Intervention de Bérengère Poletti

Réunion du jeudi 14 mai 2020 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBérengère Poletti, rapporteure :

. Le travail a été conduit, en effet, dans des conditions particulières. Nous n'avons pas pu, cette fois-ci, appréhender les aspects concrets de la politique de développement que nous collectons quand nous pouvons aller sur le terrain.

À la suite de l'audition, mardi dernier, de Jérémie Pellet, directeur général d'Expertise France, nous devons formuler un avis sur le COM qui liera l'État à l'Agence française de coopération technique internationale, dénommée Expertise France, pour la période 2020-2022. Je souhaite associer à mon intervention mon collègue Frédéric Petit qui connaît très bien cet opérateur et avec lequel j'échange très souvent sur ce sujet. Si nous avions pu effectuer des enquêtes de terrain, nous aurions pu les faire ensemble.

Comme le montre quotidiennement la pandémie, le monde a plus que jamais besoin de coopération. En effet, plus aucune problématique, qu'il s'agisse des questions climatiques, des conflits armés, des problèmes financiers ou, aujourd'hui, des pandémies, ne se pose plus à l'échelle d'un seul pays ni même d'un seul continent. Les crises sont aujourd'hui mondiales quasiment d'emblée. Mais, il ne suffira pas de vouloir la coopération pour qu'elle advienne. Il faut en créer les conditions et pour cela convaincre les autres acteurs globaux à préférer à la confrontation la coopération respectueuse de nos valeurs et de nos intérêts.

Nous l'avons encore entendu hier, lorsque nous avons auditionné Thomas Gomart, directeur de l'Institut français des relations internationales (IFRI), le duopole sino-américain est en train de structurer le monde de demain. La France et l'Europe ne doivent pour autant pas être marginalisées. Pour cela, il faut renforcer l'Europe évidemment mais cela ne suffira probablement pas. Nous devons construire un bloc de solidarité qui va au-delà. Un bloc qui agrège, d'une manière ou d'une autre, la Méditerranée et l'Afrique. Dans cette perspective, la France, de par son histoire et sa géographie, dispose de plusieurs atouts. C'est peut-être là une source des espérances que beaucoup ont appelé de leurs vœux hier lors de l'audition du directeur de l'IFRI. La relation franco-africaine est un atout. D'où l'importance de consolider nos positions sur ce continent et d'y développer nos coopérations.

Le COM, ce sont d'abord des objectifs. Expertise France vise une activité majoritairement africaine pour la période à venir. Je dirai qu'elle vise à maintenir cette majorité dès lors que notre coopération technique est déjà majoritaire africaine. Nous allons passer de 50 % à… 50 %. Par ailleurs, un tiers de son activité sera orienté vers les pays en crise, notamment au Sahel, et les zones de conflits en Irak et en Syrie où Expertise France est quasiment la seule agence de coopération encore présente sur le terrain.

Les autres priorités correspondent à celles de notre diplomatie, à savoir les questions climatiques et de genre. Il faudra probablement « remuscler » la coopération sanitaire dans un COM qui a été rédigé avant la crise sanitaire que nous connaissons. Nous avons vu le caractère essentiel des systèmes de soin dans les pays fragiles. Je fais des propositions dans mon avis pour un plus grand investissement de la coopération française dans ce domaine et pour une coopération renforcée avec l'Institut Pasteur qui a été, dans les pays africains où il est présent, parfois la seule institution capable de réaliser des tests et de prendre en charge les patients – nous venons d'en avoir la confirmation avec l'audition de M. Spiegel, directeur de l'Institut Pasteur de Madagascar. Là aussi, il faut créer des synergies sous pavillon tricolore.

Un COM, ce sont des objectifs certes, mais qui vérifie qu'ils ont été atteints ? Le COM me paraît lacunaire sur la question de l'évaluation et du contrôle. J'invite Expertise France à renforcer et à préciser sa stratégie dans ce domaine. Nous devons, nous-mêmes, continuer à évaluer régulièrement les activités de nos agences de coopération et d'Expertise France en particulier. C'est pour cela que, même si cela ne concerne pas directement le COM, je souhaite que la future loi relative au développement maintienne le nombre actuel de parlementaires au sein du conseil d'administration d'Expertise France, au-delà de la fonction de contrôle externe de notre commission des affaires étrangères. Les deux sont indispensables.

Le COM, ce sont des objectifs mais aussi des moyens. Sur cette question, la trajectoire financière présentée me semble crédible au regard de l'augmentation du chiffre d'affaires entre 2017 et 2019 qui est passé de 147 à 231 millions d'euros. L'agence vise un chiffre d'affaires de 313 millions d'euros en 2022. Ce doublement du chiffre d'affaires entre 2017 et 2022 cache une véritable révolution dans le modèle économique. Expertise France est de moins en moins le « bras armé » des ministères dans le domaine de la coopération technique et de plus en plus une « entreprise » de coopération qui réalise la majorité de son chiffre d'affaires en répondant à des appels d'offres internationaux ou européens. 60 % du chiffre d'affaires provient de l'Union européenne, ce qui est important pour une agence française. J'exprime ici une crainte. Le projet de loi prévoit un changement de régime juridique pour Expertise France qui passerait d'un statut d'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) à un statut de société anonyme à capitaux publics. Ce changement de statut ne peut se comprendre que dans la perspective d'une ouverture, à terme, au capital privé. Les exemples sont légion. Lorsque vous cédez vos participations, vous ne pouvez plus tout contrôler et tout orienter. Pour une agence aussi stratégique dans le contexte que j'ai décrit au début de mon intervention, cela pourrait être problématique. Nous en débattrons de nouveau lors de l'examen du projet de loi.

Enfin, je terminerai sur les questions de gouvernance. Expertise France est née de la volonté de regrouper les services et les agences de coopération de chaque ministère. La gouvernance actuelle en est l'héritière avec un nombre de comités beaucoup trop nombreux où tous les ministères sont représentés. Il sera nécessaire pour une plus grande efficacité de simplifier la gouvernance dans le cadre de la filialisation au sein du groupe AFD mais aussi d'achever la constitution de la plateforme d'Expertise française en y intégrant les activités de coopération sécuritaire de CIVIPOL.

Le sujet important de l'autonomie de la structure soulevé à juste titre régulièrement par notre collègue Hervé Berville doit nous inviter à réfléchir. Où peut se situer cette autonomie si l'agence est absorbée par l'AFD tant par sa gouvernance, par ses moyens, par ses contraintes, ses objectifs, son évaluation ? Nous nous pencherons sur ces questions lors de l'examen du projet de loi.

Sous réserve de ces quelques remarques, je donne un avis favorable à l'adoption du COM 2020-2022 avant le conseil d'administration d'Expertise France qui doit se réunir le 19 mai prochain.

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