Je vais m'efforcer de répondre aux questions un peu plus techniques qui ont été posées.
Est-ce qu'il y avait d'autres options que le confinement ? Des pays ont essayé. La Suède a essayé mais elle a vu la mortalité dans ses établissements pour personnes âgées exploser. Le Royaume-Uni a affirmé, au début de la crise, qu'il fallait simplement laisser grandir l'immunité naturelle mais a vite été obligé de revenir en arrière au vu de l'augmentation de la mortalité. On sait très peu de choses sur cette maladie. Il faut quand même se souvenir qu'on n'en connaissait rien il y a encore cinq mois. On commence à savoir que ce n'est pas seulement une maladie pulmonaire mais aussi une maladie qui attaque les cerveaux, qui peut attaquer les enfants, ce qu'on ne le pensait pas au début. Nous pourrons voir peut-être plus tard que nous aurions, peut-être, pu faire autrement. Mais, dans la réalité de l'action, c'était la seule solution ouverte aux États membres. C'est vrai que pour le moment 85 % des victimes sont en Europe, mais quand on voit la rapidité de la diffusion de la pandémie au Brésil, qui ne fait pas de confinement, c'est très inquiétant. Sur les chiffres, comme l'a dit Auriane Guilbaud, nous avons-nous-mêmes réajusté nos chiffres de mortalité pendant la canicule. Dans la crise actuelle, la Chine a réajusté les siens en les doublant. Les chiffres dépendent du nombre de tests. Je ne peux pas comparer le nombre de cas en France, qui, jusqu'à présent, testait peu, avec ceux d'autres pays dans lesquels on testait tout le monde. Les chiffres dépendent des stratégies de chacun des pays. Des rumeurs ont circulé, par exemple, autour de la Chine, rumeurs selon lesquelles le pays aurait enregistré dix fois plus de morts que ce qu'elle avait déclaré, et ce au vu des files d'attentes constituées à Wuhan par les gens qui venaient chercher des urnes funéraires à la sortie du confinement. À cette époque-là, les Chinois avaient déclaré 3 000 morts. Maintenant, il y en a sûrement 4 000. Il faut dire que, traditionnellement, dans une ville comme Wuhan, de 11 millions d'habitants, à cette période-là de l'année, pendant ces trois mois, la mortalité normale touche 20 000 personnes. Ce n'est donc pas étonnant qu'il y ait eu une commande de très nombreuses urnes. Cela ne prouve pas que les Chinois aient menti. Il faut quand même être raisonnable sur ce que l'on interprète et sur ce que disent les médias et les réseaux sociaux.
Je confirme que Taïwan contribue techniquement aux travaux de l'OMS. Pour ce qui est des normes, l'OMS a des normes qui s'appliquent pour tous et pas seulement pour les Européens. Pour certaines normes qui sont très particulières en Europe, c'est vrai que les institutions européennes sont mieux placées mais rappelez-vous que l'OMS a un rôle universel c'est-à-dire que tout le monde doit équilibrer ce qu'il demande à l'OMS. Lorsque l'on parle de réforme, on se cristallise sur le rôle de l'OMS dans les urgences mais l'OMS fait beaucoup plus que cela. Comme je l'ai dit tout à l'heure, l'OMS c'est d'abord l'élaboration de normes : les normes sanitaires, les normes dans le médicament, les normes de pollution, les normes de sucre, les normes de gras. Ce qu'il ne faut pas oublier non plus, c'est que l'OMS joue auprès des pays pauvres un rôle très important de soutien. Elle les aide à définir leurs politiques de santé, à voir comment prélever l'impôt pour pouvoir financer la santé. Elle joue aussi un rôle pour mettre en place des actions de ripostes au tabac et aux accidents de la route. Toutes ces actions qui sont menées par l'OMS ne pourraient pas être menées par une forme GIEC. On peut, pourquoi pas, imaginer un GIEC qui discuterait des questions de santé d'un point de vue scientifique et obtenir un consensus scientifique sur des missions précises. Mais, toutes les autres missions de l'OMS, le normatif et l'assistance aux pays qui en ont besoin, n'entreraient pas dans le cadre d'un GIEC.
Sur les points plus techniques, je peux apporter quelques précisions. L'anticipation d'actions de recherche avait déjà été faite à l'OMS. À la sortie de la crise d'Ebola de 2014-2016, j'avais commencé à mettre en place ce qui s'appelle le « R&D Blueprint » qui est un plan d'anticipation des urgences par la recherche. C'est ce plan qui a déjà permis de faire évoluer les pratiques. Vous avez pu constater que, dès le début de la pandémie, les données de séquences ont été partagées. Des plans d'actions avaient été faits pour répondre à une épidémie qui serait causée par un agent inconnu. Ce sont ces plans qui ont permis, dès début février, à l'OMS d'organiser un forum sur la recherche et l'innovation. Tout cela c'est grâce à un plan d'anticipation sur la recherche dans les crises qui avait été mis en place à partir de 2015.
Sur la question des masques. Je ne suis pas une spécialiste. J'ai lu la littérature scientifique. Comme vous le savez, les meilleurs éléments de recherche et de preuves scientifiques sont le fruit d'essai randomisés et contrôlés. Il existe des données dans la littérature scientifique qui ont été obtenu à l'occasion de la grippe. Le virus de la grippe n'est pas un coronavirus mais la littérature scientifique est ambivalente, ou plutôt bivalente, sur la valeur du port des masques par la population qui n'est pas malade et qui n'est pas sujette aux mêmes risques que les soignants. La question est encore ouverte. On en saura beaucoup plus à la fin de la pandémie. On est toujours plus intelligents après. Cependant, dans le cas précis où l'on manquait de masques, il est clair que ces masques devaient absolument être réservés en priorité aux malades pour que ceux-ci évitent de contaminer les autres et encore plus, en priorité, aux soignants. La population générale non malade venait après. Alors quelle est la raison pour laquelle il faudrait sans doute porter des masques quand on est en milieu confiné ? Ce que l'on sait maintenant, et on ne le savait pas il y a encore deux mois, c'est qu'il y a des porteurs asymptomatiques et que les gens sont asymptomatiques pendant deux jours avant de déclarer les symptômes. Cela veut dire que l'on peut être en bonne santé, se promener à l'extérieur et transmettre la maladie. Dans ces cas, il y a bien lieu, surtout dans des endroits confinés, de porter un masque. Mais ce sont des données récentes. Jusqu'à il y a peu, la doctrine disait que les masques sont utiles pour les personnels de santé et pour les gens malades. On commence maintenant à l'élargir au vu des nouvelles informations scientifiques qui n'étaient pas étayées dans la littérature scientifique jusqu'à présent.
Sur les fonds verticaux. Depuis 2000, les fonds verticaux étaient ce qu'il fallait faire. La pandémie de sida, de paludisme, de tuberculose, la baisse de couverture des vaccins pour le Gavi étaient des problèmes de santé mondiale qu'il fallait absolument prendre en compte et les fonds verticaux ont rempli leurs missions. Cependant, on est maintenant sorti de cette vision très verticale de la santé. La France est un pays qui pousse pour la couverture de santé universelle. Dans ce cadre, il faudrait arriver à remettre en question, en France, le financement des grands fonds mondiaux, qui sont des « vaches sacrées » réservées à l'Élysée, et essayer de voir comment l'on pourrait « horizontaliser » les actions de la France dans la santé. Ainsi, les dons sur les fonds verticaux n'auront pas leurs effets actuels, c'est-à-dire appauvrir les systèmes de santé dans les pays les plus pauvres. C'est mon opinion, et elle n'est pas partagée par tout le monde.
Pourquoi est-ce que l'on ne croit pas l'OMS ? Vous le savez, les conspirations vont bon train. J'avais été auditionnée par le Conseil de l'Europe il y a quelques années pour témoigner du fait que l'OMS n'avait pas été infiltrée par l'industrie du vaccin et que ce n'était pas à cause de cela que l'on avait déclaré une pandémie de H1N1. J'ai parlé pendant deux heures mais on ne m'a pas crue parce que le complotisme est plus fort que tout. Je peux vous répéter, à vous aussi, que l'OMS fait du bon travail et que la Chine a été transparente mais si vous ne voulez pas me croire, alors vous n'allez pas me croire.
Du point de vue des normes sur les médicaments, l'OMS a un rôle très important et pas seulement pour les pandémies. Elle développe une procédure importante qui s'appelle la « préqualification ». C'est une revue réglementaire qui permet à l'OMS de signaler aux grands fonds, au Fonds mondial qui achète des médicaments pour le sida ou à Gavi qui achète des vaccins, les produits qui ont le bon niveau de qualité. Pour le cas des pandémies et des manifestations qui mettent en cause la santé publique sur le plan mondial, l'OMS a une procédure plus rapide de qualification des médicaments, des tests et des vaccins en urgence Elle est déjà en train, avec d'autres acteurs comme Fine, d'évaluer les tests de diagnostics. Elle fera une liste de ceux qu'elle aura évalués comme étant fiables.
Sur la vaccination, l'OMS coordonne tant qu'elle peut. Elle fait des inventaires des tests qui sont en cours. Elle possède des comités d'experts composés de spécialistes mis à disposition par les États membres. Elle fait appel directement aux experts des États membres pour arriver à définir des normes, définir ce qui est prioritaire et les types de réponse. Ce sont des comités qui siègent chacun chez eux en ce moment et leurs rapports sont rendus publics. L'OMS fait ce travail de coordination mais il est très technique et tout le monde ne le voit pas. Elle ne peut pas imposer à un pays comme les États-Unis l'obligation selon laquelle tous les vaccins qui seront produits sur le sol américain serviront à vacciner toute la population américaine jusqu'à ce que tout le monde soit vacciné. L'OMS essaye, avec l'appui de la France et l'appui de la Commission européenne, de dire qu'il faut un partage équitable. On ne peut pas forcer un pays qui ne veut pas jouer le jeu, surtout s'il est puissant comme les États-Unis. Rappelez-vous que le président Trump a essayé, il n'y a pas longtemps, d'acheter une société allemande qui avait un vaccin prometteur. C'est l'intervention du gouvernement allemand qui a empêché que cette technologie ne parte aux États-Unis et fasse partie des 300 millions de vaccins que M. Trump veut produire avant les élections de novembre. Favoriser l'accès au matériel médical, c'est ce que l'OMS fait au profit des plus pauvres. L'Iran n'a pu tester ses cas que parce que l'OMS lui a donné des réactifs. On peut donc difficilement demander à l'OMS de fournir du matériel à la France, alors qu'elle doit s'assurer que les pays aient accès au matériel médical de façon équitable. Dans ce cas, ce sont les pays les plus pauvres qu'il faut privilégier.