyer. Le gouvernement indien, ce qui est nouveau, s'est tourné vers nous pour créer un lien avec notre pays sur les sujets de santé. Ce sont des appuis sous forme de prêts, qui ne consomment que très peu ou pas du tout de ressources budgétaires.

Expertise France fait partie de ce mouvement, une plateforme d'expertise a été mise en place très rapidement dont l'objectif est d'accompagner les ministères de la santé ou des finances, notamment pour qu'ils aient accès aux fonds internationaux, que l'effort politique du Président de la République, du ministère des affaires étrangères, du ministre de l'économie et de finances permettent de débloquer et de mobiliser. Encore faut-il pouvoir monter les dossiers, les écrire en anglais ou en français, les transmettre, faire tout un travail qui permet le déblocage. Voilà pour la partie sanitaire.

Nous sommes en train de travailler à une deuxième réponse – la capacité de l'Agence est de 14 milliards comme je l'ai dit – qui chercherait à contribuer aux dimensions économiques, sociales environnementales de la crise, pour une relance durable et verte. C'est un débat que nous avons en Europe et dans chacun des pays, nous allons essayer d'intervenir dans les discussions et d'apporter des financements pour que le jour d'après ne soit pas identique au jour d'avant.

Il faut aussi mentionner le secteur privé et l'action de Proparco. On parle beaucoup de la situation sanitaire, de la dette publique, mais je suis très inquiet de la situation des entreprises et particulièrement en Afrique. Il y a eu un mouvement entrepreneurial très important depuis vingt ans en Afrique, un secteur privé africain est né, mais il est fragile, comme le secteur privé français il est très durement frappé, mais sans les mécanismes équivalents comme le chômage partiel, pour éviter une dégradation très rapide de l'activité, des comptes, de la solvabilité. Je pense aussi aux entrepreneurs français à l'étranger qui ont des entreprises de droit local et qui font remonter une grande inquiétude car les financements se réduisent en même temps que l'activité est sous pression. J'ai abordé ce sujet aussi à Bruxelles, il faut que nous avancions, avec votre aide, pour répondre à nos clients privés, et éviter d'essayer de relancer l'économie après la vague avec des entreprises qui ne seraient plus en mesure de capter le retour de la croissance et de la transformer en emplois et en lien social. Sur cette deuxième phase, beaucoup est fait entre banques publiques de développement. Nous allons organiser le 12 novembre prochain, dans le cadre du Forum de Paris pour la paix, le premier sommet mondial des banques publiques de développement. Cela inclut les caisses des dépôts, les banques internationales comme la Banque mondiale, mais aussi et surtout tous les instruments financiers publics qui suivent les orientations des gouvernements, il y en a 450 dans le monde, soit 10 % de l'investissement mondial, qui est public et qui n'est pas orienté ni piloté, au service des priorités internationales dans une logique systémique. Nous allons donc tous les réunir pour essayer d'obtenir des engagements dans ce contexte de crise. On le voit dans beaucoup de pays, en Chine, en Allemagne, au Brésil ou en France avec la Caisse des dépôts et consignations, toutes ces institutions sont en train de faire grossir leurs bilans, elles sont des instruments « contracycliques » que les gouvernements actionnent durant la crise. Ils auront donc beaucoup à dire en novembre y compris sur les sujets liés à la santé. Nous nous organisons avec l'International Development Finance Club (IDFC), que je préside, pour faire passer un message positif sur les moyens publics existant dans cette crise, qu'il faut mobiliser à bon escient.

J'ai cherché à attirer l'attention sur la situation de l'Afrique, je vous ai transmis une petite revue de presse pour que vous ayez toute l'information publique. Il est important dans cette situation de crise que nous apportions une signature française, si les Chinois fournissent des masques, je crois que notre valeur ajoutée est la proximité, l'implantation locale : c'est le cas pour la recherche, les laboratoires, les entreprises. Nous sommes présents en Afrique sur le terrain, et c'est cela notre caractéristique auprès des acteurs africains.

La réponse au Covid-19 n'épuise pas notre action, nous ne changeons pas notre stratégie, il y a un contrat d'objectifs et de moyens qui vous sera présenté dès que possible, les discussions doivent reprendre mais nous étions avant son déclenchement tout prêts de vous le transmettre. Je pense bien sûr au Sahel, vous l'avez dit madame la présidente, « tempête parfaite dans le Sahel », avec cette crise sanitaire qui vient s'ajouter aux fragilités préalables. Nous avons engagé 700 millions d'euros dans le Sahel l'an dernier, nous faisons beaucoup de progrès en DDD (Diplomatie, défense, développement) dans le cadre de la coalition pour le Sahel avec le ministère des affaires étrangères et le ministère de la défense, je pense à l'éducation, à l'égalité femmes-hommes. Je pense à nos outre-mer aussi où l'Agence travaille – nous avons proposé une initiative à la ministre des outre-mer – je pense au climat, le dialogue de Petersberg s'est déroulé assez positivement hier et il faut absolument garder ce fil.

Nous sommes aussi en train d'accélérer – et c'est là la force des crises – notre projet de transformation. Nous avons un projet d'entreprise en cours d'élaboration, le comité de direction (Comex) doit se réunir mardi prochain pour le finaliser. Je me tiens à votre disposition pour répondre à toutes ces questions sur notre activité mais aussi sur la performance de l'Agence.

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