Intervention de Frédérique Dumas

Réunion du mercredi 1er juillet 2020 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Dumas :

Je voudrais faire ici écho à l'enquête du journaliste d'investigation indépendant Thierry Gadault, publiée récemment sur lemediatv.fr concernant l'éventuel financement indirect de Daesh par une société française cotée en bourse, la société Rubis, propriétaire d'importantes infrastructures portuaires et de stockage de pétrole, dans les ports de Dörtyol et de Ceyhan en Turquie. Cette enquête à propos de laquelle, le 2 septembre 2014, questionnée sur les mesures à prendre contre Daesh, l'ambassadrice de l'Union européenne en Irak, Jana Hybášková, avait répondu : « La question essentielle pour l'État islamique, c'est le pétrole. J'en suis convaincue, si ce n'est pas la question clé, alors c'est la première des questions clés. Tout ce que nous pouvons faire et tout ce que vous pouvez faire en tant que parlementaires pour apporter des solutions juridiques intelligentes en matière de sanctions contre tous ceux qui font le commerce de ce pétrole illicite est d'une importance capitale », ajoutant : « Malheureusement, certains États membres européens achètent ce pétrole ».

Quatre mois plus tard, Federica Mogherini, alors Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, précisait : « Le trafic de pétrole par l'État islamique en Irak et au Levant et, ensuite, son éventuel achat non-intentionnel par des États membres de l'UE est dû au fait que le pétrole brut fourni aux raffineries provient de différentes zones, dont certaines peuvent être contrôlées par l'État islamique. Il existe un vaste réseau d'intermédiaires et d'entreprises privées à travers l'Irak qui achètent et revendent du pétrole brut de contrebande. Ce pétrole étant mélangé, on ne connaît pas exactement sa provenance ». En 2016, le gouvernement russe informait le Conseil de sécurité de l'éventuelle implication de la Turquie dans le transport et la vente de pétrole. Comme tous les grands pays dotés de moyens de renseignements performants, la France a donc dû enquêter sur les moyens mis en œuvre pas Daesh pour vendre son pétrole. Interrogé vous-même en tant que ministre de la défense, par la députée Laurence Arribagé durant l'été 2015, vous avez pourtant affirmé que les services de renseignement du ministère de la défense n'avaient recueilli à ce jour aucun élément permettant d'établir l'existence de ces liens. L'enquête de Thierry Gadault montre pourtant que les services de renseignement français ont bel et bien enquêté sur Rubis, et qu'une note sur cette entreprise a été produite.

Interrogé il y a quelques jours par ce journaliste, vous n'avez pas souhaité répondre à ses questions. La mienne est donc la suivante : comment est-il possible que la société Rubis n'ait même pas été identifiée comme ayant – ne serait-ce qu'indirectement voire passivement – pu profiter de ce système très bien organisé de blanchiment du pétrole, alors qu'on assiste à partir de 2014 à une miraculeuse hausse du volume pétrolier provenant de l'Irak, et une hausse importante de l'activité de cette société comme en témoignent ses rapports annuels accessibles à tous et ses propres documents de référence ? L'année 2014 étant l'année de l'instauration du califat de l'État islamique en Irak et en Syrie. Pouvez-vous nous indiquer, dans l'hypothèse où une note des services de renseignement a bien été remontée à l'époque – comme certaines sources l'indiquent et l'affirment – concernant cette société, pourquoi aucune suite ne lui a été donnée ? Et êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à soulever cette question au sein du gouvernement, ne serait-ce que pour y apporter des réponses ?

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