Intervention de Rémy Rioux

Réunion du jeudi 30 avril 2020 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement :

. Merci pour vos nombreuses questions et réflexions. Nous nous en nourrirons.

Je suis confus de vous avoir déçu dans mon propos introductif. J'ai pensé utile dans la responsabilité que vous m'avez confiée au mois de mai 2019, de vous présenter l'actualité de l'AFD. Dans mes fonctions de directeur général, le confinement dans tous les pays du monde me pose des problèmes de fonctionnement et notamment de dialogue avec nos partenaires et nos clients, notamment dans les pays où les réseaux ne fonctionnent pas très bien. J'espère que cela sera derrière nous bientôt.

Sur les sujets d'efficacité, je vais essayer de vous en dire un mot. Nous ne renonçons à rien pendant la crise pandémique même si nous rendons nos évaluations et nos procédures plus agiles, plus rapides. Nous sommes une institution financière donc nous mesurons dans nos analyses et nos scénarii plus ou moins stressés le coût du risque qui est en train d'augmenter fortement. Nous essayons d'avoir par nos analystes, nos économistes, une capacité d'anticipation que nous sommes prêts à partager avec vous dans un monde de grande incertitude.

J'ai également eu le tort de m'arrêter aux chiffres. C'est un défi pour notre maison. Nous devons toujours aller jusqu'à l'impact lorsque nous citons des chiffres financiers qui lassent et sont peu convaincants en soi. Il faut donc citer les 4 millions de personnes dont l'accès à l'eau potable a été amélioré l'année dernières, les 7 millions de personnes qui ont un accès à l'électricité grâce aux programmes que la France nous demande de déployer, les 35 millions de personnes qui ont accès à des systèmes de santé. J'aoute 100 000 kilomètres carrés d'espace naturel restauré. Je dois toujours, merci de me le rappeler, aller jusqu'à l'impact car c'est ce qui est notre engagement. Voilà concernant l'Agence.

Quelques réactions sur le débat politique. Je ne souhaite contribuer qu'à un débat politique le plus fort, éclairé et puissant possible sur la politique de développement. C'est pour la mettre en œuvre que vous m'avez nommé. Cette future loi sur le développement est très attendue et importante, vous y avez contribué, et j'espère qu'elle va advenir. Comme vous l'avez dit, il y a un sentiment anti-français qui touche aussi la politique de développement, je suis persuadé qu'un récit et une posture nouvelle peuvent refonder notre politique de développement et que les projets que l'on met en œuvre prennent toutes leurs dimensions parce qu'ils auront été placés dans ce récit. J'ai contribué, l'année dernière, à ces réflexions. J'ai même publié un petit livre. J'ai proposé un concept qui s'appelle « réconciliation », à titre personnel, sans préjudice de l'action de l'Agence, en particulier de ses apports dépassant la seule technique. Tout cela contribue au débat sur le jour d'après. Je remercie ici le député Hubert Julien-Laferrière qui m'a invité, il y a quelques jours, à « webinaire » sur le jour d'après. J'ai commencé par dire que pour penser le jour d'après, il faut penser le jour d'après du jour d'après, soit l'horizon de moyen terme, l'horizon des objectifs de développement durable, l'horizon de la neutralité carbone à 2050. À ce sujet, nous sommes dans un moment keynésien parce qu'il est indispensable de mobiliser des liquidités massivement dans toutes les régions du monde, chez nous, comme en Afrique et dans le monde en développement. Nous ne parlons plus de New Deal mais de Green New Deal si j'ai bien entendu les débats à Bruxelles comme à Paris. Dans ce cadre, vous pouvez compter sur l'AFD. Vous connaissez sa stratégie. Nous sommes une Agence qui veut respecter à 100 % l'accord de Paris sur le climat. Ce n'est pas juste un mot. C'est inscrit dans nos procédures. Depuis quinze ans, nous avons accumulé une expérience sur les sujets de transition énergétique, d'adaptation et aujourd'hui, plus particulièrement, sur les sujets sociaux, à savoir la réconciliation entre la dimension environnementale et la dimension économique et sociale. Nous sommes parfois critiqués au regard des réformes et des transformations que nous demandons en contrepartie de nos financements. Ce débat, nous le portons au plan international autant qu'au plan national.

Je vois souvent Éric Lombard et vous connaissez les engagements sur le développement durable de la Caisse des dépôts et consignations, de sa filiale Bpifrance, au même titre que l'AFD et de sa filiale Proparco. Je suis à votre disposition pour présenter le projet des banques publiques du monde. Les 450 à travers le monde que l'on réunira le 12 novembre 2020. Ce sont ces instruments, les instruments publics, les caisses de dépôt, qu'il faut mobiliser pour que le monde d'après ne ressemble pas au monde d'avant et que nous réalisions les investissements nécessaires à la sortie de crise actuelle en désinvestissant un certain nombre de politiques ou de secteurs qui nous y ont amenés. Les banques publiques peuvent par ailleurs agir sur la crise des migrants. La caisse des dépôts italienne a conclu un accord avec celle du Maroc pour gérer l'épargne de la diaspora marocaine en Italie. Ils ont mis en place des dispositifs pour que celle-ci s'oriente vers des choix d'investissement au Maroc via la coordination de ces deux institutions financières publiques.

Sur la série de questions portant sur les financements, nous sommes une agence de développement, donc nous avons besoin impérativement de dons, de ressources budgétaires. Je précise ce premier point parce que notre mandat est de servir les plus pauvres dans les pays les moins avancés sur le plan économique, dans les pays en crise et pour sur les secteurs sociaux. D'ailleurs, la santé ne représente pas 2 % mais 4 % de l'activité de l'AFD. Ce secteur représente 10 % de nos subventions et 15 % cette année grâce au programme « santé en commun ». Nous avons besoin de plus de dons. Nous sommes prêts. La machine opérationnelle peut gérer plus de dons. Mais nous ne pouvons pas multiplier les moyens. Nous faisons avec les moyens qui nous sont accordés dans le cadre de la loi de finances que vous votez, soit 1 milliard d'euros cette année contre 1,6 milliard d'euros l'année dernière. Ce sont ces moyens que je dois répartir et le cas échéant réorienter en cours d'année sous le contrôle du conseil d'administration entre les programmes et les secteurs que nous finançons.

Je trouve, par ailleurs, qu'il existe un paradoxe. À l'heure actuelle, les pays du monde entier s'endettent massivement pour faire face à la crise, ce qui n'est pas sans poser de grands débats, de grandes discussions. Notre pays s'endette considérablement pour lutter contre cette crise. Or, s'agissant de l'Afrique, son seul mode de financement devrait être limité à l'option des dons. D'une part, un principe de réalité s'imposera, je viens de l'indiquer. Les volumes de dons accordés dans l'APD ont augmenté de 1,5 %. Je ne crois pas qu'elle soit procyclique. Enfin, elle n'est pas vraiment contracyclique. Je suis d'accord avec Hervé Berville. Elle augmente. Pas suffisamment. Mais la capacité en dons de la communauté internationale à destination de l'Afrique va être limitée et ne suffit manifestement pas à faire face à la crise. Il faut absolument trouver d'autres instruments de financement pour l'Afrique. Le moratoire en est un. L'émission de DTS (droits de tirages spéciaux), on en parle au FMI. Il s'agit de dettes à très long terme. S'il y a une émission de 500 milliards de dollars, cela rapporterait 30 milliards de dollars immédiatement à l'Afrique. Ce serait fort utile. La Banque mondiale poursuit ses prêts à l'Afrique. C'est son mode d'intervention et elle n'est pas critiquée à ce titre. Ensuite, la capacité d'un pays à s'endetter dépend de sa capacité à lever l'impôt. Dans notre pays, le consentement à l'impôt est très élevé. On y prélève de l'ordre de la moitié de la richesse nationale pour financer les services publics. Dans beaucoup de régions d'Afrique, ce taux de prélèvement est beaucoup plus faible, 25 % en Afrique du Nord donc celle-ci a la capacité de s'endetter plus que les pays du Sahel où le taux de pression fiscale est de l'ordre de 15 à 17 % selon les pays. Le poids de la dette se regarde donc différemment d'un pays à l'autre selon que l'on soit capable de la rembourser ou pas. Le mix entre les prêts et les dons doit donc se faire pays par pays.

J'ajoute que Proparco investit. Le groupe AFD investit dans le renforcement des systèmes financiers, afin de traduire concrètement nos agrégats financiers. Il faut que ces montants arrivent jusqu'aux communautés, aux villages, aux agriculteurs. Les filières agricoles, la sécurité alimentaire vont être des sujets majeurs comme en 2008. Dans les pays en développement, ces circuits financiers ne sont pas suffisamment capillaires ou développés pour produire un effet sur les ménages et en particulier les ménages les plus pauvres. Un axe extrêmement important de l'activité de l'AFD, de l'activité de Proparco, est la conception d'un plan Covid-19 Choose Africa qui sera proposé au Gouvernement et sur lequel je suis disposé à débattre avec vous. Il y aura un volet PME et un volet microfinance. Les réseaux de microfinance vont considérablement souffrir de la crise actuelle parce très sensibles aux impayés. Or ils sont les seuls instruments dans certains pays permettant d'arriver jusqu'aux ménages pauvres et d'amener les transferts des migrants. Il faut absolument que les réseaux de microfinance ne tombent pas et qu'on ait les moyens de les accompagner. Ce qui est vrai pour les institutions de microfinance l'est aussi pour des institutions financières plus solides comme les banques locales qui financent les PME et les ménages et qui doivent résister à un choc financier qui viendrait suivre un choc sanitaire et un choc économique. Ce dont nous avons besoin, comme avec Bpifrance et c'est le choix du gouvernement et du Parlement, ce sont de garanties publiques de nos activités financières afin de pouvoir prendre plus de risques face à la crise. La question reviendra lors des prochaines lois de finances. J'appelle à un débat sur les moyens de financement, comme en France, pour notre activité internationale dans le cadre d'un récit. Un récit général où l'on comprend qu'il en va de notre intérêt de consolider le maillon le plus faible, les zones de départ des migrants. Ces zones doivent se développer. Nous devons avoir des instruments locaux d'abord. Dans l'attente que ceux-ci soient suffisamment puissants, avec l'appui de la communauté internationale.

J'ai bien en tête le rapport de Mme Cazebonne sur le financement des établissements français à l'étranger, notamment les établissements locaux qui vont eux aussi subir les effets de la crise. Le ministre a souligné l'importance de ce dossier complexe et devrait faire une proposition constructive, notamment sur le lycée de Brasilia qui pourrait s'étendre et qui cherche un financement de Proparco en particulier. Nous travaillons sur cette solution compte tenu du niveau de risque qui s'attache à ce type d'établissement.

Sur les transformations internes de l'Agence, si vous votez le rapprochement avec Expertise France, nous pourrons construire un groupe, dans le respect de chacune des entités et le maximum de synergies. Nous avons apporté en 2018, 7 millions d'euros de contrats à Expertise France et 130 millions d'euros en 2019. Voilà l'ordre de grandeur de ce que nous faisons pour démultiplier ces sujets d'expertise qui sont très importants. Les statuts du personnel de l'AFD seront renégociés afin de lui donner plus de réactivité, de flexibilité, tout en gardant un socle social commun. Nous allons enfin nous rapprocher des antennes locales, suivant une logique de déconcentration afin de gagner en efficacité. Nous avons créé des directions régionales. Nous sommes en train de les structurer. Nous mutualisons également des agences pays. Voilà quelques exemples de nos travaux internes. Je suis à votre disposition pour plus de développement.

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