Intervention de Jean-Michel Clément

Réunion du mercredi 14 octobre 2020 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Le groupe Libertés et Territoires a souhaité utiliser la mission « Médias, livre et industries culturelles : Action audiovisuelle extérieure » pour remettre une contribution, comme notre règlement en prévoit la possibilité.

La crise sanitaire du covid-19 et le confinement qui s'est imposé en France et dans de nombreux pays du monde ont remis la télévision au centre du salon alors que celle-ci est de plus en plus reléguée dans un coin du domicile par le jeu de la concurrence des différents écrans. Tandis que des pans entiers de la société étaient à l'arrêt, elle est demeurée pour de nombreux Français cette lucarne non seulement sur le monde mais également sur la France et la francophonie pour les nombreux auditeurs de France 24, TV5 Monde ou Arte, dispersés sur l'ensemble du globe.

Ces canaux audiovisuels, ajoutés aux canaux radiophoniques de RFI et de Radio Monte Carlo Doualiya n'ont jamais cessé d'alimenter les foyers, malgré les fortes contraintes qui se sont imposées à eux. Les chiffres des audiences de cette année 2020, au plus fort de la crise sanitaire, montrent d'ailleurs que ces efforts ont été remarqués. C'était surtout le cas en Europe, notamment en France, avec une hausse de 38 % du nombre de téléspectateurs hebdomadaires pour TV5 Monde, par exemple. Il s'agit là d'un véritable témoignage de confiance dans le travail journalistique de ces médias alors qu'une tornade d'informations contradictoires circulait dans tous les canaux.

Si la crise sanitaire a eu un effet bénéfique sur les audiences de notre audiovisuel extérieur, venant d'ailleurs conforter les hausses globalement observées en 2019, elle aura pourtant des conséquences néfastes quant aux moyens alloués. Nous le regrettons d'autant plus que le projet de loi de finances pour 2021 présenté par le Gouvernement ne viendra pas combler ces manques.

À ce jour, France Médias Monde estime que ses recettes publicitaires pourraient connaître une diminution de 1,6 million d'euros en 2020 et près de 1 million d'euros supplémentaire en 2021. Pendant ce même temps, ses charges d'exploitation augmenteront de 1,3 million d'euros.

Quant à TV5 Monde, elle anticipe une baisse importante de ses ressources propres en 2020, de l'ordre de 2 millions d'euros, liée à l'impact de la crise sanitaire sur ses recettes publicitaires, du fait de la défection d'annonceurs, ainsi que sur ses recettes de distribution, étant donné la situation économique difficile de certains distributeurs de la chaîne et la possible éviction de bouquets de certains opérateurs. La chaîne anticipe un effet négatif persistant en 2021 sur les marchés de la distribution télévisuelle payante et le marché publicitaire.

Enfin, Arte a dû acheter une grande quantité de programmes au prix fort pour compenser l'arrêt des productions, ce qui continuera de peser sur ses bilans dans les prochaines années.

Dès lors, comment comprendre la décision du Gouvernement de poursuivre la trajectoire à la baisse de son soutien à l'audiovisuel extérieur, alors que les ressources propres du secteur baissent aussi, du fait de la crise, dont on ne peut d'ailleurs toujours pas prédire si elle sera conjoncturelle ou structurelle ? Après les baisses enregistrées depuis 2019, il est ainsi prévu en 2021 une dotation publique de 254,7 millions d'euros, en diminution de 0,5 million d'euros par rapport à 2020 pour France Médias Monde, une dotation publique stable de 76,15 millions d'euros pour TV5 Monde, et une dotation publique de 273 millions d'euros, en baisse de 2 millions d'euros, pour Arte.

Ces sociétés continuent donc de participer aux efforts de redressement des finances publiques demandés par le Gouvernement depuis 2018, et cela alors que les seuls 500 000 euros, annoncés pour France Médias Monde et TV5 Monde, sur les 70 millions du plan de relance pour l'audiovisuel ne pourront compenser les pertes. L'audiovisuel extérieur demeure ainsi la variable d'ajustement de l'audiovisuel public, sans doute parce que ses programmes seraient moins en phase avec l'actualité française.

Les décisions prises en juillet 2018, notamment la demande d'économies budgétaires très importantes concernant l'ensemble de l'audiovisuel public, répondent avant tout à une véritable logique de rabot budgétaire, obérant toute possibilité de transformation. Ces décisions ont été prises en l'absence de toute stratégie permettant de transformer les modèles en profondeur, sans prévoir la moindre période de transition et d'accompagnement. Elles ont également été prises sans aucune perspective concrète concernant la réforme de la contribution à l'audiovisuel public, rendue pourtant nécessaire par la suppression de la taxe d'habitation.

Ces décisions ne permettent donc pas d'assurer la mise en place sereine d'une éventuelle holding de l'audiovisuel public, comme c'était la volonté du Gouvernement au travers du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique, projet qui semble aujourd'hui en panne.

Surtout, rien ne vient justifier l'intégration au sein de ce projet de holding d'une partie de l'audiovisuel extérieur représenté par France Médias Monde : les missions de l'audiovisuel extérieur sont spécifiques et, par nature, distinctes des problématiques des opérateurs de l'audiovisuel public, qui s'adressent aux Français en France, et en français.

Parce que l'audiovisuel extérieur contribue au rayonnement extérieur de la France, parce qu'il est un acteur à part entière de la stabilisation des zones de tension et un contributeur à l'objectif de développement, donc de sécurité, dans de nombreuses régions du monde, parce qu'il est engagé auprès des jeunes générations, parce qu'il est un promoteur de la culture face à la montée des modes de pensée radicaux et sectaires et parce qu'il est engagé en Europe, ses moyens doivent être augmentés – ma collègue Frédérique Dumas a pu le rappeler à plusieurs reprises dans cette commission.

Pourtant, le projet de loi de finances révèle une nouvelle fois un écart significatif entre les ambitions affichées et les moyens alloués.

Un budget est au service d'une vision : l'enjeu n'est pas uniquement budgétaire mais politique. L'audiovisuel extérieur contribue aussi au rayonnement de notre langue, de notre culture, de notre influence. Avec une telle trajectoire budgétaire, nous ne faisons qu'accroître notre impuissance, notamment face à la montée en régime des outils audiovisuels extérieurs britanniques, allemands ou chinois.

Pour enrayer cette spirale, il serait utile de prévoir que l'audiovisuel extérieur dispose de moyens budgétaires combinant contribution à l'audiovisuel public et financement de l'aide publique au développement. Il s'agirait d'aboutir à l'instauration d'un budget plancher pour France Médias Monde, exprimé à la fois en pourcentage du rendement de la contribution à l'audiovisuel public, et en valeur absolue. Ce plancher n'empêcherait pas que l'on puisse ensuite recourir à l'aide publique au développement, mais se contenter de cette dernière consisterait à effectuer une budgétisation, avec le risque que ce qui a été voté une année puisse être défait l'année suivante. La contribution à l'audiovisuel public devrait donc d'abord participer au financement de l'audiovisuel extérieur, qui pourrait ensuite être complété par l'aide publique au développement.

Le groupe Libertés et Territoires, attaché à défendre le rôle et la spécificité de l'audiovisuel extérieur dans notre société, ainsi qu'à l'augmentation des moyens qui lui sont consacrés, émet donc un avis défavorable sur les crédits de cette mission budgétaire.

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