Intervention de Bruno Latour

Réunion du mardi 16 juin 2020 à 18h00
Commission des affaires étrangères

Bruno Latour, sociologue, anthropologue et professeur à Sciences Po Paris :

. Vous avez parlé d'État westphalien, j'avais refusé d'utiliser ce mot mais c'est bien l'État qui est en crise générale. Les procédures que vous avez cartographiées m'intéressent, nous nous y penchons depuis des années à l'École des Mines et à Sciences Po, précisément pour trouver d'autres modes de représentation. J'avais proposé il y a quelques années à vos collègues du Sénat de se saborder et d'être remplacés par des représentants des différents êtres dont dépend notre subsistance. On aurait donc eu un sénateur des forêts, un sénateur des poissons, etc. Nous aurions beaucoup avancé dans la réponse à votre question car on aurait introduit comme représentants – et le GIEC l'a finalement fait en tant qu'institution hybride – les scientifiques pour les intérêts et les transformations des choses de la nature, aux côtés des représentants de la population. Le Sénat représente les territoires. Or, la notion de territoire a changé, ce qui a appelle à faire évoluer le Sénat ainsi que le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Je pense qu'il y a là beaucoup de choses à faire.

J'avais moi-même en 2015, avec des élèves de Sciences Po, pour la COP sur le climat, établi une procédure qui s'inscrit pleinement dans la question que vous posez, pour une cartographie des représentations, en ajoutant aux pays, qui étaient réunis à Paris, des êtres collectifs de la nature, ainsi que les entreprises. Il y avait donc des représentants des États-Unis, du Canada, mais aussi de l'Amazone, des mers, des océans, des industries pétrolières, sous la forme d'une fiction que nous avions appelée « Make it work » et qui essayait d'explorer cette question, qui intéresse de très nombreux juristes et polistes, qui porte sur ce par quoi on va remplacer l'État westphalien. Cette question n'est pas métajuridique, elle est juridique mais porte sur des choses qui sont en train de devenir juridiques. Encore une fois, le GIEC est un exemple intéressant en ce qu'il est hybride. J'ai beaucoup travaillé sur la loi de 1992 sur l'eau, elle avait joué un rôle très important d'invention juridique pour représenter aux yeux des parties prenantes un être naturel, la rivière. Je crois qu'il y a un foisonnement de ces éléments para-juridiques, dont la convention citoyenne pour le climat est un exemple. Je crois qu'il y a là un modèle passionnant, qu'il faudrait plusieurs jours pour explorer.

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