Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mercredi 7 octobre 2020 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Je vous remercie et souhaite transmettre à votre présidente mes meilleurs vœux de rétablissement. Notre dernière rencontre date de plusieurs semaines. Comme vous l'avez rappelé, il s'est passé beaucoup de choses depuis lors – en particulier au mois d'août, début septembre et début octobre. L'actualité est chargée.

Je vais essayer de répondre au moins à une partie de vos questions et pourrai compléter mon propos la semaine prochaine, voire à l'occasion d'une autre réunion si nous ne pouvons aller au bout des différents sujets abordés.

Cette réunion intervient dans un calendrier diplomatique chargé. Le Conseil européen s'est réuni il y a quelques jours et un nouveau Conseil se tiendra mi-octobre. Les relations entre les chefs d'État et de gouvernement des vingt-sept États membres sont donc marquées par une certaine intensité. Parallèlement, l'Assemblée générale des Nations unies est en train de s'achever. Cela est passé peut-être un peu inaperçu. Il s'agit en effet d'une Assemblée générale un peu particulière, car virtuelle. Elle s'est néanmoins tenue. Cela a permis à cent vingt chefs d'État et de gouvernement de prendre la parole. J'ai fait pour ma part l'expérience singulière d'assister à un Conseil de sécurité des Nations unies en visioconférence. Je me trouvais à Amman, quand un autre participant était à New York, un autre à Berlin, etc. Nous avons souhaité de cette façon pérenniser le multilatéralisme. La forte participation à cette Assemblée générale – qui donne lieu généralement à de nombreux débats à New York – est le signe d'une volonté de maintenir des espaces de dialogue dans un monde qui en a bien besoin. Nous avons également pu tenir des réunions le 5 octobre sur le Liban, la Libye, la République centrafricaine (RCA) ainsi que sur d'autres sujets de conflictualité.

La coopération internationale, le multilatéralisme, l'action collective sont plus que jamais nécessaires. Une réunion de l'Alliance pour le multilatéralisme, créée il y a un an à New York par le ministre des affaires étrangères allemand et moi-même, s'est également tenue récemment avec succès. Elle a rassemblé soixante-dix ministres des affaires étrangères en visioconférence.

Vous m'avez interpellé sur de nombreuses crises. J'évoquerai tout d'abord le Liban. Comme vous l'avez rappelé, le Président de la République s'est rendu sur place juste après l'explosion survenue sur le port de Beyrouth, le 6 août, puis de nouveau le 1er septembre. Avant d'accompagner le Président de la République, je m'étais moi-même rendu une première fois à Beyrouth fin juillet.

La France s'est fortement mobilisée pour répondre à la catastrophe, à travers le Centre de crise et de soutien (CDCS) du Quai d'Orsay, mais également par l'action des collectivités territoriales et des organisations non gouvernementales (ONG). Je tiens à souligner cette solidarité significative. Le pont aérien et maritime a été apprécié par le peuple libanais. Nous avons insisté pour que toutes les capacités de secours humanitaires soient dirigées vers le peuple libanais et les ONG libanaises et ne passent pas par le dispositif étatique. Nous y avons veillé de près. L'ensemble des contributions physiques affectées au Liban a ainsi été centralisé sur l'hippodrome situé en face de la Résidence des Pins – résidence de l'ambassade de France –, où s'effectuait la distribution de l'aide humanitaire immédiate auprès des acteurs de terrain.

Une réunion spéciale des Nations unies s'est également tenue le 9 août à l'initiative de la France pour mobiliser des financements. À cette occasion, 250 millions d'euros ont été réunis, ce qui a permis d'élargir les contributions des uns et des autres et d'obtenir une vraie mobilisation internationale, que nous avons pu constater sur place le 6 août comme le 1er septembre. J'étais à Marseille quelques jours auparavant pour assister au départ de l'opération « Un bateau pour le Liban » coorganisée par mon ministère, les collectivités régionales et locales du sud de la France et la Compagnie maritime d'affrètement – Compagnie générale maritime (CMA-CGM). Tout ceci montre la forte solidarité de la population française à l'égard de la population libanaise. Ce n'est pas le moment d'arrêter ! Il faut poursuivre les efforts dans cette direction, la situation comme l'état de la population au Liban demeurant très préoccupants.

Vient s'ajouter l'arrivée de la covid-19 au Liban, qui avait jusqu'à présent été relativement épargné par la pandémie. Cette dernière se diffuse malheureusement assez rapidement. Cela nécessite donc la poursuite d'un accompagnement vigoureux, que nous organiserons dans les jours à venir. Conformément aux engagements que nous avions pris, se tiendra courant novembre une réunion de soutien humanitaire au Liban consacrée, après l'urgence, à l'étape de la reconstruction. La France sera à l'initiative avec les Nations unies.

Mais il ne faudrait pas que cette catastrophe occulte le drame politique libanais. L'exigence portée par la France est que le pays prenne les mesures nécessaires pour sortir de l'ornière. Cette exigence est partagée par le Groupe international de soutien au Liban (GIS) que j'ai réuni à deux reprises depuis un an. L'urgence est de faire en sorte que les réformes qui font consensus dépassent le stade du discours, sous la direction d'un gouvernement de mission – de combat – susceptible de les concrétiser.

Le Président de la République a proposé ces orientations aux forces politiques libanaises le 1er septembre. Le Premier ministre nommé à l'époque, Mustapha Adib, a tenté de composer un gouvernement sur ces bases, mais n'y est pas parvenu. Le gouvernement de gestion provisoire en place ne peut pas durer. Sur la base de la feuille de route sur laquelle les différents partis politiques libanais se sont mis d'accord, il importe à présent qu'un gouvernement d'action soit constitué dans l'intérêt du Liban – le risque étant la dislocation, voire la disparition, s'il ne se concrétise pas.

Je suis extrêmement mobilisé. Il nous faut agir en permanence en ce sens. Une nouvelle réunion du GIS se tiendra dans quelques jours pour renouveler nos souhaits de mise en œuvre de cette logique, qui est partagée – au moins dans les discours – par toutes les formations politiques identifiées au Liban, mais n'aboutit pas. La population est dans l'angoisse, l'inquiétude, la tristesse, et parfois la révolte. Celle-ci ne s'exprime plus dans les rues, le coronavirus empêchant les manifestations. La situation n'en est pas moins préoccupante.

Certaines déclarations ont été faites, mais l'essentiel est que la feuille de route sur laquelle les groupes politiques se sont mis d'accord soit mise en œuvre par un gouvernement d'action. Or, jusqu'à présent, il n'est pas au rendez-vous. Il appartiendra au président Aoun de proposer un nouveau Premier ministre susceptible de réaliser cette convergence.

Soyez sûrs que la France n'abandonnera pas le Liban et les Libanais. Je suis particulièrement vigilant et très attentif à tout ce qui s'y passe.

Au Mali, un coup d'État s'est effectivement produit en août, que nous avons condamné. Ce coup d'État a été réalisé à l'initiative d'un groupe de colonels mené par le colonel Goita. Quelque temps plus tard, le président Ibrahim Boubacar Keïta a démissionné. Il est désormais retranché à Abidjan.

Nous avons souhaité que la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) pilote la médiation afin que les principes qu'elle met en avant, avec raison, s'appliquent : une transition courte, le transfert du pouvoir de la junte à des autorités civiles, et la constitution d'une charte de transition permettant d'aboutir à une nouvelle dynamique malienne. Le médiateur de la CEDEAO, M. Goodluck Jonathan, ancien président du Nigeria, a réalisé plusieurs missions à Bamako. Les chefs d'État et de gouvernement de la région se sont également mobilisés pour parvenir à un résultat.

On peut souligner certaines avancées. Un président de transition, civil, a été nommé. Il s'appelle M. Bah N'Daw. M. Moctar Ouane a été nommé Premier ministre le 27 septembre. Ancien ministre des affaires étrangères dans un gouvernement bien antérieur, il est relativement respecté. Il a composé un gouvernement assez inclusif le 5 octobre. Les autorités maliennes s'étant également dotées d'une charte de transition, la CEDEAO a considéré le 6 octobre qu'il était possible d'entrer en discussion et d'aller vers une reconnaissance du nouveau dispositif. L'Union européenne a fait de même, tout comme la France. Nous allons accompagner la démarche de la CEDEAO. J'ai l'intention de me rendre prochainement au Mali, afin d'œuvrer à la meilleure insertion de ce pays dans le dispositif de la CEDEAO et du G5 Sahel (G5S), de rencontrer les nouvelles autorités et de veiller au bon respect de la charte de transition. Les sanctions engagées par les pays voisins contre le Mali sont levées depuis le 6 octobre. Cela devrait permettre d'avancer vers une nouvelle donne.

Nous sommes conscients de la nécessité d'accompagner cette transition pour aboutir à de nouvelles élections dans dix-huit mois. Cependant, cela ne doit pas nous conduire à relâcher nos efforts dans la lutte contre le terrorisme. L'opération Barkhane s'est d'ailleurs poursuivie pendant toute la période. La dynamique de Pau a produit ses effets, à travers des succès militaires. Une certaine confiance est en train de revenir entre les différents acteurs impliqués. Nous poursuivrons les efforts en ce sens. Mon déplacement à Bamako permettra de faire un point avec tous les partenaires du G5 Sahel.

Vous m'avez aussi interrogé sur la Méditerranée centrale et orientale, où une montée des tensions est survenue, également au mois d'août – les crises du Liban, du Mali et de la Méditerranée centrale et orientale se sont produites la même semaine…

Cette zone – en particulier la Méditerranée orientale – a toujours connu certaines tensions, notamment concernant la définition des frontières maritimes. Cependant, ces tensions se sont accrues récemment en raison de la découverte de potentiels gisements de gaz et de l'arrivée de candidats pour leur exploitation. Cela a conduit la Turquie à remettre en question les délimitations maritimes établies dans le respect des accords de Montego Bay – c'est-à-dire du droit maritime international que la Turquie ne reconnaît pas.

Nous sommes amenés à agir pour notre sécurité et la défense de nos intérêts. Les actions unilatérales menées par la Turquie portent non seulement atteinte à la souveraineté de la Grèce et de Chypre, mais également à celle de l'Union européenne dans son ensemble. Nous avons réaffirmé à plusieurs reprises dans cette affaire notre solidarité avec Athènes et Nicosie. Il est essentiel que les États membres maintiennent un front uni face à la volonté d'Ankara de délimiter des zones ou des juridictions maritimes par la seule politique du fait accompli, en contradiction avec le droit international.

Des tensions sont survenues. Un discours de fermeté a été tenu lors du dernier Conseil européen. Certains pays de l'Union européenne pouvaient avoir la tentation d'adopter une attitude plus molle, mais les résultats de ce Conseil ont été conformes à nos principes : les atteintes à la souveraineté des pays membres doivent cesser ; l'Union européenne est prête à identifier toutes les options, y compris des mesures dissuasives et des sanctions contre la Turquie si celle-ci n'engage pas une désescalade avant le Conseil européen de décembre.

Cela a produit quelques effets. Le dialogue s'est noué avec la Grèce. Le navire turc Oruç Reis, jusqu'à présent déployé au large de l'île grecque de Kastellórizo, est rentré au port. C'est un signal encourageant. Le retour au port annoncé d'un bateau situé dans les eaux chypriotes a constitué un deuxième acte. Il reste toutefois encore un bateau. Nous ne sommes pas au bout de cette affaire. La fermeté du discours a permis néanmoins cette évolution. Le Président de la République s'est entretenu fermement avec le président Erdoğan. Les pourparlers exploratoires en cours sont un signe plutôt positif. Cependant, il faut que maintenir notre fermeté et notre unité.

Je me réjouis aussi que la fermeté française ait été reconnue dans sa justesse après les manœuvres hostiles effectuées par un bâtiment de la marine turque à l'encontre d'une frégate française, le Courbet, qui ne faisait qu'exécuter les ordres de la chaîne de commandement de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) pour surveiller les flux illégaux en Méditerranée. J'ai rencontré le secrétaire général de l'OTAN. Les mesures prises pour éviter de renouveler ce type de comportement me paraissent utiles. En outre, lors du conseil des affaires étrangères du 21 septembre, les vingt-sept ont adopté à l'unanimité des sanctions pour violation de l'embargo à l'encontre d'une compagnie aérienne et de deux compagnies maritimes, dont l'armateur turc du Çirkin – propriétaire du bateau identifié dans l'opération que je viens de citer.

Voilà où nous en sommes sur la Méditerranée orientale – un calendrier, une fermeté des propos, un rendez-vous. En fonction de ce calendrier, les Turcs doivent prendre des mesures. Des discussions sont en cours avec la Grèce – je rencontre mon collègue grec le 8 octobre – pour aboutir à une délimitation des frontières partagée par tous. Il faut rester ferme sur la clarification attendue de la part d'Ankara. L'étape suivante consisterait à constater le retrait par la Turquie de tous ses bateaux dans la zone économique exclusive (ZEE) de Chypre.

La situation du conflit au Haut-Karabagh est très grave. C'est pourquoi notre mobilisation politique est très forte. Depuis 1994, la France a mandat de l'OSCE pour valider le cessez-le-feu. En effet, à partir de 1991 – c'était la fin de l'Union soviétique –, un conflit s'est produit à l'Azerbaïdjan et l'Arménie sur le statut du Haut-Karabagh, enclave de population arménienne au milieu de l'Azerbaïdjan. Des discussions entre les différentes parties ont à l'époque été engagées sous la coresponsabilité des États-Unis, de la France et de la Russie – ce que l'on a appelé le Groupe de Minsk.

Cela nous a amenés à publier le 5 octobre un communiqué, qui vous a peut-être paru surprenant, signé conjointement par Mike Pompeo, Sergueï Lavrov et moi-même, coprésidents du Groupe de Minsk, pour demander l'arrêt des combats et l'ouverture de négociations. Ce communiqué est d'une grande fermeté à l'égard des uns et des autres. Nous souhaitons qu'il soit entendu.

Les victimes civiles sont nombreuses, et les avancées territoriales de l'Azerbaïdjan, qui a initié le conflit, faibles. Ce dernier se poursuit. Nous souhaitons que chacun comprenne que son intérêt est d'arrêter immédiatement les hostilités sans conditionnalité, et d'ouvrir une négociation sous le parrainage du Groupe de Minsk.

La nouveauté réside dans l'implication militaire de la Turquie, qui risque d'alimenter l'internationalisation du conflit – ce que nous ne souhaitons pas. Nous affichons clairement notre volonté de faire en sorte que le compromis consistant à renoncer à toute conditionnalité et à respecter le cessez-le-feu pour entrer en négociation puisse aboutir à une solution positive partagée, même si cela prend un peu de temps. Je suis en relation journalière avec les acteurs concernés. Il en va de même pour mon collègue russe et pour l'adjoint du secrétaire Pompeo.

Pour l'instant, nous n'avons pas abouti. Le conflit dure depuis onze jours. Des réunions sont prévues le 8 octobre à Genève. D'autres se tiendront le 12 octobre à Moscou. Nous formulons le vœu qu'elles aboutissent à l'ouverture de négociations. Le cessez-le-feu ne peut être conditionnel, sinon l'on ne s'en sort pas ! Il faut arrêter les hostilités, se mettre autour d'une table et prendre le temps de discuter pour se mettre d'accord sur une situation permettant à tous de vivre normalement.

Vous avez évoqué le risque de « syrianisation » de la Libye. C'est une réalité que j'exprime depuis déjà plusieurs mois. Les ingérences étrangères et l'afflux de mercenaires depuis la Syrie, ainsi que les violations de l'embargo, alimentent la dégradation de la situation. Ces ingérences sont essentiellement le fait de la Turquie, mais aussi de la Russie. Tout cela représente une menace directe pour nos intérêts de sécurité et de souveraineté.

La trêve sur la ligne Syrte-Joufra est plutôt positive, mais elle est toujours fragile tant qu'elle ne se transforme pas en cessez-le-feu. Une trêve n'est pas un cessez-le-feu : un cessez-le-feu consiste à négocier, une trêve est un constat. Nous nous mobilisons avec nos partenaires européens, notamment avec les Italiens et les Allemands, pour consolider la cessation des hostilités et engager une discussion, d'abord militaire, dans le cadre des accords dits de Berlin, acceptés par tous les acteurs en janvier 2020. Un comité militaire mixte, le 5+5, doit permettre d'aboutir progressivement à la transformation de la trêve en cessez-le-feu.

Dans le domaine économique, la situation évolue assez rapidement puisqu'un premier accord sur la levée du blocus des terminaux pétroliers a été trouvé. Cela peut représenter un développement positif si les revenus engendrés par la réouverture progressive des terminaux pétroliers bénéficient à tous les Libyens. Le partage de ces ressources fait l'objet de discussions, qui restent assez compliquées.

Par ailleurs, des discussions parallèles ont eu lieu à Montreux en Suisse, à l'initiative des Nations unies, et à Bouznika au Maroc, à l'initiative des autorités marocaines, pour instaurer un dialogue entre les différentes parties. Cela peut être positif. Il faudrait aboutir à un accord inter-libyen inclusif. C'est ce qui est recherché sous l'autorité des Nations unies. Cela pourrait conduire à un processus de paix et de stabilité durable.

Nous sommes en discussion avec les pays voisins de la Libye avec lesquels nous disposons de canaux de discussion historiques. Il s'agit de la Tunisie, de l'Algérie, de l'Égypte, du Tchad, du Niger et, un peu, du Soudan. L'idée est d'organiser une rencontre des voisins de la Libye qui accompagnerait le processus dit de Berlin. C'est plus calme et peut-être un peu plus constructif que cela ne l'a été par le passé. L'absence actuelle de conflit armé est de nature à favoriser des ouvertures positives.

J'en viens à la Biélorussie. Vous avez auditionné Mme Svetlana Tikhanovskaïa ce matin. Je l'ai, pour ma part, rencontrée à deux reprises depuis le début de la crise, survenue au mois d'août. Nous lui avons fait part de notre position lorsque nous nous sommes vus à Vilnius le 29 septembre. Nous refusons de reconnaître à M. Loukachenko la légitimité politique qu'il revendique à la suite du scrutin du 9 août. Les habitants de la Biélorussie considèrent qu'ils ont été volés de leur vote démocratique. Les autorités bélarusses ayant demandé à l'ambassadeur de Lituanie de se retirer de Minsk, les ambassadeurs de l'Union européenne se sont tous retirés du pays le 6 octobre par solidarité et en signe de protestation. Même s'il s'est auto-investi le 24 septembre, nous refusons de reconnaître M. Loukachenko.

Nous poursuivons notre soutien à la mobilisation démocratique. Le fait qu'elle soit reçue ici en fait partie. Nous – la France et les Européens – refusons toute forme de répression contre la société civile, que nous continuons à soutenir. Le dialogue est permanent entre les vingt-sept et nous sommes sur la même ligne. Lors de la réunion du 21 septembre, nous avons d'ailleurs décidé d'appliquer des sanctions : quarante personnalités biélorusses responsables de fraude électorale et de pratiques de répression ont été sanctionnées, à commencer par le ministre de l'intérieur de M. Loukachenko. Il s'agit de veiller à ce que les libertés démocratiques – liberté d'expression, liberté de la presse, liberté de manifester – soient respectées. Nous soutenons la protestation qui s'est exprimée et la volonté d'un dialogue inclusif.

L'OSCE pourrait jouer un rôle utile de médiation dans cette crise. Cela nous semble la seule solution viable pour sortir de la crise. Nous avions le sentiment que la Russie partageait cette position.

Mme Svetlana Tikhanovskaïa a dû tenir ici le même discours que celui qu'elle a tenu devant le Président Macron et devant les ministres des affaires étrangères européens : ce n'est pas une crise géopolitique, mais une crise démocratique interne à la Biélorussie. Elle a répété à plusieurs reprises qu'elle n'était ni pour ni contre la Russie, ni pour ni contre l'Europe, mais pour une Biélorussie démocratique. C'est ainsi qu'il faut interpréter la situation politique bélarusse.

Vous ne m'avez pas interrogé sur le sujet, mais je parlerai également de l'affaire Navalny. La très grave tentative d'assassinat commise le 20 août à l'encontre d'Alexeï Navalny nous a amenés à demander des clarifications à la Russie sur les conditions dans lesquelles cette tentative était intervenue. En effet, qui mieux que la Russie peut nous dire pourquoi et comment un opposant politique russe de premier plan a pu faire l'objet d'une tentative d'assassinat sur le territoire russe, par le biais d'un agent neurotoxique de qualité militaire de la famille des Novitchok – développés uniquement par la Russie ? Nous avons confirmé par nos moyens propres, comme auparavant nos collègues allemands, que c'est bien une arme chimique de la famille des Novitchok qui a été utilisée pour empoisonner M. Navalny.

Deux actes lourds se conjuguent : d'une part, une tentative d'assassinat d'un opposant ; d'autre part, l'utilisation d'un produit chimique condamné par la communauté internationale, y compris la Russie.

L'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) a rendu un avis le 6 octobre sur la composition de ce produit, conforme à l'analyse des Allemands et aux nôtres. Dans ces conditions, avec l'Allemagne, nous estimons qu'une clarification par la Russie est indispensable et qu'à défaut de clarification, il faudra en tirer des conclusions en lien avec nos partenaires européens.

Depuis l'origine de l'affaire, nous sommes totalement en phase avec nos amis allemands. J'ai donc été un peu surpris que M. Norbert Röttgen, président de la commission des affaires étrangères du Bundestag, remette en cause cette synergie d'action dans un article paru ce jour. Il pourra lire avec intérêt le communiqué commun que M. Heiko Maas et moi-même publierons conjointement dans une heure et quart, à Berlin et à Paris, pour rappeler notre position sur ce dossier.

Cela ne veut pas dire qu'il ne faut plus parler aux Russes, mais il faut se montrer à la fois ferme et ouvert. Nous sommes ouverts au dialogue, mais fermes sur nos convictions. Lorsque des actes de cette ampleur se produisent, nous le disons et nous le faisons savoir. Le dialogue est d'autant plus nécessaire lorsque les situations sont conflictuelles : c'est à ce moment-là que l'on peut essayer de se parler – peut-être de manière raide, mais au moins avec clarté.

Dans ce contexte, nous avons été amenés à reporter la réunion du Conseil de coopération franco-russe sur les questions de sécurité (CCQS) qui devait se tenir la semaine dernière. Il demeure toutefois nécessaire de poursuivre ces échanges, sans naïveté, en transparence avec nos partenaires européens et avec un seul objectif : renforcer notre sécurité et la stabilité de l'espace européen.

Enfin, vous m'avez interrogé sur Hong Kong. Je répète notre préoccupation : comme nous pouvions le craindre après l'adoption de la loi sur la sécurité nationale le 30 juin dernier, l'autonomie de Hong Kong et les libertés garanties par la loi fondamentale ainsi que le principe « un pays, deux systèmes » sont manifestement remis en cause. Des manifestants ont été arrêtés, notamment deux cent quatre-vingt-dix personnes le 6 septembre, alors qu'elles manifestaient pacifiquement contre le report des élections législatives, tout comme des personnalités de l'opposition ; ainsi, Joshua Wong, arrêté sous le motif de participation à des rassemblements ou de collusion avec des forces étrangères, puis libéré sous caution. En outre, la presse subit des pressions. Ainsi, Jimmy Lai, fondateur du quotidien d'opposition, a aussi été arrêté.

Toutes ces actions nourrissent un constat inquiétant depuis le 30 juin, d'autant plus que les autorités ont pris la décision de reporter d'un an les législatives initialement prévues le 6 septembre du fait, disent-elles, de la situation sanitaire.

Face à ces évolutions, nous avons agi avec nos partenaires européens en adoptant un paquet de mesures le 28 juillet dernier : visas, mobilité, exportation de matériel sensible, mobilisation de programmes et de bourses d'échanges universitaires, renoncement à la ratification de l'accord d'extradition signé le 4 mai 2017 entre la France et la région administrative de Hong-Kong.

Nous rappelons fermement notre détermination à chacune des occasions qui se présentent à nous. Ainsi, j'ai profité de la visite de mon collègue chinois fin août pour lui en parler. Nous l'avons aussi abordé lors de la conférence entre l'Union européenne et la Chine, le 14 septembre en visioconférence. À cette occasion, le président du Conseil européen, la présidente de la Commission et la présidente en exercice, Angela Merkel, ont évoqué les questions liées à Hong-Kong ainsi qu'aux Ouïghours. J'ai moi-même évoqué ce dernier sujet avec beaucoup de force le 6 octobre à l'Assemblée nationale.

Nous sommes donc bien occupés en ce moment ! J'ai néanmoins un motif de satisfaction : les choses vont mieux au niveau européen, et je suis assez optimiste. Je ne sais pas si nous y reviendrons ou si nous l'aborderons la semaine prochaine, mais l'Europe a pris des positions fortes pendant cette période difficile, y compris sur les crises. Cette évolution m'incite à l'optimisme. C'est un moteur important dans la vie d'un ministre des affaires étrangères, confronté à tous les défis que je viens d'évoquer !

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