Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mercredi 7 octobre 2020 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Par qui ? Je maintiens la position que je viens d'énoncer.

Je reprendrai précisément les différents éléments évoqués dans vos questions la semaine prochaine. Pour conclure notre réunion d'aujourd'hui, je reviendrai rapidement sur deux sujets majeurs.

Il faut clarifier les choses avec la Turquie, je l'ai dit à plusieurs reprises. Les sujets irritants, voire conflictuels, s'accumulent : en Libye, la présence militaire turque, significative, nous interpelle ; en Syrie, à la fois dans le nord-est et dans le nord-ouest, deux postures différentes ont abouti à des attitudes agressives à l'égard de nos propres alliés kurdes, en particulier les Forces démocratiques syriennes (FDS) ; la question irakienne est, elle, nouvelle ; les Turcs sont aussi présents militairement dans le nord-Irak et dans le Kurdistan irakien ; enfin, je vous ai parlé des dossiers du Haut-Karabagh et de la Méditerranée orientale. Cela commence à faire beaucoup !

Nous devons dialoguer avec la Turquie pour parvenir à cette clarification. Le Président de la République s'est entretenu récemment avec M. Erdoğan. Je m'entretiendrai prochainement avec mon collègue Mevlüt Çavuşoğlu. Pour répondre à la question qui m'a été posée, disons que la relation est tonique !

Pour mener ce dialogue musclé, il faut que l'Union européenne soit unie. Il faut que nos partenaires européens soient dans la même dynamique. Notre position est affirmée. D'autres moins, pour diverses raisons que M. Dupont-Aignan a évoquées et que nous connaissons bien – les flux migratoires, l'histoire, la présence de populations turques sur tel ou tel territoire, la proximité géographique, etc.

Lors du dernier Conseil européen, faisant suite à une réunion préparatoire des ministres des affaires étrangères, nous avons abouti à une décision significative concernant la Méditerranée orientale : nous avons acté que, si aucune discussion n'était engagée et si les bateaux turcs n'étaient pas retirés de la zone chypriote et grecque d'ici le Conseil de décembre, des sanctions seraient engagées par le Conseil européen à l'unanimité des vingt-sept. C'est la première fois que nous le disons avec autant de fermeté et de clarté. Il importe donc que les Turcs engagent ces discussions, sans quoi nous serons dans une logique de conflictualité virtuelle, la relation étant marquée par des irritants permanents.

Il fut un temps où le dialogue existait, mais l'engrenage d'initiatives et de faits accomplis devient insupportable.

Si nous nous y engageons seuls, cela n'aboutira pas suffisamment. La discussion doit être menée à vingt-sept, et les vingt-sept doivent dire la même chose – chacun apportant sa propre pierre à la discussion – afin d'obliger la Turquie à « bouger » face à cet expansionnisme tous azimuts qu'elle développe.

Nous constatons également une nouvelle donne géopolitique récente entre la Turquie et la Russie : l'accumulation de sources de conflits potentiels, qui n'existait pas en 2017. C'est le cas en Libye, en Syrie et au Haut-Karabagh. Cela contribue aux instabilités que nous constatons.

M. Herbillon a posé des questions justes. Les sorties de crise sont relativement simples pour nous. Par exemple, concernant la Libye, nous savons ce qu'il faut faire. Il faut que la trêve se transforme en cessez-le-feu dans le cadre du comité militaire 5+5. Parallèlement, il faut lever le blocus pétrolier pour relancer l'économie libyenne, et engager un processus politique passant par des élections et par une réforme de la constitution. Tout le monde est d'accord là-dessus. C'est notre position, celle des Italiens, des Allemands, de la communauté internationale en général. Le problème est de savoir comment mettre ces principes en œuvre !

Vous m'avez interrogé sur le Bélarus. Plus on en parle, mieux on se porte ! Si vous voulez y aller, allez-y ! Je ne sais pas si vous serez acceptés. Je peux faire une lettre à M. Loukachenko, si vous voulez, mais je ne suis pas sûr qu'elle sera validée. Cela vaut néanmoins le coup.

Ce n'est pas une question géopolitique, comme vous l'a dit Mme Tikhanovskaïa. C'est une question de démocratie interne et de médiation. Il faut de nouvelles élections, et des acteurs pour conduire une médiation. L'OSCE est l'acteur potentiel de cette médiation. Les Russes n'y sont pas opposés. Il faut que M. Loukachenko l'approuve. C'est cela, la sortie de crise ! Il faut ensuite un processus électoral, le Bélarus restant dans son indépendance.

Pour le Liban, nous connaissons également le processus. Il faut un gouvernement de transition de dix-huit mois environ, puis des élections législatives. Dans l'attente, plusieurs mesures doivent être prises, partagées par toute la communauté internationale. Au sein du GIS Liban, tous les acteurs tiennent le même discours : il faut réformer la banque du Liban et le système des marchés publics, il faut une loi contre la corruption, etc. Plusieurs actions redonneraient confiance à la communauté internationale qui pourrait alors aider le Liban à agir. Sinon, personne ne le fera !

Nous connaissons donc les modalités de sortie de crise. Nous savons où il faut aller, sur presque tous les sujets. Le rôle de la diplomatie est de réunir suffisamment de personnes pour pousser dans telle ou telle direction. Cela doit se faire par la persuasion et la négociation, non par la force.

Il en va de même pour le Haut-Karabagh. Nous payons sans doute le fait de n'avoir pas été assez actifs dans la discussion entre les Azéris et les Arméniens sur les districts qui entourent cette région – au sud et à l'ouest. Il faut se mettre autour d'une table et discuter.

Monsieur Mbaye, je suis favorable à la mise en œuvre d'un dispositif pour la protection des humanitaires. Je l'ai dit aux Nations unies. Nous sommes prêts à utiliser vos réflexions pour aboutir. Cette initiative est tout à fait opportune. Nous entendons réunir une Conférence nationale humanitaire (CNH) avant la fin de l'année. Je me rendrai prochainement au Niger, où des élections doivent se tenir bientôt.

Mesdames Dumont et Kuric, votre travail sur l'impératif de l'état civil est essentiel. Nous avons noté vos propositions et travaillons dans cette direction. Disposer d'un état civil fait partie des droits essentiels de chaque individu. C'est le début de tout. En l'absence d'état civil, c'est la perdition, comme le montre votre rapport. Je serai très attentif à ce sujet qui me préoccupe beaucoup.

Monsieur Quentin, le processus de Nouméa se poursuit. Un autre référendum aura peut-être lieu dans un délai de dix-huit mois. Ce n'est pas encore décidé, mais c'est une possibilité. Cela reste indépendant de notre relation avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, même si les deux pays s'intéressent beaucoup aux résultats du vote.

Nous travaillons à un renforcement de la stratégie indopacifique, dans la ligne du discours prononcé par le Président Macron au début de son mandat à Sydney. Nous observons un soutien croissant. Ainsi l'Allemagne vient-elle de concevoir un projet stratégique concernant son action dans l'espace indopacifique. Les Australiens y sont très attentifs, tout comme l'Inde et le Japon. Plusieurs acteurs veulent donc avancer dans cette direction, et nous en sommes très heureux.

Nous avons conscience des risques auxquels Madagascar est confrontée. Nous y avons renforcé notre coopération, et mobiliserons 50 millions d'euros d'aide au développement. Je m'y suis rendu récemment, après une longue absence liée à des raisons propres à Madagascar. La France hésitait à faire le déplacement, n'ayant pas la certitude de disposer des bons interlocuteurs. Ce n'est plus le cas, des élections présidentielles ayant eu lieu. La relation est devenue excellente, même si des sujets de contentieux demeurent – notamment les îles Éparses. Ce qui se passe dans le sud de Madagascar est préoccupant. Pour autant, le président de Madagascar, soucieux de la nécessité de lutter contre la déforestation, a pris conscience du potentiel de biodiversité du pays. Il faut encourager ce pays, proche de la France et véritable partenaire potentiel.

S'agissant des fragilités du régime de Loukachenko, il est essentiel de montrer l'intérêt international pour le mouvement initié par le peuple bélarusse. Nous ne reconnaîtrons pas la légitimité de M. Loukachenko. Il n'a donc plus de légitimité politique à l'extérieur, ce qui peut devenir très compliqué pour lui. Il faut agir par la pression et par les sanctions. Comme je l'ai indiqué, quarante personnalités bélarusses feront l'objet de sanctions sur leurs avoirs à l'étranger et vont être entravées dans leurs possibilités de voyager.

La mise en œuvre de l'accord du 22 juillet avec les Comores a rencontré des difficultés, liées en grande partie au coronavirus – notamment concernant les opérations de reconduite, les Comores ayant fermé leurs frontières. La situation s'est améliorée. Nous essayons de faire en sorte que les autorités comoriennes tiennent leurs engagements. Une réunion du comité franco-comorien de haut niveau de suivi de l'accord doit se tenir dans les jours à venir, avec la participation des élus de Mayotte. Nous verrons si des inflexions sont nécessaires. Cet accord est très important, car inédit. Nous avons mis du temps à le signer, mais nous l'avons signé.

Je ne me suis rendu au Cameroun que lorsque Maurice Kamto a été libéré. Je le connais personnellement et j'avais dit aux autorités camerounaises que je n'irais au Cameroun que lorsqu'il serait libre. J'ai respecté mon engagement. Que souhaitez-vous ? Que j'aille à nouveau le voir ? Nous avons exprimé publiquement notre position.

Enfin, nous serons vigilants quant à l'impartialité du scrutin en Côte d'Ivoire. Nous souhaitons que les élections se déroulent dans les meilleures conditions et que les habitants de la Côte d'Ivoire puissent s'exprimer librement.

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