Intervention de Auriane Guilbaud

Réunion du mercredi 6 mai 2020 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Auriane Guilbaud, maîtresse de conférences en science politique à l'Institut d'études européennes, Université Paris 8 :

La pandémie de Covid-19 est l'occasion de revenir sur la gouvernance mondiale de la santé, de la questionner, et en particulier de s'intéresser au rôle de l'OMS, qui est au centre de l'attention ces derniers temps, ce qui est normal, puisque l'une de ses missions centrales porte sur la surveillance des maladies infectieuses. Je vais aborder trois points pour contextualiser la réponse internationale à la crise actuelle et les critiques adressées à l'OMS. D'abord, je dresserai un rapide panorama des évolutions de la gouvernance mondiale de la santé, je rappellerai dans un deuxième point la spécificité de l'OMS dans la lutte contre les épidémies, puis je ferai un troisième point sur les crises précédentes que l'OMS a affrontées.

Sur le contexte général de la gouvernance de la santé d'abord. Il est normal que l'OMS, compte tenu de son rôle, soit au centre de l'attention. Mais c'est également remarquable, car ces vingt dernières années les financements dans le champ de la santé mondiale se sont beaucoup développés, nous sommes passés de 10 milliards de dollars en 2000 à 40 milliards de dollars aujourd'hui, soit un quadruplement en vingt ans, et seulement 7 % de ces financements sont consacrés au budget de l'OMS. Ce fort développement du domaine de la santé mondiale est allé de pair avec sa fragmentation, comme vous le rappeliez dans votre introduction madame la présidente. De nouveaux acteurs sont apparus, donnant de l'influence à des nouveaux bailleurs de fonds : la fondation Bill et Melinda Gates, des fonds verticaux comme le Fonds mondial qui fournit des financements pour des maladies spécifiques, des partenariats public-privé comme le Gavi ou le CEPI (Coalition for Epidemic Preparedness Innovations), qui sont des initiatives visant à fournir des traitements ou des vaccins.

L'attention portée à l'OMS pendant cette pandémie est également remarquable parce qu'en 2014, lors de l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest, ce sont quelques États, emmenés par les États-Unis mais également la France et le Royaume-Uni, qui ont pris la tête de la réponse internationale, appuyés en cela par le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) qui avait pris une résolution déclarant que l'épidémie était une « menace pour la paix et la sécurité internationales ». Actuellement la situation est très différente, le Conseil de sécurité étant bloqué, il n'a pas pris de résolution sur la pandémie de Covid-19.

L'OMS a pour spécificité d'être une organisation internationale intergouvernementale, qui compte 194 membres, et d'être la seule organisation sanitaire internationale à vocation universelle, qui réunit pays développés et en développement. Ces pays forment l'Assemblée mondiale de la santé et votent sur le principe « un État une voix », ce qui donne à l'OMS une légitimité pour porter la coopération globale entre tous les États, ce qui est crucial par exemple pour des programmes de vaccination ou de lutte contre les épidémies, où l'on voit bien que si un État manque à l'appel cela posera un problème pour tout le monde. La manière dont l'OMS est organisée, avec des bureaux régionaux, peut être une faiblesse du point de vue de la coordination mondiale. Je voudrais rappeler que l'OMS dispose d'un mandat très large, elle a pour but d'amener les peuples au plus haut niveau de santé possible, et pourra intervenir dans de nombreux domaines : la lutte contre le tabac, le paludisme, la coordination du réseau mondial de surveillance de la grippe qui compte 140 laboratoires dans le monde et se trouve responsable notamment de l'isolation des souches de virus, qui sont ensuite transmises chaque année à l'industrie pharmaceutique pour développer des vaccins. Cet exemple montre que l'OMS joue aussi un rôle de facilitateur de coopération, un rôle à bas bruit, peu visible mais significatif.

L'OMS est une organisation avant tout normative, qui établit des normes, des recommandations grâce à ses capacités d'expertise, elle n'est pas une organisation opérationnelle qui mène directement des opérations sanitaires sur le terrain comme le font des États ou des ONG. Elle va essentiellement conseiller les États sur la conduite à tenir, diffuser l'information, je le précise, car on attend parfois beaucoup de l'OMS par rapport à ses capacités ou à son mandat. Quand on parle de l'OMS, en réalité on parle avant tout d'un organisme de coopération et de diffusion de l'information. Dans la pandémie actuelle de Covid-19, l'OMS a parfois très bien rempli ce rôle, par exemple avec son conseil « tester, tester, tester » pour mettre en avant l'importance de la stratégie de test, parfois elle l'a fait de manière moins efficace, notamment en devant énoncer des recommandations pour tous les pays tout en restant prudente face à une situation qui évolue beaucoup. Cela a pu contribuer parfois à brouiller le message.

L'action de l'OMS est très visible en cas d'épidémie, notamment lorsqu'elle doit déclencher une urgence de santé publique internationale (USPPI) comme elle l'a fait le 30 janvier dernier pour le Covid-19. Cette disposition, qui renforce l'appel à la mobilisation des États, est une disposition prévue par le règlement sanitaire international (RSI), outil principal adopté par les États pour prévenir la propagation des maladies. Ce règlement contient des obligations réciproques, les États doivent se préparer aux épidémies, installer des capacités de surveillance et notifier à l'OMS tous les évènements de santé publique qui surviennent sur leur territoire. L'OMS coordonne ce mécanisme de notification, qualifie l'événement, et publie des recommandations. Il n'y a pas de mécanismes de sanctions prévus à ce règlement, les précédentes épidémies et des rapports d'évaluation ont mis en évidence des problèmes de respect de ce RSI, en particulier le fait que les financements n'étaient pas adéquats. Pour mener toutes ces actions, l'OMS est soumise à une triple contrainte. Une contrainte financière d'abord, elle dispose d'un budget limité, 2,8 milliards de dollars environ pour l'année actuelle. Sur ces financements, 80 % environ sont des contributions volontaires, fléchées selon les priorités des donateurs, que cela soit des États membres ou des organisations privées. Elle est soumise à une contrainte politique également, elle doit respecter la souveraineté des États, pour l'accès à leur territoire par exemple et, comme je le disais, elle ne dispose pas de pouvoir d'investigation ni de sanction. Enfin, elle subit une contrainte géopolitique, puisque les jeux de puissance entre États se répercutent sur l'organisation. Dans ce contexte, le directeur général et le secrétariat de l'OMS vont jouer le rôle d'acteurs diplomatiques. On le voit en ce moment avec la Chine et les États-Unis. La stratégie du directeur général comme acteur diplomatique a finalement été critiquée. Cela n'est pas nouveau, cela s'est déjà produit pendant la Guerre froide.

La crise actuelle n'est pas la première que l'OMS a dû affronter, ce n'est pas la première fois qu'il y a des appels à réforme de l'organisation, ni même la première fois que l'organisation est réformée. Les épidémies de SRAS en 2003, de H1N1 en 2009, d'Ebola en 2014, ont donné lieu à des ajustements ou à des réformes de plus grande ampleur. Pour que les appels à la réforme de l'institution qui sont actuellement lancés portent leurs fruits, il faudra aussi s'intéresser aux crises précédentes et ne pas se contenter de réagir à la dernière crise.

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