Intervention de Jean François Mbaye

Réunion du mercredi 14 octobre 2020 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean François Mbaye, rapporteur pour avis :

La commission des affaires étrangères est saisie pour avis afin de se prononcer sur les crédits de la mission Écologie, développement et mobilités durables du projet de loi de finances pour 2021. Je tiens, dès à présent, à saluer l'évolution à la hausse des crédits de cette mission qui permettra à la France de soutenir une croissance verte et de renforcer ses actions en faveur de la protection de l'environnement.

Les écosystèmes ne connaissent pas le concept de frontières mais leur préservation implique nécessairement des coopérations régionales et internationales. Afin de porter un tel message sur la scène internationale, la France doit impérativement conduire au niveau national une politique environnementale ambitieuse et exemplaire. J'estime que le projet de loi de finances pour 2021 lui en donne les moyens.

L'examen du budget constitue, en outre, pour la commission des affaires étrangères, l'occasion d'examiner, chaque année, les instruments, les objectifs et les modalités de ce qui est communément appelé la diplomatie environnementale. J'ai choisi, cette année, de consacrer la partie thématique de mes travaux aux défis de l'eau à l'échelle mondiale.

La préservation d'une eau de qualité constitue un enjeu sanitaire, socio-économique et environnemental considérable. À l'échelle mondiale, un tiers de la population n'a pas accès à l'eau potable. La situation de pénurie en eau est une réalité quotidienne pour 40 % de la population mondiale. Chaque jour, près de 1 000 enfants décèdent de maladies liées à la consommation d'eaux impropres. Dans le même temps, des milliers de litres d'eau sont gaspillés dans certains pays, tous les jours, en raison de la vétusté des infrastructures hydrauliques. On estime, par ailleurs, qu'au cours des cent dernières années la planète a perdu la moitié de ses zones humides naturelles. Le taux de perte est ainsi trois fois plus élevé que celui des forêts. Nous l'avions évoqué l'année dernière et j'avais émis des recommandations.

Selon le rapport des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau de 2019, l'eau, sous l'effet conjugué de la croissance démographique, du développement socio-économique et de l'évolution des modes de consommation, est une ressource de plus en plus sollicitée. Son utilisation augmente chaque année d'environ 1 % depuis les années 1980. La demande mondiale en eau devrait continuer à croître à un rythme soutenu jusqu'en 2050, laissant augurer une augmentation de 20 à 30 % à la fin de la période. Pour autant, cette hausse de la consommation de la ressource, aggravée par les effets du dérèglement climatique, ne devrait pas fondamentalement modifier la répartition actuelle des prélèvements : 69 % étant destinés à l'agriculture, 19 % aux usages industriels et seulement 12 % à la consommation domestique. Il est, cependant, important de relever que ces chiffres globaux de répartition entre les usages agricoles, industriels et domestiques masquent de grandes diversités régionales.

Un habitant d'Amérique du Nord consomme ainsi en moyenne 250 litres d'eau par jour, contre 150 litres pour une personne résidant en France et moins de dix litres pour un habitant d'Afrique subsaharienne.

Par ailleurs, selon les analyses statistiques du programme des Nations unies pour l'environnement, l'urbanisation et l'intensification de l'agriculture dégradent de plus en plus la qualité des eaux de surface et des eaux souterraines. Leur pollution et leur surexploitation représentent ainsi une menace silencieuse grandissante pour les populations et l'environnement.

L'eau, cette ressource indispensable au développement de la vie, est présente en abondance sur terre mais elle est très inégalement répartie. À l'échelle mondiale, quelques États disposent d'une ressource très abondante comme le Brésil, le Canada et la Russie. À l'opposé, quelques pays ont des ressources en eau quasi inexistantes à l'image du Koweit et de certaines îles comme Malte ou les Maldives.

(image non chargée)

La carte que je vous présente donne à voir l'état des ressources en eau par État selon l'indice de stress hydrique qui permet de distinguer différentes catégories de pays en fonction de la disponibilité en mètres cubes d'eau bleue par personne et par an. Mais comme l'ont relevé certains chercheurs en audition, cet indice de stress hydrique peut se révéler trompeur car il ne prend pas en compte les capacités des États à mobiliser la ressource en eau, c'est-à-dire la manière dont les sociétés humaines parviennent à s'adapter aux contraintes du milieu en construisant des ouvrages hydrauliques permettant notamment d'extraire une eau de qualité, de l'acheminer et de la stocker.

Cette capacité d'adaptation qui repose sur trois facteurs – l'expertise technique, la capacité financière et la volonté politique – permet de dessiner une toute autre carte. L'indice de pauvreté en eau qui, au-delà de la disponibilité de la ressource, prend en compte les pressions exercées, les investissements réalisés et la préservation de l'environnement, nous permet de mieux saisir les enjeux mondiaux de la crise de l'eau. Selon cet indice, l'un des pays les mieux dotés est la Finlande. La France est également très bien positionnée. À l'opposé, des pays comme le Niger ou Haïti, qui cumulent des ressources en eau faibles et des difficultés techniques et financières importantes, se trouvent dans une situation hydrique particulièrement critique. Israël, pour sa part, malgré une faible ressource en eau, enregistre de bons résultats alors que la République démocratique du Congo, qui dispose pourtant d'une ressource abondante, est confrontée à une inquiétante pauvreté en eau.

(image non chargée)

L'inégale répartition des ressources en eau sur la planète et les conditions de leur accessibilité peuvent ainsi engendrer des situations de fortes tensions interétatiques comme le montrent les crispations actuelles entre l'Égypte et l'Ethiopie au sujet de la construction du grand barrage de la Renaissance sur le Nil bleu.

Inversement, les eaux transfrontalières peuvent également susciter des coopérations régionales renforcées comme en témoigne, en Europe, la convention sur la protection du Danube. À l'échelle mondiale, l'eau est une ressource que les États ont en partage puisque 263 bassins transfrontaliers majeurs ont été répertoriés, représentant à eux seuls environ 60 % des ressources en eau de surface.

Le risque d'une guerre de l'eau n'est, semble-t-il, pas à craindre aujourd'hui. En effet, mobiliser des ressources alternatives, comme l'exploitation de ressources souterraines, le dessalement des eaux de mer, la modification des usages, paraît, d'un point de vue politique, beaucoup moins risqué qu'un conflit armé en vue de s'accaparer la ressource en eau. Cependant, la question de l'accès à l'eau peut s'ajouter à d'autres conflits préexistants et ajouter de la crise à la crise. Elle devient alors un facteur d'aggravation des tensions en cours ou un élément de négociation.

Qu'il s'agisse de l'amélioration de l'accès aux services d'eau et d'assainissement ou de la gestion durable de la ressource, la France fait preuve, depuis de nombreuses années, d'un engagement actif sur la scène internationale. Très impliquée pour la reconnaissance du droit humain à l'eau et à l'assainissement, portée dans l'enceinte des Nations unies en 2010, la France a largement contribué à l'inscription de l'objectif de développement durable n° 6, qui vise à garantir à tous l'accès à l'eau et à l'assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau.

Cet engagement, qui lie respect des droits humains et préservation de la ressource, constitue un enjeu majeur de stabilité et de paix pour la diplomatie française. Il a d'ailleurs été réaffirmé dans le cadre de l'ambitieuse stratégie internationale pour l'eau et l'assainissement entre 2020 et 2030, dont s'est dotée la France le 24 février dernier.

Notre pays, grâce à son réseau diplomatique et au levier de l'aide publique au développement, doit continuer de se mobiliser pour soutenir des actions de terrain bilatérales et multilatérales dans le domaine hydrique. L'accès durable à la ressource en eau constitue un vecteur de santé publique, de développement économique, de réduction de la pauvreté mais aussi d'amélioration de l'émancipation des femmes. En effet, l'eau constitue un véritable révélateur des inégalités sociales et entre les genres.

Afin de rendre le sujet de la protection de la ressource en eau plus visible et de renforcer les actions dans ce domaine, je serais favorable à la création d'une enceinte politique exclusivement dédiée aux enjeux de l'eau, sous l'égide des Nations unies, comme cela est déjà le cas pour le climat. Par ailleurs, la désignation d'un ambassadeur thématique pour la ressource en eau pourrait renforcer la visibilité de la problématique auprès de nos concitoyens et de nos partenaires internationaux.

Notre diplomatie environnementale est résolument mobilisée autour des enjeux hydriques mais elle devrait être mieux valorisée.

Enfin, pour porter efficacement un tel message sur la scène internationale, la France doit conduire, dans son propre territoire, une action écologique ambitieuse et exemplaire afin de favoriser, à l'instar de ce qu'elle a su faire pour le climat, un élan collectif au service de la préservation de la nature et du vivant, à l'échelle de la planète.

J'invite par conséquent la commission des affaires étrangères à émettre, à l'issue de cette réunion, un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Écologie, développement et mobilités durables pour 2021.

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