Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mercredi 1er juillet 2020 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Vous avez repris, madame Clapot, l'essentiel de mes propos sur la question de Hong Kong concernant le respect du droit. Nous sommes extrêmement fermes sur le refus de cette loi qui contredit à la fois le principe « un pays-deux systèmes » et la loi fondamentale de Hong Kong. Les Européens ont été unis pour dénoncer cette situation, et nous serons extrêmement attentifs au respect du haut degré d'autonomie et de liberté fondamentale ainsi que de l'indépendance du système judiciaire de Hong Kong. Nous allons discuter entre Européens des mesures à prendre face à cette législation nouvelle que nous condamnons.

M. Quentin s'est réjoui de cette unanimité européenne. Et, puisqu'il l'évoquait, nous avons aussi avec la Grande-Bretagne une collaboration et des échanges réguliers sur des positions qui sont tout à fait proches, voire quasiment identiques. Au sein des ministres des affaires étrangères du G7, nous avions pris position sur la situation à Hong Kong avant même que la loi ne soit adoptée par l'Assemblée nationale chinoise.

Vous avez évoqué le narratif. Il est vrai, madame Clapot, qu'il nous faut trouver les moyens de développer le mieux possible un narratif autour de la sécurisation de l'ensemble des populations. Nous travaillons beaucoup avec les journaux de ces régions pour faire en sorte qu'il y ait une véritable information : cela fait aussi partie de notre manière de lutter contre le terrorisme. Un narratif neutre, exhaustif et indépendant peut éviter la manipulation à laquelle vous faites référence, particulièrement présente dans certains des pays du G5 Sahel.

Les Européens, madame Lakrafi, sont très engagés au Sahel, y compris sur le terrain militaire avec la force Takuba qui va se déployer cet été et qui regroupera treize États européens : l'Estonie est déjà présente, s'y ajouteront la Suède, la République tchèque, etc. Je vous rappelle qu'il y a aussi des Européens – Britanniques et Estoniens – dans la force Barkhane ; dans la mission de formation de l'Union européenne au Mali, EUTM ; dans la mission EUCAP Sahel Niger, pour la formation des forces de sécurité intérieure ; dans la force de la MINUSMA (Mission des Nations Unies au Mali) dont le mandat vient d'être reconduit par l'ONU. Enfin, les Européens sont très présents dans le programme Alliance Sahel, qui n'est pas un système parallèle de différents organismes autonomes : nous nous attachons à une coordination et une synergie au plus près du terrain de tous les acteurs.

Vous avez souligné que certains pays, tel le Mali ou le Burkina Faso, étaient plus fragiles que d'autres et je partage votre sentiment. L'un des piliers du sommet de Pau est bien de renforcer la solidité des États pour éviter que certaines parties du territoire ne fassent l'objet d'une préemption par des groupes terroristes ou affiliés.

Pour le Proche-Orient, nous avons fait part de notre position. Nous agissons auprès de tous ceux qui peuvent avoir une influence auprès des autorités israéliennes pour les dissuader d'appliquer ces mesures d'annexion, quelle qu'en soit l'ampleur. Nous portons une grande attention à ce que les pressions soient exercées afin qu'un dialogue puisse être renoué entre les autorités palestiniennes et israéliennes. Renoncer aux annexions est aussi l'intérêt d'Israël : nous sommes tout à fait intransigeants sur la sécurité d'Israël, et le fait d'avoir deux États cohabitant dans le respect mutuel lui assurerait justement une sécurité beaucoup plus forte. La logique d'annexion est à mon avis une logique d'insécurité pour l'État israélien. C'est ce que nous disons à tous nos interlocuteurs, y compris à M. Gabi Ashkenazi, le nouveau ministre des affaires étrangères israélien, à qui j'ai fait part à plusieurs reprises de ces observations.

« Qu'allons-nous faire ? » monsieur Lecoq, je vous réponds simplement que ces annexions n'ont pas encore été faites et que, si elles l'étaient, de tels actes ne pourraient pas rester sans conséquences, à la fois sur la coopération entre l'Union européenne et Israël et sur les relations bilatérales. Nous ne pouvons pas laisser sans riposte ce type de violation du droit international. Mais j'espère que les autorités israéliennes prendront en considération la pression internationale qui se fait de plus en plus forte, et ne conduiront pas cette annexion qui était autorisée à partir du 1er juillet.

Vous m'avez demandé des compléments d'information sur le Liban. J'ai exprimé toutes nos préoccupations mais je n'ai effectivement pas précisé que nous sommes aussi soucieux que soit conservé le principe de dissociation, que les autorités libanaises ont préservé jusqu'à présent. Ce principe – la dissociation des conflits se déroulant autour du pays et le respect de l'intégrité du Liban – est essentiel. J'espère que les efforts que nous entreprenons seront couronnés de succès, mais la situation est très préoccupante.

La liste des pays aux ressortissants desquels nous rouvrirons les frontières a été établie au niveau européen, et nous ne reconnaissons pas Taïwan comme un état indépendant. Mais un traitement spécifique peut être envisagé pour ce territoire. Mme Trisse et Mme Genetet m'ont posé d'autres questions au sujet de la réouverture de nos frontières. Je croyais avoir été clair dans mon propos introductif : il s'agit d'une liste de quatorze pays plus un, puisque la Chine y figure sous condition et j'ai expliqué pourquoi. Je répète que nous avons pris en considération le taux d'incidence, la solidité et la résilience des systèmes de santé, les mesures de protection adoptées dans ces pays, la fiabilité des données et les critères de réciprocité. Voilà l'ensemble des critères pris en considération par la Commission pour établir cette liste, qui sera révisée tous les quinze jours. C'est une liste plafond d'engagements que nous pouvons tenir, mais que les pays membres ne sont pas obligés d'appliquer intégralement. Vous dites, Mme Genetet, que le Japon n'a pas encore mis en œuvre de réciprocité : c'est vrai. Mais si nous lui ouvrons nos frontières, c'est justement pour qu'il fasse de même à notre égard. C'est une démarche d'impulsion et de pression.

Je suis tout à fait disposé à regarder les exemptions qui pourraient être prises en compte. Il en existe déjà pour les professionnels de santé, les travailleurs saisonniers, les étudiants, mais s'il y a d'autres cas particuliers, nous pouvons les examiner et éventuellement les prendre en considération. Depuis le mois de mars dernier, nous n'avons pas lésiné sur le soutien à ces prises en compte, et nous allons poursuivre. J'espère que, progressivement, dans les jours ou le mois qui viennent, les mesures d'assouplissement pourront se multiplier. Mais il faut rester très vigilant.

Je connais, monsieur David, votre préoccupation concernant le site gazier de Balhaf au Yémen. Je vous rappelle qu'en 2017, le gouvernement officiel du Yémen a réquisitionné le site de la société Yemen LNG, dont Total est actionnaire. C'était une réquisition officielle par un gouvernement en temps de guerre et il n'y a plus de personnel de Total sur le site. Les équipes locales ont décidé de scinder le site en deux. Ils ont construit un mur entre cette usine, qui produit encore un peu d'électricité pour les villages environnants, et l'autre partie du site entre les mains de la coalition en dehors de tout contrôle effectif de l'entreprise. Voilà les informations en ma possession.

Monsieur Lecoq, la position du groupe E3, c'est-à-dire la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France, sur le JCPoA demeure bien de rester unis, d'œuvrer à la préservation de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien, et si possible en concertation avec la Russie et la Chine. Nous nous sommes réunis il y a quelques jours à Berlin, pour constater notre accord pour poursuivre en ce sens et faire en sorte que l'accord de Vienne perdure. Ce n'est pas facile puisque les activités nucléaires iraniennes se poursuivent en violation du JCPoA, mais nous sommes déterminés à faire passer nos messages le plus efficacement possible pour que l'Iran accède aux demandes formulées par l'Agence internationale de l'énergie atomique. Il s'agit de vérifier sur son territoire la mise en œuvre des engagements pris par l'Iran. Nous restons convaincus que c'est la seule bonne solution pour éviter tout accès de l'Iran à l'arme nucléaire. Il importe d'être vigilant mais aussi très déterminé, et nous souhaitons que les Iraniens nous entendent.

Quant à la conférence d'examen du TNP, elle a été reportée en raison de la crise liée au covid-19. Nous souhaitons qu'elle soit reprogrammée car les enjeux sont très importants : la non-prolifération dans le cadre notamment de la préservation du JCPoA, l'usage pacifique du nucléaire, ensuite le désarmement nucléaire. Dans son discours du 7 février dernier à l'École de guerre, le Président de la République a parfaitement exprimé la position de la France à ce sujet.

Je répondrai à M. Mbaye qu'une clarification est nécessaire avec la Turquie, je l'ai déjà dit à plusieurs reprises. Le fait en particulier que lors d'une mission menée dans le cadre de l'OTAN et de l'opération Sea Guardian, un navire français ait fait l'objet d'une manœuvre hostile de la part d'un navire de guerre turc, est tout à fait préoccupant. Le navire français répondait aux ordres de l'état-major de l'OTAN et le navire turc fait également partie des forces de l'OTAN. Il n'est pas possible de rester dans cette situation. Par ailleurs, il y a cette présence très forte et renouvelée de la Turquie en Libye, sans tenir aucun compte de l'embargo. J'ajoute, en Méditerranée orientale, des interventions de forage dans des secteurs qui ne correspondent pas à la zone économique exclusive de la Turquie, mais à celles de la Grèce et de Chypre. Tout cela nous pose question, et nécessite une clarification le plus rapidement possible avec la Turquie. On ne peut pas rester dans ce statu quo, avec une multiplication des situations conflictuelles.

Je me suis rendu à Madagascar en février dernier, madame Kuric, où j'ai rencontré longuement le Président Andry Rajoelina avec qui nous avons abordé l'ensemble des questions maritimes et des questions bilatérales. Nous avons notamment décidé de créer une commission mixte franco-malgache pour avancer sur le dossier des îles Éparses. Nous avons certes un point de désaccord, mais aussi une volonté commune de trouver des solutions dans un cadre respectueux et amical, dans un esprit de dialogue et de confiance. La confiance est là, puisque les échanges que j'ai eus avec les autorités malgaches au plus haut niveau ont été très fructueux. Nous avions prévu une deuxième séance de travail pour cette commission mixte et elle aurait dû se tenir pendant la période de pandémie. Elle sera reprogrammée lorsque les frontières seront ouvertes. Je suis bien évidemment au courant la déclaration de la Communauté de développement de l'Afrique australe. Mais elle n'empêche pas la qualité des discussions que nous pouvons avoir avec les autorités malgaches.

Il n'y a pas, monsieur Julien-Laferrière, de nouveaux crédits concernant Santé en commun, cette opération devant permettre au continent africain de surmonter les difficultés liées à la pandémie. Il s'agit de réaffectations dictées par cette priorité du moment pour un montant d'1,2 milliard d'euros, sous réserve que l'AFD en particulier se mobilise pour que ces crédits soient dépensés rapidement, soit en donnant aux États un peu plus de facilités financières pour renforcer leur système de santé, soit en menant des opérations de soutien et d'appui aux autorités sanitaires sur des cas précis. Je pense notamment à la nécessité d'améliorer les diagnostics et de développer les tests, avec par exemple. l'Institut Pasteur ou un certain nombre d'hôpitaux. C'est la destination de ce 1,2 milliard réaffecté.

En revanche, il y a des crédits nouveaux pour d'autres sujets liés à la situation, en particulier l'engagement annoncé par le Président de la République dans l'initiative ACT A à hauteur des 510 millions. Cela ne concerne pas uniquement l'Afrique ; le périmètre est plus large. Mais il s'agit bien de la lutte contre les effets de la pandémie. L'engagement français est également présent dans le Gavi, l'Alliance du Vaccin, qui œuvre pour la diffusion des vaccins et qui permettra, lorsque le vaccin sera trouvé, d'en faire une distribution active. Car vous savez ce qu'on dit souvent : « les molécules sont au Nord et les malades sont au Sud ». Nous avons donc renforcé nos financements dans ces deux domaines, et activé les financements spécifiques à l'Afrique pour Santé en commun.

La trajectoire de l'aide publique au développement est maintenue avec un objectif de 0,55 % du RNB en 2022. Le texte de loi sera examiné en Conseil des ministres normalement au mois de septembre. Mais je veille comme vous – et je sais que votre commission y sera sensible – à ce que nous ayons aussi des cibles en valeur absolue afin d'éviter que la baisse du RNB ne se traduise par une baisse du financement de l'aide au développement.

Enfin, madame Dumas, je suis ouvert à tout examen du dossier que vous évoquez. Je n'ai pas d'informations particulières, alors que vous semblez en avoir beaucoup. Je vous remercie donc de m'en faire part, car je souhaite que toute la lumière soit faite.

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