Monsieur le ministre, quelque chose m'a gêné dans votre propos liminaire – par ailleurs très intéressant. Je suis un homme de gauche souverainiste, chevènementiste, et si le nationalisme, c'est la peste, la nation est pour moi quelque chose d'important ; le Président de la République y fait d'ailleurs de plus en plus référence depuis quelque temps. Or vous avez employé trente-neuf fois les mots « Europe » ou « européen » et trois fois le mot « France ». Je sais bien que vous êtes d'abord ministre de l'Europe et ministre des affaires étrangères de la France en second lieu, mais il ne faudrait pas que cela prête le flanc aux attaques d'autres formes de nationalisme que le mien ou que celui du Président de la République.
Prenons par exemple les ressources propres. L'initiative du plan de relance européen – il serait honteux de le nier – revient au Président Macron, peut-être avec Mme Merkel. Or cette action, conforme à notre conception, partagée par d'autres États membres, des Lumières, de la République, de la nation, de la laïcité, des libertés, de l'indépendance de la justice, de la condition féminine… est aujourd'hui bloquée par certains pays, qui sont pourtant membres de cette Europe qu'on ne cesse de louer, mais qu'on appelle les pays « frugaux » – une appellation totalement ridicule.
Même chose pour le Brexit. Si l'accord n'aboutit pas, c'est essentiellement à cause de la pêche. Or qui cela concerne-t-il en priorité ? La côte française, de Dunkerque jusqu'au Finistère – les Belges se débrouillent en allant vers le nord, le long de la côte néerlandaise. Ce n'est pas l'Europe qui va nous aider en matière de quotas de pêche ! Les eaux dunkerquoises, calaisiennes et boulonnaises sont pillées par les Hollandais, qui utilisent la pêche électrique et d'autres techniques nouvelles. Où est l'Europe dans ce domaine ? Pour la pêche, nous sommes en réalité en guerre contre un certain nombre d'États membres.
Enfin, s'agissant de la Turquie, il ne faut pas attendre ; pour être parti en mission là-bas au nom de la commission, je peux vous dire que la France est particulièrement ciblée – bien plus que les autres États membres. Compte tenu de son histoire et de sa population, l'Allemagne a sur le sujet une position beaucoup plus ambiguë. Attendre les copains en disant : « Retenez-moi ou je fais un malheur » ne me semble pas la bonne solution – en tout cas, elle n'est pas audible pour nombre de nos concitoyens.
Bref, appuyons-nous sur l'Europe, mais ne comptons pas uniquement sur elle pour régler nos problèmes. Je tenais à exprimer ce point de vue, qui me semble assez rare dans cette commission.