Intervention de Auriane Guilbaud

Réunion du mercredi 6 mai 2020 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Auriane Guilbaud, maîtresse de conférences en science politique à l'Institut d'études européennes, Université Paris 8 :

Merci pour ces questions. Je vais commencer par la question du GIEC. Ce qui est intéressant avec la proposition d'un GIEC santé, même si cela dépend de la manière dont on le comprend, car évidemment on ne peut pas plaquer ce qui se fait dans le climat sur la santé, parce qu'il va y avoir des dissimilitudes qu'il faudra prendre en compte, c'est le caractère intergouvernemental du groupe d'experts. Il a pour but de créer du consensus scientifique en amont, par un travail lent, sur de très nombreuses années. Dans le domaine de la santé actuellement, on voit qu'il y a également besoin d'un consensus scientifique, mais aussi que ce soit rapide, afin de pouvoir réagir en cas d'incertitudes et face à des maladies qui vont forcément être nouvelles et qu'on ne va pas connaître. Créer un organisme au sein duquel les États se parlent par l'intermédiaire d'experts qu'ils auraient nommés, c'est également quelque chose que l'on pourrait imaginer intégrer au sein même de l'OMS.

Sur la question des réformes de l'OMS, je pense à une chercheuse qui a réfléchi à des possibilités de réformes de l'OMS. Elle les compare à un ordinateur. Vous avez un ordinateur qui date des années 1948 et la question est : comment fait-on pour l'adapter aux enjeux actuels, sachant qu'à un moment, le disque dur va commencer à fatiguer. Vous avez la possibilité de brancher tout un tas de périphériques extérieurs pour faire tourner la machine : cela va marcher pendant un certain temps, jusqu'à ce qu'il y ait trop de périphériques et que cela devienne une usine à gaz. La deuxième option consiste à transformer les pièces de l'ordinateur au fur et à mesure, jusqu'à configurer un ordinateur portable qui va fonctionner. La troisième option consiste, quant à elle, à concevoir un nouvel outil, qui remplisse les fonctions de l'ordinateur sans en être un, comme par exemple une tablette portable. Quand vous faites quelque chose de complètement nouveau, et que vous voulez que cela réponde aux mêmes fonctions, il y a un certain nombre de conditions à remplir, et notamment des conditions politiques. Tout cela pour dire, à travers cette histoire de périphériques, qu'il est possible d'envisager des choses à l'intérieur de l'OMS, et notamment de créer une coopération scientifique internationale et renforcée, pour ne pas surcharger le champ de la gouvernance mondiale de la santé qui est déjà très fragmenté.

Sur la manière de créer ce consensus à l'intérieur de l'organisation sans pour autant créer de nouveaux problèmes, j'ai évoqué, parmi les pistes de réformes, l'inclusion de la société civile. Il faut savoir que, ces dernières années, l'OMS a travaillé à une grande réforme de ses relations avec les acteurs non étatiques. Elle a rédigé et adopté un cadre d'engagement avec ces acteurs : société civile, fondations privées et entreprises. C'était un cadre innovant au sein des Nations unies qui a attiré l'attention des autres organisations. L'objectif de l'adoption de ce cadre était de donner davantage de place à ces acteurs, et de prémunir l'organisation contre les accusations de conflits d'intérêts dont elle a pu faire l'objet par le passé, comme toutes les organisations internationales quand elles interagissent avec des acteurs extérieurs. C'est un point important et je crois qu'il faut le souligner : savoir comment intégrer ces acteurs sans affaiblir l'institution par des soupçons de conflits d'intérêts.

Sur la question financière, je pense que ma collègue aura également beaucoup de choses à dire. Je voudrais seulement souligner qu'il faut prendre en considération deux aspects. J'ai insisté sur les contributions fléchées, qui peuvent contraindre l'organisation dans ses choix. Par exemple, comme les États s'intéressent beaucoup à la poliomyélite, la recherche dans ce domaine a été extrêmement bien financée et a pris beaucoup d'importance. C'est important de redonner de l'autonomie à l'OMS à ce sujet-là. Il y a cependant également la question du montant des 2,8 milliards de dollars par an ; quand on a un mandat très large pour intervenir sur beaucoup de sujets, c'est finalement assez peu. Évidemment, ces réformes vont dépendre de la volonté des États dans la refonte du multilatéralisme qui s'annonce. C'est vrai qu'il y a certain nombre de questions qui ne se régleront pas forcément à l'OMS. Par exemple, Marie-Paule Kieny soulignait le cas de Taïwan. Politiquement, l'inclusion de Taïwan au sein du multilatéralisme est une question qui peut être réglée en dehors de l'OMS et qui aurait, en retour, un impact sur la fluidité avec laquelle l'organisation pourrait fonctionner.

La première question mentionnait le règlement sanitaire international et la fermeture des frontières. Cette fermeture est intervenue de manière assez anarchique. On a eu l'impression qu'il n'y avait pas de coordination internationale sur le sujet. En fait, quand les États membres ont révisé de manière profonde en 2005 le règlement sanitaire international, qui a été adopté dès les années 1950, a été entrevue la possibilité d'une nouvelle révision, même si cela va nécessiter des négociations et prendre du temps, notamment pour intégrer cette idée éventuelle de sanction ou d'investigation. Les États se sont laissés, comme ils s'en laissent toujours finalement dans le multilatéralisme, des portes de sortie, et notamment le fait d'adopter des mesures et recommandations qui vont au-delà de ce que le directeur général de l'OMS peut faire. Les États peuvent décider de fermer leurs frontières, c'est leur souveraineté, simplement ils doivent le justifier de manière rationnelle et en avertir l'OMS. On voit que, même si les États peuvent prendre ces décisions, ils n'en avertissent pas l'OMS, ce qui montre finalement un certain manque de respect vis-à-vis des engagements qu'ils ont pris.

Sur la fermeture des frontières, le règlement sanitaire international prévoit que la réponse des États aux épidémies doit être proportionnée et ne doit pas faire barrage au commerce. C'est un point important qui renvoie au fait qu'historiquement, la lutte contre les épidémies a été pensée pour ne pas entraver les relations commerciales internationales. Cette idée est toujours présente. Ces incitations sont aussi des incitations pour les pays à coopérer. Si, dès qu'un pays rapporte un événement de santé publique ou a une épidémie potentielle, il sait qu'il va être ostracisé et qu'il en souffrira économiquement, il a moins de propension à coopérer directement. Se pose également la question du maintien de l'aide internationale lors de la fermeture des frontières. Sur cette question, il y a aussi la possibilité de mieux se coordonner et d'améliorer les choses.

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