Présentation, en visioconférence, par Mme Bérengère Poletti, de l'avis sur le projet de contrat d'objectifs et de moyens (COM) 2020-2022 d'Expertise France.
La séance est ouverte à 15 heures.
. Nous examinons aujourd'hui le projet d'avis présenté par Bérengère Poletti sur le projet de contrat d'objectifs et de moyens d'Expertise France (COM) pour la période 2020-2022. Conformément à l'article 1er de la loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État, le COM de chaque établissement public contribuant à l'action extérieure de la France est transmis par le Gouvernement, avant sa signature, aux commissions permanentes compétentes des deux assemblées. Ces commissions formulent un avis. C'est dans ce cadre que notre commission a été saisie le 30 avril dernier. Je dois le dire. Nous avons été saisis après avoir demandé avec quelque insistance à l'être avant le conseil d'administration prévu le 19 mai prochain et ce, tout simplement pour faire respecter la loi. Je remercie Bérengère Poletti qui a travaillé dans des délais contraints pour avoir transmis dès hier le projet d'avis aux membres de la commission afin que chacun puisse se faire sa propre opinion.
Comme cela a été rappelé mardi, lorsque nous avons reçu le directeur général d'Expertise France, Jérémie Pellet, ce COM a été élaboré avant la crise sanitaire et il faudra très certainement y apporter des modifications sous forme d'avenant au regard des enseignements que nous tirerons de la période actuelle. C'est tout l'objet du travail de suivi que nous menons durant cette crise sanitaire mondiale et spécifiquement du groupe de travail qui est dédié à ces questions et qui fera le moment venu des propositions complémentaires. Plus largement, je pense qu'en aucun cas, nous ne devons affaiblir la capacité de contrôle et d'évaluation parlementaire sur la politique de développement conduite par la France. C'est le contraire de ce qu'attendent de nous nos concitoyens. Nous devrons donc faire en sorte de maintenir le nombre actuel de parlementaires au sein du conseil d'administration d'Expertise France, qui sont, pour notre assemblée, au nombre de quatre aujourd'hui : Frédéric Petit, Hubert Julien-Laferrière, Laetitia Saint-Paul et Bérengère Poletti.
Troisième point, pour nous, la capacité et l'identité d'Expertise France doivent être encouragées, préservées. Il faudra donc ajuster au mieux la nouvelle organisation prévue dans le cadre du rapprochement d'Expertise France avec l'Agence française de développement (AFD). Nous aurons ce débat à l'occasion de l'examen du projet de loi relative à la solidarité internationale et à la lutte contre les inégalités mondiales.
. Le travail a été conduit, en effet, dans des conditions particulières. Nous n'avons pas pu, cette fois-ci, appréhender les aspects concrets de la politique de développement que nous collectons quand nous pouvons aller sur le terrain.
À la suite de l'audition, mardi dernier, de Jérémie Pellet, directeur général d'Expertise France, nous devons formuler un avis sur le COM qui liera l'État à l'Agence française de coopération technique internationale, dénommée Expertise France, pour la période 2020-2022. Je souhaite associer à mon intervention mon collègue Frédéric Petit qui connaît très bien cet opérateur et avec lequel j'échange très souvent sur ce sujet. Si nous avions pu effectuer des enquêtes de terrain, nous aurions pu les faire ensemble.
Comme le montre quotidiennement la pandémie, le monde a plus que jamais besoin de coopération. En effet, plus aucune problématique, qu'il s'agisse des questions climatiques, des conflits armés, des problèmes financiers ou, aujourd'hui, des pandémies, ne se pose plus à l'échelle d'un seul pays ni même d'un seul continent. Les crises sont aujourd'hui mondiales quasiment d'emblée. Mais, il ne suffira pas de vouloir la coopération pour qu'elle advienne. Il faut en créer les conditions et pour cela convaincre les autres acteurs globaux à préférer à la confrontation la coopération respectueuse de nos valeurs et de nos intérêts.
Nous l'avons encore entendu hier, lorsque nous avons auditionné Thomas Gomart, directeur de l'Institut français des relations internationales (IFRI), le duopole sino-américain est en train de structurer le monde de demain. La France et l'Europe ne doivent pour autant pas être marginalisées. Pour cela, il faut renforcer l'Europe évidemment mais cela ne suffira probablement pas. Nous devons construire un bloc de solidarité qui va au-delà. Un bloc qui agrège, d'une manière ou d'une autre, la Méditerranée et l'Afrique. Dans cette perspective, la France, de par son histoire et sa géographie, dispose de plusieurs atouts. C'est peut-être là une source des espérances que beaucoup ont appelé de leurs vœux hier lors de l'audition du directeur de l'IFRI. La relation franco-africaine est un atout. D'où l'importance de consolider nos positions sur ce continent et d'y développer nos coopérations.
Le COM, ce sont d'abord des objectifs. Expertise France vise une activité majoritairement africaine pour la période à venir. Je dirai qu'elle vise à maintenir cette majorité dès lors que notre coopération technique est déjà majoritaire africaine. Nous allons passer de 50 % à… 50 %. Par ailleurs, un tiers de son activité sera orienté vers les pays en crise, notamment au Sahel, et les zones de conflits en Irak et en Syrie où Expertise France est quasiment la seule agence de coopération encore présente sur le terrain.
Les autres priorités correspondent à celles de notre diplomatie, à savoir les questions climatiques et de genre. Il faudra probablement « remuscler » la coopération sanitaire dans un COM qui a été rédigé avant la crise sanitaire que nous connaissons. Nous avons vu le caractère essentiel des systèmes de soin dans les pays fragiles. Je fais des propositions dans mon avis pour un plus grand investissement de la coopération française dans ce domaine et pour une coopération renforcée avec l'Institut Pasteur qui a été, dans les pays africains où il est présent, parfois la seule institution capable de réaliser des tests et de prendre en charge les patients – nous venons d'en avoir la confirmation avec l'audition de M. Spiegel, directeur de l'Institut Pasteur de Madagascar. Là aussi, il faut créer des synergies sous pavillon tricolore.
Un COM, ce sont des objectifs certes, mais qui vérifie qu'ils ont été atteints ? Le COM me paraît lacunaire sur la question de l'évaluation et du contrôle. J'invite Expertise France à renforcer et à préciser sa stratégie dans ce domaine. Nous devons, nous-mêmes, continuer à évaluer régulièrement les activités de nos agences de coopération et d'Expertise France en particulier. C'est pour cela que, même si cela ne concerne pas directement le COM, je souhaite que la future loi relative au développement maintienne le nombre actuel de parlementaires au sein du conseil d'administration d'Expertise France, au-delà de la fonction de contrôle externe de notre commission des affaires étrangères. Les deux sont indispensables.
Le COM, ce sont des objectifs mais aussi des moyens. Sur cette question, la trajectoire financière présentée me semble crédible au regard de l'augmentation du chiffre d'affaires entre 2017 et 2019 qui est passé de 147 à 231 millions d'euros. L'agence vise un chiffre d'affaires de 313 millions d'euros en 2022. Ce doublement du chiffre d'affaires entre 2017 et 2022 cache une véritable révolution dans le modèle économique. Expertise France est de moins en moins le « bras armé » des ministères dans le domaine de la coopération technique et de plus en plus une « entreprise » de coopération qui réalise la majorité de son chiffre d'affaires en répondant à des appels d'offres internationaux ou européens. 60 % du chiffre d'affaires provient de l'Union européenne, ce qui est important pour une agence française. J'exprime ici une crainte. Le projet de loi prévoit un changement de régime juridique pour Expertise France qui passerait d'un statut d'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) à un statut de société anonyme à capitaux publics. Ce changement de statut ne peut se comprendre que dans la perspective d'une ouverture, à terme, au capital privé. Les exemples sont légion. Lorsque vous cédez vos participations, vous ne pouvez plus tout contrôler et tout orienter. Pour une agence aussi stratégique dans le contexte que j'ai décrit au début de mon intervention, cela pourrait être problématique. Nous en débattrons de nouveau lors de l'examen du projet de loi.
Enfin, je terminerai sur les questions de gouvernance. Expertise France est née de la volonté de regrouper les services et les agences de coopération de chaque ministère. La gouvernance actuelle en est l'héritière avec un nombre de comités beaucoup trop nombreux où tous les ministères sont représentés. Il sera nécessaire pour une plus grande efficacité de simplifier la gouvernance dans le cadre de la filialisation au sein du groupe AFD mais aussi d'achever la constitution de la plateforme d'Expertise française en y intégrant les activités de coopération sécuritaire de CIVIPOL.
Le sujet important de l'autonomie de la structure soulevé à juste titre régulièrement par notre collègue Hervé Berville doit nous inviter à réfléchir. Où peut se situer cette autonomie si l'agence est absorbée par l'AFD tant par sa gouvernance, par ses moyens, par ses contraintes, ses objectifs, son évaluation ? Nous nous pencherons sur ces questions lors de l'examen du projet de loi.
Sous réserve de ces quelques remarques, je donne un avis favorable à l'adoption du COM 2020-2022 avant le conseil d'administration d'Expertise France qui doit se réunir le 19 mai prochain.
. Je salue le travail réalisé, parce que, même si je connais le sujet, j'ai fait des découvertes dans l'avis présenté. Tout d'abord, je salue cette institution. Elle a réussi une révolution et, pour nous tous, c'est la preuve qu'on peut transformer l'État quand on veut. Cela marche. Je salue la coopération avec le réseau de l'Institut Pasteur. C'est une chose qui nous touche beaucoup. Je suis d'accord avec la rapporteure sur les lacunes du contrôle. Nous ne sommes pas encore dans la culture du contrôle.
Je n'ai pas très bien compris la façon dont l'État va subventionner Expertise France. Mais ce n'est pas une crainte pour le bilatéralisme du fait de la faiblesse des montants. Pourriez-vous expliciter ce point ?
Il faudra approfondir la question de la future structure lors de l'examen du projet de loi. Je me demande si un EPIC peut créer un EPIC. Je crois que c'est en raison de cette difficulté que la solution de la société anonyme s'est imposée. Il y a une chose sur laquelle j'aimerais revenir. Je crois que le nombre d'administrateurs parlementaires n'est pas forcément important. Il est important bien sûr qu'il y en ait deux ou trois, afin que les oppositions soient représentées. En revanche, je crois que, pour donner une fonction politique au conseil d'administration, il faut que les présidents soient désignés avec notre accord. Cela rééquilibrerait les choses sans mettre en difficulté les exécutifs de nos opérateurs et permettrait une politisation de la stratégie de nos opérateurs.
Sinon, je suis tout à fait favorable à ce projet de COM qui est un COM bien construit.
. Concernant la subvention de l'État, je n'ai pas critiqué le changement de modèle. Contrairement à la pratique présente qui est de répondre à de gros projets, la demande de l'État et des ministères va se situer sur des petits projets qui ne sont pas rentables. Dans ce cas, Expertise France demande, à juste titre, une compensation financière dès le départ. Cela ne sera plus une subvention globale d'équilibre comme c'était le cas jusqu'alors mais la subvention devra être intégrée dès la conception du projet.
J'ai été plus critique en revanche sur la tutelle que l'AFD risque d'exercer sur Expertise France. Je ne vois pas, dans ce cadre, comment sera préservée l'autonomie de l'agence. De plus, le statut juridique va plutôt transformer Expertise France en « satellite » de l'AFD au même titre que Proparco. Il y aura donc une perte d'indépendance, alors que l'indépendance d'Expertise France a été une très bonne chose. Elle a permis sa montée en puissance et d'aller chercher auprès de l'Union européenne ou d'autres donneurs d'ordre des missions nouvelles, ce qui a favorisé la reconnaissance de l'expertise française. Les équipes ne travailleront pas moins bien, mais l'exercice de la future tutelle peut poser des questions.
. Dans le cadre de la discussion sur le projet de loi, il va falloir discuter de la nouvelle structure. Est avancée l'idée d'un rapprochement entre Expertise France et l'AFD, afin de créer un outil plus performant, plus lisible, pour porter une politique de la France, comme cela se passe par exemple en Allemagne ou d'autres pays qui nous entourent comme le Royaume-Uni. C'est intéressant. En même temps, il va falloir préserver une identité, une expertise française qui est une valeur ajoutée pour la France. Il va falloir trouver un bon équilibre entre ces deux objectifs, d'une part, de peser plus, d'être plus fort dans cette politique de développement et, d'autre part, de conserver une part d'autonomie, d'indépendance, d'identité de l'expertise qui est reconnue. C'est à mon avis nécessaire.
. Madame la rapporteure, je partage vos sept propositions. Dans la foulée de l'audition de Jérémie Pellet et dans le contexte sanitaire actuelle, je trouve particulièrement pertinent votre proposition de rapprochement avec l'acteur reconnu en Afrique qu'est l'Institut Pasteur. Pouvez-vous préciser dans quelle condition cette coopération pourrait se développer concrètement ?
. Cette question tombe à point puisque nous sortons d'une audition, avec notre groupe de travail sur l'aide publique au développement, de représentants de l'Institut Pasteur, audition au cours de laquelle j'ai posé la question des moyens de l'aide au développement d'une manière générale. Lorsque nous étions à Madagascar, il nous avait été rapporté que les subventions avaient baissé pour l'Institut Pasteur local. Je viens d'en avoir confirmation. Nous sommes sur une baisse de subventions continue qui ira jusqu'à l'extinction de toute subvention aux Instituts Pasteur. C'est dommage pour un outil de cette qualité. J'ai également posé la question de leur coopération avec Expertise France. Les experts techniques internationaux (ETI) manquent beaucoup sur le terrain et notamment à l'Institut Pasteur. Est-ce qu'on pourrait concevoir un partenariat qui compenserait cette baisse ? Je n'ai pas senti beaucoup d'enthousiasme sur cette question, probablement parce que le sujet n'est pas encore suffisamment approfondi. Il nous a simplement été dit que passer par Expertise France coûtait plus cher du fait de frais de fonctionnement plus lourds et plus importants. C'est un sujet qu'il va falloir approfondir. Je trouve que, du fait de la forte identité de l'Institut Pasteur, de sa présence historique sur le terrain et de ses résultats remarquables sur le continent africain, on ne peut pas concevoir une expertise française reconnue sans qu'il y ait des ponts, notamment dans le domaine sanitaire, au bénéfice de l'Afrique. D'ailleurs, à travers l'Institut Pasteur, un certain nombre de choses peuvent être faites par les Africains eux-mêmes, ce qui leur permettrait de prendre directement en charge leur santé publique. L'Institut Pasteur ne peut pas être détaché d'Expertise France, même si ce n'est pas un sujet complétement abouti.
. Je partage l'idée qu'il faut porter l'idée de l'équipe France dans le domaine de l'aide publique au développement. Nous avons un savoir-faire reconnu. Nous devons le porter plus haut. Je voudrais faire part de mon inquiétude sur le mariage entre l'AFD et Expertise France, notamment dans le domaine de la santé. Expertise France est reconnue sur le terrain, en particulier grâce à la mise en œuvre de l'Initiative 5 % conduite avec le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Expertise France a été très active dans la gestion de la crise Ebola, notamment au Libéria. Je suis aujourd'hui un peu inquiète. J'ai peur que la « grosse » structure, l'AFD, fasse perdre la singularité de ces liens très forts avec le terrain que l'on reconnaît à Expertise France. Est-ce que vous auriez une idée de garde-fous que nous pourrions inscrire dans la prochaine loi afin de permettre à cette singularité de perdurer ?
. Je partage cette préoccupation, parce qu'Expertise France obtient dans ce domaine-là de bons résultats. L'objectif, Jérémie Pellet nous l'a expliqué mardi dernier, est de pouvoir répondre aux demandes de l'AFD. Expertise France va mettre en œuvre ce que l'AFD va lui demander et va pouvoir répondre à de plus petits projets avec plus de proximité. L'identité de l'aide publique au développement va être renforcée. Il faut effectivement réfléchir aux moyens de garantir l'autonomie d'Expertise France, notamment dans le domaine de la santé. En même temps, j'ai découvert en écoutant Jérémie Pellet que 60 % de la commande à Expertise France provenait de l'Union européenne. C'est assez conséquent. Ce n'est pas une mauvaise chose mais cela tend à donner à l'agence une identité plus européenne que française.
. Je voudrais rappeler qu'un des problèmes, avant même le « mariage » entre l'AFD et Expertise France, est constitué par le fait que l'AFD avait pris l'habitude de passer des commandes hors de l'expertise française. Je me souviens d'un exemple. L'AFD disait : j'ai un projet, je dois aller au Gabon, il faut une expertise. Et l'AFD est allée chercher une expertise au Royaume-Uni, alors qu'Expertise France était disponible et savait faire. On part d'une situation dans laquelle les opérateurs faisaient figure de frères ennemis. Il faut sortir de cette situation, même s'il faut être vigilant sur l'organisation future du groupe.
. C'est une bonne chose que Bérengère Poletti puisse intervenir après l'audition de Jérémie Pellet. Je suis préoccupé, comme d'autres, par la préservation de l'autonomie d'Expertise France et le risque, avec son absorption par l'AFD, de perte de cette autonomie. Je voudrais savoir quelles barrières on peut mettre en place pour s'assurer de la préservation de cette autonomie, de cette capacité d'expertise.
Deuxièmement, est-ce que, madame la rapporteure, vous avez pu vous assurer que les priorités de notre diplomatie dans le domaine de la santé et de la protection sanitaire vont bien être mises en exergue ? Cet objectif-là devra être ajouté aux objectifs de notre diplomatie.
Enfin, vous avez exprimé votre crainte de la transformation d'Expertise France d'EPIC en société anonyme, du fait d'une possible ouverture au capital privé. Pourquoi avez-vous cette crainte ? Et comment peut-on s'en prémunir ?
. Dans un premier temps, je voudrais préciser que je soutiens le rapprochement entre Expertise France et l'AFD. J'ai exprimé des craintes par rapport à l'autonomie de la première mais je soutiens le rapprochement, l'AFD offrant une surface d'action plus importante à Expertise France. Mais cette dernière va continuer à disposer d'un conseil d'administration comprenant des parlementaires, même s'il est prévu une diminution de leur nombre. Nous allons nous battre pour y maintenir une représentation du côté Sénat comme du côté Assemblée nationale. Par ailleurs, nous devrons recevoir le directeur général d'Expertise France au même titre que celui de l'AFD devant la commission des affaires étrangères régulièrement, afin qu'il puisse nous exposer la manière dont son agence travaille.
Concernant le changement de statut juridique, il me semble que ce n'était pas indispensable. On pouvait très bien continuer à fonctionner avec un EPIC. S'il y a une volonté de changer de régime juridique, c'est probablement dans un souci de parallélisme avec Proparco et à terme de permettre au capital privé d'y investir. Pourquoi pas ? Mais quand on manipule autant d'argent public, il faut être vigilant. C'est la raison pour laquelle je soulevais cette problématique.
J'aimerais revenir sur la question de la santé. C'est pour cela que l'Institut Pasteur me semble être un organisme très important, car il connaît très bien l'Afrique. Il faut encourager la création de partenariats d'ampleur, qui profiteront à l'Institut Pasteur, par l'apport d'une expertise qui manque visiblement en ce moment. Pour rappeler certains chiffres, l'Institut Pasteur est passé de 2 millions d'euros à 600 000 euros de subventions, et de six experts internationaux à un seul. Il en avait demandé un deuxième pendant la crise du covid-19, qu'il n'a malheureusement pas pu obtenir. Il y a véritablement un sujet d'expertise avec l'Institut pasteur, et peut être un sujet santé avec Expertise France.
. On apprend beaucoup de choses dans cet avis quand on n'est pas spécialiste de ces questions. En écoutant votre présentation, madame la rapporteure, une question m'est venue : finalement, cette crise du covid-19 n'a pas été anticipée dans le projet de COM. Il y aura d'autres crises. Comment peut-on anticiper les autres crises à venir, qu'elles soient sanitaires, sociales ou politiques ? Nous voyons bien que, dans les régions prioritaires de notre action de coopération, d'autres puissances sont à l'affut. Pour bien anticiper ces crises et pour guetter les signaux, y compris faibles, il faut disposer d'un dispositif de veille. Comment Expertise France au sein de l'AFD va pouvoir se structurer pour être agile en cas de nouvelles crises ?
Je pense qu'Expertise France, tout comme l'AFD d'ailleurs, déploie des personnels sur les territoires. Nous avons tous vu, au cours de nos déplacements, que l'AFD et Expertise France bénéficiaient d'une large présence à l'international. Normalement, cela doit conduire à une certaine agilité et à une certaine connaissance du terrain. Mais comme évoqué, les crises sont multiples et, y compris en France, il va falloir que l'on réfléchisse tous ensemble à des stratégies pour faire face aux nouvelles pandémies à venir. Pour avoir connu ce qui avait été fait sur la crise H1-N1, parce que j'avais alors participé à un certain nombre de commissions, je trouve qu'on a une grande capacité d'oubli. Quand les années passent, on passe à d'autres problématiques. C'était aussi le cas pour les attentats. Ce problème se concrétise à travers la problématique actuelle des masques : ce qui avait été pensé a été oublié, devenant ainsi un vrai problème pendant cette crise. Il faut non seulement anticiper, mais également mettre en place des dispositifs de rappels réguliers, c'est vrai pour nous comme c'est vrai pour l'Afrique et les pays que nous aidons sur le terrain. Je ne me souviens pas avoir évoqué ce sujet lors du dernier conseil d'administration de l'AFD, mais je reposerai cette question – et Fréderic Petit la posera également à Expertise France.
J'avais quelques questions très courtes. Premièrement, pourriez-vous nous préciser de nouveau si vous êtes favorable à un rapprochement de l'AFD et d'Expertise France – avec la possibilité de garder un statut juridique de type EPIC et non de passer en société anonyme ? Ou êtes-vous plutôt favorable à une intégration – voire une absorption – d'Expertise France, qui deviendrait alors une filiale satellite de l'AFD avec peu d'autonomie ? Quel degré de rapprochement préconisez-vous ? Je pense que, comme l'a dit Michel Herbillon, la question de l'autonomie stratégique – et la capacité de faire en dépit de la dépendance financière qui sera de plus en plus forte – est l'élément essentiel.
Nous devrons l'aborder lors de la discussion du futur projet de loi – j'espère qu'il arrivera cette année – car c'est une question essentielle pour garantir notre capacité à déployer une politique de développement cohérente, lisible et surtout redevable. S'agissant de la question de l'identité, vous évoquez dans le rapport la question de l'Allemagne. C'est intéressant parce que le modèle de la Deutsche Gesellschaft für internationale Zusammenarbeit (GiZ) est différent. Si parfois l'on entend qu'il faut faire une GiZ à la française, ce n'est pas totalement le cas parce, que la GiZ est totalement indépendante de la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW). Et justement, sur le terrain, on voit bien que la GiZ se construit parfois en concurrence avec la KfW. L'identité de la GIZ est très forte, justement parce qu'elle dispose d'une pleine autonomie et d'une capacité d'intervention stratégique très forte. Comment voyez-vous la comparaison avec la GiZ allemande ? Peut-être faisons-nous fausse route ? À l'aune de l'exemple allemand, faut-il préserver cette autonomie si l'on veut avoir une expertise puissante, indépendante et reconnue, et si oui, comment ?
Dernier point, je vous remercie d'avoir relevé la question de l'évaluation et la question de la redevabilité. C'est éminemment important et insuffisamment abordé dans ce COM. Il faut être en capacité de rentrer dans l'ère de la redevabilité – ce qui se fera avec la création d'une commission indépendante d'évaluation. Comment voyez-vous la question de l'évaluation et la question de la redevabilité pour qu'elles soient vraiment au cœur du projet stratégique ? Comment en faire un outil de politique publique afin d'informer le citoyen sur l'impact des crédits affectés à l'expertise ?
. Avant de redonner la parole à Bérengère Poletti, j'aimerais revenir vers Hervé Berville. Comme vous êtes le rapporteur de ce texte qui, je l'espère comme vous, va aboutir, je serais très intéressée d'avoir votre sentiment sur la garantie d'indépendance et d'autonomie de la capacité d'expertise de la France. D'un coté, nous avons la volonté de renforcer notre politique publique en matière de développement, de la rendre plus lisible, plus efficace, plus pertinente. De mieux évaluer, de mieux contrôler, et au fond avec un pilotage politique et une vraie hiérarchie. Cela implique peut-être de rassembler tous les acteurs. Et de l'autre côté, il y a ce besoin de préserver les outils qui sont déjà à notre disposition, qui sont des outils de qualité, je pense, en particulier, à la capacité d'expertise de la France. Comment voyez-vous l'évolution idéale de cette structure ?
Pour moi, il y a au moins trois sujets et c'est pour cela qu'il faut un débat parlementaire, afin d'aller au cœur de la question.
Premièrement, la question financière. Nous avions un groupe qui était dans une situation financière très compliquée. Le rapprocher de l'AFD – un groupe avec une ossature forte et puissante –, dans les objectifs comme dans la stratégie, fait beaucoup de sens. C'est intelligent. Mais il faut poser comme principe de base le fait que les orientations et les objectifs stratégiques d'Expertise France ne doivent pas se confondre pas avec ceux de l'AFD. Dans notre débat, nous parlons parfois d'Expertise France comme s'il s'agissait d'un outil qui présenterait le même rayonnement en termes de périmètre, d'objectifs et de secteur que l'AFD. En réalité, ce n'est pas le cas et de nombreux secteurs – comme les questions militaires et de sécurité civile par exemple – dans lesquels Expertise France intervient doivent être non seulement préservés, mais également renforcés. Les questions de coopération internationale ne se confondent pas nécessairement avec les questions d'aide au développement. Les questions de coopération internationale vont au-delà – notamment avec des pays qui ne sont pas forcément en voie de développement. L'outil Expertise France, parce qu'il regroupe l'expertise de plusieurs ministères et notamment dans le domaine de la santé, doit être préservé. Oui, il faut ce rapprochement, mais il faut également étendre la capacité d'Expertise France à rayonner dans d'autres régions dans lesquelles l'AFD n'est pas présente, et d'approfondir d'autres secteurs qui ne constituent pas le cœur de métier de l'AFD car ce sont des secteurs où l'aide publique au développement ne peut pas intervenir.
Cela pose la deuxième question, qui est celle du modèle juridique retenu. Je ne suis pas expert du sujet. Ce qui me paraît essentiel dans la question de la gouvernance – et cela la relie à la question de la présence des parlementaires – est que l'État puisse disposer de la main finale sur la stratégie, parce que ce que fait Expertise France va au-delà de l'aide publique au développement. Que ce soit au niveau de la gouvernance ou du statut juridique, il faut que l'État – et donc le politique – garde la capacité d'orienter, de prendre les grandes décisions et d'arrêter les projets qui ne vont pas dans le bon sens. Je ne fais pas de procès d'intention et reste convaincu que l'AFD a des excellentes idées pour améliorer l'outil Expertise France. Mais, tout simplement, la stratégie de l'AFD pour Expertise France n'est pas forcément la même que celle de l'État et des parlementaires. La question de la gouvernance sera intéressante. Je comprends – mais encore une fois il faudra que l'on ait un débat de fond avec l'AFD, Expertise France, les ministères des finances et des affaires étrangères – que le statut d'une société anonyme n'était peut-être pas la meilleure option. La question de l'EPIC a été écartée pour ne pas aboutir au modèle de la SNCF, sauf que, à mon sens, on pouvait faire quelque chose de différent sans tomber dans cet écueil. Encore une fois, je ne suis pas un expert de ces questions et le statut juridique ne conditionne pas forcément l'indépendance et l'autonomie de l'outil Expertise France. Je pense que l'option concernant l'ouverture du capital pose une vraie question et il faut une réponse sur ce sujet.
Troisième point, notre stratégie D'abord, je reste tout de même convaincu qu'avoir l'outil le plus autonome possible est le moyen le plus efficace pour continuer à aller chercher des fonds au niveau européen. L'histoire nous a montré que c'est cette indépendance-là qui a permis d'aller chercher des subventions européennes et d'avoir, en conséquence, la capacité de monter des projets imaginatifs et créatifs. C'est la première chose qui me paraît essentielle. Ensuite, il est vrai que le modèle allemand réussit parce qu'il offre une capacité de dialogue avec les gouvernements locaux qui est indépendante. Les Allemands parviennent à placer leur expertise et leur savoir-faire car ils ne se trouvent pas sous la « tutelle » ou l'intégration d'un grand groupe comme la KfW. De ce qu'on peut lire et entendre, c'est cette autonomie qui permet d'aller chercher des marchés. Je pense qu'il faut vraiment un débat de fond sur cette question-là. Je pose l'autonomie stratégique de l'opérateur comme principe de l'efficacité du dispositif français et de la capacité à répondre à l'objectif, défini par le Président de la République, le ministre des affaires étrangères et notre commission, de placer le plus d'expertise française dans les secteurs qui ont été définis par Expertise France. Celle-ci ne doit pas simplement être une force d'appoint pour les projets développés par l'AFD. Je ne dis pas que c'est ce qui va arriver, mais notre rôle est de faire en sorte que cela n'arrive pas. Il faut poser les bonnes questions au bon moment. Quand on regarde les exemples qui fonctionnent, l'exemple allemand n'est pas celui que l'on est en train de développer aujourd'hui en France.
Il était important que l'on ait cet échange sur le fond. J'ai le sentiment que l'on peut converger vers une position commune, que l'on peut, par exemple, imaginer ce rapprochement avec l'AFD tout en préservant la capacité d'Expertise France à faire fructifier son autonomie et à travers celle-ci l'apport, la plus-value, la valeur ajoutée de l'expertise de la France ; c'est une valeur ajoutée pour la France.
J'étais tout à fait favorable à ce rapprochement car je suis bien au fait des phénomènes de concurrence qui pouvaient exister entre opérateurs. Mais, dans la pratique, il faudra regarder attentivement la manière dont cela se passe, la manière dont l'AFD sera très présente tant sur le plan humain – le directeur de l'AFD va présider le conseil d'administration d'Expertise France – que sur le plan financier. D'ores et déjà, lorsque l'on demande à Expertise France comment elle va gérer son bilan d'évaluation, l'agence répond qu'elle va suivre le modèle de l'AFD. C'est la même chose concernant les objectifs et les valeurs mis en avant. J'ai ressenti cela de manière assez forte lors de l'audition de Jérémie Pellet. J'ai eu la sensation que l'identité d'Expertise France se dissolvait en quelque sorte dans ce que faisait l'AFD. Je me trompe peut-être, il se peut qu'Expertise France garde son autonomie mais c'est comme cela que je l'ai ressenti. Je suis donc favorable à un rapprochement, mais sous forme plutôt EPIC. L'aide publique française souffre d'une certaine opacité, que ce soit à l'égard du Parlement ou des Français eux-mêmes. C'est une politique publique complexe. Je ne prendrai que l'exemple de Proparco, qui est une filiale de l'AFD, et dont on connaît mal l'action. Je ne souhaite pas que cela se reproduise avec Expertise France car je pense que le domaine de l'expertise doit être intimement lié à l'identité du pays et à sa stratégie. Les Allemands très tôt ont compris cela et ont su développer leur secteur de l'expertise. Ils ont donné énormément de moyens à l'aide au développement à travers l'expertise. C'est ce qui fait leur différence. Toutes les questions que nous nous posons sur l'indépendance juridique d'Expertise France seraient moins prégnantes si la pleine transparence était établie et si notre capacité de contrôle était plus importante. À propos d'évaluation, j'ai été personnellement séduite par le système anglais. Ce système est complétement indépendant et fonctionne avec le Parlement. C'est cette articulation qui rend les choses transparentes, il y a moins de méfiance et de crainte, ce qui n'est pas encore le cas pour l'aide publique au développement en France. J'attends du futur projet des lois des avancées sur ce plan. Je ne suis pas sûre que l'on atteigne nos objectifs en adossant la commission d'évaluation à la Cour des comptes. Je préfère le système anglais. Quand on a la capacité de bien pouvoir analyser les choses, il est possible d'avoir une influence réelle, comme nous l'avons fait récemment en faveur de l'Institut Pasteur à Madagascar. Le but est bien d'insuffler nos idées dans les politiques publiques. C'est là le vrai défi et cela ne pourra pas se faire si on continue à fonctionner de manière opaque.
Je vous rejoins complétement et je pense que le temps que nous avons avant le dépôt du projet de loi pourrait être mis à profit pour réfléchir à la manière de modifier ce projet pour poser des garde-fous. Je suis entièrement d'accord avec vous sur le système d'évaluation britannique. Les évaluations extérieures et donc indépendantes qui sont ensuite transmises au Parlement constituent l'avenir de l'évaluation, c'est une évidence. Si on peut pousser ces idées en France qui y ont l'air très originales, très nouvelles, ce serait un grand pas pour l'aide publique au développement et je suis convaincue que les Français s'y retrouveront mieux. Je suis obnubilée par cette question de l'appropriation de l'aide publique par le peuple, par les citoyens. C'est le cas au Royaume-Uni et cela ne l'est pas en France. Je partage cette ambition.
Je ne connais pas bien ces questions mais je voudrais émettre un propos d'observateur naïf. En vous écoutant, j'ai quand même l'impression que l'on poursuit des objectifs qui me semblent un peu contradictoires. Si l'on veut réellement assurer une indépendance à l'expertise française, il ne faut pas la lier à l'AFD. Certes, d'un côté, on renforce la capacité intellectuelle de l'AFD, mais, de l'autre, on ne garantit plus l'indépendance de notre expertise. Il faut y réfléchir.
Nous avons depuis le début nouer une coopération avec le ministère des affaires étrangères et le ministre en particulier sur la préparation du projet de loi. Nous avons pu coécrire un certain nombre d'objectifs. Cette question du rapprochement des structures est une question que nous n'avons pas, pour notre part, portée, mais qui est présente dans l'avant-projet de loi.
Je suis tout à fait d'accord avec la manière dont Hervé Berville a présenté la question et avec celle dont Bérengère Poletti a répondu. Ce qui est important, c'est le rapprochement. On est d'accord là-dessus. Aujourd'hui, il existe des pertes d'efficacité qui sont stupides. A été organisée une espèce de concurrence qui est assez française et c'est vers le rapprochement qu'il faut tendre. Je crois qu'il y a des activités qui sont réalisées par Expertise France, mais qui n'entrent pas aujourd'hui dans le champ de l'AFD. Expertise France ne « lâchera » jamais ces activités parce que, dans le cas contraire, elle perdrait sa raison d'être. Je pense à la recherche de financements européens, à la promotion de l'expertise de nos collectivités territoriales qui est faite, qui est bien faite. Je crois qu'il y a aujourd'hui, au sein du conseil d'administration, trois représentants des collectivités territoriales. Celles-ci ont besoin, dans leurs jumelages, de travailler, d'influer sur l'expertise française à l'international.
Je suis aussi tout à fait d'accord avec Hervé Berville sur la comparaison avec l'Allemagne. Je connais bien ce pays. Les questions que nous sommes en train de poser, ce ne sont pas des questions qu'il faut poser à Expertise France, et je trouve que Bérengère Poletti l'a très bien expliqué ; il faut les poser à l'AFD. S'il n'y a pas transparence, c'est parce que l'AFD n'est pas transparente. Parfois, l'AFD oublie de recourir aux ressources françaises. La grosse différence avec la GiZ se trouve là. La GiZ discute directement avec les gouvernements, parce que, derrière elle, elle a le soutien de l'industrie allemande, elle a le soutien des entreprises allemandes. L'AFD, cela lui est arrivé, a pu financer des entreprises chinoises. Donc, c'est plutôt la cohérence de l'action nationale de l'AFD que nous devons questionner beaucoup plus qu'Expertise France. Si l'intégration d'Expertise France dans le groupe AFD se déroulait mal, l'expertise française en mourrait. Mais je suis optimiste. La culture d'Expertise France est solide. En revanche, je suis tout à fait d'accord avec Bérengère Poletti. Lors de l'examen du projet de loi, il faudra qu'on soit extrêmement précis sur la façon dont on va contrôler l'AFD, elle et ses satellites. Il faut plutôt poser la question : comment on contrôlera demain Proparco ? plutôt que d'hésiter à rapprocher des acteurs qu'il faut rapprocher sous peine de dispersion de notre action.
Je trouve que nous avons un débat très intéressant. Évidemment, j'ai écouté avec beaucoup d'attention ce qu'a dit Hervé Berville et ce qu'a dit Bérengère Poletti. Au terme de ce débat, je ne vous cache pas ma perplexité qui est plus grande après le débat qu'au début. Disons que je me rendais au débat avec des idées simples. On parle de notions très différentes. Premièrement, on est d'accord sur le fait c'est plutôt une bonne chose de rapprocher des organismes et de lutter contre la propension française à se disperser. C'est plutôt une bonne chose qu'il n'y ait pas de concurrence entre les deux agences. En même temps, il faut qu'il y ait moins d'opacité dans l'aide au développement. Il faut qu'il y ait davantage de transparence et plus de lisibilité. On est d'accord sur un autre point, cela a été exprimé par Hervé Berville, par Bérengère Poletti et par tous, nous voulons préserver l'autonomie de l'expertise française. D'ailleurs, les mots ont un sens. L'aide au développement et l'expertise française, ce ne sont pas les mêmes mots et ce n'est pas la même chose. Je crains vraiment que finalement on crée plus de confusion. Je ne suis pas en train de dire que ce n'est pas une bonne chose de rapprocher les deux opérateurs. Mais je voudrais vraiment que l'on travaille sur ce qu'on doit mettre en place pour préserver l'autonomie de notre expertise technique, même à l'intérieur d'un organisme commun. Cela passe peut-être par des moyens juridiques, fonctionnels, organisationnels et cela ne peut pas être résolu uniquement par le fait que les directeurs généraux des deux agences s'entendent bien. Ce n'est pas le sujet. On peut imaginer aussi que demain, ce ne soit plus les mêmes hommes qui soient aux commandes et qu'Expertise France soit purement et simplement absorbée par l'AFD. C'est une crainte.
Je veux simplement, pour la clarté de notre débat, vous rappeler que le COM ne fige pas ces questions. Dans un horizon proche, ces questions-là, qui sont les vraies questions de fond, nous devrons les aborder à nouveau ensemble à l'occasion de l'examen du projet de loi.
Cela fait le lien avec la conclusion de Michel Herbillon qui est la bonne conclusion : quels sont les moyens qu'on se donne pour atteindre les objectifs que l'on vient collectivement de définir ? C'est la question d'abord de la gouvernance, la question d'un plancher et d'un plafond. Le Gouvernement, au début, pour faire travailler les deux maisons ensemble, a fixé un objectif de 25 %, si je ne m'abuse, de projets en commun. Il ne faut pas, en tout état de cause, instituer une dépendance financière totale, que ce soit à l'égard de l'Union européenne, de l'AFD, ou de tout autre acteur. Est-ce qu'on ne peut pas prévoir une commande d'État plancher qui soit solide et forte que nous, nous pourrions être en capacité de garantir, pour justement qu'il n'y ait pas cette absorption de l'énergie, du temps et des projets sur des sujets qui sont alignés avec les objectifs de l'AFD ? Je dis cela, c'est peut-être totalement impossible, mais les questions de plancher, de plafond, d'objectifs communs, sont importantes.
Pour rebondir sur ce que disait Michel Herbillon, se pose la question de la gouvernance bien évidemment : qui donne la lettre de mission à Expertise France ? Est-ce que ce sont les ministres ou est-ce le directeur de l'AFD ? À quel moment le cadrage politique est donné, par qui, comment ? Par ailleurs, comment vont évoluer les COM ? La question de la nomination du directeur général, la question de désignation du président du conseil d'administration, ce sont des questions de forme mais aussi de fond qui vont avoir une influence sur la capacité d'Expertise France à agir.
Et puis, pour rebondir sur ce que disait Jean-Louis Bourlanges – comme d'habitude, il pose les bonnes questions –, quels sont les objectifs qu'on s'assigne à ces agences ? Je ne sais pas s'ils sont contradictoires mais en tout cas ils sont multiples et divers, comme beaucoup d'objectifs des politiques publiques. C'est bien, parce qu'on a de l'ambition, nous sommes français. Mais parfois la temporalité de leur mise en œuvre n'est pas la même. Nous avons voulu le rapprochement des opérateurs pour donner au groupe AFD une taille critique. Rappelez-vous, il y a cinq, dix ans, ont déjà été fusionnés différents petits acteurs éparpillés. Il fallait doter la France d'une agence de coopération technique avec une taille suffisamment critique pour peser au sein de l'Union européenne. Maintenant, il faut la rapprocher d'un grand groupe pour lui donner une taille suffisamment critique au niveau international. La question qu'on se pose est : est-ce que rattacher un acteur moyen à un gros acteur va permettre de lui donner une taille suffisamment critique ? C'est la question qui se pose.
Je suis tout à fait d'accord avec Frédéric Petit sur le fait que des éléments d'Expertise France ne sont pas intégrables dans l'AFD par construction, par le fait de normes définies d'ailleurs par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La question – je n'ai pas la réponse parce que c'est le futur qui nous le dira – est la suivante : est-ce que ces éléments non intégrables dans l'AFD vont petit à petit « se décalcifier », disparaître, parce que, encore une fois, toute l'énergie, tout le temps seront dépensés à opérer l'alignement avec les objectifs de l'AFD et des projets d'aide au développement. Ou alors, est-ce que, à l'inverse, les objectifs qui n'étaient pas intégrables ou solubles dans l'AFD peuvent le devenir, en faisant en sorte que l'AFD soit en capacité d'agir dans des domaines qui lui étaient interdits pour l'instant et faire de cette agence non pas simplement une agence de développement mais, de manière plus large, une banque de financement de la coopération extérieure de la France. Pour moi, l'élément essentiel qu'il faut pas qu'on perde de vue en tout cas, c'est l'objectif qui a été assigné par le Président de la République, par les différents ministres : dans Expertise France, il y a des éléments qui sont majeurs pour la stratégie française de coopération internationale. Je ne parle pas d'aide au développement, mais de coopération internationale. Les questions de paix, de stabilité, de sécurité, de lutte contre la criminalité organisée ne doivent pas être perdues de vue. On ne doit pas simplement les préserver, on doit les traiter de manière beaucoup plus puissante grâce à Expertise France.
Michel Herbillon et Hervé Berville ont reposé le problème que je pose. Je voudrais simplement poser la question à chacun d'entre nous, notamment à Bérengère Poletti. Est-ce que, par essence, la fonction d'expertise, qui est une fonction qui suppose l'indépendance, n'est pas en tension avec la mission d'un opérateur qui est d'intervenir ? Est-ce que, en vérité, le rattachement d'une fonction d'expertise à un opérateur ne conduit pas nécessairement dans l'opinion du public, des clients potentiels, à faire de cette expertise un faux-nez de de l'opérateur ? Je crois qu'il y a là, en termes de communication et d'image, quelque chose qui est très difficile à combattre. Il faut évidemment combattre par des moyens statutaires, etc., mais je crois qu'il y a vraiment une contradiction de principe.
Je rappelle que le COM ne prévoit pas les modalités du rapprochement. Il se situe dans la perspective du rapprochement, mais n'en énonce pas les moyens.
C'est exact. D'ores et déjà, les deux structures fonctionnent de manière rapprochée. Le numéro deux de l'AFD est devenu directeur général d'Expertise France et c'est la même présidente qui préside le conseil d'administration de l'AFD et celui d'Expertise France. On se trouve donc déjà, avant même le projet de loi, dans une forme, non pas de confusion, mais de dissolution. Dans le COM, un certain nombre d'articles prennent en compte les priorités qui ont été définies par l'AFD, ce que je peux comprendre. C'est pour cette raison que, pour préserver un peu plus l'autonomie d'Expertise France, il vaut mieux conserver son statut EPIC que d'aller vers une société anonyme à capitaux publics. Cela faciliterait le contrôle du Parlement, sa présence. Je pense qu'on aurait plus d'impact sur Expertise France et qu'Expertise France serait plus autonome de cette manière-là. Je me trompe peut-être mais, comme je disais tout à l'heure, pour moi, le problème principal c'est quand même l'opacité générale. Il me semble qu'on devrait plus se poser des questions de fond et de politique. Comment la politique d'Expertise France doit se développer, dans quel territoire, sur quel sujet ? Comme le disait Mme la présidente, tout à l'heure, si on veut que nos compatriotes s'approprient ces politiques, il faut que nous-mêmes nous nous les approprions.
Est-ce que par construction, comme le disait Jean-Louis Bourlanges, le rattachement conduit à faire d'Expertise France un faux-nez de l'AFD ? Je pense que, vraiment et sincèrement, il n'y a pas d'aide au développement sans expertise et que l'expertise mène à l'aide au développement. Je me souviens, quand nous sommes allés au Niger avec Rodrigue Kokouendo, qu'on nous avait expliqué qu'il y avait un grand projet qui devait être financé par l'AFD, qui mobilisait des millions d'euros sur le Sahel, sur un barrage si je me souviens bien, mais que ce projet n'avançait pas, parce qu'il n'y avait pas de compétence administrative dans le pays pour faire avancer ces projets. Je trouve que c'est typiquement le genre de dossier où l'on voit bien que si on n'apporte pas de l'expertise, en l'occurrence administrative – pour aider à faire des appels d'offre, à monter des projets, à mobiliser des crédits –, on ne peut pas faire avancer d'autres projets qui sont importants. Il y a donc vraiment besoin de cette ossature administrative et cela justifie de rapprocher les deux agences. Si on avait commencé, comme les Allemands, par avoir une expertise très importante, on ne se poserait pas cette question-là. L'expertise continuerait à vivre et à grandir. Là, on se pose cette question-là effectivement, parce que il y a des complémentarités indispensables qui ne se font pas actuellement, et pire, il y a des concurrences qui empêchent les projets d'aboutir. Je suis favorable à ce rapprochement et comme Hervé Berville le dit, il y a un vrai sujet de gouvernance. Mardi dernier, quand nous avons auditionné le directeur d'Expertise France, un député a demandé que le Parlement valide la nomination du directeur d'Expertise France, comme pour l'AFD. Si j'ai bien compris, le directeur d'Expertise France, est proposé au Gouvernement par le directeur de l'AFD, sans passer par le Parlement. On lui adjoint le directeur de l'AFD comme président du conseil d'administration. Effectivement, sur les sujets de gouvernance, il y a sûrement des problématiques à soulever, mais, au-delà des sujets techniques qu'on ne maîtrise pas forcément toujours, la forme juridique notamment, il y a un problème humain. Je pense qu'il faut que l'expertise reste indépendante politiquement et financièrement. Même s'il y a des aides de l'AFD, Expertise France doit rester indépendante.
Si on essaye de résumer, on peut dire que grosso modo l'AFD a besoin d'un certain nombre de réformes et d'améliorations et que le développement français a besoin de davantage d'expertise. On est tous d'accord là-dessus. En même temps, l'expertise de la France ne peut pas se résumer à l'aide publique au développement. Il va falloir trouver dans le futur projet de loi un modus vivendi qui devrait rendre cela possible. Peut-être cela passera, au contraire de ce qui est prévu aujourd'hui dans la loi, par un conseil d'administration d'Expertise France avec plus de personnalités indépendantes et fortes pour garantir une forme d'autonomie. Cela peut être une des pistes dans la gouvernance qu'on pourra porter. Cela justifie d'autant plus la création de ce groupe de travail co-animé par Bérengère Poletti et par Hervé Berville, ayant pour mission non seulement de regarder les évolutions, les adaptations de notre aide au développement à la crise et à la pandémie que nous traversons, mais aussi de repréciser des orientations dans le futur projet de loi. Je propose que tous les parlementaires – beaucoup sont déjà membres de ce groupe de travail –, qui aujourd'hui ont participé au débat et souhaitent continuer de s'intéresser à ces questions participent à ce groupe de travail et puis, le moment venu, le groupe de travail nous fera des préconisations, en particulier sur ce point extrêmement sensible : comment renforcer la capacité d'expertise de notre politique d'aide au développement et comment, en même temps, conserver cette force d'expertise de la France qui ne se résume pas uniquement à l'aide publique au développement ? Il va falloir trouver quelque chose de pertinent et en même temps de lisible et de simple avant le dépôt du projet de loi.
. Je pense que cela pourrait être intéressant qu'au sein du groupe de travail on puisse auditionner un expert juridique qui nous explique vraiment les conséquences de tel ou tel choix de statut, y compris avec un regard extérieur. Il faudrait qu'il puisse nous expliquer, en fonction du choix qui est fait, quelles sont les conséquences pratiques, notamment en termes d'autonomie de la structure et d'indépendance.
On perçoit bien le fait que la piste de la fusion n'est pas une piste qui nous agréerait. On voit bien qu'on a mis de côté un certain nombre de pistes aujourd'hui.
Nous allons procéder à l'adoption du rapport. Conformément à la décision prise par le bureau de l'Assemblée nationale du 5 mai, l'expression formelle des votes, qui nécessiterait une présence physique, ne vaut que pour les projets de nature législative. Ce serait par exemple le cas, il faudra qu'on se retrouve en présentiel, si demain nous étions saisis d'un projet de convention. Aujourd'hui, nous sommes saisis d'un projet d'avis et comme nous l'avons décidé en bureau de la commission des Affaires étrangères le 6 mai dernier, je vous propose que, s'il n'y a pas d'opinion contraire majoritaire, nous pouvons considérer que l'avis présenté par Bérengère Poletti est adopté et qu'il sera transmis au ministre. Je vous demande donc formellement s'il y a des oppositions… Il n'y a pas d'opposition. L'avis est donc adopté à l'unanimité.
Je pense que nous sommes au début d'une histoire importante qui va continuer à s'écrire dans les mois à venir, avec, j'espère, un projet de loi qui va assez rapidement être inscrit à notre ordre du jour et qui sera la suite logique de ces réflexions.
La séance est levée à 16 heures 30.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Ramlati Ali, Mme Aude Amadou, M. Hervé Berville, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Pierre Cabaré, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, Mme Anne Genetet, M. Michel Herbillon, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Sonia Krimi, M. Mustapha Laabid, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, Mme Brigitte Liso, M. Frédéric Petit, Mme Bérengère Poletti, Mme Isabelle Rauch, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Marielle de Sarnez, M. Buon Tan, Mme Valérie Thomas
Excusés. - M. M'jid El Guerrab, M. Claude Goasguen, M. Bruno Joncour, M. Jean-Paul Lecoq, M. Jean-Luc Reitzer, Mme Liliana Tanguy, M. Sylvain Waserman