Intervention de Marie-Paule Kieny

Réunion du mercredi 6 mai 2020 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Marie-Paule Kieny, directrice de recherche à l'INSERM, membre du think tank Santé mondiale 2030 :

Il faut se souvenir qu'au moment du SRAS, l'OMS avait émis un avis invitant à ne pas voyager au Canada, qui était l'un des pays les plus frappés. Cela avait fait un scandale. L'OMS a mis des années à se remettre de ce scandale. Concernant les États contributeurs, tous les États payent une contribution mais ils payent en fonction de leur population et de leur PIB. Est-ce que tous les États veulent une réforme de l'OMS ? Non, ce sont surtout les États du G7. Rappelez-vous qu'elle est composée de 194 États membres, que ceux qui plaident pour une réforme sont toujours les États qui sont donateurs financiers, et en particulier les États du G7. Mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas une réforme, je suis d'accord pour dire qu'il y a besoin d'une réforme, c'est urgent. Mais dire que l'OMS ne fait rien de bien, je crois que ce n'est pas vrai. Une taxe serait une excellente idée, une taxe qui permettrait à l'OMS d'être financée à un niveau correct. La crise du financement n'est pas la source du problème, vous avez raison. La source du problème c'est : est-ce que le monde veut le multilatéralisme ou est-ce ce que le monde veut le repli sur soi ? Si le monde veut le repli sur soi, l'OMS n'a pas d'objet, chacun travail pour lui-même, « America first », «  la France d'abord ». Si le monde veut un multilatéralisme et veut avoir un organe multilatéral pour la santé, il faut le financer et il faut le financer au niveau qui est nécessaire pour qu'il puisse remplir les missions qui lui sont confiées. Ce n'est pas le secrétariat général qui se fixe des missions, ce sont les État membres qui lui disent, chaque année, ce qu'il faut faire. En revanche, quand il leur est demandé ce que l'on ne doit pas faire, aucune réponse n'est jamais donnée. Les dons fléchés ne peuvent s'adresser qu'à des actions qui sont prévues et acceptées par les États membres dans le programme. Ce qui est accepté est relativement large, mais on ne pourrait pas, par exemple, avoir de dons pour étudier la couleur des ailes de papillons si ce n'est pas dans le programme du budget. En revanche, tout ce qui relève du domaine de la santé peut être financé, potentiellement, par des dons fléchés.

À quoi servent les 20 % de contributions obligatoires ? Ces contributions obligatoires servent essentiellement à payer le coût de fonctionnement de l'organisation, c'est-à-dire le coût pour réunir les 194 États membres, dont notamment les pays à revenus faibles qui sont aidés financièrement pour venir. Ces contributions obligatoires servent aussi à payer toute l'administration, la direction, le leadership, la communication ainsi que tout le travail normatif. Rappelez-vous, l'OMS s'occupe de crise mais l'OMS est une organisation normative. C'est elle qui dit quel est le maximum de sucre qu'il faut ingérer par jour, quels sont les niveaux de polluants qui sont acceptables pour la santé, quelles sont les normes auxquelles doivent répondre les médicaments au niveau mondial. Tout ce travail normatif ne peut pas être financé par des dons fléchés car sinon nous nous retrouverions dans le pouvoir des lobbies. Ces contributions obligatoires servent donc à mener ce travail normatif.

Le GIEC, oui pourquoi pas. Si c'est un GIEC scientifique cela pourrait même être intégré dans l'OMS, comme le disait Auriane Guilbaud, mais il faudrait préciser l'objet. Le climat et le dérèglement du climat sont des objets dont le « scope » est relativement borné, alors que la santé forme tout un continuum. Sur quoi porterait ce GIEC ? Les urgences, le médicament ? Dès lors, il faudrait définir l'objet précis du GIEC. Le comité C dont j'ai proposé la création serait une façon d'amener la société civile, qui est un acteur important, à l'OMS, sans pousser trop les conflits d'intérêt.

Au sujet de l'Asie et du port masque, il faut savoir que les pays d'Asie ont choisi le port des masques mais que l'Asie a fait aussi ce que l'OMS a recommandé. Taïwan, la Corée du Sud, la Chine ont testé tous les cas, testé les contacts, isolé les contacts. En dehors du port des masques, même si cela a sans doute aidé, ce qui a aidé, d'abord, c'est la politique de tester et d'isoler.

Il y a une chose peut-être que je ne vous ai pas dite au début. À l'OMS, on ne vote pas. Il y a une possibilité de voter mais on ne vote jamais. Pourquoi ne vote-on pas ? Parce que, étant donné que l'OMS n'a pas de « dents », si je puis dire, si un pays se trouve en minorité et qu'on vote contre lui, le pays repartira dans son coin en disant que cela lui est égal et il continuera à faire comme il le veut, se considérant maître chez lui. Il n'y a pas de vote donc tout doit marcher au consensus. Comme vous le savez, le consensus en général c'est mou. C'est pour cela que les choses avancent lentement. Il y a une seule chose pour laquelle un vote est tenu chaque année, c'est pour l'acceptation du rapport sur l'état de santé en Palestine. C'est le seul moment où un vote est tenu, car le consensus est impossible.

Si l'on n'arrive pas à suffisamment recruter de malades pour l'essai Discovery, ce n'est pas tellement un problème de concurrence avec l'essai Solidarity. C'est d'abord parce que, heureusement, la courbe épidémique s'aplatit en France. C'est aussi parce que on a laissé se développer des petits essais d'hydroxychloroquine partout, et que la plupart des patients ont déjà été traités avec l'hydroxychloroquine et donc ne sont pas éligibles à l'entrée dans Discovery. On a un problème de coordination en France. Dans Discovery, c'est vrai la plupart des patients sont français, mais maintenant le Luxembourg, l'Autriche, le Portugal et l'Allemagne vont commencer très rapidement, je pense, à inclure des patients et Discovery sera un vrai essai paneuropéen.

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