Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mercredi 7 octobre 2020 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Concernant le Haut-Karabagh, monsieur Teissier, je ne souhaite pas renoncer à notre rôle dans le cadre du processus de Minsk. Certaines tribunes expriment le souhait que la France sorte de la forme d'impartialité que lui confère sa position au sein du Groupe de Minsk. Nous avons une relation historique, amicale, fraternelle avec les Arméniens. Je ne suis pas sûr que ce soit leur rendre service que de le faire. D'ailleurs, ils ne nous le demandent pas. J'ai mon collègue arménien au téléphone tous les jours. Nikol Pashinyan et le ministre arménien des affaires étrangères demandent que la France joue son rôle auprès de la Russie et des États-Unis pour provoquer un cessez-le-feu, ainsi qu'un processus de négociation.

Notre faute collective, ainsi que celle des Arméniens et des Azerbaïdjanais, est de ne pas avoir engagé sérieusement la négociation sur les territoires. Je comprends que certains craignent qu'à l'issue du cessez-le-feu l'on se contente de tracer une ligne de démarcation et que cette affaire reparte pour dix ans. Il faut que tout le monde soit assuré que le cessez-le-feu s'accompagnera de l'engagement immédiat de discussions concernant les territoires, d'autant que les districts voisins du Haut-Karabagh font aussi l'objet de combats.

Il faut poser tout cela sur la table, et commencer la négociation sur la base d'un cessez-le-feu, en demandant la non-intervention de puissances extérieures. Je pense plus particulièrement à la Turquie : l'intervention turque, notamment par des livraisons d'armes, doit cesser, et les mercenaires syriens transférés – transfert dont nous avons presque les preuves – doivent être rapatriés d'où ils viennent.

Sur ce point, monsieur Teissier, nous avons peut-être un désaccord. Mais il me semble que c'est le rôle que nous devons jouer.

Madame Clapot, il est vrai que le conflit continue et que les bombardements se poursuivent, en particulier dans la ville principale de Stepanakert. Cela entraîne des migrations et des situations très difficiles. Nous redisons aux deux parties que les lois de la guerre interdisent de frapper les civils et souhaitons qu'elles puissent aboutir à une solution évitant toute agression de ce type. Nous participons aussi à l'intervention des ONG visant à aider les populations du Haut-Karabagh dans leurs difficultés.

Il faut arrêter l'escalade ; c'est pour nous une exigence. Notre rôle diplomatique consiste à le faire savoir et à faire pression sur les parties pour aboutir à un début de négociation. Je souhaite donc que les hypothèses de négociation en cours puissent mener à une véritable discussion, tout en comprenant l'empathie exprimée à l'égard des Arméniens.

Monsieur Fanget, je ne pense pas qu'il faille commencer par une réforme de la constitution libanaise. Le pire serait une fuite en avant dans le temps. Sans doute faut-il y penser, mais l'urgence au Liban demeure une feuille de route gouvernementale d'action. Sans cela, la réforme de la constitution risquerait d'intervenir dans un pays disloqué, ce qui ne servirait à rien.

Le même problème se pose d'ailleurs concernant les élections anticipées. Si elles étaient organisées maintenant, cela reviendrait à reposer le problème constitutionnel, donc à discuter pendant un an, voire un an et demi. Pendant ce temps, le pays risque de sombrer – il est déjà en train de sombrer !

Je n'ai pas d'opposition à une réflexion constitutionnelle. Elle s'imposera à un moment donné, car le dispositif actuel n'est plus pertinent. Toutefois, l'urgence est que les différentes parties du Liban se mettent en mouvement pour constituer un gouvernement d'action.

Je me suis entretenu à plusieurs reprises avec le cardinal Parolin à Rome sur la situation libanaise. Le Saint-Siège peut avoir une influence non négligeable, comme d'ailleurs le patriarche maronite, monseigneur Raï, avec lequel je m'entretiens à chaque visite au Liban. Ils ont un rôle de pression et d'influence essentiel.

Les acteurs libanais doivent comprendre que la population n'attend que cela, souhaite cela, et qu'ils ne sont peut-être plus en phase avec elle…

J'en viens à la question de M. Habib sur le Hezbollah. Il se trouve qu'il existe des Libanais qui votent pour le Hezbollah politique ; c'est ainsi. Nous sommes bien obligés d'en tenir compte ! Si personne ne votait pour le Hezbollah, nous pourrions dire que cette organisation n'est pas représentative. Or un nombre significatif de Libanais vote pour elle. Il représente donc une force politique. Nous condamnons la force militaire, mais nous discutons avec le Hezbollah car il doit être partie prenante au dispositif.

Au Liban, tout le monde parle avec tout le monde. Cela ne fait pas une solution, mais tout le monde se parle – y compris les responsables du Hezbollah. Nous condamnons cependant le Hezbollah militaire et avons sur ce point une position très rigoureuse.

L'enquête sur l'explosion du port n'est pas terminée. Vous avez sans doute des informations dont je ne dispose pas, monsieur Habib. Une enquête est en cours, à laquelle la France participe avec des experts.

Je reviendrai ultérieurement sur l'attentat de la rue des Rosiers.

Monsieur David, nous sommes favorables à la participation de Taïwan aux travaux de l'OMS. Je l'ai déjà dit à plusieurs reprises. Pour que la gestion des pandémies soit efficace, il faut que tout le monde participe à ces travaux. En revanche, nous ne reconnaissons qu'une seule Chine. Nous ne reviendrons pas sur ce principe qui est celui de la France depuis le général de Gaulle.

Madame Dumas, cela n'empêche pas que nous sommes particulièrement favorables à la liberté de navigation dans les eaux situées au-delà des eaux territoriales des différents pays. Nous sommes donc opposés à l'espèce de prééminence que la Chine veut exercer, en rupture avec le droit international de la mer, sur toute la mer de Chine méridionale. Nous l'avons rappelé fermement à plusieurs reprises. Je le redis ici. Le même principe vaut également pour le bras de mer situé entre le territoire continental et les neuf archipels ou îlots situés le long de la mer de Chine, que la Chine veut considérer comme une mer intérieure en vertu de la « ligne des neuf traits ».

Sur la société Rubis, j'ai pris bonne note de ce que vous m'avez dit. Nous poursuivons nos investigations par les moyens appropriés.

Monsieur El Guerrab, nous n'avons pas à nous substituer aux acteurs du nouveau dispositif monétaire de l'Afrique de l'Ouest. À l'occasion de la visite du Président de la République en Côte d'Ivoire en décembre 2019, la France et l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ont signé un nouvel accord de coopération militaire supposant le changement de nom de la monnaie des États de l'UEMOA – qui devrait, a priori, devenir l'éco, mais le nom de la future monnaie ne fait pas encore consensus –, la fin de la centralisation des réserves de change de la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest (BCEAO) auprès du Trésor français, ainsi que le retrait de la France des instances de gouvernance dans lesquelles elle était présente.

Si nous nous retirons des instances de gouvernance, je ne vais pas vous dire comment la nouvelle monnaie sera constituée ! Le projet de loi d'approbation de l'accord a été présenté au conseil des ministres en mai et le texte est en cours d'examen à l'Assemblée nationale, M. Jean François Mbaye, membre de votre commission, en étant le rapporteur. Nous souhaitons que cette démarche aboutisse et que la nouvelle monnaie entre en circulation dès que les autorités de ces pays le jugeront utile. Il s'agit d'un acte significatif et plus que symbolique, qui marque une nouvelle donne en Afrique de l'Ouest.

Nous faisons le maximum pour faciliter le retour de nos compatriotes du Maroc. Des bateaux ont été affrétés. Les modalités de retour des camping-cars sont cependant complexes, d'autant qu'il faut tenir également compte des mesures marocaines.

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