Intervention de Valérie Thomas

Réunion du mercredi 28 octobre 2020 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Thomas, rapporteure pour avis :

Avant toute chose, je souhaiterais transmettre à notre Présidente toute mon amitié et lui souhaiter tous mes vœux de rétablissement. Je sais combien le sujet que nous allons aborder lui est cher et je tiens à lui dire que nous pensons très fort à elle.

Je suis heureuse de vous présenter aujourd'hui les crédits de la mission « Aide publique au développement », car ils traduisent un effort historique en faveur de la politique de développement. Jamais notre pays ne s'était autant engagé en faveur de la solidarité internationale : après une progression de 14 % des crédits de la mission aide publique au développement entre 2017 et 2020, le projet de loi de finances pour 2021 amplifie encore cette augmentation, avec une hausse de 17 % des crédits. L'APD est ainsi la politique publique qui enregistre la plus forte hausse sur l'ensemble du quinquennat. Cet effort est d'autant plus important qu'il intervient dans un contexte particulier : après vingt ans d'une baisse tendancielle de l'extrême pauvreté, cette dernière est repartie à la hausse en raison des conséquences de la crise de la Covid-19.

Pour ce qui concerne le budget 2021, je me contenterai de souligner quelques traits saillants : Premièrement, il permet de respecter les engagements, tant quantitatifs que qualitatifs, pris dans le cadre du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement – CICID – ­de 2018, qui a marqué une rupture dans la trajectoire déclinante que connaissait l'APD française.

D'abord, les objectifs en volume sont, en effet, atteints, et même dépassés : l'APD devrait ainsi s'établir à 0,56 % du revenu national brut en 2020 (contre 0,47 % initialement prévu) et 0,69 % en 2021 (contre 0,50 % initialement prévu). L'impact de la crise sur le RNB tend à accroître fortement la part d'APD dans le RNB, de manière mécanique. En outre, la hausse de la prévision d'APD est également liée à d'importantes prévisions d'allégements de dette. Cette trajectoire nous met sur la bonne voie pour l'atteinte des 0,7 % du RNB consacré au développement. Mes chers collègues, la trajectoire annoncée est bien respectée, et la baisse de notre RNB ne s'est pas traduite par une baisse en volume des crédits de l'APD.

Ensuite, en termes de composition de l'aide, les engagements du CICID sont également respectés :

- L'augmentation de l'APD française est principalement portée par l'aide bilatérale, en augmentation de 16,9 %, en particulier sous forme de dons. On constate une augmentation significative des moyens de l'AFD au titre des dons-projets – + 154 millions d'euros – et des dons-ONG (+ 20 millions d'euros).

- Des secteurs qui étaient jusqu'alors les parents pauvres de la politique de développement, font à nouveau l'objet de financements. Je pense notamment à l'augmentation de l'aide humanitaire, qui s'établit à 329 millions d'euros, une augmentation conforme à l'objectif du CICID de lui consacrer 500 millions d'euros en 2022. Ainsi, les trois canaux d'acheminement de l'aide voient leurs crédits progresser : les contributions volontaires aux Nations unies, le Fonds d'urgence humanitaire et l'aide alimentaire programmée.

De même, on constate un net réinvestissement du champ de la santé, qui s'est accéléré en raison de la crise sanitaire. A titre d'exemple, l'initiative Access to COVID‐19 Tools Accelerator – ACT-A –, à laquelle la France consacre au total 660 millions d'euros, traduit le combat de la France contre le nationalisme vaccinal et pour faire du vaccin un bien public universel, dans une approche renouvelée du multilatéralisme : l'initiative unit en effet dans un même partenariat tous les acteurs, qu'ils soient publics, privés, ou issus de la société civile.

Deuxièmement, le projet de loi de finances se singularise par la création d'un nouveau programme, le programme 365, destiné au renforcement des fonds propres de l'AFD, à hauteur de 953 millions d'euros. Ce besoin en fonds propres a trois explications : la mise en conformité de l'agence avec de nouvelles règles prudentielles, les conséquences de la crise économique sur ses résultats, et la croissance des activités de l'AFD, dans la dynamique globale d'augmentation de l'aide française décidée au début du mandat.

Troisièmement, je tiens à exprimer mon inquiétude quant à la fragilisation du financement du Fonds de solidarité pour le développement – FSD. Ce fonds finance les grands fonds « verticaux » dans les domaines de la santé (le Fonds mondial), de l'éducation (le Partenariat mondial pour l'éducation) et du climat (Fonds vert). Il est financé par un pourcentage plafonné de la taxe sur les billets d'avion – TBA – et de la taxe sur les transactions financières – TTF. Or la crise a fait chuter les recettes de TBA, amputant le financement du FSD de 140 millions d'euros. De son côté, le produit de la TTF a considérablement augmenté, passant de 1,13 milliard d'euros prévu en 2020 à une réévaluation de 1,745 milliard d'euro. La prévision pour 2021 se situe à un peu plus d'1,5 milliard d'euros.

On pourrait s'interroger sur la légitimité même d'instaurer un plafond pour des taxes conçues pour lutter contre les excès de la mondialisation. A minima, il conviendrait, dans un contexte d'augmentation des recettes de la TTF, d'en affecter 50 % à l'aide au développement. Je défendrai un amendement en ce sens lors de la nouvelle lecture du PLF, et je vous enjoins à adopter une démarche commune.

J'en viens à la deuxième partie de mon rapport. En effet, il ne suffit pas d'augmenter considérablement les moyens ; encore faut-il que les acteurs français du développement, « l'équipe France », soient suffisamment structurés pour pouvoir les mettre en œuvre de manière efficiente. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi d'approfondir le thème de « l'équipe France » du développement, et de faire un bilan de ses forces et faiblesses, deux ans après la présentation au gouvernement par notre collègue Hervé Berville de son rapport sur la modernisation de la politique partenariale de développement et de solidarité internationale.

L'équipe France, qu'est-ce que c'est ? Ce sont d'abord des femmes et des hommes, dont nous devons souligner et saluer le travail au quotidien en France, mais également sur le terrain. Ce sont aussi des structures diverses : agences, chercheurs, organisations non gouvernementales – ONG–, collectivités territoriales. Ce sont également des programmes : je ne citerai, à titre d'exemple, que le fonds Muskoka. Ce qui les réunit toutes et tous, c'est une volonté farouche de rendre notre APD la plus efficace possible.

Il ressort d'abord des auditions que j'ai conduites que l'équipe France retrouve une influence sur la scène internationale, en raison de la hausse des moyens accordés, mais aussi en raison d'un certain nombre d'évolutions en cours dans l'écosystème français du développement : réforme de l'expertise, avec la place reconnue d'Expertise France et son rapprochement avec l'Agence française de développement – AFD –, renforcement de la logique partenariale, par exemple entre l'AFD et les organisations de la société civile, des institutions spécialisées comme l'ADEME, ou la Caisse des dépôts et consignations.

Outre un écosystème d'excellence composé d'acteurs très complémentaires – recherche, réseau universitaire, ONG, collectivités territoriales, ambassades… –, qui ont notamment montré leur capacité à travailler en équipe lors de la réponse à la crise sanitaire, elle dispose d'une approche liant diplomatie, défense et développement, l'approche dite « 3D ».

Enfin, elle cible davantage ses priorités sectorielles et géographique. Son leadership est devenu incontestable dans le domaine du climat, qui fait l'objet d'un engagement fort et constant, et désormais de la santé.

Cependant, si la France dispose d'un écosystème d'excellence en matière de développement, elle souffre encore d'un manque de vision stratégique claire et de pilotage politique de l'APD, comme l'avait déjà souligné Hervé Berville dans son rapport : dispositif institutionnel complexe, tutelle de l'État insuffisamment stratégique, gouvernance « intermittente », décalage entre les priorités affichées et les financements octroyés.

Je tiens à cet égard à appeler votre attention sur l'AFD. La France a choisi un modèle original, parmi les pays de l'OCDE, en faisant de l'AFD, une institution financière soumise au régime des établissements de crédits, l'opérateur pivot de son dispositif bilatéral d'APD, et l'agence a un rôle central dans l'accroissement des crédits intervenus pendant le mandat. Ce choix a de nombreux avantages : la large gamme d'instruments que l'AFD propose, encore élargie par le rapprochement avec Expertise France, en fait un acteur de premier plan sur la scène internationale. L'activité de l'AFD est désormais sensiblement supérieure à celles de nombreux bailleurs bilatéraux.

Cette dynamique nous impose une meilleure évaluation de son activité, notamment dans la perspective du prochain contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD. D'une part, il s'agira de rééquilibrer la part entre les dons et les prêts, la part prépondérante de ces derniers engendrant un certain décalage entre les activités de l'agence et nos priorités. D'autre part, la tutelle de l'État sur son opérateur doit être davantage stratégique. À cet égard, je reprends un certain nombre de préconisations du rapport de la Cour des comptes de février 2020.

Surtout, la restructuration de l'équipe France ne pourra faire l'économie du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, qui a vocation à refonder la politique d'aide au développement. Son examen, prévu initialement au printemps, a été reporté en raison de la crise sanitaire. Or les conséquences dramatiques de la crise sur les pays partenaires rendent encore plus urgent l'adoption de ce projet de loi, qui donnera aux acteurs du développement une vision stratégique claire. Il devra permettre de renforcer le pilotage politique de l'aide, de mieux associer tous les acteurs du développement, et d'améliorer l'évaluation de l'aide, en instaurant notamment une commission d'évaluation indépendante, dont je souhaite qu'elle comprenne des parlementaires.

Les efforts budgétaires que nous consentons nous imposent de renforcer la redevabilité de cette politique, ce qui contribuera à la meilleure appropriation de ses enjeux par nos concitoyens. Sur tous ces sujets, je formule plusieurs recommandations, qui seront, je l'espère, prises en compte dans le projet de loi. L'efficacité des moyens apportés à l'APD dépendra en effet de notre capacité à fixer des priorités, donc à faire des choix, et à approfondir la logique partenariale en incluant tous les acteurs, des collectivités territoriales au monde de la recherche en passant par la société civile, avec un rôle particulier des jeunes et des diasporas, afin de valoriser l'expertise de tous les acteurs de l'équipe France.

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