Intervention de Pierre-Henri Dumont

Réunion du mercredi 28 octobre 2020 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Henri Dumont, rapporteur pour avis :

Je tiens à rappeler que la France n'a jamais accueilli autant d'immigrés légaux qu'en 2019 : 400 000 personnes sont alors arrivées légalement sur notre territoire, si on prend en compte les titres de séjour octroyés et le nombre des premières demandes d'asile enregistrées. S'agissant de l'immigration irrégulière, il existe peu d'indicateurs, mais on constate que le budget de l'aide médicale de l'État (AME) a augmenté de près de 5 % au cours des trois premiers mois de l'année et qu'il va passer, dans le PLF, le cap symbolique du milliard d'euros. J'ajoute que le stock des titres de séjour actifs en France est de 3,5 millions.

Les routes suivies par les flux migratoires évoluent, parce qu'il s'agit d'un « business ». Lorsque des routes sont fermées, du fait d'une sécurisation, des efforts déployés par les pays concernés ou par Frontex, les passeurs en trouvent d'autres. Cela s'accompagne d'un changement quant à la typologie des personnes qui migrent en Europe : les passeurs créent aussi la demande. On nous l'a dit lors des auditions : des passeurs ayant pignon sur rue dans certaines villes du Bangladesh et du Pakistan proposent à des gens d'aller en Europe contre telle ou telle somme d'argent.

Les flux et les routes évoluent chaque année. On a observé au premier trimestre 2020 une véritable augmentation des arrivées en Europe, qui a ensuite été stoppée par la pandémie. Cela veut dire que nous ne sommes pas à l'abri d'une résurgence – on n'était pas du tout au même niveau en 2018 et 2019 qu'en 2015 et 2016.

Je ne vois pas l'augmentation de 50 millions d'euros évoquée par M. Cabaré – qui est malheureusement parti – en matière de lutte contre l'immigration irrégulière. Une hausse de 20 millions d'euros est prévue, notamment afin de créer un centre de rétention administrative (CRA) à Lyon. C'est l'année dernière qu'une augmentation de 50 millions d'euros était inscrite dans le PLF, là aussi en lien avec les CRA, en particulier celui de Coquelles, que j'ai visité.

Je crois, pour ma part, qu'il faut bien expulser pour bien accueillir. Si on n'expulse pas les personnes qui n'ont pas à être en France, on se retrouve dans une situation où on ne peut pas intégrer les gens qui ont obtenu l'autorisation d'être là. Plusieurs d'entre vous ont évoqué les bidonvilles qui se forment dans des endroits où se massent des personnes qui devraient être protégées par la France et mises à l'abri – dès lors qu'il s'agit de demandeurs d'asile ou de futurs demandeurs d'asile, venant de pays non sûrs. Mais, au sein du dispositif national d'accueil, 10 % des 100 000 places existantes sont occupées d'une manière indue, soit par des déboutés du droit d'asile, soit par des gens qui ont déjà obtenu le statut de réfugié et qui devraient donc passer dans un autre dispositif. Alors que le nombre de places augmente d'année en année, une partie d'entre elles ne sont pas occupées par les bonnes personnes, en raison du manque d'expulsions, et on ne peut pas s'occuper des « vrais » demandeurs d'asile comme on devrait le faire. On les laisse à la merci des réseaux de passeurs et des réseaux mafieux, et les élus sont en partie désarmés face à la réalité de la situation. Si on veut bien accueillir toutes les personnes qui doivent être protégées par la France, il faut expliquer à celles qui n'ont rien à faire dans notre pays qu'elles devront repartir, et on doit faire des efforts pour que ce soit le cas.

Le budget de l'OFPRA me pose un problème, monsieur Bouchet. Les crédits demandés sont identiques à ce qui était prévu pour cette année. Une hausse des effectifs de 200 équivalents temps plein (ETP) a été votée l'an dernier, mais il n'y a eu que 150 recrutements : il reste donc 50 embauches à faire en 2021. Le budget étant constant, soit on a surbudgétisé pour 2020, soit on sous-budgétise pour 2021 – comme nous nous prononçons avant de savoir ce qui est réellement dépensé cette année, je ne sais pas ce qu'il en est.

S'agissant des délais d'examen des demandes, la pandémie a eu un effet. L'OFPRA ayant fermé pendant plusieurs semaines lors de la première vague, des demandes n'ont pas pu être traitées, ce qui a conduit à une embolie. L'objectif fixé par le Gouvernement dans le cadre de la loi « asile et immigration » était de donner une réponse en deux mois à partir de l'enregistrement d'une demande. Nous en sommes très loin à l'heure actuelle. Le délai était de cinq mois en 2018, de cinq mois et demi en 2019, puis nous sommes passés à neuf mois cette année. Lorsque les demandeurs reçoivent une réponse négative – l'OFPRA accorde l'asile dans à peu près 25 % des cas –, beaucoup font appel devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), dont le délai de réponse est de sept mois en moyenne, ce qui conduit à un total de seize mois.

Ce délai, qui est évidemment beaucoup trop long, pose notamment un problème du point de vue des finances publiques, car cela implique de verser plus longtemps l'allocation pour demandeur d'asile (ADA), alors que les moyens correspondants – 452 millions d'euros dans ce budget – pourraient être utilisés pour mieux accueillir les personnes. Plus on met de temps à rejeter les demandes d'asile, plus on doit augmenter le budget de l'ADA.

Un tel délai pose aussi un problème en matière d'immigration illégale, notamment sur le plan financier – les crédits de l'AME s'élèvent désormais à 1 milliard d'euros, je l'ai dit. Plus on met de temps à donner une réponse à un demandeur d'asile, en particulier lorsqu'il vient d'un pays dit sûr, pour lequel le taux de protection est assez faible – il doit être d'environ 4 % pour l'Albanie –, et moins il est facile ensuite de savoir où se trouve la personne, pour l'expulser ou la renvoyer dans son pays d'origine. Cela contribue également à la paupérisation et aux situations qui peuvent exister dans certains territoires de la République.

Pour toutes ces raisons, la question de la réduction des délais de traitement des demandes d'asile est absolument primordiale – le Gouvernement le sait bien. Nous sommes, malheureusement, très loin des objectifs fixés lors de l'examen de la loi « asile et immigration » – on s'en éloigne année après année.

L'embolie du système s'explique aussi par les demandes d'asile présentées par des personnes venant de pays dits sûrs. Quand 10 % des demandes sont déposées par des ressortissants albanais et géorgiens dont on a libéralisé l'accès à l'Union européenne – ils n'ont plus besoin de visas –, un problème se pose. Leurs demandes d'asile doivent évidemment être traitées, dans le cadre d'une procédure qui est certes accélérée mais qui prend en considération tous les aspects. On a donc moins de temps et d'effectifs disponibles, malgré les 200 ETP supplémentaires qui ont été budgétés, pour traiter les autres demandes. J'ai déjà eu l'occasion de le dire : le fait de ne pas avoir besoin de visas quand on vient de Géorgie ou d'Albanie pose un problème, car cela conduit à une embolie de l'OFPRA.

Merci à M. Petit pour ses remarques – je ne crois pas qu'il y avait de questions dans son intervention.

J'ai déjà un peu parlé des bidonvilles, monsieur David. Vous connaissez mon territoire, qui n'est pas facile. Parfois, voire souvent, les élus se retrouvent seuls face à des problèmes qui ne relèvent pas de leurs compétences, mais de celles de l'État. Il est très compliqué de trouver une réponse adéquate entre, d'une part, le besoin d'humanité – il faut absolument faire en sorte que les gens aient des conditions de vie dignes – et, d'autre part, la nécessité d'éviter une sorte d'appel d'air – nous avons malheureusement vécu cette situation à Calais : c'est ce qui s'est passé à chaque fois. Quand on a créé des camps d'accueil, face à la dégradation de la situation – notamment la présence de squats en centre-ville –, leurs capacités ont été dépassées en quelques semaines, parce qu'ils devenaient des points d'étape pour les passeurs. Il y a eu le camp de la Croix-Rouge de Sangatte et la « jungle » 1 puis 2 à Calais – la « Lande » et le camp Jules-Ferry. Il est très difficile de trouver un équilibre, et je pense sincèrement que ce n'est pas aux élus locaux de le faire : c'est à l'État de prendre à bras-le-corps ces problèmes, qui font partie d'un tout – l'embolie du système d'asile est un aspect essentiel de la question.

J'ai déjà parlé des délais à l'OFPRA, monsieur Clément. Lorsque les demandes d'asile sont en cours d'examen, les personnes concernées ne sont pas reconnues comme des réfugiés – il faut bien faire la distinction. Un peu moins de 40 % des 150 000 demandeurs d'asile obtiennent une protection à la fin de leur parcours, soit en tant que réfugiés, pour deux tiers d'entre eux, soit au titre de la protection subsidiaire, pour le tiers restant.

Par rapport aux autres pays de l'Union européenne, la France accorde une protection importante : les taux de protection, selon la nationalité des demandeurs, sont en général supérieurs dans notre pays. Le taux de protection des demandeurs d'asile afghans, par exemple, doit être d'environ 25 % en Allemagne, alors qu'il est à peu près des deux tiers en France.

C'est d'ailleurs tout le problème des flux secondaires : un tiers des demandes d'asile déposées en France sont, je l'ai dit tout à l'heure, potentiellement « dublinables » : elles concernent des personnes qui ont déjà demandé l'asile ailleurs et qui, la plupart du temps, ont été déboutées. L'existence de différences de protection entre les États européens, alors qu'ils appartiennent à un système de libre circulation, implique des flux secondaires et des flux « rebond ». Quand une personne, avec le même dossier, a 95 % de chances d'être protégée dans un pays et 25 % dans un autre, un réel problème se pose. Nous avons besoin de faire converger les systèmes de protection, dans le respect des spécificités nationales : il faudrait un peu plus de cohérence entre les différents pays européens.

Vous avez eu raison de parler des CRA. Le taux d'occupation de celui de Coquelles, où une extension est en cours d'achèvement – elle sera inaugurée dans les prochaines semaines –, est d'à peu près 60 %. La crise du covid a eu un effet, mais il y a aussi le fait que les pays concernés ne veulent pas récupérer leurs ressortissants. Comme je le montre dans mon rapport, si le taux de délivrance des laissez-passer consulaires, nécessaires pour le renvoi des personnes en dehors des accords de réadmission bilatéraux avec des États tiers, augmente d'année en année – il est désormais supérieur à 60 % –, c'est parce qu'on n'adresse des demandes qu'à des pays dont on est sûr d'obtenir des laissez-passer consulaires. On a totalement lâché l'affaire quand il s'agit de pays dont on sait qu'on n'obtiendra jamais ces documents – j'ai parlé tout à l'heure du Mali.

Une augmentation du budget consacré à la lutte contre l'immigration irrégulière est certes prévue, mais cela concerne uniquement le Beechcraft de la sécurité civile – c'est l'avion utilisé pour les rotations vers l'Albanie et la Géorgie – et non les frais de billetterie liés, par exemple, aux renvois en Afrique subsaharienne. Les renvois ont lieu vers des pays du Maghreb ou – principalement, en fait – des Balkans et des Carpates.

La liste des pays d'origine sûrs, évoquée par Jean-Paul Lecoq, n'a pas été actualisée depuis 2015. Elle figurera en annexe de mon rapport – comme j'ai récupéré cette mission en cours de route, il y a eu un décalage mais nous vous enverrons tous les éléments dès que j'aurai reçu l'ensemble des réponses à mes questions. Une étude sur une éventuelle réactualisation de la liste a été réalisée par le conseil d'administration de l'OFPRA l'année dernière, mais la conclusion était qu'il ne servirait à rien de rouvrir le dossier.

Il faudrait que cette liste soit définie par le Parlement, à l'issue d'un débat en séance publique, et non par le conseil d'administration de l'OFPRA – j'avais déposé en 2018 des amendements en ce sens. Nous avons besoin de transparence sur cette question, compte tenu de ses implications, notamment l'application de la procédure accélérée d'examen des demandes d'asile. Il faudrait un vote, pas nécessairement chaque année mais au moins une fois par législature. Le fait que la liste soit exactement la même qu'en 2015 pose un vrai problème : cela voudrait dire qu'il n'y a pas eu de bouleversement dans le monde depuis cinq ans. On pourrait retirer ou ajouter des pays.

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