Intervention de Marie-Paule Kieny

Réunion du mercredi 6 mai 2020 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Marie-Paule Kieny, directrice de recherche à l'INSERM, membre du think tank Santé mondiale 2030 :

. Je suis tout à fait d'accord avec Auriane Guilbaud. On est dans un monde où le multilatéralisme est critiqué de plus en plus. On est dans un monde où c'est le « monolatéralisme » qui prévaut. Je pense qu'il est important – et c'est quelque chose que la France défend énergiquement – de promouvoir et d'insister sur l'importance du multilatéralisme. L'OMS offre une plateforme pour les pays pour pouvoir se retrouver, pour pouvoir parler. Quand j'étais à l'OMS, j'ai vu, dans le cadre du conseil exécutif de l'OMS, des moments rares où le délégué des États-Unis parlait après le délégué iranien et le délégué du Yémen en disant : « Je suis d'accord avec ce que vient de dire le représentant iranien. » Donc, c'est un endroit où les États peuvent parler et c'est un plus, en principe, c'est une plateforme qui est, je dirais, apolitique d'une certaine façon, puisqu'en principe ce n'est pas là que devraient arriver des discussions de cet ordre. Mais, malgré tout, les États tentent de porter à l'OMS des différends qu'ils ont contractés en dehors du domaine de la santé. Par exemple, on parle beaucoup du problème de Taïwan. Pourquoi est-ce que Taïwan n'est pas à la table ? Il faut rappeler que Taïwan est un État qui n'est pas reconnu par tout le monde et que, pour admettre un nouveau membre, il faut que tout le monde soit d'accord. Pour le moment, ce n'est pas seulement la Chine qui serait contre, il y a beaucoup d'autres États qui ne l'ont pas reconnu. Il y avait une pratique de longue date selon laquelle Taïwan participait à l'Assemblée mondiale de la santé, comme la Palestine par exemple, et pouvait s'exprimer après les États membres et intervenir de la même façon. Il y a quelques années, le gouvernement de Taïwan, qui avait pris une approche plus anti-Pékin, a décidé de porter la politique à l'OMS et a commencé à réclamer des droits supplémentaires. La Chine a réagi, en disant qu'elle opposait un veto à la participation de Taïwan à l'Assemblée mondiale de la santé. Je le répète, sur cette plateforme qu'est l'OMS, les États, souvent, essaient de venir régler des différends qu'ils ont en dehors de l'OMS. Ce qui ne veut pas dire d'ailleurs que l'OMS ne continue pas d'avoir des contacts avec Taïwan. Quand j'y étais, lors de la pandémie de grippe, j'ai eu des contacts très fréquents avec les scientifiques de Taïwan et je n'ai aucun doute sur le fait que mes collègues, dans le cadre de cette pandémie, aient interagi de façon régulière avec eux, même si c'est sous le radar.

Concernant les recommandations. Existe un objet multilatéral pour la santé, l'OMS, nous devons travailler là-dessus. Mais l'OMS, ce n'est pas que le secrétariat. Il faut faire quelque chose pour que les États membres se prennent en charge et, ensemble, se disent ce qu'ils veulent faire pour l'OMS. Certains voudraient bien garder l'OMS mais surtout que l'OMS soit faible, que l'OMS n'intervienne pas dans leurs affaires. Alors, un nouveau GIEC, moi je n'y crois pas. Je pense qu'on a une OMS qui est en place et que n'importe quelle nouvelle initiative sera plus réductrice, avec moins d'États membres. Est-ce qu'on veut avoir un organisme qui ne réunit pas tous les États du monde ? Je ne pense pas que ce soit souhaitable, surtout pour gérer les épidémies. Est-ce qu'on veut un organisme où tous les pays n'ont pas la même voix ? Je pense que là aussi c'est quelque chose qui n'est pas envisageable. Les États, petits comme grands, doivent pouvoir s'exprimer. Ils sont tous souverains sur leur territoire. Les financements, je suis tout à fait d'accord pour les augmenter, évidemment. Mais quand le président Trump dit que la Chine a beaucoup d'influence, je pense qu'il oublie que le pays qui a le plus d'influence, parce que c'est le pays qui a les plus gros financements, ce sont les États-Unis. Les États-Unis, en plus, mettent à la disposition de l'OMS des dizaines d'experts. Et ceux-ci ont tous une influence. Pourquoi ? Parce que les financements de l'OMS sont insuffisants pour pouvoir mener ses mandats. D'ailleurs, quand Auriane Guilbaud parlait de quatre milliards, il faut aussi savoir que, parmi ces quatre milliards, un milliard – un quart – est consacré uniquement à l'éradication de la poliomyélite. Donc, le budget réel pour les autres opérations en fait n'est plus que de 3 milliards tous les deux ans, donc 1,5 par an, ce qui est très peu.

Alors, que pourrait-on faire encore ? Sur la gouvernance, il y a eu une discussion pendant longtemps autour de l'idée d'ajouter un comité dit « comité C » à l'OMS. L'Assemblée mondiale de la santé siège sous forme de comités. Il y a un comité A qui est le comité qui s'occupe des affaires techniques et un comité B qui s'occupe plutôt des affaires administratives. Ce qui avait été proposé, c'est la création d'un comité C, qui réunirait la société civile, l'industrie et qui pourrait siéger, faire des recommandations pour éviter que ces recommandations ne viennent de gouvernements soutenus par des lobbies. Donc, instaurer un comité C, qui pourrait permettre d'entendre la voix de la société civile, de l'industrie et des parties non gouvernementales de façon transparente, pourrait être une voie de réforme intéressante. Enfin, je pense qu'il faudrait ajouter dans le règlement sanitaire international « des dents », si je puis dire, c'est-à-dire des obligations pour les États membres, pour que ceux-ci acceptent, dans un traité international, que les inspections par l'OMS ne soient plus facultatives, mais deviennent un instrument efficace, qui s'impose à tous les États membres.

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