Depuis que le RSI a été mis en place dans sa version de 2005, il y a eu plusieurs crises, et nous apprenons toujours d'une crise à l'autre. La première crise a été la pandémie de grippe de 2009-2010, comme vous le savez, l'OMS a été accusée d'avoir réagi trop vite, sans prendre en compte la gravité, et d'avoir suivi des règles qu'elle s'était fixées avec des indicateurs qui la contraignaient. Des interrogations avaient été soulevées sur d'éventuelles collusions de l'OMS avec des industries, mais rien n'a été démontré. À la suite de cela, l'OMS a été discréditée et a perdu beaucoup de financements pour le secteur des urgences. Le département des urgences s'est retrouvé face à l'épidémie d'Ebola, en 2014-2016, totalement affaibli et incapable de réagir à temps à cette urgence. L'OMS a été beaucoup critiquée, à juste raison, pour avoir agi beaucoup trop tard. À la suite de cela, la réforme des interventions d'urgence de l'OMS s'est mise en place. On dispose maintenant d'une structure qui peut réagir à plusieurs dizaines d'épidémies par an. La pandémie de Covid-19 nous occupe tous, mais en même temps il y une épidémie de Lassa, l'épidémie d'Ebola se termine tout juste, il y a eu des épidémies de peste, de choléra. Le rôle de l'OMS est d'essayer d'aider les États membres à réagir à toutes ces urgences.
Il est vrai que la situation en Chine n'a pas été claire dès le début. Nous avons eu des nouvelles seulement au 31 décembre 2019, la commission sanitaire de Wuhan a signalé un cas de groupe de pneumonies. Puis, la Chine a été beaucoup plus transparente. Si on compare avec le SRAS en 2003, dès le début, la Chine a communiqué et a mis à la disposition de la communauté scientifique internationale la séquence du virus, ce qui a permis d'avancer dans la recherche. Dès le 1er janvier, l'OMS a mis en place une équipe d'appui à la gestion des incidents, aux trois niveaux de l'organisation : en Chine, dans la région Pacifique et au siège, pour aider la Chine à affronter la flambée épidémique. Le premier bulletin de l'OMS à ce sujet est paru le 5 janvier 2020 et, dès le 10 janvier 2020, l'OMS a publié des conseils pour les pays sur la manière de détecter, de dépister et de prendre en charge les cas potentiels. On pensait encore à ce moment-là qu'il n'y avait pas de transmission interhumaine ou qu'elle restait très limitée. Tout a changé le 13 janvier 2020 quand le premier cas à l'extérieur de la Chine a été notifié, en Thaïlande. Le lendemain, l'OMS a communiqué sur le fait qu'il existait potentiellement un risque d'épidémie de grande ampleur. Puis l'OMS a mis en place les outils qui existent dans le RSI, le directeur général a convoqué un comité d'urgence, présidé par un Français. Ce comité n'a pas réussi à obtenir de consensus sur la question de savoir si cet épisode était ou n'était pas une urgence de santé publique internationale, « USPPI ». Après deux réunions consécutives les 22 et 23 janvier, le comité a indiqué ne pas être prêt et a demandé au directeur général de convoquer une nouvelle réunion après dix jours. Après une visite en Chine, le directeur général a décidé d'anticiper sur ce qui était demandé par le comité d'urgence a l'a donc re-convoqué après sept jours. Cette fois, il y a eu un consensus sur le fait qu'il s'agissait bien d'une USPPI, la sixième jamais déclarée par l'OMS. Les choses se sont alors enclenchées très rapidement. Un plan stratégique a été publié le 3 février. Du 16 au 24 février, l'OMS a organisé avec la Chine une mission conjointe à laquelle ont participé des experts venant de plusieurs pays (Allemagne, États-Unis, Canada, Japon, Nigeria, Corée du sud, Singapour, et Chine) qui a séjourné à Pékin et dans d'autres villes chinoises pour se faire un avis sur la situation. Le 11 mars, l'OMS a décidé de déclarer que cette USPPI était une pandémie.
Du point de vue de la riposte, des choses s'étaient déjà mises en place. Au mois de février, les 11 et 12, l'OMS a organisé un forum sur la recherche et sur l'innovation, que j'ai eu l'occasion de co-présider, qui a déjà recensé les outils en place, les diagnostics, les médicaments, les pistes de vaccins, et fait des recommandations pour avancer. Nous avons eu aussi le 13 mars le lancement du fonds de solidarité. Le 18 mars, l'OMS a lancé un essai clinique global « Solidarity », dont la France fait partie l'essai clinique « Discovery », et l'OMS continue à essayer de coordonner la recherche mondiale et participe à l'initiative « ACT » pour laquelle la Commission européenne et la France ont organisé ce lundi une levée de fonds.
Le règlement sanitaire international donne des prérogatives à l'OMS. Mais les États membres doivent, c'est légalement contraignant, fournir des indications à l'OMS sur des événements qui pourraient être préoccupants. La seule façon qu'a l'OMS, dans ces textes, pour vérifier ce qui est fourni par l'État, est de demander à cet État des précisions. L'OMS n'a en aucun cas la possibilité d'organiser de son propre chef une visite dans ces États. Cette visite doit être autorisée par le pays et le pays doit participer à la visite. Alors, cela peut vous paraître bizarre mais rappelez-vous, l'OMS est une organisation multinationale. Chaque État a le même droit. Si on dit à l'OMS : « Vous avez le droit d'inspecter la Chine » même si la Chine ne le veut pas, cela veut dire que l'OMS a le droit d'inspecter la France, que l'OMS a le droit d'inspecter les États-Unis et c'est quelque chose que les États membres dans leur majorité, enfin en tout cas un certain nombre, ne voulaient absolument pas et c'est pour cela que le règlement sanitaire international donne des droits extrêmement limités à l'OMS et laisse aux États membres eux-mêmes la responsabilité vis-à-vis de leurs pairs. L'OMS a un rôle de coordinateur. Mais c'est un traité international qui « n'a pas de dents », si je puis dire, il ne peut pas mordre, et ceci explique en particulier la raison pour laquelle l'OMS n'a pas pu faire davantage pour intervenir plus tôt en Chine.