Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mercredi 1er juillet 2020 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Monsieur Habib, j'ai aussi du respect et de l'amitié pour vous. Cela ne m'empêche pas d'être en désaccord avec ce que vous aviez dit en mai dernier, qui m'avait amené à faire preuve d'une grande fermeté à votre égard. Vous aviez dit que je menais une croisade diplomatique contre Israël. Et là, ça ne va pas ! Autant pour le reste, on peut discuter, avoir des appréciations et des positions différentes, mais là, ce n'est pas possible. C'est la raison pour laquelle j'ai été ferme avec vous, lorsque vous m'avez interpellé de cette façon.

Moi, je parle avec M. Gabi Ashkenazi, le nouveau ministre des affaires étrangères israélien. Je lui dis ce que je pense. Je ne peux pas encore le rencontrer à cause du covid-19 mais nous échangeons et nous faisons part de nos observations. Tous les arguments que j'ai développés concernant le règlement de la paix au Proche-Orient sont connus, ses arguments à lui sont connus : nous avons un différend, constatons-le, mais continuons à échanger.

Vous avez également évoqué la Turquie, et j'en profite pour répondre également à M. Dupont-Aignan. À notre demande, il y aura le 13 juillet une réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne consacrée uniquement à la question turque. Je précise également à M. Dupont-Aignan que des sanctions ont déjà été prises à l'encontre de la Turquie par l'Union européenne, en particulier pour les forages que la Turquie menait dans la zone économique maritime de Chypre. Pour marquer notre posture, d'autres sanctions peuvent être envisagées, mais cela a déjà été le cas. Nous faisons preuve également d'une très grande fermeté sur le dossier migratoire. Aujourd'hui même, la France a décidé de retirer la frégate Courbet de l'opération de l'OTAN Sea Guardian, tant qu'aucune clarification n'aura été fournie sur la coordination de la mission IRINI de l'Union européenne – qui est destinée à empêcher la rupture de l'embargo sur les armes – et de la mission Sea Guardian de l'OTAN de dimension proche mais pas identique. Il nous faut impérativement clarifier les rôles des uns et des autres, et les règles de comportement. Notre comportement n'est pas inactif, nous faisons preuve de fermeté et nous agissons.

Madame Ali, oui, à Hong Kong il y a des risques pour nos ressortissants, qui peuvent être soumis à un certain nombre de dispositions liées à la loi qui vient d'être adoptée. La définition des infractions est très large et nous veillons à tenir informés nos compatriotes qui vivent à Hong Kong des menaces que présente l'application de ce texte.

Monsieur Girardin, il est vrai que la situation en Amérique du Sud est très préoccupante, puisqu'elle est devenue aujourd'hui l'axe central du développement de cette pandémie. C'est une région très importante pour nous, parce que nous partageons avec elle des valeurs de démocratie, de coopération internationale, de multilatéralisme. La France est aussi un pays d'Amérique du Sud et sa plus longue frontière terrestre est d'ailleurs entre le Brésil et la Guyane. La situation est très préoccupante à la fois sur le plan social, sur le plan sanitaire et sur le plan écologique avec les risques pour les forêts tropicales. Vous avez raison de souligner la nécessité d'un partenariat renforcé avec les pays d'Amérique latine.

Nous avons remobilisé l'AFD sur les pays d'Amérique latine. Je m'y suis rendu quatre fois. Nous souhaitons agir en direction des sociétés civiles pour éviter que les crises ne se transforment en situations plus dramatiques et pour que des mesures soient prises au niveau international contre la récession, mesures auxquelles nous pourrons contribuer.

Vous avez raison, monsieur Joncour, de signaler le côté très inquiétant de la situation au Burkina Faso, à la fois, sur la faiblesse de l'État, sur les risques terroristes et sur les conflits de communautés notamment autour des populations peules et de quelques autres ethnies. Nous avons considéré qu'il y avait une priorité à donner à ce pays dans les aides que nous avons apportées : nous sommes passés d'1,9 million en 2019 à plus de 5 millions cette année. Je précise par ailleurs que nous avons organisé avec nos partenaires danois un vol du pont aérien humanitaire que j'ai évoqué, ce qui montre combien nous jugeons ce pays prioritaire. Le Président de la République s'est entretenu avec le Président Kaboré, hier à Nouakchott, car le pays est dans une situation difficile. Il y a près de 850 000 déplacés dans ce pays et la détérioration de la situation sanitaire est considérable. L'élection présidentielle se tiendra au mois de décembre au Burkina Faso et nous souhaitons qu'elle puisse se dérouler dans les meilleures conditions.

Sur le Mali, je n'ai pas l'information que vous me demandez, monsieur Dupont-Aignan et je ne peux pas vous répondre avant de me renseigner.

Madame Krimi, vous abordez un sujet qui concerne plutôt Bruno Le Maire. Nous sommes dans le même gouvernement, nous travaillons beaucoup et nous nous battons beaucoup ensemble sur ce sujet. L'enjeu est double : relocaliser les activités productrices stratégiques – je pense aux médicaments mais aussi à des activités lourdes liées à notre autonomie stratégique – et réussir la transition écologique et la transition numérique en toute souveraineté. Il faut parvenir à un changement en profondeur de notre outil industriel. C'est aussi une préoccupation européenne : le plan de relance que j'évoquais est essentiel pour réussir cette réindustrialisation indispensable.

Merci, monsieur El Guerrab d'avoir exprimé votre gratitude pour l'action que les services que je dirige ont menée pour permettre aux Français, autant qu'on pouvait le faire, de retourner en France par des moyens appropriés. Je vous précise d'ailleurs que les Français de l'étranger peuvent revenir en France : la frontière n'est pas fermée aux Français qui sont à l'étranger, sous réserve d'un protocole sanitaire à suivre et sous réserve, évidemment, de trouver un moyen de transport. On ne peut pas mettre en œuvre un moyen de transport adapté à chaque personne. Il y a une contrainte mondiale, c'est ce coronavirus, et cela pose des problèmes à tout le monde, y compris à nos concitoyens à l'étranger. Quant à pouvoir retourner à l'étranger, cela peut effectivement leur être moins simple.

Je n'ai pas à me prononcer sur la position du roi des Belges sur les enjeux mémoriels. Je pense qu'il importe que nous ayons sur ces enjeux un dialogue apaisé des mémoires. Dans son allocution du 14 juin, le Président de la République avait déclaré : « Nous devons regarder lucidement ensemble toute notre histoire, toutes nos mémoires, notre rapport à l'Afrique en particulier pour bâtir un avenir possible d'une rive à l'autre de la Méditerranée avec une volonté de vérité. » C'est également ma propre conviction. Et dans cet état d'esprit, symboliquement, je suis très heureux que certaines œuvres du patrimoine culturel africain qui se trouvaient exposées dans les musées français puissent retourner en Afrique. Cette restitution est importante, significative et symbolique de notre volonté d'être contributeurs des enjeux mémoriels liés à l'époque coloniale.

Je me suis déjà beaucoup exprimé sur les sujets de santé mais je vais ajouter un point pour Mme Tanguy, qui m'interroge sur la gestion des enjeux mondiaux de santé, sur l'OMS. Je l'ai dit, nous pensons que l'OMS est l'outil de l'action collective, du multilatéralisme dans le domaine de la santé – de toute façon, il n'y a pas d'autre instrument –, mais il faut que cet outil se réforme. Le lancement d'une mission d'évaluation de la gestion de la pandémie a été décidé lors de l'Assemblée mondiale de la santé qui s'est tenue mi-mai à Genève. C'est une bonne chose. L'Assemblée mondiale de la santé doit se réunir à nouveau à la fin de l'année pour aborder les mutations indispensables de l'OMS.

Par ailleurs, il nous faut agir dans plusieurs directions. Le règlement sanitaire international existe mais il n'est pas suffisamment appliqué et pas suffisamment contraignant. Il faut également établir une gradation du niveau d'alerte. Il faut définir un mécanisme de réaction rapide de vérification. Et la France souhaite qu'on puisse créer au sein de l'OMS un Haut conseil de la santé humaine et animale qui pourrait jouer le même rôle que le GIEC, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, c'est-à-dire un outil indépendant qui puisse à la fois établir des diagnostics et faire des préconisations. Enfin, il faut améliorer le mode de financement de l'OMS, pour qu'elle bénéficie d'une vraie autonomie et d'une vraie indépendance.

L'OMS est un vrai enjeu de bonne coopération internationale, de multilatéralisme, elle ne doit pas être un enjeu de politique intérieure ni d'un affrontement entre les États-Unis et la Chine.

J'ai pris le temps de beaucoup parler du Liban parce que je pense que c'est essentiel pour la France. Et il s'agit aussi d'un sujet lié à l'éducation et à la formation. Je vous confirme, madame Cazebonne, le soutien fort que nous voulons apporter aux écoles de ce pays qui sont des éléments clés de notre influence et de la poursuite de l'enseignement de la langue française dans ce pays. Vous avez annoncé un chiffre : je ne suis pas loin du vôtre, mais je préférerais faire une évaluation plus précise. De mémoire, il y a 61 000 élèves dans les écoles françaises au Liban, ce qui correspond à 15 % des 370 000 élèves qui sont scolarisés dans les écoles françaises dans l'ensemble du monde. Vous avez eu raison d'appeler mon attention sur ce sujet. Nous nous en occupons.

Enfin, monsieur Nadot, merci de votre contribution sur le Cameroun. J'ai rappelé tout à l'heure qu'une commission avait été créée après les drames de Ngarbuh et qu'elle avait permis de dégager des responsabilités et d'ouvrir des procédures judiciaires. Il importe qu'elles se poursuivent et nous affirmons notre volonté de les voir aller à leur terme. Nous sommes par ailleurs choqués du décès en prison du journaliste Samuel Wazizi, le 2 juin dernier, et nous souhaitons que les autorités camerounaises mènent une enquête indépendante sur les circonstances de sa mort. Quant au cas de M. Amadou Vamoulké, je répète que nous sommes tout à fait attentifs au fait qu'il puisse avoir un procès équitable et nous menons les actions partout où nous le pouvons pour que ce soit le cas.

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