Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur la situation internationale
La séance est ouverte à 15 heures.
Présidence de M. Rodrigue Kokouendo, vice-président.
Mes chers collègues, nous sommes heureux d'accueillir M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Je tiens à exprimer les regrets de notre présidente, Mme Marielle de Sarnez, qui ne peut présider l'audition pour raisons de santé. Elle a néanmoins préparé cette réunion avec la plus grande attention. Nous lui transmettons nos salutations les plus chaleureuses.
L'audition sera consacrée à l'actualité internationale. Le ministre reviendra devant nous le 13 octobre pour discuter du projet de loi de finances pour 2021.
Monsieur le ministre, depuis votre dernière audition par la commission le 1er juillet, de graves crises ont continué de secouer le monde et de nouvelles sont apparues. Des décisions importantes pour l'avenir des Européens ont également été prises. Durant ces trois mois, la France s'est attachée à faire prévaloir le respect du droit, la préservation de la paix et le secours aux populations.
Plusieurs crises ont mobilisé l'attention des députés. Nous avons d'abord été touchés par ce qui s'est produit au Liban et marqués notamment par l'image de Beyrouth dévastée par la double explosion du 4 août. Mais le Liban est également meurtri par la crise économique et sociale, l'épidémie du covid-19 et la pérennisation des luttes entre les différents partis. Lors de son second déplacement à Beyrouth le 1er septembre, le Président de la République Emmanuel Macron a fixé une feuille de route pour la reconstruction du Liban, qui s'inscrit dans la ligne du processus de la Conférence économique pour le développement du Liban par les réformes et avec les entreprises (CEDRE), piloté par la France. Le Président a annoncé l'organisation d'une conférence internationale à Paris en octobre, afin de mobiliser autour de l'agenda des réformes et de construire le soutien international.
La deuxième crise majeure qui nous intéresse concerne le Mali. Son président Ibrahim Boubacar Keïta a été contraint à la démission après le coup d'État du 18 août. La France a condamné ce dernier sans ambiguïté et demandé le retour à un pouvoir civil. Pourriez-vous nous dire quels sont les derniers développements dont vous avez connaissance ?
L'apaisement actuel en Méditerranée orientale vous paraît-il durable ? La France a, à juste raison, fait preuve de fermeté, mais il est impératif de trouver des voies de dialogue.
Concernant la Libye, qui subit également l'interventionnisme turc, vous avez parlé de « syrianisation » de la situation. Comment la voyez-vous évoluer ? La Libye devient en effet le nouveau terrain d'affrontement de pays étrangers et de combattants syriens, bafouant l'embargo décrété par le Conseil de sécurité des Nations unies.
Nous parlerons aussi de la Biélorussie. Notre commission a auditionné ce matin Svetlana Tikhanovskaïa. La situation est dramatique, la population désespérée. Nous avons entendu son appel au soutien de la communauté internationale. Quelles actions la France peut-elle à présent entreprendre ? La médiation de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) peut-elle aboutir ? Comment analysez-vous le soutien mesuré de la Russie à Alexandre Loukachenko ?
Au cœur de l'actualité, la reprise des combats au Haut-Karabagh nous préoccupe. La France copréside le Groupe de Minsk chargé de trouver une solution pacifique et négociée à ce conflit. Comment expliquer la reprise des combats ? Assistons-nous à une offensive supplémentaire de la Turquie dans la région ?
La dernière crise internationale est celle de Hong Kong. Le principe « un pays, deux systèmes » sur lequel devait reposer la période de transition de cinquante ans n'est plus respecté depuis la promulgation de la loi sur la sauvegarde de la sécurité nationale le 30 juin dernier. Monsieur le ministre, vous avez exprimé votre préoccupation en juillet. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je terminerai mon propos par l'Europe, en mentionnant tout d'abord le Brexit. À l'heure où la Commission européenne adresse une lettre de mise en demeure au Royaume-Uni pour non-respect de l'accord de retrait, comment voyez-vous le dénouement des négociations sur le partenariat futur ? Nos exigences sur la pêche et la loyauté de la concurrence, l'accès au marché, la circulation et la gouvernance seront-elles prises en compte ? Sommes-nous prêts en cas de no deal ?
Dans le même temps, l'Europe est parvenue à un accord inédit sur un plan de relance le 21 juillet grâce à l'entente du couple franco-allemand. Depuis, des blocages sont survenus en lien avec l'exigence de respect de l'État de droit pour bénéficier des fonds européens. Quand ce plan pourra-t-il être finalisé et sur quel contenu ?
Le Conseil européen des 1er et 2 octobre a pris des décisions importantes en matière de politique industrielle et de transition numérique, notamment en posant les fondations d'une réglementation pour superviser les plateformes internet. Il s'agit d'un sujet d'intérêt pour notre commission – une mission d'information est en cours sur les géants du numérique.
Par ailleurs, au sujet du projet annoncé par Ursula von der Leyen de refonte du règlement de Dublin sur l'accueil des réfugiés, va-t-on enfin vers un droit d'asile commun, vers une harmonisation du droit d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Europe ?
Enfin, nous savons, monsieur le ministre, que vous voulez nous dire deux mots sur l'Alliance pour le multilatéralisme qui rencontre un franc succès.
Je vous remercie et souhaite transmettre à votre présidente mes meilleurs vœux de rétablissement. Notre dernière rencontre date de plusieurs semaines. Comme vous l'avez rappelé, il s'est passé beaucoup de choses depuis lors – en particulier au mois d'août, début septembre et début octobre. L'actualité est chargée.
Je vais essayer de répondre au moins à une partie de vos questions et pourrai compléter mon propos la semaine prochaine, voire à l'occasion d'une autre réunion si nous ne pouvons aller au bout des différents sujets abordés.
Cette réunion intervient dans un calendrier diplomatique chargé. Le Conseil européen s'est réuni il y a quelques jours et un nouveau Conseil se tiendra mi-octobre. Les relations entre les chefs d'État et de gouvernement des vingt-sept États membres sont donc marquées par une certaine intensité. Parallèlement, l'Assemblée générale des Nations unies est en train de s'achever. Cela est passé peut-être un peu inaperçu. Il s'agit en effet d'une Assemblée générale un peu particulière, car virtuelle. Elle s'est néanmoins tenue. Cela a permis à cent vingt chefs d'État et de gouvernement de prendre la parole. J'ai fait pour ma part l'expérience singulière d'assister à un Conseil de sécurité des Nations unies en visioconférence. Je me trouvais à Amman, quand un autre participant était à New York, un autre à Berlin, etc. Nous avons souhaité de cette façon pérenniser le multilatéralisme. La forte participation à cette Assemblée générale – qui donne lieu généralement à de nombreux débats à New York – est le signe d'une volonté de maintenir des espaces de dialogue dans un monde qui en a bien besoin. Nous avons également pu tenir des réunions le 5 octobre sur le Liban, la Libye, la République centrafricaine (RCA) ainsi que sur d'autres sujets de conflictualité.
La coopération internationale, le multilatéralisme, l'action collective sont plus que jamais nécessaires. Une réunion de l'Alliance pour le multilatéralisme, créée il y a un an à New York par le ministre des affaires étrangères allemand et moi-même, s'est également tenue récemment avec succès. Elle a rassemblé soixante-dix ministres des affaires étrangères en visioconférence.
Vous m'avez interpellé sur de nombreuses crises. J'évoquerai tout d'abord le Liban. Comme vous l'avez rappelé, le Président de la République s'est rendu sur place juste après l'explosion survenue sur le port de Beyrouth, le 6 août, puis de nouveau le 1er septembre. Avant d'accompagner le Président de la République, je m'étais moi-même rendu une première fois à Beyrouth fin juillet.
La France s'est fortement mobilisée pour répondre à la catastrophe, à travers le Centre de crise et de soutien (CDCS) du Quai d'Orsay, mais également par l'action des collectivités territoriales et des organisations non gouvernementales (ONG). Je tiens à souligner cette solidarité significative. Le pont aérien et maritime a été apprécié par le peuple libanais. Nous avons insisté pour que toutes les capacités de secours humanitaires soient dirigées vers le peuple libanais et les ONG libanaises et ne passent pas par le dispositif étatique. Nous y avons veillé de près. L'ensemble des contributions physiques affectées au Liban a ainsi été centralisé sur l'hippodrome situé en face de la Résidence des Pins – résidence de l'ambassade de France –, où s'effectuait la distribution de l'aide humanitaire immédiate auprès des acteurs de terrain.
Une réunion spéciale des Nations unies s'est également tenue le 9 août à l'initiative de la France pour mobiliser des financements. À cette occasion, 250 millions d'euros ont été réunis, ce qui a permis d'élargir les contributions des uns et des autres et d'obtenir une vraie mobilisation internationale, que nous avons pu constater sur place le 6 août comme le 1er septembre. J'étais à Marseille quelques jours auparavant pour assister au départ de l'opération « Un bateau pour le Liban » coorganisée par mon ministère, les collectivités régionales et locales du sud de la France et la Compagnie maritime d'affrètement – Compagnie générale maritime (CMA-CGM). Tout ceci montre la forte solidarité de la population française à l'égard de la population libanaise. Ce n'est pas le moment d'arrêter ! Il faut poursuivre les efforts dans cette direction, la situation comme l'état de la population au Liban demeurant très préoccupants.
Vient s'ajouter l'arrivée de la covid-19 au Liban, qui avait jusqu'à présent été relativement épargné par la pandémie. Cette dernière se diffuse malheureusement assez rapidement. Cela nécessite donc la poursuite d'un accompagnement vigoureux, que nous organiserons dans les jours à venir. Conformément aux engagements que nous avions pris, se tiendra courant novembre une réunion de soutien humanitaire au Liban consacrée, après l'urgence, à l'étape de la reconstruction. La France sera à l'initiative avec les Nations unies.
Mais il ne faudrait pas que cette catastrophe occulte le drame politique libanais. L'exigence portée par la France est que le pays prenne les mesures nécessaires pour sortir de l'ornière. Cette exigence est partagée par le Groupe international de soutien au Liban (GIS) que j'ai réuni à deux reprises depuis un an. L'urgence est de faire en sorte que les réformes qui font consensus dépassent le stade du discours, sous la direction d'un gouvernement de mission – de combat – susceptible de les concrétiser.
Le Président de la République a proposé ces orientations aux forces politiques libanaises le 1er septembre. Le Premier ministre nommé à l'époque, Mustapha Adib, a tenté de composer un gouvernement sur ces bases, mais n'y est pas parvenu. Le gouvernement de gestion provisoire en place ne peut pas durer. Sur la base de la feuille de route sur laquelle les différents partis politiques libanais se sont mis d'accord, il importe à présent qu'un gouvernement d'action soit constitué dans l'intérêt du Liban – le risque étant la dislocation, voire la disparition, s'il ne se concrétise pas.
Je suis extrêmement mobilisé. Il nous faut agir en permanence en ce sens. Une nouvelle réunion du GIS se tiendra dans quelques jours pour renouveler nos souhaits de mise en œuvre de cette logique, qui est partagée – au moins dans les discours – par toutes les formations politiques identifiées au Liban, mais n'aboutit pas. La population est dans l'angoisse, l'inquiétude, la tristesse, et parfois la révolte. Celle-ci ne s'exprime plus dans les rues, le coronavirus empêchant les manifestations. La situation n'en est pas moins préoccupante.
Certaines déclarations ont été faites, mais l'essentiel est que la feuille de route sur laquelle les groupes politiques se sont mis d'accord soit mise en œuvre par un gouvernement d'action. Or, jusqu'à présent, il n'est pas au rendez-vous. Il appartiendra au président Aoun de proposer un nouveau Premier ministre susceptible de réaliser cette convergence.
Soyez sûrs que la France n'abandonnera pas le Liban et les Libanais. Je suis particulièrement vigilant et très attentif à tout ce qui s'y passe.
Au Mali, un coup d'État s'est effectivement produit en août, que nous avons condamné. Ce coup d'État a été réalisé à l'initiative d'un groupe de colonels mené par le colonel Goita. Quelque temps plus tard, le président Ibrahim Boubacar Keïta a démissionné. Il est désormais retranché à Abidjan.
Nous avons souhaité que la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) pilote la médiation afin que les principes qu'elle met en avant, avec raison, s'appliquent : une transition courte, le transfert du pouvoir de la junte à des autorités civiles, et la constitution d'une charte de transition permettant d'aboutir à une nouvelle dynamique malienne. Le médiateur de la CEDEAO, M. Goodluck Jonathan, ancien président du Nigeria, a réalisé plusieurs missions à Bamako. Les chefs d'État et de gouvernement de la région se sont également mobilisés pour parvenir à un résultat.
On peut souligner certaines avancées. Un président de transition, civil, a été nommé. Il s'appelle M. Bah N'Daw. M. Moctar Ouane a été nommé Premier ministre le 27 septembre. Ancien ministre des affaires étrangères dans un gouvernement bien antérieur, il est relativement respecté. Il a composé un gouvernement assez inclusif le 5 octobre. Les autorités maliennes s'étant également dotées d'une charte de transition, la CEDEAO a considéré le 6 octobre qu'il était possible d'entrer en discussion et d'aller vers une reconnaissance du nouveau dispositif. L'Union européenne a fait de même, tout comme la France. Nous allons accompagner la démarche de la CEDEAO. J'ai l'intention de me rendre prochainement au Mali, afin d'œuvrer à la meilleure insertion de ce pays dans le dispositif de la CEDEAO et du G5 Sahel (G5S), de rencontrer les nouvelles autorités et de veiller au bon respect de la charte de transition. Les sanctions engagées par les pays voisins contre le Mali sont levées depuis le 6 octobre. Cela devrait permettre d'avancer vers une nouvelle donne.
Nous sommes conscients de la nécessité d'accompagner cette transition pour aboutir à de nouvelles élections dans dix-huit mois. Cependant, cela ne doit pas nous conduire à relâcher nos efforts dans la lutte contre le terrorisme. L'opération Barkhane s'est d'ailleurs poursuivie pendant toute la période. La dynamique de Pau a produit ses effets, à travers des succès militaires. Une certaine confiance est en train de revenir entre les différents acteurs impliqués. Nous poursuivrons les efforts en ce sens. Mon déplacement à Bamako permettra de faire un point avec tous les partenaires du G5 Sahel.
Vous m'avez aussi interrogé sur la Méditerranée centrale et orientale, où une montée des tensions est survenue, également au mois d'août – les crises du Liban, du Mali et de la Méditerranée centrale et orientale se sont produites la même semaine…
Cette zone – en particulier la Méditerranée orientale – a toujours connu certaines tensions, notamment concernant la définition des frontières maritimes. Cependant, ces tensions se sont accrues récemment en raison de la découverte de potentiels gisements de gaz et de l'arrivée de candidats pour leur exploitation. Cela a conduit la Turquie à remettre en question les délimitations maritimes établies dans le respect des accords de Montego Bay – c'est-à-dire du droit maritime international que la Turquie ne reconnaît pas.
Nous sommes amenés à agir pour notre sécurité et la défense de nos intérêts. Les actions unilatérales menées par la Turquie portent non seulement atteinte à la souveraineté de la Grèce et de Chypre, mais également à celle de l'Union européenne dans son ensemble. Nous avons réaffirmé à plusieurs reprises dans cette affaire notre solidarité avec Athènes et Nicosie. Il est essentiel que les États membres maintiennent un front uni face à la volonté d'Ankara de délimiter des zones ou des juridictions maritimes par la seule politique du fait accompli, en contradiction avec le droit international.
Des tensions sont survenues. Un discours de fermeté a été tenu lors du dernier Conseil européen. Certains pays de l'Union européenne pouvaient avoir la tentation d'adopter une attitude plus molle, mais les résultats de ce Conseil ont été conformes à nos principes : les atteintes à la souveraineté des pays membres doivent cesser ; l'Union européenne est prête à identifier toutes les options, y compris des mesures dissuasives et des sanctions contre la Turquie si celle-ci n'engage pas une désescalade avant le Conseil européen de décembre.
Cela a produit quelques effets. Le dialogue s'est noué avec la Grèce. Le navire turc Oruç Reis, jusqu'à présent déployé au large de l'île grecque de Kastellórizo, est rentré au port. C'est un signal encourageant. Le retour au port annoncé d'un bateau situé dans les eaux chypriotes a constitué un deuxième acte. Il reste toutefois encore un bateau. Nous ne sommes pas au bout de cette affaire. La fermeté du discours a permis néanmoins cette évolution. Le Président de la République s'est entretenu fermement avec le président Erdoğan. Les pourparlers exploratoires en cours sont un signe plutôt positif. Cependant, il faut que maintenir notre fermeté et notre unité.
Je me réjouis aussi que la fermeté française ait été reconnue dans sa justesse après les manœuvres hostiles effectuées par un bâtiment de la marine turque à l'encontre d'une frégate française, le Courbet, qui ne faisait qu'exécuter les ordres de la chaîne de commandement de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) pour surveiller les flux illégaux en Méditerranée. J'ai rencontré le secrétaire général de l'OTAN. Les mesures prises pour éviter de renouveler ce type de comportement me paraissent utiles. En outre, lors du conseil des affaires étrangères du 21 septembre, les vingt-sept ont adopté à l'unanimité des sanctions pour violation de l'embargo à l'encontre d'une compagnie aérienne et de deux compagnies maritimes, dont l'armateur turc du Çirkin – propriétaire du bateau identifié dans l'opération que je viens de citer.
Voilà où nous en sommes sur la Méditerranée orientale – un calendrier, une fermeté des propos, un rendez-vous. En fonction de ce calendrier, les Turcs doivent prendre des mesures. Des discussions sont en cours avec la Grèce – je rencontre mon collègue grec le 8 octobre – pour aboutir à une délimitation des frontières partagée par tous. Il faut rester ferme sur la clarification attendue de la part d'Ankara. L'étape suivante consisterait à constater le retrait par la Turquie de tous ses bateaux dans la zone économique exclusive (ZEE) de Chypre.
La situation du conflit au Haut-Karabagh est très grave. C'est pourquoi notre mobilisation politique est très forte. Depuis 1994, la France a mandat de l'OSCE pour valider le cessez-le-feu. En effet, à partir de 1991 – c'était la fin de l'Union soviétique –, un conflit s'est produit à l'Azerbaïdjan et l'Arménie sur le statut du Haut-Karabagh, enclave de population arménienne au milieu de l'Azerbaïdjan. Des discussions entre les différentes parties ont à l'époque été engagées sous la coresponsabilité des États-Unis, de la France et de la Russie – ce que l'on a appelé le Groupe de Minsk.
Cela nous a amenés à publier le 5 octobre un communiqué, qui vous a peut-être paru surprenant, signé conjointement par Mike Pompeo, Sergueï Lavrov et moi-même, coprésidents du Groupe de Minsk, pour demander l'arrêt des combats et l'ouverture de négociations. Ce communiqué est d'une grande fermeté à l'égard des uns et des autres. Nous souhaitons qu'il soit entendu.
Les victimes civiles sont nombreuses, et les avancées territoriales de l'Azerbaïdjan, qui a initié le conflit, faibles. Ce dernier se poursuit. Nous souhaitons que chacun comprenne que son intérêt est d'arrêter immédiatement les hostilités sans conditionnalité, et d'ouvrir une négociation sous le parrainage du Groupe de Minsk.
La nouveauté réside dans l'implication militaire de la Turquie, qui risque d'alimenter l'internationalisation du conflit – ce que nous ne souhaitons pas. Nous affichons clairement notre volonté de faire en sorte que le compromis consistant à renoncer à toute conditionnalité et à respecter le cessez-le-feu pour entrer en négociation puisse aboutir à une solution positive partagée, même si cela prend un peu de temps. Je suis en relation journalière avec les acteurs concernés. Il en va de même pour mon collègue russe et pour l'adjoint du secrétaire Pompeo.
Pour l'instant, nous n'avons pas abouti. Le conflit dure depuis onze jours. Des réunions sont prévues le 8 octobre à Genève. D'autres se tiendront le 12 octobre à Moscou. Nous formulons le vœu qu'elles aboutissent à l'ouverture de négociations. Le cessez-le-feu ne peut être conditionnel, sinon l'on ne s'en sort pas ! Il faut arrêter les hostilités, se mettre autour d'une table et prendre le temps de discuter pour se mettre d'accord sur une situation permettant à tous de vivre normalement.
Vous avez évoqué le risque de « syrianisation » de la Libye. C'est une réalité que j'exprime depuis déjà plusieurs mois. Les ingérences étrangères et l'afflux de mercenaires depuis la Syrie, ainsi que les violations de l'embargo, alimentent la dégradation de la situation. Ces ingérences sont essentiellement le fait de la Turquie, mais aussi de la Russie. Tout cela représente une menace directe pour nos intérêts de sécurité et de souveraineté.
La trêve sur la ligne Syrte-Joufra est plutôt positive, mais elle est toujours fragile tant qu'elle ne se transforme pas en cessez-le-feu. Une trêve n'est pas un cessez-le-feu : un cessez-le-feu consiste à négocier, une trêve est un constat. Nous nous mobilisons avec nos partenaires européens, notamment avec les Italiens et les Allemands, pour consolider la cessation des hostilités et engager une discussion, d'abord militaire, dans le cadre des accords dits de Berlin, acceptés par tous les acteurs en janvier 2020. Un comité militaire mixte, le 5+5, doit permettre d'aboutir progressivement à la transformation de la trêve en cessez-le-feu.
Dans le domaine économique, la situation évolue assez rapidement puisqu'un premier accord sur la levée du blocus des terminaux pétroliers a été trouvé. Cela peut représenter un développement positif si les revenus engendrés par la réouverture progressive des terminaux pétroliers bénéficient à tous les Libyens. Le partage de ces ressources fait l'objet de discussions, qui restent assez compliquées.
Par ailleurs, des discussions parallèles ont eu lieu à Montreux en Suisse, à l'initiative des Nations unies, et à Bouznika au Maroc, à l'initiative des autorités marocaines, pour instaurer un dialogue entre les différentes parties. Cela peut être positif. Il faudrait aboutir à un accord inter-libyen inclusif. C'est ce qui est recherché sous l'autorité des Nations unies. Cela pourrait conduire à un processus de paix et de stabilité durable.
Nous sommes en discussion avec les pays voisins de la Libye avec lesquels nous disposons de canaux de discussion historiques. Il s'agit de la Tunisie, de l'Algérie, de l'Égypte, du Tchad, du Niger et, un peu, du Soudan. L'idée est d'organiser une rencontre des voisins de la Libye qui accompagnerait le processus dit de Berlin. C'est plus calme et peut-être un peu plus constructif que cela ne l'a été par le passé. L'absence actuelle de conflit armé est de nature à favoriser des ouvertures positives.
J'en viens à la Biélorussie. Vous avez auditionné Mme Svetlana Tikhanovskaïa ce matin. Je l'ai, pour ma part, rencontrée à deux reprises depuis le début de la crise, survenue au mois d'août. Nous lui avons fait part de notre position lorsque nous nous sommes vus à Vilnius le 29 septembre. Nous refusons de reconnaître à M. Loukachenko la légitimité politique qu'il revendique à la suite du scrutin du 9 août. Les habitants de la Biélorussie considèrent qu'ils ont été volés de leur vote démocratique. Les autorités bélarusses ayant demandé à l'ambassadeur de Lituanie de se retirer de Minsk, les ambassadeurs de l'Union européenne se sont tous retirés du pays le 6 octobre par solidarité et en signe de protestation. Même s'il s'est auto-investi le 24 septembre, nous refusons de reconnaître M. Loukachenko.
Nous poursuivons notre soutien à la mobilisation démocratique. Le fait qu'elle soit reçue ici en fait partie. Nous – la France et les Européens – refusons toute forme de répression contre la société civile, que nous continuons à soutenir. Le dialogue est permanent entre les vingt-sept et nous sommes sur la même ligne. Lors de la réunion du 21 septembre, nous avons d'ailleurs décidé d'appliquer des sanctions : quarante personnalités biélorusses responsables de fraude électorale et de pratiques de répression ont été sanctionnées, à commencer par le ministre de l'intérieur de M. Loukachenko. Il s'agit de veiller à ce que les libertés démocratiques – liberté d'expression, liberté de la presse, liberté de manifester – soient respectées. Nous soutenons la protestation qui s'est exprimée et la volonté d'un dialogue inclusif.
L'OSCE pourrait jouer un rôle utile de médiation dans cette crise. Cela nous semble la seule solution viable pour sortir de la crise. Nous avions le sentiment que la Russie partageait cette position.
Mme Svetlana Tikhanovskaïa a dû tenir ici le même discours que celui qu'elle a tenu devant le Président Macron et devant les ministres des affaires étrangères européens : ce n'est pas une crise géopolitique, mais une crise démocratique interne à la Biélorussie. Elle a répété à plusieurs reprises qu'elle n'était ni pour ni contre la Russie, ni pour ni contre l'Europe, mais pour une Biélorussie démocratique. C'est ainsi qu'il faut interpréter la situation politique bélarusse.
Vous ne m'avez pas interrogé sur le sujet, mais je parlerai également de l'affaire Navalny. La très grave tentative d'assassinat commise le 20 août à l'encontre d'Alexeï Navalny nous a amenés à demander des clarifications à la Russie sur les conditions dans lesquelles cette tentative était intervenue. En effet, qui mieux que la Russie peut nous dire pourquoi et comment un opposant politique russe de premier plan a pu faire l'objet d'une tentative d'assassinat sur le territoire russe, par le biais d'un agent neurotoxique de qualité militaire de la famille des Novitchok – développés uniquement par la Russie ? Nous avons confirmé par nos moyens propres, comme auparavant nos collègues allemands, que c'est bien une arme chimique de la famille des Novitchok qui a été utilisée pour empoisonner M. Navalny.
Deux actes lourds se conjuguent : d'une part, une tentative d'assassinat d'un opposant ; d'autre part, l'utilisation d'un produit chimique condamné par la communauté internationale, y compris la Russie.
L'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) a rendu un avis le 6 octobre sur la composition de ce produit, conforme à l'analyse des Allemands et aux nôtres. Dans ces conditions, avec l'Allemagne, nous estimons qu'une clarification par la Russie est indispensable et qu'à défaut de clarification, il faudra en tirer des conclusions en lien avec nos partenaires européens.
Depuis l'origine de l'affaire, nous sommes totalement en phase avec nos amis allemands. J'ai donc été un peu surpris que M. Norbert Röttgen, président de la commission des affaires étrangères du Bundestag, remette en cause cette synergie d'action dans un article paru ce jour. Il pourra lire avec intérêt le communiqué commun que M. Heiko Maas et moi-même publierons conjointement dans une heure et quart, à Berlin et à Paris, pour rappeler notre position sur ce dossier.
Cela ne veut pas dire qu'il ne faut plus parler aux Russes, mais il faut se montrer à la fois ferme et ouvert. Nous sommes ouverts au dialogue, mais fermes sur nos convictions. Lorsque des actes de cette ampleur se produisent, nous le disons et nous le faisons savoir. Le dialogue est d'autant plus nécessaire lorsque les situations sont conflictuelles : c'est à ce moment-là que l'on peut essayer de se parler – peut-être de manière raide, mais au moins avec clarté.
Dans ce contexte, nous avons été amenés à reporter la réunion du Conseil de coopération franco-russe sur les questions de sécurité (CCQS) qui devait se tenir la semaine dernière. Il demeure toutefois nécessaire de poursuivre ces échanges, sans naïveté, en transparence avec nos partenaires européens et avec un seul objectif : renforcer notre sécurité et la stabilité de l'espace européen.
Enfin, vous m'avez interrogé sur Hong Kong. Je répète notre préoccupation : comme nous pouvions le craindre après l'adoption de la loi sur la sécurité nationale le 30 juin dernier, l'autonomie de Hong Kong et les libertés garanties par la loi fondamentale ainsi que le principe « un pays, deux systèmes » sont manifestement remis en cause. Des manifestants ont été arrêtés, notamment deux cent quatre-vingt-dix personnes le 6 septembre, alors qu'elles manifestaient pacifiquement contre le report des élections législatives, tout comme des personnalités de l'opposition ; ainsi, Joshua Wong, arrêté sous le motif de participation à des rassemblements ou de collusion avec des forces étrangères, puis libéré sous caution. En outre, la presse subit des pressions. Ainsi, Jimmy Lai, fondateur du quotidien d'opposition, a aussi été arrêté.
Toutes ces actions nourrissent un constat inquiétant depuis le 30 juin, d'autant plus que les autorités ont pris la décision de reporter d'un an les législatives initialement prévues le 6 septembre du fait, disent-elles, de la situation sanitaire.
Face à ces évolutions, nous avons agi avec nos partenaires européens en adoptant un paquet de mesures le 28 juillet dernier : visas, mobilité, exportation de matériel sensible, mobilisation de programmes et de bourses d'échanges universitaires, renoncement à la ratification de l'accord d'extradition signé le 4 mai 2017 entre la France et la région administrative de Hong-Kong.
Nous rappelons fermement notre détermination à chacune des occasions qui se présentent à nous. Ainsi, j'ai profité de la visite de mon collègue chinois fin août pour lui en parler. Nous l'avons aussi abordé lors de la conférence entre l'Union européenne et la Chine, le 14 septembre en visioconférence. À cette occasion, le président du Conseil européen, la présidente de la Commission et la présidente en exercice, Angela Merkel, ont évoqué les questions liées à Hong-Kong ainsi qu'aux Ouïghours. J'ai moi-même évoqué ce dernier sujet avec beaucoup de force le 6 octobre à l'Assemblée nationale.
Nous sommes donc bien occupés en ce moment ! J'ai néanmoins un motif de satisfaction : les choses vont mieux au niveau européen, et je suis assez optimiste. Je ne sais pas si nous y reviendrons ou si nous l'aborderons la semaine prochaine, mais l'Europe a pris des positions fortes pendant cette période difficile, y compris sur les crises. Cette évolution m'incite à l'optimisme. C'est un moteur important dans la vie d'un ministre des affaires étrangères, confronté à tous les défis que je viens d'évoquer !
Je vous remercie. Je sais que nos collègues sont passionnés par les questions d'actualité. Soyez concis car vous êtes nombreux ! M. le ministre est prêt à prendre du temps la semaine prochaine pour répondre à celles qui ne pourraient être traitées aujourd'hui, même si la réunion sera consacrée au budget.
Nous pourrons notamment traiter des sujets européens et du Brexit la semaine prochaine ou lors d'une prochaine réunion – un Conseil européen étant prévu le 16 octobre.
. Le 22 septembre, dans un discours prononcé à l'occasion de la soixante-quinzième Assemblée générale des Nations unies, le Président de la République a livré une longue feuille de route répondant à sa vision des relations internationales à l'heure de la crise sanitaire et économique. Cette vision s'articule autour de la notion de souveraineté – celle de l'Union européenne qui doit être consolidée pour exister entre les États-Unis et la Chine ; et celle des autres peuples, de la périphérie russe au Moyen-Orient, dont la France veut soutenir les aspirations légitimes sans ingérence.
Le Président a rappelé la position française sur les différents conflits. Les principes d'action de la France doivent être clairs : respect des droits souverains des peuples, consolidation des États de droit et de leurs moyens d'action, exigence et responsabilité pour assurer la mise en œuvre effective des décisions actées sous l'égide des Nations unies.
Il est question de la souveraineté des peuples dans le conflit du Haut-Karabagh. Nous pouvons aborder ce conflit sous plusieurs angles : son histoire, au XXe siècle et avant, ses récents développements, le rôle tout à fait remarquable de la France au sein du Groupe de Minsk, la légitimité des revendications territoriales au regard du droit international, le rôle des membres du Groupe de Minsk – dont fait partie la Turquie –, l'impact de ce conflit dans nos circonscriptions et le rôle modérateur de la Russie.
Je voudrais cependant plutôt axer ma question sur la situation des civils. Après plus de dix jours de combat entre les forces séparatistes arméniennes et l'armée azerbaïdjanaise, c'est surtout la population civile qui a été touchée. Stepanakert, capitale du Haut-Karabagh, est la cible de frappes d'artillerie qui forcent la population à se terrer. Choucha, une ville de 4 000 habitants, a été à son tour atteinte par des tirs azerbaïdjanais. Je passe sur le bilan numérique, qui n'est pas réellement fiable. Se pose aussi la question des déplacés : 50 % de la population aurait été déplacée, soit 70 000 à 75 000 personnes.
Azerbaïdjanais et Arméniens s'accusent mutuellement de viser des civils et démentent systématiquement les succès militaires annoncés par le camp ennemi. Parmi les ONG, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) note que des centaines de maisons et d'infrastructures clés – hôpitaux, écoles – ont été détruites ou endommagées par des tirs d'artillerie lourde et par des attaques aériennes. Amnesty International dénonce l'utilisation de bombes à sous-munitions interdites depuis 2010 par une convention internationale.
Quelles mesures peuvent-elles être prises pour protéger et épargner les civils ainsi que les infrastructures civiles, comme le droit international humanitaire le prévoit ?
La neutralité que nous affichons est-elle tenable quand l'agression est caractérisée et que les bombardements visent les civils ?
Enfin, l'OSCE a demandé un embargo sur les armes. Qui vend des armes aux deux parties ? La Russie ? Israël, qui aurait vendu 825 millions de dollars d'armes entre 2006 et 2019 ? La Turquie ? La France ?
Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir dressé devant nous ce vaste panorama de la situation mondiale, pour le moins préoccupant.
Il est indispensable de mettre certains éléments historiques en perspective pour mieux comprendre ce qu'il se passe et permettre une sortie de crise. Il faut rappeler qu'au cours de l'histoire, 90 % du territoire arménien a été confisqué par les Turcs. Le peuple arménien a subi le premier génocide de notre ère, avec 1,5 million de personnes déportées et massacrées. Cela compte dans les mémoires et dans l'histoire que nous vivons.
Le Président de la République a eu des mots forts : il a reconnu sans équivoque que ce sont les Azerbaïdjanais qui ont, sans aucune raison apparente, attaqué le Haut-Karabagh et, par voie de conséquence, l'Arménie. Cette agression azéro-turque envers les Arméniens justifie des sanctions fortes à l'égard de la Turquie et du régime dictatorial d'Aliev. La Turquie retrouve ses vieux démons d'un expansionnisme tous azimuts. Nous retrouvons les Turcs en Syrie, en Libye, en Grèce, et ils sont aux côtés des Azerbaïdjanais, turcophones. Il n'y a pas si longtemps d'ailleurs, jusqu'à la fin de la Première guerre mondiale, l'Azerbaïdjan était une terre turque.
Il faut s'interroger sur la possible exclusion de la Turquie de l'OTAN. Peut-elle encore être membre de l'OTAN alors qu'elle se retrouve très souvent face à ses alliés – nos alliés – traditionnels ?
Je m'étonne que vous n'ayez pas plaidé pour de fortes sanctions économiques, monsieur le ministre. Nous les avons prises contre la Russie lors de l'invasion de la Crimée. Il est important de les prendre contre la Turquie.
La France est membre du Groupe de Minsk depuis longtemps. Il semblerait que le statu quo ait convenu à tout le monde – aux Russes, aux Américains, comme à nous. Nous n'avons jamais pris une position tranchée : pour la paix dans cette région, il est temps, avec la communauté européenne, une fois les sanctions prises, de reconnaître que le Haut-Karabagh est une terre arménienne. Cette région est occupée depuis la nuit des temps par 90 % d'Arméniens. C'est un caprice de Staline, qui l'a annexée à l'Azerbaïdjan, qui est source de l'actuel conflit.
La relation de la France au Liban est ancienne et repose sur une histoire qui mêle à la fois les dimensions culturelles, spirituelles, économiques de la vie des peuples. La profondeur de cette relation s'est construite au fil du siècle autour d'une idée fixe : la coexistence pacifique de minorités ethniques, culturelles et religieuses. C'est là une des particularités du Liban, dans cet Orient compliqué, que nous devons préserver.
Beaucoup a été entrepris par la France et par le Président de la République, qui s'est personnellement investi pour dénouer ce nœud gordien. Or chacun sait qu'en la matière c'est à une révolution politique que nous devons appeler : changement politique, changement des pratiques, changement de la gestion d'un pays à la dérive.
Il est heureux qu'en cette période l'amitié des peuples français et libanais ait survécu et se soit même renforcée. C'est à ce niveau, celui de la volonté populaire, que l'essentiel pourra se faire.
Dans ce contexte, nous ne pouvons ignorer le rôle fondamental que jouent les confessions religieuses. Pensez-vous que l'objectif affiché par le président Aoun d'aboutir à une constitution laïque soit atteignable ? Si oui, quelles sont les étapes indispensables pour y parvenir ?
Le Saint-Siège s'est beaucoup prononcé sur le Liban. Quelle est l'utilité de ce qu'il est coutume d'appeler la « diplomatie vaticane » dans le contexte libanais et quelle est son influence sur place ?
Dans le cadre des travaux de la commission, nous avons passé en revue la situation de nombreux pays au regard de la crise sanitaire, à travers des auditions éclairantes de nos diplomates et d'experts. Nous avons été impressionnés par la façon dont Taïwan, pays proche de la Chine et entretenant de fortes relations économiques, commerciales, et souvent familiales, avec le foyer de l'épidémie, a su contenir les conséquences de la crise.
Ce pays a évidemment bénéficié de son expérience face à la précédente épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) et de la qualité de son système de santé, mais sa stratégie globale semble remarquable, lui permettant de limiter les contaminations, les hospitalisations et les décès à des niveaux records, sans pour autant obérer son économie par des mesures de confinement.
Taïwan demande, en vain, à bénéficier d'un simple poste d'observateur à l'Organisation mondiale de la santé (OMS) afin de partager son expertise et de faire avancer la lutte contre cette pandémie. Que pense la diplomatie française de cette demande ?
La réforme du franc CFA est une étape préalable au projet de monnaie unique de la CEDEAO. Les pays de la Communauté ont évoqué l'année 2020 pour la création de l'éco, mais sans fixer de calendrier précis. Réunis le 7 septembre à Niamey, les chefs d'État et de gouvernement de la région ont acté le report, inéluctable car il ne reste plus que quatre mois pour lancer la monnaie unique de la CEDEAO, un délai bien court alors qu'il faut encore créer la banque centrale fédérale, préciser le régime de change de la nouvelle monnaie, sans compter les nécessaires démarches administratives et informatiques liées au changement de devise et à la fabrication de pièces et de billets.
Alors que le calendrier électoral à venir dans plusieurs pays de la région s'annonce chargé – je pense à la Côte d'Ivoire, au Burkina Faso, à la Guinée, et au Niger – et peu propice à une telle réforme, quand celle-ci verra-t-elle le jour ? Quel regard portez-vous sur ce grand cycle électoral ouest-africain qui rythmera la fin de l'année et dont les enjeux sont conséquents ?
Je ne cesserai jamais de louer les efforts humains, techniques et financiers consentis par le Quai d'Orsay pour le rapatriement de nos compatriotes bloqués à l'étranger. Plus de 50 000 ont déjà été rapatriés d'Algérie. Certains d'entre eux, qui ont des véhicules, sont toujours bloqués. Ils doivent soit décider d'abandonner leur véhicule en douane pour pouvoir rentrer en avion et revenir le chercher ensuite, soit le charger sur un cargo, soit attendre l'ouverture des frontières ou un bateau de rapatriement. Quelles solutions s'offrent-elles à eux ? Peut-on leur envoyer des bateaux ?
Enfin, j'ai eu le plaisir de rencontrer Mme Béatrice le Fraper du Hellen, ambassadrice de la France en Libye. Est-il prévu de rouvrir notre ambassade ?
La faillite économique, politique, morale du Liban a un nom. Le responsable, nous le connaissons : c'est le Hezbollah (Exclamations). Ce pseudo-parti de Dieu et véritable organisation terroriste, mafieuse, à la solde de l'Iran, prend en otage le Liban depuis trente ans. Hélas, vous n'avez pas prononcé son nom dans votre propos liminaire, monsieur le ministre.
Le Hezbollah est directement responsable de l'explosion du 4 août à Beyrouth qui a causé la mort de deux cents personnes. C'est lui qui a reçu de l'Iran des centaines de tonnes de nitrate d'ammonium en 2013-2014, selon le quotidien allemand Die Welt. Le Premier ministre israélien a dévoilé la semaine dernière devant l'Assemblée générale des Nations unies la présence de dépôts d'armes toujours situés en plein Beyrouth.
Le Hezbollah est un système de terreur, pour reprendre les termes du chef de l'État, Emmanuel Macron. Je rappelle l'attentat du Drakkar – cinquante-neuf parachutistes tués –, l'attentat commis devant Marks & Spencer, l'attentat de la rue de Rennes – dernier d'une série d'attaques qui avaient fait treize morts dans Paris –, le terrorisme antisémite à Buenos Aires ou, tout récemment, en Bulgarie, et les crimes contre l'humanité commis en Syrie. C'est un réseau mafieux, transnational, qui rackette, qui trafique de la drogue, etc.
Pourtant, monsieur le ministre, vous avez déclaré encore récemment sur France Inter : « Il y a le Hezbollah militaire, que nous condamnons, et il y a le Hezbollah politique avec lequel nous parlons. » C'est de la naïveté, voire une faute, de distinguer ces deux branches. L'Allemagne a mis fin à cette distinction factice – dont le Hezbollah ne veut d'ailleurs même pas. Alors que sa responsabilité apparaît au grand jour, comme je viens d'essayer de le prouver, allons-nous enfin arrêter de faire cette différence ?
Par ailleurs, alors que le procès des attentats commis en janvier 2015 à Charlie Hebdo, Montrouge et à l'Hyper Cacher est en cours, le procès de l'attentat de la rue des Rosiers, survenu il y a trente-huit ans, n'a toujours pas eu lieu. Une demande de commission d'enquête sur cette question cosignée par 40 parlementaires a été présentée en 2019.
La Norvège vient d'accepter d'extrader l'un des quatre assassins identifiés à l'issue du magnifique travail conduit par le juge Trévidic. Pourrions-nous imaginer que la France demande enfin l'extradition des trois autres criminels, dont un se trouve à Ramallah, et deux en Jordanie ? Le Président de la République Emmanuel Macron en a parlé, faisant enfin bouger une question restée taboue pendant des années. Pensez-vous que nous pourrons enfin obtenir les extraditions et le procès de ces assassins ?
Monsieur le ministre, ma première question porte sur les Ouïghours. Certes, vous avez répondu le 6 octobre lors des questions au Gouvernement, mais certains autres sujets abordés aujourd'hui ont également pu faire l'objet de questions au Gouvernement. En outre, les termes que vous avez utilisés ne suffisent pas à comprendre et à clarifier la position du Gouvernement sur ce qu'il se passe en Chine. Il s'agit d'un massacre d'une ampleur et d'une violence inégalées. Je suis donc très étonnée que vous ayez si peu abordé le sujet dans votre propos liminaire.
Un comité parlementaire de solidarité pour le peuple ouïghour s'est constitué le 30 septembre. Vous avez sans doute lu notre tribune parue dans Libération. Ce comité rassemble des membres du groupe Socialistes et apparentés, du groupe Écologie Démocratie Solidarité (EDS), et des groupes de La France insoumise, de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) et Libertés et Territoires.
La situation des Ouïghours alarme de nombreux groupes de notre assemblée. Nous nous inquiétons des camps en Chine et des pratiques de torture qui sont employées – stérilisation et avortement de masse, travail forcé, etc. C'est d'une violence inouïe. Vous estimez qu'il s'agit de violences injustifiables. Nous pouvons aller plus loin dans la dénonciation, comme dans les moyens mis en œuvre, pour que notre parole se fasse entendre. Or nous n'entendons pas la parole de la France.
Nous l'avons en revanche particulièrement entendue sur le Liban. Les termes employés par le Président de la République donnent l'impression que le Liban est sous protectorat français. La façon dont le Président de la République s'exprime sur la situation des dirigeants et du peuple libanais constitue une ingérence inacceptable.
D'un côté, l'ingérence est inacceptable, et de l'autre le silence de la France est coupable s'agissant des Ouïghours. Je vous demande solennellement de clarifier votre position sur ce qui se passe en Chine : que faire à l'égard des entreprises françaises qui se trouvent, de fait, complices de cette situation du fait de leurs activités sur place ?
Monsieur le ministre, j'ai retenu de vos propos quelques phrases clés : la politique du fait accompli ne pourra plus constituer la politique française, et vous reviendrez au droit international – c'est intéressant. J'ai noté aussi que vous aviez mentionné la fermeté française, dans sa justesse.
J'évoquerai tout d'abord le soutien apporté par la France au président comorien Azali Assoumani, plutôt qu'à son peuple. En 2018, ce putschiste a organisé un vote sur une réforme constitutionnelle dont les observateurs internationaux – notamment ceux issus de l'Union africaine – ont reconnu que le résultat était issu d'un bourrage d'urnes. La France, qui n'aurait jamais dû reconnaître ce résultat – c'est son attitude ailleurs, pourquoi pas ici ? – doit demander à l'exécutif de reprendre les présidences tournantes et de remettre en place des élections en novembre, comme proposé dans la constitution issue de la réconciliation nationale en 2001. Agir ainsi et faire respecter les accords, notamment ceux signés sous l'égide de la France, serait gage de paix.
La France devrait également avoir un avis sur la candidature de M. Ouattara pour un troisième mandat, en contradiction avec la constitution ivoirienne et avec ses propres engagements – engagements d'ailleurs salués par le Président Macron. En outre, la France compte-t-elle s'exprimer concernant la répression qui s'abat sur les démocrates ivoiriens ?
Après la parution du rapport du secrétaire général de l'Organisation des Nations unies (ONU) sur le Sahara occidental, une question fondamentale se pose : quel rôle la France joue-t-elle ? J'aborde ce sujet, car M. le ministre a souligné que la politique française ne s'appuierait plus sur le fait accompli et a mis en avant le retour au droit international ! J'en suis satisfait mais la question du Sahara occidental est donc posée. Il n'y a pas de commissaire de l'ONU sur ce territoire. Monsieur le ministre, avez-vous agi auprès de l'ONU pour y remédier ?
Un an après le grand dialogue national au Cameroun, les fractures au sein de la société demeurent. La France soutient le président Paul Biya depuis toujours, mais ce n'est plus acceptable. Que compte faire la diplomatie française ?
Enfin, compte-t-elle réagir face à l'offensive saoudienne et israélienne de réconciliation qui se fera sur le dos de la Palestine ? La France ne pourrait-elle pas enfin se rallier aux peuples opprimés pour faire avancer la cause de la paix dans le monde, puisque c'est de cela qu'il s'agit lorsque l'on discute avec le ministre des affaires étrangères ?
Depuis le mois d'août, les avions militaires chinois effectuent des incursions répétées au-delà de la ligne médiane du détroit de Taïwan, dans la partie sud-ouest de la zone d'identification de défense aérienne, tout en démentant l'existence de cette ligne médiane – délimitation pourtant tacitement respectée pendant des décennies par chacune des rives du détroit et qui est considérée par le gouvernement taïwanais comme un élément de statu quo.
Selon le journal communiste chinois Global Times, ces opérations doivent préparer l'Armée populaire de libération (APL) à une possible future attaque, surtout à l'approche de la période de transfert de pouvoir – s'il a lieu – aux États-Unis, allié principal de Taïwan, au cours de laquelle Taïwan serait plus fragile.
Les Taïwanais sont donc dans une situation plus que préoccupante, dont l'issue pourrait être d'une extrême gravité. Alors que le rêve chinois voulu par Xi Jinping consiste à unifier la Chine, par la force s'il le faut, Sebastian Veg, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), affirme que Pékin ne semble pas avoir arrêté de stratégie définitive par rapport à Taïwan. Il existe donc encore une fenêtre pour une dissuasion internationale plus efficace, à condition que les pays européens en aient la volonté.
Monsieur le ministre, quelles mesures allez-vous prendre pour contribuer concrètement à cette dissuasion internationale et éloigner les menaces qui pèsent sur Taïwan ? Nous avons tendance à réagir face aux événements plutôt qu'à les prévenir.
En outre, lors du forum de l'Union européenne sur les investissements 2020, la présidente de Taïwan, Mme Tsai Ing-wen, a rappelé sa volonté de négocier avec l'Union européenne un accord sur les investissements, en particulier dans les secteurs des technologies de l'information et de la communication (TIC), des biotechniques, de la santé et de la mobilité. La France l'encouragera-t-il au sein des instances de l'Union ? La commissaire européenne, Mme Mariya Gabriel, que nous avons auditionnée la semaine dernière s'est montrée ouverte à une association avec Taïwan en cas de demande officielle.
Monsieur le ministre, je vous avais interrogé lors de votre dernière audition sur l'éventuel financement indirect de Daesh par la société française Rubis, qui dispose d'infrastructures de stockage et de distribution de produits pétroliers sur le port de Ceyhan en Turquie. Vous m'aviez répondu : « Je suis ouvert à tout examen du dossier que vous évoquez, je n'ai pas d'informations particulières alors que vous semblez en avoir beaucoup. Je vous remercie donc de m'en faire part, car je souhaite que toute la lumière soit faite ». Je vous ai envoyé dès le lendemain les éléments que j'avais à ma disposition. Je n'ai eu à ce jour aucune réponse.
Nous pouvons toujours donner des leçons à l'international et gonfler nos muscles, notamment avec la Turquie, mais la priorité est d'aller voir de près ce que font nos entreprises. Nous avons failli passer à côté de Lafarge, ne passons pas à côté de Rubis. Vu l'importance de la lutte contre le terrorisme, l'absence de réponse me paraît très préjudiciable. J'avais d'ailleurs également posé une question écrite à votre collègue Christophe Castaner, ministre de l'intérieur, et n'ai pas non plus obtenu de réponse de la part du ministère de l'intérieur.
J'en viens enfin à la situation des Ouïghours et, plus largement, de l'ensemble des prisonniers de conscience en Chine. Je m'associe à mes collègues, mais j'ai aussi déposé une proposition de loi concernant les prélèvements non éthiques d'organes, cosignée par soixante-quatre collègues de toutes sensibilités politiques. C'est un moyen concret à notre disposition afin d'encadrer les coopérations scientifiques entre les établissements scientifiques et de santé français et chinois. Je n'ai pas de réponse officielle, en dehors d'un intérêt exprimé par le Président de la République. Le Gouvernement donnera-t-il un avis favorable à cette proposition de loi ?
Le 15 septembre, à la Maison Blanche, sous la présidence de Donald Trump, les Émirats arabes unis et le Bahreïn ont signé des accords de normalisation de leurs relations avec Israël – les accords d'Abraham. Quand la paix progresse, quand la reconnaissance d'Israël – qui a su rester une démocratie bien qu'étant entouré d'États qui souhaitaient sa disparition – progresse, il faut a priori s'en réjouir.
Néanmoins, à mon initiative, soixante parlementaires se sont interrogés dans une tribune sur les angles morts de ces accords dont nous craignons qu'ils ne soient pas forcément de nature à favoriser une paix juste.
L'on ne peut ignorer ce qui se joue pour la riche fédération des Émirats arabes unis, qui fut à la tête des forces qui souhaitaient clore l'épisode des printemps arabes et qui use autant de soft power que de hard power pour faire avancer ses intérêts dans la région – au Yémen, où nous sommes témoins impuissants d'une catastrophe humanitaire, comme en Libye, où son ingérence est dénoncée par les organisations de défense des droits humains.
Nous avons affaire à des accords qui ne changent rien pour les Palestiniens – leurs droits fondamentaux ne sont pas pris en compte. Ils ne changent rien au régime d'occupation. Nous avons même vu que la colonisation continue depuis leur signature ! Le Premier ministre Benyamin Netanyahou a approuvé la construction de cinq mille nouveaux logements en Cisjordanie. Pire, le projet d'annexion d'une grande partie de la Cisjordanie, dénoncé par la France, n'est même pas abandonné – contrairement à ce qu'ont affirmé les Émirats arabes unis.
Ces accords rompent par ailleurs avec le consensus arabe tel qu'édicté en 2002 par le plan du roi saoudien Abdallah. Ce consensus, véritable feuille de route, prévoyait une paix globale entre Israël et tous ses voisins arabes en échange de la création d'un État palestinien sur les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale – c'est la solution que la France soutient officiellement.
Avec ces accords, les Émirats arabes unis ont fait voler en éclats ce consensus et ont brisé un double paradigme : la fin du conflit israélo-arabe selon un schéma multilatéral et la nécessité de revenir au droit international comme base de règlement des conflits.
Monsieur le ministre, quelle est la position de la France concernant ces accords et que signifient-ils pour l'avenir de notre diplomatie dans la région, et de notre soutien à une paix juste qui n'oublie aucun peuple ?
Concernant le Haut-Karabagh, monsieur Teissier, je ne souhaite pas renoncer à notre rôle dans le cadre du processus de Minsk. Certaines tribunes expriment le souhait que la France sorte de la forme d'impartialité que lui confère sa position au sein du Groupe de Minsk. Nous avons une relation historique, amicale, fraternelle avec les Arméniens. Je ne suis pas sûr que ce soit leur rendre service que de le faire. D'ailleurs, ils ne nous le demandent pas. J'ai mon collègue arménien au téléphone tous les jours. Nikol Pashinyan et le ministre arménien des affaires étrangères demandent que la France joue son rôle auprès de la Russie et des États-Unis pour provoquer un cessez-le-feu, ainsi qu'un processus de négociation.
Notre faute collective, ainsi que celle des Arméniens et des Azerbaïdjanais, est de ne pas avoir engagé sérieusement la négociation sur les territoires. Je comprends que certains craignent qu'à l'issue du cessez-le-feu l'on se contente de tracer une ligne de démarcation et que cette affaire reparte pour dix ans. Il faut que tout le monde soit assuré que le cessez-le-feu s'accompagnera de l'engagement immédiat de discussions concernant les territoires, d'autant que les districts voisins du Haut-Karabagh font aussi l'objet de combats.
Il faut poser tout cela sur la table, et commencer la négociation sur la base d'un cessez-le-feu, en demandant la non-intervention de puissances extérieures. Je pense plus particulièrement à la Turquie : l'intervention turque, notamment par des livraisons d'armes, doit cesser, et les mercenaires syriens transférés – transfert dont nous avons presque les preuves – doivent être rapatriés d'où ils viennent.
Sur ce point, monsieur Teissier, nous avons peut-être un désaccord. Mais il me semble que c'est le rôle que nous devons jouer.
Madame Clapot, il est vrai que le conflit continue et que les bombardements se poursuivent, en particulier dans la ville principale de Stepanakert. Cela entraîne des migrations et des situations très difficiles. Nous redisons aux deux parties que les lois de la guerre interdisent de frapper les civils et souhaitons qu'elles puissent aboutir à une solution évitant toute agression de ce type. Nous participons aussi à l'intervention des ONG visant à aider les populations du Haut-Karabagh dans leurs difficultés.
Il faut arrêter l'escalade ; c'est pour nous une exigence. Notre rôle diplomatique consiste à le faire savoir et à faire pression sur les parties pour aboutir à un début de négociation. Je souhaite donc que les hypothèses de négociation en cours puissent mener à une véritable discussion, tout en comprenant l'empathie exprimée à l'égard des Arméniens.
Monsieur Fanget, je ne pense pas qu'il faille commencer par une réforme de la constitution libanaise. Le pire serait une fuite en avant dans le temps. Sans doute faut-il y penser, mais l'urgence au Liban demeure une feuille de route gouvernementale d'action. Sans cela, la réforme de la constitution risquerait d'intervenir dans un pays disloqué, ce qui ne servirait à rien.
Le même problème se pose d'ailleurs concernant les élections anticipées. Si elles étaient organisées maintenant, cela reviendrait à reposer le problème constitutionnel, donc à discuter pendant un an, voire un an et demi. Pendant ce temps, le pays risque de sombrer – il est déjà en train de sombrer !
Je n'ai pas d'opposition à une réflexion constitutionnelle. Elle s'imposera à un moment donné, car le dispositif actuel n'est plus pertinent. Toutefois, l'urgence est que les différentes parties du Liban se mettent en mouvement pour constituer un gouvernement d'action.
Je me suis entretenu à plusieurs reprises avec le cardinal Parolin à Rome sur la situation libanaise. Le Saint-Siège peut avoir une influence non négligeable, comme d'ailleurs le patriarche maronite, monseigneur Raï, avec lequel je m'entretiens à chaque visite au Liban. Ils ont un rôle de pression et d'influence essentiel.
Les acteurs libanais doivent comprendre que la population n'attend que cela, souhaite cela, et qu'ils ne sont peut-être plus en phase avec elle…
J'en viens à la question de M. Habib sur le Hezbollah. Il se trouve qu'il existe des Libanais qui votent pour le Hezbollah politique ; c'est ainsi. Nous sommes bien obligés d'en tenir compte ! Si personne ne votait pour le Hezbollah, nous pourrions dire que cette organisation n'est pas représentative. Or un nombre significatif de Libanais vote pour elle. Il représente donc une force politique. Nous condamnons la force militaire, mais nous discutons avec le Hezbollah car il doit être partie prenante au dispositif.
Au Liban, tout le monde parle avec tout le monde. Cela ne fait pas une solution, mais tout le monde se parle – y compris les responsables du Hezbollah. Nous condamnons cependant le Hezbollah militaire et avons sur ce point une position très rigoureuse.
L'enquête sur l'explosion du port n'est pas terminée. Vous avez sans doute des informations dont je ne dispose pas, monsieur Habib. Une enquête est en cours, à laquelle la France participe avec des experts.
Je reviendrai ultérieurement sur l'attentat de la rue des Rosiers.
Monsieur David, nous sommes favorables à la participation de Taïwan aux travaux de l'OMS. Je l'ai déjà dit à plusieurs reprises. Pour que la gestion des pandémies soit efficace, il faut que tout le monde participe à ces travaux. En revanche, nous ne reconnaissons qu'une seule Chine. Nous ne reviendrons pas sur ce principe qui est celui de la France depuis le général de Gaulle.
Madame Dumas, cela n'empêche pas que nous sommes particulièrement favorables à la liberté de navigation dans les eaux situées au-delà des eaux territoriales des différents pays. Nous sommes donc opposés à l'espèce de prééminence que la Chine veut exercer, en rupture avec le droit international de la mer, sur toute la mer de Chine méridionale. Nous l'avons rappelé fermement à plusieurs reprises. Je le redis ici. Le même principe vaut également pour le bras de mer situé entre le territoire continental et les neuf archipels ou îlots situés le long de la mer de Chine, que la Chine veut considérer comme une mer intérieure en vertu de la « ligne des neuf traits ».
Sur la société Rubis, j'ai pris bonne note de ce que vous m'avez dit. Nous poursuivons nos investigations par les moyens appropriés.
Monsieur El Guerrab, nous n'avons pas à nous substituer aux acteurs du nouveau dispositif monétaire de l'Afrique de l'Ouest. À l'occasion de la visite du Président de la République en Côte d'Ivoire en décembre 2019, la France et l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ont signé un nouvel accord de coopération militaire supposant le changement de nom de la monnaie des États de l'UEMOA – qui devrait, a priori, devenir l'éco, mais le nom de la future monnaie ne fait pas encore consensus –, la fin de la centralisation des réserves de change de la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest (BCEAO) auprès du Trésor français, ainsi que le retrait de la France des instances de gouvernance dans lesquelles elle était présente.
Si nous nous retirons des instances de gouvernance, je ne vais pas vous dire comment la nouvelle monnaie sera constituée ! Le projet de loi d'approbation de l'accord a été présenté au conseil des ministres en mai et le texte est en cours d'examen à l'Assemblée nationale, M. Jean François Mbaye, membre de votre commission, en étant le rapporteur. Nous souhaitons que cette démarche aboutisse et que la nouvelle monnaie entre en circulation dès que les autorités de ces pays le jugeront utile. Il s'agit d'un acte significatif et plus que symbolique, qui marque une nouvelle donne en Afrique de l'Ouest.
Nous faisons le maximum pour faciliter le retour de nos compatriotes du Maroc. Des bateaux ont été affrétés. Les modalités de retour des camping-cars sont cependant complexes, d'autant qu'il faut tenir également compte des mesures marocaines.
Je dois me rendre en Algérie prochainement et ferai le point avec les autorités algériennes.
Monsieur Habib, nous avons toujours demandé l'extradition des personnes responsables de l'attentat de la rue des Rosiers. J'en ai parlé à plusieurs reprises à ma collègue norvégienne. Nos démarches ont finalement abouti à l'extradition de M. Walid Abdulrahman Abou Zayed. C'est une première étape vers un procès. Je n'oublie pas qu'il y a d'autres personnes susceptibles d'être extradées. J'en parle régulièrement avec les autorités, notamment jordaniennes.
Madame Autain, vous pouvez porter un jugement négatif sur mes déclarations concernant les Ouïghours. C'est votre droit. Cependant, je ne vais pas redire ce que j'ai dit le 6 octobre, et deux fois précédemment en juillet. Peut-être ne m'avez-vous pas entendu ! J'ai parlé de ce sujet trois fois à l'Assemblée nationale. Je ne suis donc pas silencieux, ou alors je ne me comprends plus moi-même ! Si quand je parle, personne ne m'entend, cela devient un problème. J'ai aussi évoqué la situation au Sénat. Ma position est extrêmement claire. Je ne suis pas silencieux et n'accepte pas ce procès d'intention ! Nous refusons la situation dans laquelle les autorités chinoises mettent les Ouïghours. Vous avez raison d'en parler mais je l'ai évoqué à plusieurs reprises. Je pourrais peut-être vous envoyer les copies du Journal officiel. Puisque vous ne m'avez pas entendu, vous pourrez me lire !
Nous aurions d'ailleurs besoin d'un appui urgent dans le cadre d'une démarche que nous avons initiée : la haute représentante des Nations unies aux droits de l'homme, Mme Bachelet, doit pouvoir mener une mission d'inspection en toute transparence, avec les experts nécessaires, pour analyser la situation et montrer à l'opinion publique internationale ce qui se passe. Elle est d'accord pour se rendre sur place. Vous le voyez, c'est une action très concrète, que la Chine peut difficilement refuser. Il faut maintenant pousser les autorités chinoises à accepter cette mission et il faut qu'elle puisse se dérouler dans la plus grande transparence.
Je me suis également clairement exprimé le 6 octobre sur le respect de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre. Cela figure dans le texte de ma réponse.
S'agissant de l'ingérence française au Liban, qu'aurait-on dit si le Président de la République ne s'était pas rendu sur place après l'explosion ? Peut-être est-ce que vous vouliez, mais il a pensé qu'il valait mieux être présent au Liban après ce drame. De même, qu'aurait-on dit si le Président de la République n'était pas allé marquer le centenaire de la création du Liban le 1er septembre ? Il se trouve que cet événement est survenu au cours d'une crise politique ; il lui a donc permis de rencontrer les différents responsables politiques libanais.
Monsieur Lecoq, je ne savais pas que vous vous intéressiez aux Comores ; il s'agit effectivement d'un sujet important.
Un scrutin présidentiel a eu lieu en 2018 aux Comores, nous avons pris acte de son résultat. Nous avons également signé un accord le 22 juillet 2019 visant à donner un nouvel élan à notre coopération avec les Comores et impliquant notamment des engagements réciproques en matière d'aide au développement et de maîtrise des flux d'immigration irrégulière.
Le président Azali Assoumani a pris des engagements. Les Comores se trouvent dans une situation compliquée. Les discussions se poursuivent, assorties d'une mobilisation financière significative afin de lutter contre la pandémie dans l'archipel. Nous avons déjà débloqué 1,5 million d'euros. Nous devons marquer notre solidarité avec cet archipel, j'y suis très attaché.
Vous avez raison, il est urgent de remplacer Horst Köhler, ancien émissaire des Nations unies au Sahara occidental, qui a dû quitter son poste pour raisons de santé. Nous l'avons fait savoir au secrétaire général des Nations unies.
Nous serons très vigilants à la façon dont se dérouleront les élections en Côte d'Ivoire.
En Biélorussie, des dizaines de milliers de personnes manifestent dans les rues. Ne faites pas des comparaisons hâtives. Il se trouve qu'un processus démocratique est en cours en Côte d'Ivoire, même si on peut débattre de la nouvelle constitution – mais ce n'est pas mon rôle ; ce serait vraiment de l'ingérence.
Vous savez pourquoi nous en sommes là. La situation fait suite au décès du Premier ministre Coulibaly, survenu peu de temps avant les prochaines élections présidentielles prévues le 31 octobre. Le président Ouattara a estimé devoir se représenter, c'est son libre choix. Nous souhaitons simplement que les élections se déroulent dans l'impartialité et dans un climat apaisé.
Je m'étais engagé à me rendre au Cameroun à partir du moment où le président Biya ferait des gestes d'apaisement. C'était en octobre 2019. J'ai alors discuté franchement avec lui, et avec son gouvernement, notamment sur la nécessité d'une décentralisation afin d'apaiser la crise au nord-ouest et au sud-ouest du pays.
À la suite du décès en détention du journaliste Samuel Wazizi, nous appelons les autorités camerounaises à mener une enquête indépendante et impartiale sur les circonstances de sa mort et à faire le nécessaire pour rétablir la confiance sur la scène politique intérieure. Nous avons toujours tenu ce discours, y compris lorsque je me suis rendu sur place. L'intérêt des Camerounais est de favoriser le dialogue entre les différentes parties prenantes aux élections régionales prévues en décembre, en vue d'un scrutin transparent, dans un climat politique apaisé. Nous développons la même logique en Côte d'Ivoire.
M. Hubert Julien-Laferrière, nous avons salué l'accord entre les Émirats arabes unis et Israël car il contribue à la stabilité et à la paix, mais avons également rappelé plusieurs fois publiquement que les annexions devaient être définitivement suspendues et que le contexte nouveau devait favoriser la relance d'une négociation en vue d'aboutir à une solution à deux États. Notre position est très claire. Nous avons pris contact avec l'Allemagne, la Jordanie et l'Égypte pour engager un processus en ce sens. Je me suis rendu à Amman pour cette rencontre, publique, qui a donné lieu à une conférence de presse.
Toutefois, vous n'êtes pas sans savoir qu'un événement majeur doit avoir lieu le 4 novembre de l'autre côté de l'Atlantique, et bloque de nombreuses discussions internationales, sur ce sujet comme sur d'autres.
Je remercie la présidente Marielle de Sarnez de m'avoir fait confiance pour présider l'audition de Mme Svetlana Tikhanovskaïa, qui a constitué un moment très fort pour notre commission.
Nous avons entendu une personne déterminée, à la voix posée, pleine de courage – la voix de son peuple. Elle a tenu devant notre commission les mêmes propos que ceux qu'elle vous avait adressés à Vilnius. Elle a remercié la France pour son soutien et remercie le Président de la République Emmanuel Macron de ne pas reconnaître le vote du 9 août. Elle nous a demandé de continuer à la soutenir.
Elle nous a reprécisé que son peuple était uni – même les personnes âgées sont descendues dans la rue et manifestent. Elle prône des élections libres et non truquées pour que son pays puisse se déterminer librement.
Elle estime qu'il faut faire pression de l'intérieur, par le biais de manifestations, et de l'extérieur, au moyen de sanctions. Elle nous a également présenté des demandes concrètes : la création d'un couloir humanitaire pour les victimes de violences en raison de leur engagement politique et l'accueil des étudiants biélorusses – nous ne délivrons actuellement que quatre bourses. Elle nous a également demandé de relayer et de diffuser le travail des journalistes indépendants afin que l'on parle le plus positivement possible de la Biélorussie, de l'unité de son peuple et de sa volonté de se déterminer librement.
Enfin, elle nous a adressé une invitation à venir en Biélorussie pour constater l'unité de son peuple. Les collègues parlementaires ont trouvé que c'était une très bonne idée et souhaitent que cette délégation puisse être constituée.
Le 9 août, six ressortissants français d'ONG ont été sauvagement assassinés au sud-ouest du Niger. Je salue la mémoire de ces personnels humanitaires, souvent envoyés dans des zones de crise difficiles, où les États ne vont plus.
La protection des personnels humanitaires en zone de conflit est une question récurrente. Les atteintes à leur sécurité vont croissant. Cela nous inquiète. Mon collègue Moetai Brotherson et moi-même nous sommes saisis de cette question et avons rendu récemment un rapport sur le droit international humanitaire.
Monsieur le ministre, seriez-vous disposé à ouvrir une réflexion sur la création d'un statut international du personnel humanitaire ? Il s'agit de la proposition 12 de notre rapport, qui fait écho aux propos que vous avez tenus en octobre 2017.
Où en est la coopération de la France avec l'État du Niger pour mener à bien les investigations relatives à l'assassinat sauvage de ces personnels ?
Alors que la Russie s'était imposée comme l'arbitre du différend territorial entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, il semblerait que le Kremlin ait perdu des marges de manœuvre au profit de la Turquie. Celle-ci a déclaré à plusieurs reprises son soutien à l'Azerbaïdjan et nous semblons avoir des preuves de son soutien militaire aux troupes azerbaïdjanaises engagées au Haut-Karabagh – même si cette présence est démentie par Ankara et Bakou.
Le Président de la République a récemment demandé des explications à la Turquie concernant son implication dans le conflit, et notamment l'envoi de centaines de djihadistes.
Quel est votre point de vue sur ces interventions et quelles sont vos relations avec votre homologue turc ?
Le 22 juillet 2019, vous avez signé à Paris avec votre homologue comorien un document cadre de partenariat entre la France et les Comores, présenté comme inaugurant une nouvelle page dans les relations diplomatiques entre ces deux pays.
Le calendrier a été tenu. Des réunions du comité de suivi ont été organisées avec les deux parties. J'y participe, je sais et salue les efforts entrepris par l'État français. Toutefois, des événements récents appellent fortement mon attention. Un nouveau drame de l'immigration clandestine a eu lieu avec la mort de dix Comoriens, dont un, dans le naufrage d'un kwassa-kwassa survenu le 24 septembre. Ce même jour, le président comorien Azali Assoumani est intervenu devant les Nations unies en réaffirmant la souveraineté de son pays sur Mayotte, déclarant : « La souveraineté sur Mayotte est un combat légitime dans lequel tout Comorien doit se reconnaître. » Il a également rappelé la signature du document-cadre susmentionné avec la France en juillet 2019, disant compter sur la volonté de chaque pays pour trouver une solution à ce « contentieux désagréable ».
Dans le plan de développement France-Comores (PDFC) annexé au document-cadre, une large place est accordée à la sécurité des personnes et à la nécessité d'un renforcement de Mayotte française dans son environnement régional. Or les déclarations du président comorien nous laissent, nous Mahorais, fortement perplexes quant à sa volonté de respecter cet accord.
À la lumière de ces faits, quel est l'état actuel des relations diplomatiques entre la France et l'Union des Comores ? Que compte faire l'État français pour faire respecter l'accord entre ces deux pays ?
Monsieur le ministre, vous avez évoqué de nombreuses crises. À chaque fois, nous avons noté une parole forte du Président de la République, de vous-même et de la diplomatie française. Cependant, nous peinons parfois à voir les résultats concrets de ces prises de position.
Certes, la diplomatie et les négociations prennent du temps. Toutefois, quelles sorties de crise envisagez-vous ? Si les prises de parole sont fortes, à l'image de celle du Président de la République au Liban, qui a parlé de sa « honte », que se passe-t-il ensuite ? Quelle sortie de crise ?
Quelle sortie de crise pour le Haut-Karabagh, où de nombreux civils meurent tous les jours ? Quelle sortie de crise avec la Russie concernant l'affaire Navalny ? Quelle sortie de crise pour la Biélorussie ? Quelle est l'action de la France ?
Je sais qu'au-delà des déclarations et des incantations, vous êtes attaché à des résultats concrets. Quels sont ceux que vous entrevoyez dans ces différentes crises ?
Par ailleurs, comment percevez-vous le rôle de la Turquie ? Ne vous préoccupe-t-il pas ? Comment envisagez-vous les discussions avec ce pays, acteur compliqué de la géopolitique, notamment au Proche-Orient ?
Ma question porte sur l'aide apportée par la France au secteur privé en Afrique, notamment aux entreprises des Français de l'étranger (EFE). Un amendement du Gouvernement a été adopté dans le cadre du troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR 3) en juillet, prévoyant une garantie de l'Agence française de développement (AFD). Sa filiale Promotion et participation pour la coopération économique (PROPARCO) pourra ainsi accorder des prêts et garanties à hauteur de 160 millions d'euros aux entreprises et institutions financières du secteur privé africain.
Cette mesure, soutenue par l'AFD, pour laquelle je me suis particulièrement mobilisée ainsi que ma collègue Anne Genetet, vise à donner aux TPE-PME en Afrique – dont celles détenues par des Français installés là-bas – la possibilité d'obtenir des financements auprès des institutions bancaires.
Je comprends qu'il soit techniquement difficile de mettre en place un tel dispositif, qui nécessite de définir des critères d'éligibilité rigoureux. Toutefois, si j'en crois le secrétaire d'État M. Jean-Baptiste Lemoyne, il ne sera pas installé avant la fin de l'année – soit plus de six mois après son vote, et ce malgré l'urgence extrême de la situation.
Quel est le calendrier précis de mise en œuvre de cet outil ? Serait-il possible de l'étendre à d'autres régions, l'AFD n'y étant pas opposée ?
Enfin, l'impasse politique semble totale au Liban, tandis que l'on prédit une grave crise alimentaire qui pourrait toucher la population. Le Président de la République s'est beaucoup mobilisé pour la population libanaise. Il a récemment exprimé sa « honte » devant une « trahison » de la classe politique. Selon vous, le Premier ministre désigné Mustapha Adib, qui a jeté l'éponge et est de retour en Allemagne, pourrait-il reprendre du service ? Le déplacement du Président Macron en décembre est-il confirmé ? Quel est l'agenda de la France face à la situation de blocage que connaît le Liban et face à la forte mobilisation de la communauté internationale ?
Un deuxième référendum s'est tenu le 4 octobre sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Il n'y a que 10 000 voix d'écart entre les loyalistes et les indépendantistes. Dans la perspective où le troisième référendum, fortement envisagé, aboutirait à l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, savez-vous si l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou d'autres puissances voisines sont inquiètes quant à une présence plus affirmée de la Chine dans cet espace indopacifique ? Une voix d'une grande autorité a récemment parlé « d'hégémonisme chinois ».
Les sanctions actuelles ne doivent être que le début de la pression exercée par les pays européens sur le régime de Loukachenko, selon Mme Tikhanovskaïa. Où sont les fragilités du régime, sur lesquelles il pourrait être nécessaire d'appuyer davantage ?
Monsieur le ministre, dès votre prise de fonction en 2017 et suite à vos interventions à l'ONU concernant des enfants dans les conflits armés, je vous avais informé de mes travaux relatifs aux enfants sans identité, de la mobilisation des acteurs dans le monde et de la nécessité d'un engagement de la France. Dans le monde, un quart des enfants de moins de cinq ans ne sont pas enregistrés à la naissance. La France n'est pas exempte, en particulier à Mayotte. 166 millions d'enfants de moins de cinq ans n'ont ainsi pas d'existence légale, sont privés de droits élémentaires et victimes des pires abus.
Le problème est bien identifié, géographié. Les causes sont connues. Les solutions existent. C'est ce que rapportent les travaux menés avec ma collègue Aina Kuric dans le cadre de notre mission d'information de la commission des affaires étrangères, dont le rapport a été adopté à l'unanimité le 22 septembre.
La France a un rôle à jouer, au niveau national, dans sa politique bilatérale d'aide au développement et au sein des instances internationales dans lesquelles elle siège. Nous avons décliné vingt-trois propositions. Votre ministère est en première ligne pour agir, dès maintenant. Nous comptons sur vous.
Faire que chaque enfant compte est une nécessité pour l'adulte qu'il deviendra, pour son pays qui doit savoir qu'il existe, et pour la communauté internationale dans laquelle il pourra être amené à se déplacer un jour. Vous connaissez mon engagement. Je ne doute pas du vôtre pour défendre une si grande cause.
La situation est plus que critique à Madagascar, en particulier au sud de l'île qui a fait la une du Journal de l'île de La Réunion cette semaine, provoquant une vive émotion. Si le sud de Madagascar est habitué aux fortes chaleurs et à la sécheresse, l'année 2020 s'annonce particulièrement destructrice et la famine gangrène cette région. Ce phénomène de sécheresse et de faim, traditionnellement appelé le kéré, dure depuis près d'un an.
En janvier 2017, plus d'un million de personnes manquaient d'eau potable à Madagascar et près de 850 000 personnes étaient en situation d'insécurité alimentaire sévère dans le sud du pays. Ces chiffres importants traduisent la difficulté du pays à faire face au phénomène climatique. Au-delà des images inquiétantes diffusées cette semaine, l'annonce du décès de huit enfants pour cause de famine interpelle.
En espérant que cela soit toujours le cas, l'Assemblée nationale devrait prochainement étudier le projet de loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale. La liste de dix-neuf pays bénéficiaires de l'aide publique au développement (APD) qu'il comprend compte Madagascar.
Où en est la stratégie de développement à Madagascar ? Dans quels domaines la France concentrera-t-elle ses efforts d'APD sur le sol malgache ?
Au-delà du conflit entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, c'est l'intervention turque, avérée, forte, qui « dope » l'Azerbaïdjan et pose un problème non seulement politique, mais moral. La Turquie a tout de même commis un génocide contre les Arméniens. La solidarité de la France à l'égard des Arméniens devrait peut-être nous conduire à des menaces plus précises à l'égard de la Turquie.
Il y a eu l'interventionnisme turc en Syrie, le massacre des Kurdes, la campagne dans les eaux chypriotes et grecques, le transfert de mercenaires en Libye. Nous assistons désormais à une intervention des Turcs dans le Haut-Karabagh. Vous avez mentionné le Conseil européen de décembre. Quels actes concrets permettront d'aller plus loin que les paroles ? Le président de la commission des affaires étrangères du Bundestag s'est permis de dire lors d'une interview que la France n'a rien fait sur l'affaire russe. Lorsque l'on sait le double jeu que joue l'Allemagne en matière turque, le Président de la République ne devrait-il pas dire sa vérité à Mme Merkel et demander plus de solidarité de l'Allemagne dans cette affaire ?
Monsieur le ministre, je voudrais saluer l'intervention de la France et nos positions fortes concernant le Liban, la Biélorussie et d'autres dossiers.
En revanche, la France pourrait prendre plus précisément position sur plusieurs dossiers africains. Au Cameroun, le domicile de Maurice Kamto est encerclé par les forces de l'ordre depuis trois semaines, sans qu'il ne puisse sortir, ni se faire ravitailler. Des centaines de manifestants ont été arrêtés le 22 septembre. La France est-elle intervenue ou peut-elle intervenir ?
Vous souhaitez une élection apaisée et inclusive en Côte d'Ivoire. Pensez-vous qu'avec deux candidats, des députés encore emprisonnés et une interdiction de manifester dans les rues d'Abidjan les conditions d'une telle élection seront réunies le 31 octobre ?
Enfin, des élections sont prévues le 18 octobre en Guinée-Conakry, où la situation est très tendue.
Nous avons appris avec un immense soulagement la libération dans les heures à venir de l'otage Sophie Pétronin, ainsi que de l'opposant malien Soumaïla Cissé. Les heures passent et la libération semble tarder. Faut-il s'inquiéter ?
Cela fait plus de huit ans que je traite des affaires d'otages. Je n'ai jamais évoqué ces questions ni en public ni en privé. Ce n'est pas aujourd'hui que je vais changer ! Ces dossiers sont réglés dans un cercle extrêmement restreint. Vous devriez tous méditer sur cette posture.
Par qui ? Je maintiens la position que je viens d'énoncer.
Je reprendrai précisément les différents éléments évoqués dans vos questions la semaine prochaine. Pour conclure notre réunion d'aujourd'hui, je reviendrai rapidement sur deux sujets majeurs.
Il faut clarifier les choses avec la Turquie, je l'ai dit à plusieurs reprises. Les sujets irritants, voire conflictuels, s'accumulent : en Libye, la présence militaire turque, significative, nous interpelle ; en Syrie, à la fois dans le nord-est et dans le nord-ouest, deux postures différentes ont abouti à des attitudes agressives à l'égard de nos propres alliés kurdes, en particulier les Forces démocratiques syriennes (FDS) ; la question irakienne est, elle, nouvelle ; les Turcs sont aussi présents militairement dans le nord-Irak et dans le Kurdistan irakien ; enfin, je vous ai parlé des dossiers du Haut-Karabagh et de la Méditerranée orientale. Cela commence à faire beaucoup !
Nous devons dialoguer avec la Turquie pour parvenir à cette clarification. Le Président de la République s'est entretenu récemment avec M. Erdoğan. Je m'entretiendrai prochainement avec mon collègue Mevlüt Çavuşoğlu. Pour répondre à la question qui m'a été posée, disons que la relation est tonique !
Pour mener ce dialogue musclé, il faut que l'Union européenne soit unie. Il faut que nos partenaires européens soient dans la même dynamique. Notre position est affirmée. D'autres moins, pour diverses raisons que M. Dupont-Aignan a évoquées et que nous connaissons bien – les flux migratoires, l'histoire, la présence de populations turques sur tel ou tel territoire, la proximité géographique, etc.
Lors du dernier Conseil européen, faisant suite à une réunion préparatoire des ministres des affaires étrangères, nous avons abouti à une décision significative concernant la Méditerranée orientale : nous avons acté que, si aucune discussion n'était engagée et si les bateaux turcs n'étaient pas retirés de la zone chypriote et grecque d'ici le Conseil de décembre, des sanctions seraient engagées par le Conseil européen à l'unanimité des vingt-sept. C'est la première fois que nous le disons avec autant de fermeté et de clarté. Il importe donc que les Turcs engagent ces discussions, sans quoi nous serons dans une logique de conflictualité virtuelle, la relation étant marquée par des irritants permanents.
Il fut un temps où le dialogue existait, mais l'engrenage d'initiatives et de faits accomplis devient insupportable.
Si nous nous y engageons seuls, cela n'aboutira pas suffisamment. La discussion doit être menée à vingt-sept, et les vingt-sept doivent dire la même chose – chacun apportant sa propre pierre à la discussion – afin d'obliger la Turquie à « bouger » face à cet expansionnisme tous azimuts qu'elle développe.
Nous constatons également une nouvelle donne géopolitique récente entre la Turquie et la Russie : l'accumulation de sources de conflits potentiels, qui n'existait pas en 2017. C'est le cas en Libye, en Syrie et au Haut-Karabagh. Cela contribue aux instabilités que nous constatons.
M. Herbillon a posé des questions justes. Les sorties de crise sont relativement simples pour nous. Par exemple, concernant la Libye, nous savons ce qu'il faut faire. Il faut que la trêve se transforme en cessez-le-feu dans le cadre du comité militaire 5+5. Parallèlement, il faut lever le blocus pétrolier pour relancer l'économie libyenne, et engager un processus politique passant par des élections et par une réforme de la constitution. Tout le monde est d'accord là-dessus. C'est notre position, celle des Italiens, des Allemands, de la communauté internationale en général. Le problème est de savoir comment mettre ces principes en œuvre !
Vous m'avez interrogé sur le Bélarus. Plus on en parle, mieux on se porte ! Si vous voulez y aller, allez-y ! Je ne sais pas si vous serez acceptés. Je peux faire une lettre à M. Loukachenko, si vous voulez, mais je ne suis pas sûr qu'elle sera validée. Cela vaut néanmoins le coup.
Ce n'est pas une question géopolitique, comme vous l'a dit Mme Tikhanovskaïa. C'est une question de démocratie interne et de médiation. Il faut de nouvelles élections, et des acteurs pour conduire une médiation. L'OSCE est l'acteur potentiel de cette médiation. Les Russes n'y sont pas opposés. Il faut que M. Loukachenko l'approuve. C'est cela, la sortie de crise ! Il faut ensuite un processus électoral, le Bélarus restant dans son indépendance.
Pour le Liban, nous connaissons également le processus. Il faut un gouvernement de transition de dix-huit mois environ, puis des élections législatives. Dans l'attente, plusieurs mesures doivent être prises, partagées par toute la communauté internationale. Au sein du GIS Liban, tous les acteurs tiennent le même discours : il faut réformer la banque du Liban et le système des marchés publics, il faut une loi contre la corruption, etc. Plusieurs actions redonneraient confiance à la communauté internationale qui pourrait alors aider le Liban à agir. Sinon, personne ne le fera !
Nous connaissons donc les modalités de sortie de crise. Nous savons où il faut aller, sur presque tous les sujets. Le rôle de la diplomatie est de réunir suffisamment de personnes pour pousser dans telle ou telle direction. Cela doit se faire par la persuasion et la négociation, non par la force.
Il en va de même pour le Haut-Karabagh. Nous payons sans doute le fait de n'avoir pas été assez actifs dans la discussion entre les Azéris et les Arméniens sur les districts qui entourent cette région – au sud et à l'ouest. Il faut se mettre autour d'une table et discuter.
Monsieur Mbaye, je suis favorable à la mise en œuvre d'un dispositif pour la protection des humanitaires. Je l'ai dit aux Nations unies. Nous sommes prêts à utiliser vos réflexions pour aboutir. Cette initiative est tout à fait opportune. Nous entendons réunir une Conférence nationale humanitaire (CNH) avant la fin de l'année. Je me rendrai prochainement au Niger, où des élections doivent se tenir bientôt.
Mesdames Dumont et Kuric, votre travail sur l'impératif de l'état civil est essentiel. Nous avons noté vos propositions et travaillons dans cette direction. Disposer d'un état civil fait partie des droits essentiels de chaque individu. C'est le début de tout. En l'absence d'état civil, c'est la perdition, comme le montre votre rapport. Je serai très attentif à ce sujet qui me préoccupe beaucoup.
Monsieur Quentin, le processus de Nouméa se poursuit. Un autre référendum aura peut-être lieu dans un délai de dix-huit mois. Ce n'est pas encore décidé, mais c'est une possibilité. Cela reste indépendant de notre relation avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, même si les deux pays s'intéressent beaucoup aux résultats du vote.
Nous travaillons à un renforcement de la stratégie indopacifique, dans la ligne du discours prononcé par le Président Macron au début de son mandat à Sydney. Nous observons un soutien croissant. Ainsi l'Allemagne vient-elle de concevoir un projet stratégique concernant son action dans l'espace indopacifique. Les Australiens y sont très attentifs, tout comme l'Inde et le Japon. Plusieurs acteurs veulent donc avancer dans cette direction, et nous en sommes très heureux.
Nous avons conscience des risques auxquels Madagascar est confrontée. Nous y avons renforcé notre coopération, et mobiliserons 50 millions d'euros d'aide au développement. Je m'y suis rendu récemment, après une longue absence liée à des raisons propres à Madagascar. La France hésitait à faire le déplacement, n'ayant pas la certitude de disposer des bons interlocuteurs. Ce n'est plus le cas, des élections présidentielles ayant eu lieu. La relation est devenue excellente, même si des sujets de contentieux demeurent – notamment les îles Éparses. Ce qui se passe dans le sud de Madagascar est préoccupant. Pour autant, le président de Madagascar, soucieux de la nécessité de lutter contre la déforestation, a pris conscience du potentiel de biodiversité du pays. Il faut encourager ce pays, proche de la France et véritable partenaire potentiel.
S'agissant des fragilités du régime de Loukachenko, il est essentiel de montrer l'intérêt international pour le mouvement initié par le peuple bélarusse. Nous ne reconnaîtrons pas la légitimité de M. Loukachenko. Il n'a donc plus de légitimité politique à l'extérieur, ce qui peut devenir très compliqué pour lui. Il faut agir par la pression et par les sanctions. Comme je l'ai indiqué, quarante personnalités bélarusses feront l'objet de sanctions sur leurs avoirs à l'étranger et vont être entravées dans leurs possibilités de voyager.
La mise en œuvre de l'accord du 22 juillet avec les Comores a rencontré des difficultés, liées en grande partie au coronavirus – notamment concernant les opérations de reconduite, les Comores ayant fermé leurs frontières. La situation s'est améliorée. Nous essayons de faire en sorte que les autorités comoriennes tiennent leurs engagements. Une réunion du comité franco-comorien de haut niveau de suivi de l'accord doit se tenir dans les jours à venir, avec la participation des élus de Mayotte. Nous verrons si des inflexions sont nécessaires. Cet accord est très important, car inédit. Nous avons mis du temps à le signer, mais nous l'avons signé.
Je ne me suis rendu au Cameroun que lorsque Maurice Kamto a été libéré. Je le connais personnellement et j'avais dit aux autorités camerounaises que je n'irais au Cameroun que lorsqu'il serait libre. J'ai respecté mon engagement. Que souhaitez-vous ? Que j'aille à nouveau le voir ? Nous avons exprimé publiquement notre position.
Enfin, nous serons vigilants quant à l'impartialité du scrutin en Côte d'Ivoire. Nous souhaitons que les élections se déroulent dans les meilleures conditions et que les habitants de la Côte d'Ivoire puissent s'exprimer librement.
La séance est levée à dix-sept heures trente.