Intervention de Hervé Berville

Réunion du jeudi 14 mai 2020 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Berville :

Pour moi, il y a au moins trois sujets et c'est pour cela qu'il faut un débat parlementaire, afin d'aller au cœur de la question.

Premièrement, la question financière. Nous avions un groupe qui était dans une situation financière très compliquée. Le rapprocher de l'AFD – un groupe avec une ossature forte et puissante –, dans les objectifs comme dans la stratégie, fait beaucoup de sens. C'est intelligent. Mais il faut poser comme principe de base le fait que les orientations et les objectifs stratégiques d'Expertise France ne doivent pas se confondre pas avec ceux de l'AFD. Dans notre débat, nous parlons parfois d'Expertise France comme s'il s'agissait d'un outil qui présenterait le même rayonnement en termes de périmètre, d'objectifs et de secteur que l'AFD. En réalité, ce n'est pas le cas et de nombreux secteurs – comme les questions militaires et de sécurité civile par exemple – dans lesquels Expertise France intervient doivent être non seulement préservés, mais également renforcés. Les questions de coopération internationale ne se confondent pas nécessairement avec les questions d'aide au développement. Les questions de coopération internationale vont au-delà – notamment avec des pays qui ne sont pas forcément en voie de développement. L'outil Expertise France, parce qu'il regroupe l'expertise de plusieurs ministères et notamment dans le domaine de la santé, doit être préservé. Oui, il faut ce rapprochement, mais il faut également étendre la capacité d'Expertise France à rayonner dans d'autres régions dans lesquelles l'AFD n'est pas présente, et d'approfondir d'autres secteurs qui ne constituent pas le cœur de métier de l'AFD car ce sont des secteurs où l'aide publique au développement ne peut pas intervenir.

Cela pose la deuxième question, qui est celle du modèle juridique retenu. Je ne suis pas expert du sujet. Ce qui me paraît essentiel dans la question de la gouvernance – et cela la relie à la question de la présence des parlementaires – est que l'État puisse disposer de la main finale sur la stratégie, parce que ce que fait Expertise France va au-delà de l'aide publique au développement. Que ce soit au niveau de la gouvernance ou du statut juridique, il faut que l'État – et donc le politique – garde la capacité d'orienter, de prendre les grandes décisions et d'arrêter les projets qui ne vont pas dans le bon sens. Je ne fais pas de procès d'intention et reste convaincu que l'AFD a des excellentes idées pour améliorer l'outil Expertise France. Mais, tout simplement, la stratégie de l'AFD pour Expertise France n'est pas forcément la même que celle de l'État et des parlementaires. La question de la gouvernance sera intéressante. Je comprends – mais encore une fois il faudra que l'on ait un débat de fond avec l'AFD, Expertise France, les ministères des finances et des affaires étrangères – que le statut d'une société anonyme n'était peut-être pas la meilleure option. La question de l'EPIC a été écartée pour ne pas aboutir au modèle de la SNCF, sauf que, à mon sens, on pouvait faire quelque chose de différent sans tomber dans cet écueil. Encore une fois, je ne suis pas un expert de ces questions et le statut juridique ne conditionne pas forcément l'indépendance et l'autonomie de l'outil Expertise France. Je pense que l'option concernant l'ouverture du capital pose une vraie question et il faut une réponse sur ce sujet.

Troisième point, notre stratégie D'abord, je reste tout de même convaincu qu'avoir l'outil le plus autonome possible est le moyen le plus efficace pour continuer à aller chercher des fonds au niveau européen. L'histoire nous a montré que c'est cette indépendance-là qui a permis d'aller chercher des subventions européennes et d'avoir, en conséquence, la capacité de monter des projets imaginatifs et créatifs. C'est la première chose qui me paraît essentielle. Ensuite, il est vrai que le modèle allemand réussit parce qu'il offre une capacité de dialogue avec les gouvernements locaux qui est indépendante. Les Allemands parviennent à placer leur expertise et leur savoir-faire car ils ne se trouvent pas sous la « tutelle » ou l'intégration d'un grand groupe comme la KfW. De ce qu'on peut lire et entendre, c'est cette autonomie qui permet d'aller chercher des marchés. Je pense qu'il faut vraiment un débat de fond sur cette question-là. Je pose l'autonomie stratégique de l'opérateur comme principe de l'efficacité du dispositif français et de la capacité à répondre à l'objectif, défini par le Président de la République, le ministre des affaires étrangères et notre commission, de placer le plus d'expertise française dans les secteurs qui ont été définis par Expertise France. Celle-ci ne doit pas simplement être une force d'appoint pour les projets développés par l'AFD. Je ne dis pas que c'est ce qui va arriver, mais notre rôle est de faire en sorte que cela n'arrive pas. Il faut poser les bonnes questions au bon moment. Quand on regarde les exemples qui fonctionnent, l'exemple allemand n'est pas celui que l'on est en train de développer aujourd'hui en France.

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