Intervention de Christian Hutin

Réunion du mercredi 25 novembre 2020 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Hutin :

Merci de la qualité de ce travail, cher Jean François Mbaye. C'est incontestablement une convention historique parce qu'historiquement marquée. Le franc CFA était manifestement suranné, connoté et correspondait à une forme de tutelle et de néocolonialisme perdurant, bien qu'il se soit révélé d'une efficacité remarquable, en particulier dans les situations de conflit et de grandes difficultés. Je pense donc que nous pouvons nous féliciter des valeurs de notre pays comme des progrès moraux et démocratiques que nous avons accomplis, dans le respect de ces pays depuis les années coloniales. C'est une excellente chose.

Je ne livrerai pas l'avis de mon groupe aujourd'hui, car nous n'en avons pas encore débattu. Nous nous abstiendrons donc en attendant des réponses à quelques questions avant de nous prononcer.

J'exprimerai quelques inquiétudes. La première est que l'accord de coopération ne concerne qu'une partie des pays, la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) n'étant pas encore visée. À cet égard, nous avons assisté à un certain nombre de réactions hostiles de plusieurs pays de la CEMAC, dont celle de son président dont j'ai lu quelques déclarations sur le sujet. Peut-être considèrent-ils que le processus de la discussion n'a pas débuté par un échange multilatéral – je l'ignore. Il n'en reste pas moins que des pays sont donc restés dubitatifs, voire ont marqué leur hostilité, sur certains points.

Ma seconde inquiétude concerne le Nigeria, qui est la puissance centrale. C'est un pays riche qui maîtrise sa propre monnaie, laquelle fluctue en fonction du prix du pétrole, pour lui essentiel. Dans les années qui viennent, le panier de monnaies auquel il souhaite s'arrimer est susceptible de déséquilibrer cet accord. Je crois que le Nigeria, puissance régionale dominante, fera cavalier seul.

L'Europe en a fait l'expérience. Vous l'avez indiqué, les critères d'une maîtrise budgétaire fixée à 3 % et d'une inflation limitée assèchent le crédit et empêchent la croissance. Nous y avons été confrontés dans le cadre de l'Union européenne. Aussi pouvons-nous éprouver quelques doutes quant à l'adaptation de tels critères à l'économie africaine.

Autre inquiétude, en raison de la parité avec l'euro, il y aura incontestablement de grands gagnants dans le cadre de cet accord. Je pense aux multinationales qui pourront immédiatement transférer leur argent et leurs bénéfices sans aucun risque, en ne réinvestissant pas forcément dans le pays. Par ailleurs, on ne peut ignorer que des élites pourraient profiter de la convertibilité immédiate pour tirer certains avantages de l'accord. Cela existe dans tous les pays, pas uniquement en Afrique.

Cela suppose d'être très attentif : il ne faudrait pas qu'il y ait deux grands gagnants, et que ce soit les deux États les plus riches. Dans chaque écosystème – la monnaie s'appelant l'ECO, le jeu de mots est aisé – quand un des membres se retire, la France en l'occurrence, des États plus voraces, plus intéressés essaient de prendre la place, les États-Unis et la Chine, par exemple. Le retrait ne se fera pas au détriment de la France parce que je pense qu'il est une bonne chose politiquement, intellectuellement et démocratiquement, mais il ne faudrait pas qu'il se fasse au détriment des Africains qui quitteraient une forme de tutelle historique, dont nous devons nous éloigner, pour tomber entre d'autres mains, qui ne seraient pas forcément plus agréables.

Merci d'apporter des réponses à ces questions, dont je référerai à mon groupe, car si le groupe Socialistes et apparentés exprime un sentiment favorable quant à l'évolution historique, il n'en reste pas moins que des inquiétudes subsistent.

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