Intervention de Pascal Brindeau

Réunion du mercredi 14 octobre 2020 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Brindeau, rapporteur pour avis :

Nous examinons aujourd'hui l'article 31 du projet de loi de finances pour 2021, qui évalue le prélèvement sur recettes de l'État au profit du budget de l'Union européenne. Cette année, il mérite que l'on s'y attarde encore davantage que les précédentes, car il intervient dans un contexte particulier à un double titre. D'abord, l'année 2021 est la première d'un nouveau cadre financier pluriannuel, qui entend traduire une Union européenne aux ambitions politiques croissantes, mais dont la géographie rétrécit, pour la première fois de son histoire. Ensuite, l'Europe est frappée, comme tous les autres continents, par une crise sanitaire et économique majeure. L'augmentation significative du prélèvement sur recettes attendue dans le cadre du prochain CFP est la matérialisation du Brexit et de la réponse européenne à la crise sanitaire et économique. Au-delà de l'année 2021, c'est donc une tendance sur les sept prochaines années qui se dessine, dans la lignée des orientations âprement négociées lors du Conseil européen du mois de juillet.

Le projet de loi de finances pour 2021 évalue le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l'État au profit du budget de l'Union européenne à 26,9 milliards, soit une hausse de 25 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2020. Cette augmentation s'explique par quatre facteurs principaux : l'augmentation du niveau de crédits de paiement entre le budget de l'Union européenne pour 2020 et le projet de budget pour 2021 (+1,6 milliards) ; la compensation du départ du Royaume-Uni, qui était le deuxième contributeur net de l'Union européenne (+2,1 milliards) ; le changement des règles de calcul des contributions nationales selon les conclusions de l'accord politique du 21 juillet 2020, avec notamment l'augmentation des rabais (+0,7 milliards) et l'introduction d'une contribution assise sur la part d'emballages plastiques non recyclés (+ 70 millions d'euros) ; enfin, les conséquences de la crise économique de la covid-19 sur les ressources propres traditionnelles de l'Union européenne (+0,7 milliards).

En moyenne, sur le cadre 2021-2027, le PSR-UE est estimé à 28 milliards, auxquels il faut ajouter 1,7 milliard par an de droits de douanes collectés aux frontières françaises et reversés à l'Union européenne, soit un ressaut moyen de 8 milliards par an par rapport au cadre précédent.

Aux aléas traditionnels entourant cette prévision budgétaire s'ajoute cette année un contexte particulièrement incertain. D'abord, les négociations interinstitutionnelles portent cette année sur un « paquet » budgétaire composé du nouveau CFP, du plan de relance et des ressources propres, un « paquet » aux enjeux majeurs, qui rendent les négociations particulièrement délicates.

Ensuite, le contexte est cette année marqué par deux crises majeures. Premièrement, la crise sanitaire a entraîné une crise économique dont on ne mesure pas encore l'ampleur : selon l'Office européen de statistiques, la zone euro a enregistré entre avril et juin un plongeon sans précédent de 12,1 % de son PIB, et de 11,9 % pour l'ensemble de l'Union, en raison des mesures drastiques mises en œuvre pour freiner l'épidémie de coronavirus. Deuxièmement, les incertitudes entourant les conditions de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne et ses conséquences économiques pèsent sur l'équation budgétaire. À ce stade, les modalités de participation du Royaume-Uni aux programmes de l'Union ne sont pas définies.

L'année 2021 marque donc le début d'une nouvelle ère pour l'Union, qui doit se réinventer pour tirer les conséquences de ces deux crises. Dans la lignée de l'initiative franco-allemande de mai 2020, la réponse du Conseil européen de juillet 2020 est un tournant politique et budgétaire pour l'Union européenne, qui repose sur trois piliers étroitement imbriqués : le cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027, le plan de relance et les ressources propres.

La nouveauté de l'accord du Conseil européen de juillet réside dans l'instrument de relance temporaire « Next Generation EU », destiné à répondre à la crise sanitaire, et adossé au CFP. Son montant de 750 milliards, empruntés par la Commission au nom de l'Union, se compose de 390 milliards de prêts et de 360 milliards de dons. La proposition d'emprunter au nom de l'Union européenne sur les marchés afin de soutenir les régions et les secteurs les plus touchés par la crise, dans le respect des priorités politiques européennes, constitue une étape majeure dans le renforcement de l'intégration européenne. Ce plan de relance se traduit par un relèvement significatif du budget pluriannuel de l'Union, qui a été porté par le Conseil européen du 21 juillet à 1,8 % du revenu national brut (RNB) de l'Union – contre 1,02 % dans le précédent CFP.

La « facilité pour la reprise et la résilience » est l'instrument principal du plan de relance, qui assurera des transferts directs aux États. Pour en bénéficier, les États membres devront élaborer des plans nationaux pour la reprise et la résilience établissant leur programme de réformes et d'investissements pour les années 2021 à 2023, dans le respect des priorités politiques européennes, à commencer par la transition écologique et le numérique – qui représenteront respectivement 37 % et 20 % des allocations nationales au minimum –, ainsi que des recommandations par pays.

Les allocations par pays tiennent compte de différents critères, parmi lesquels la population, le PIB par habitant et le taux de chômage moyen sur les cinq dernières années, la perte de PIB réel observée au cours de l'année 2020 et la perte cumulée de PIB en 2020 et 2021. Au total, la France devrait bénéficier à ce titre d'une enveloppe d'environ 45,8 milliards, ce qui en ferait le troisième bénéficiaire du plan de relance, après l'Italie et l'Espagne.

Le nouveau cadre financier pluriannuel, complété par les fonds du plan de relance, traduit quant à lui un équilibre entre la préservation des politiques dites traditionnelles et de nouvelles priorités. Le Pacte vert et l'objectif de neutralité climatique en 2050 sont les plus emblématiques d'entre elles.

La baisse du budget de la politique agricole commune (PAC) proposée en 2018 par la Commission était un sujet d'inquiétude majeur pour la France. Nous pouvons nous réjouir que, dans la proposition du Conseil, la PAC augmente de 19,6 milliards – 4,3 pour le premier pilier et 15,3 pour le deuxième –, dont 7,5 milliards du plan de relance sur le deuxième pilier. Je m'oppose toutefois – et je pense que je ne serai pas le seul – à la baisse des crédits de la PAC destinés à nos territoires ultramarins, car elle va fragiliser la compétitivité économique et technologique des filières agricoles ultramarines.

Cette politique dite « traditionnelle » devra toutefois se mettre en conformité avec les objectifs environnementaux et climatiques de l'Union, tels qu'ils sont notamment formulés dans la stratégie « De la ferme à la table ». Dans cette logique, la part des dépenses de la politique agricole commune consacrée à l'action pour le climat est portée à 40 %.

La politique de cohésion, quant à elle, bénéficie de 47,1 milliards supplémentaires, grâce aux 47,5 milliards d'euros du plan de relance.

Au titre des nouvelles priorités, il convient d'insister sur le renforcement des objectifs climatiques, puisque la part des dépenses totales du CFP et du plan de relance consacrées au climat a été portée par le Conseil de 25 à 30 %.

Dans le cadre du « Pacte vert » sera créé un Fonds pour une transition juste doté de 19,3 milliards, qui vise à soutenir les régions à forte intensité industrielle et dépendantes des énergies fossiles dans leur transition vers une économie bas carbone.

Il convient également de souligner la création d'un programme santé doté de 1,67 milliard, même si cet effort est moins ambitieux que la proposition formulée en mai 2020 par la Commission de lui consacrer un montant total de 9,37 milliards.

Nous avons toutefois deux regrets principaux. Premièrement, nous regrettons la moindre ambition du Conseil par rapport à la Commission sur certains programmes, notamment le programme spatial, qui perd 1 milliard, et le Fonds européen de la défense, qui se voit réduit de 4,4 milliards.

Deuxièmement, alors même que le Brexit semblait être l'occasion de revenir sur les rabais dont bénéficient différents pays, ces derniers ont été non seulement maintenus mais renforcés, pour un coût annuel de 7,6 milliards. C'est l'une des conditions que les pays dits « frugaux » – Danemark, Pays-Bas, Suède et Autriche – ont mises à l'acceptation du plan de relance proposé par la Commission. La poursuite de la réflexion sur les ressources propres, rendue impérative par les besoins de financements futurs de l'Union, devra permettre de remettre sur la table la suppression de ces rabais et de dépasser la logique du « juste retour », dont le plan de relance montre plus que jamais le caractère limité.

À cet égard, si le Conseil européen ne s'est accordé que sur l'introduction, dès 2021, d'une nouvelle ressource propre assise sur la quantité de déchets d'emballages en plastique non recyclés, la reconnaissance de la nécessité de créer de nouvelles ressources propres est une étape significative dans un débat qui semblait bloqué. Ainsi, le Conseil a invité la Commission à formuler, au premier semestre 2021, des propositions pour l'introduction d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et une ressource propre fondée sur le numérique, en vue de les mettre en œuvre au plus tard le 1er janvier 2023. Elle devrait également proposer une révision du système européen d'échange de quotas d'émission carbone, éventuellement étendu à l'aviation et au transport maritime, sans qu'aucune date de mise en œuvre n'ait en revanche été spécifiée. Enfin, le Conseil européen a précisé que l'Union s'efforcerait, au cours du prochain CFP, de mettre en place d'autres ressources propres, qui pourraient inclure une taxe sur les transactions financières. De la suite donnée à ces propositions dépendra évidemment l'évolution des contributions nationales au budget européen.

Je terminerai en évoquant l'état des négociations interinstitutionnelles. À ce stade, elles sont toujours en cours, alors même que le calendrier est particulièrement serré : pour être opérationnel au 1er janvier 2021, l'accord institutionnel sur la décision sur les ressources propres, qui autorise la Commission à emprunter sur les marchés, doit être ratifié par les parlements nationaux avant le 31 décembre 2020. Or les négociations, qui portent sur l'ensemble du paquet budgétaire compte tenu de l'imbrication entre le plan de relance, le CFP et les ressources propres, semblent, à ce stade, bloquées.

Le Parlement européen souhaite en effet introduire un mécanisme de protection du budget européen contre les atteintes à l'État de droit plus efficace que celui proposé par la présidence allemande du Conseil, mais la Hongrie et la Pologne menacent de bloquer la décision sur les ressources propres si le mécanisme proposé ne les satisfait pas. De même, le Parlement européen souhaite accroître les crédits de quinze programmes jugés prioritaires, parmi lesquels Horizon Europe, Erasmus + et le programme « santé », mais de nombreux États membres ne souhaitent pas rouvrir l'accord du 21 juillet, qui avait été âprement négocié.

Le Parlement européen a toutefois obtenu du Conseil un accord sur un calendrier contraignant d'introduction de nouvelles ressources propres, mais les institutions doivent encore s'entendre sur ce dernier, et de nombreux obstacles demeurent, tant sur le plan technique que sur le plan politique.

En conclusion, alors que le Brexit et la crise ont accru les risques de fragmentation de l'Union européenne, la décision d'emprunter en commun et d'accroître les ressources propres est, au-delà du soulagement à court terme des finances publiques nationales qu'il représente, la réaffirmation d'un projet partagé, d'une volonté des États de s'engager solidairement et dans la durée. Aussi, je vous propose de vous prononcer en faveur de l'adoption de l'article 31 du projet de loi de finances pour 2021.

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