Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 25 novembre 2020 à 15h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

La séance est ouverte à 15 heures 05.

Présidence de M. Rodrigue Kokouendo, vice-président.

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Monsieur le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, mes chers collègues, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser notre présidente Marielle de Sarnez, qui ne peut être parmi nous pour des raisons médicales que vous connaissez. Nous la saluons très chaleureusement. Malgré cela, comme à son habitude, elle s'est bien entendu investie dans la préparation de l'audition de ce jour.

Nous avons donc le plaisir de retrouver parmi nous Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, pour une audition qui portera, d'une part, sur deux projets de loi importants dont la commission est ou sera saisie prochainement, et, d'autre part, sur l'actualité internationale.

Le calendrier législatif de notre commission est en effet marqué, en cette fin d'année, par l'examen de deux projets de loi de grande importance.

Il s'agit, en premier lieu, de celui qui autorise la ratification de l'accord de coopération avec l'Union monétaire ouest-africaine (UMOA). Il sera examiné en séance publique le jeudi 10 décembre, sur le rapport de notre collègue Jean François Mbaye. Celui-ci soutient l'accord ; il s'est rendu à Dakar pour en évaluer les termes. Je lui donnerai la parole après votre intervention. Il a des propositions constructives à faire pour associer les élus et les sociétés civiles à ce grand projet économique.

L'accord conclu le 21 décembre 2019 constitue en effet une réforme monétaire majeure. Il faut remonter soixante-quinze ans en arrière, avec la création du franc CFA, pour trouver une réforme de cette ampleur en Afrique. Notre pays se retirera des instances de gestion de la future monnaie – renommée « eco » –, le Trésor français ne centralisera plus les réserves de change, mais la France maintiendra sa garantie financière pour couvrir les engagements en devises de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest. Cette réforme va moderniser l'Union monétaire ouest-africaine et faciliter son extension à d'autres pays membres de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). La nouvelle zone monétaire de l'eco va ainsi permettre une véritable restructuration des marchés de l'Afrique de l'Ouest. Nous souhaiterions, monsieur le ministre, que vous nous indiquiez les enjeux de cet accord de coopération pour la France.

Le second projet de loi dont notre commission va être saisie est celui qui autorise l'approbation de la décision du Conseil européen relative au système des ressources propres de l'Union européenne. Pieyre-Alexandre Anglade devrait en être le rapporteur. Il s'est investi dans sa mission sans attendre, car ces nouvelles ressources constituent une avancée importante pour l'Union européenne. Je lui donnerai également la parole après votre intervention.

Ces ressources vont financer une partie du plan de relance européen. Au-delà de l'enjeu économique considérable qu'il représente, ce projet de nouvelles ressources traduit l'engagement des Européens en faveur du développement durable et leur volonté de mettre en place un prélèvement sur les échanges numériques et sur les transactions financières. Or l'adoption de ce plan de relance européen est actuellement bloquée par la Hongrie et la Pologne, peut-être aussi par la Slovénie. Nous souhaiterions, monsieur le ministre, entendre votre analyse concernant la situation et les perspectives d'aboutissement d'ici au Conseil européen des 10 et 11 décembre : croyez-vous qu'un accord soit possible et, si oui, sous quelles conditions ?

L'autre sujet européen majeur sur lequel nous souhaiterions vous entendre est le Brexit. Allons-nous vers un accord ou une absence d'accord ? En cas d'accord, quels seraient les termes acceptables pour la France en matière de pêche, d'accès au marché, d'équité de la concurrence et de gouvernance du futur partenariat ? En cas d'absence d'accord, comment mettre en place les nouvelles relations avec le Royaume-Uni et dans quel cadre juridique ?

L'actualité internationale est dominée ces jours-ci par le conflit au Haut-Karabakh, bien entendu. La France joue un rôle important, en tant que coprésidente du groupe de Minsk. Cette guerre de six semaines s'est traduite par d'importantes pertes civiles et militaires, des déplacements de population considérables et des destructions. Il est à présent indispensable de faire respecter le cessez-le-feu, d'apporter une aide aux populations en ouvrant des couloirs humanitaires et de protéger le patrimoine culturel et religieux. En ce qui concerne le conflit lui-même, êtes-vous optimiste ? Un règlement négocié vous paraît-il possible ? Nous nous interrogeons également sur les ambitions de la Turquie dans le Caucase et sur la stratégie de l'Iran, qui n'a pas essayé de retenir l'Azerbaïdjan dans son offensive.

Enfin, monsieur le ministre, nous souhaiterions vous entendre sur les conséquences vraisemblables, au niveau international, du changement d'administration américaine le 20 janvier prochain. Il est peu probable qu'un revirement soit observé dans les relations avec la Chine. Qu'attendez-vous, en revanche, de la nouvelle administration en matière de multilatéralisme, notamment dans la conduite de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), au sein de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ou de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), dans la lutte contre les changements climatiques et la crise sanitaire internationale ? En outre, quelle est votre position face au désengagement partiel en Afghanistan et en Irak annoncé par le président Donald Trump ?

Mes collègues auront sans doute à cœur d'aborder bien d'autres sujets encore.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

J'ai toujours du temps pour vous – d'ailleurs, je viens tous les mois ou presque devant votre commission.

J'aimerais, tout d'abord, que vous transmettiez à la présidente de Sarnez tous mes vœux de rétablissement, que vous lui fassiez part de notre amitié et de notre soutien dans l'épreuve qu'elle traverse.

L'enjeu majeur qui apparaît dans un certain nombre des questions que vous m'avez adressées, c'est celui de la détermination des Européens à prendre leur avenir en main, en affirmant à la fois leurs intérêts, leurs valeurs et leur volonté d'agir et d'être présents sur la scène internationale. C'est ce qui est en jeu dans l'adoption du plan de relance européen, dans les négociations du Brexit, dans notre réponse aux défis des jeux de puissance qui sont à l'œuvre à nos frontières, dans le nouveau partenariat transatlantique que nous devrons construire avec la prochaine administration américaine et dans notre relation à nos partenaires en Afrique, que nous devons réinventer – le chantier monétaire sur lequel vous m'avez interrogé est un jalon important sur ce chemin.

Face à ces enjeux, une seule et même question se pose : les Européens peuvent-ils prendre leur avenir en main ? Je vois pour ma part quelques signes positifs depuis notre dernière rencontre, que je voudrais identifier devant vous, autour de deux événements qui sont au cœur de l'actualité et des préoccupations des Français : la crise sanitaire et la campagne de haine dont nous, Européens, sommes victimes – et qui, nous ne le savons que trop, fait le lit de la violence terroriste.

J'ai déjà eu l'occasion de vous parler de la crise sanitaire. Vous le savez, nous avons tout fait d'emblée pour pousser l'Europe à agir. Certes, la santé publique ne fait pas partie des compétences de l'Union européenne, mais la crise a montré de manière très claire que, sans une Europe de la santé, il n'y a pas d'Europe qui protège, et donc pas non plus d'Europe pleinement maîtresse de son destin. C'est d'autant plus vrai qu'à l'instar de notre pays, l'Europe tout entière est frappée de plein fouet par la deuxième vague. Il y a là une exigence que nous garderons à l'esprit dans la perspective de la présidence française, au premier semestre 2022. Cela dit, grâce aux efforts de tous, des progrès ont été accomplis au cours de ces derniers mois dans le domaine de la lutte contre la pandémie.

D'abord, grâce à notre mobilisation, les frontières européennes sont gérées de manière coordonnée. Je vous rappelle qu'au début de la pandémie, chacun agissait de son côté. Depuis la mi-mars, des engagements clairs ont été pris en commun. Les frontières extérieures de l'Union européenne sont toutes fermées – je le redis, car on a tendance à l'oublier. Quant aux frontières intérieures de l'espace européen, nous avons mis en place un dispositif de coordination qui nous permet de les laisser ouvertes, tout en maîtrisant les risques sanitaires. On n'entre donc pas en Europe, sauf les ressortissants européens qui veulent rentrer chez eux – nous avons eu l'occasion d'accompagner certains de nos compatriotes dans cette démarche. Cette coordination est une avancée significative par rapport à ce que nous avons connu.

Par ailleurs, nous avons élaboré une cartographie permettant un zonage de l'épidémie, ainsi qu'un accord portant sur les mesures sanitaires nécessaires, notamment les tests et les quarantaines. Nous travaillons actuellement à l'élaboration de règles communes concernant les tests eux-mêmes ; elles devraient être prêtes d'ici au Conseil européen de décembre. Nous travaillons aussi, en ce moment même, à l'harmonisation des politiques à l'égard des stations de ski, car certains espaces skiables sont communs à plusieurs pays européens.

En ce qui concerne les vaccins aussi, nous avons nettement progressé au cours des dernières semaines. Vous vous souvenez de la concurrence qui s'est fait jour, lors de la première vague, pour se procurer des masques et des blouses. Nous sommes désormais dans une logique de coordination, pour éviter que la concurrence entre nos États n'aboutisse à une sorte de nationalisme vaccinal qui n'apporterait pas de solution. C'est pourquoi nous avons décidé de mutualiser les achats.

Nous avons demandé à la Commission de négocier des contrats avec des laboratoires, de manière à réserver par avance des doses de vaccin pour l'ensemble des Européens, en veillant à diversifier notre bouquet, pour répondre aux besoins spécifiques de toutes les populations et disposer de toutes les technologies existantes. À ce jour, comme l'a annoncé Mme von der Leyen, cinq contrats ont été signés ; un sixième devait être conclu aujourd'hui et un septième est en cours de négociation. Cela représente au total 1,5 milliard de doses, qui permettront de répondre aux besoins de 853 millions de personnes. Il est acté que 40 % de la population sera vaccinée, quand la préconisation de l'OMS est de vacciner au moins 20 % des gens.

Nous sommes donc dans une logique positive, et ces orientations sont encourageantes, même s'il convient de rester prudent concernant les vaccins : il faut attendre les résultats définitifs. En outre, les autorisations de mise en marché n'ont pas encore été accordées. Il appartiendra à l'Agence européenne des médicaments de se prononcer – elle vient d'ailleurs d'indiquer qu'elle le fera avant la fin de l'année. Nous mettons donc tout en œuvre pour être prêts dès qu'un vaccin arrivera sur le marché et éviter les concurrences inutiles. C'est là la preuve d'une capacité d'anticipation manifeste.

Cela se traduit aussi sur le plan de la coopération internationale, car chacun a bien conscience qu'il n'est pas possible que l'humanité vive en bonne santé sur une planète malade, ni que le règlement de la crise pandémique se limite à un seul territoire ou un seul continent : nous devons avoir obligatoirement une réponse mondiale. C'est dans cet esprit qu'a été lancée, le 4 mai, l'initiative Access to COVID-19 Tools Accelerator (ACT-A) – dont vous avez déjà, je pense, entendu parler –, à l'instigation du Président de la République, avec le soutien de l'Union européenne. Elle vise à recueillir les fonds suffisants pour produire en quantité nécessaire les vaccins et les traitements et renforcer les systèmes de santé.

Nous avons également été à l'origine, dans la même dynamique, de ce que l'on appelle la facilité COVAX, un système de facilité financière qui devrait garantir aux pays en voie de développement d'avoir accès aux vaccins. Ce mécanisme a d'ores et déjà permis de réunir plus de 2 milliards d'euros, mais il faudra aller plus loin, car il est clair que la santé des uns passe par la santé de tous. Nous devons, là aussi, éviter l'écueil de ce que j'appelais tout à l'heure le nationalisme vaccinal.

Par ailleurs, depuis ma dernière audition devant votre commission, nous avons mis en œuvre un objectif dont je vous avais fait part : la création d'un conseil d'experts de haut niveau à l'échelon mondial, en appui de l'OMS et en articulation avec cette organisation. Il s'agit d'une sorte d'équivalent, dans le domaine de la santé, du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Intégrant la dimension animale, la dimension humaine et les désordres environnementaux, il aura pour mission de donner une visibilité accrue à l'ensemble des interrogations autour de la santé. Ce conseil d'experts de haut niveau aura pour responsabilité de se faire l'écho des alertes auprès des responsables publics, ainsi que d'informer le grand public des enjeux de politique sanitaire. Il s'agit là, on le voit bien, d'un enjeu tout à fait essentiel. Or, jusqu'à présent, il n'existait aucun organe dédié. Nous avons mis ce projet sur la table au mois de mars, avec nos amis allemands ; au bout de six mois, il a été acté par les organisations internationales, et il se concrétisera très bientôt. C'est la preuve que quand l'Europe se mobilise, elle sait impulser des réformes et mettre en œuvre un multilatéralisme plus efficace.

Le Forum de Paris sur la paix – ce rendez-vous que nous avons lancé il y a deux ans afin de renforcer la gouvernance globale en associant non seulement les États, mais aussi le secteur privé et les forces de la société civile – nous a permis d'obtenir des résultats positifs à l'égard de ces initiatives.

Enfin, la déclaration finale commune des chefs d'État et de gouvernement du G20, qui s'est réuni virtuellement le week-end dernier, a permis de conforter l'idée du vaccin conçu comme bien public mondial, ce dont nous pouvons tous nous réjouir. Cette notion pourra désormais être appliquée.

On voit bien, à travers tous ces éléments, l'évolution progressive qui a permis d'obtenir une réponse cohérente à la crise sanitaire.

Il y a aussi une autre question d'actualité que je voulais aborder : la campagne de haine qui a été menée à notre encontre.

Les partenaires européens ont été au rendez-vous ; ils ont fait bloc à nos côtés. C'était important pour notre pays, bien sûr, mais aussi pour l'Europe en tant que telle, car ce qui est visé à travers les campagnes de ce type, c'est bien le modèle de liberté qui nous rassemble. Chacun l'a bien compris. Comme vous l'aurez constaté, cette campagne se poursuit. Le week-end dernier, nous avons condamné avec la plus grande fermeté les propos haineux proférés par un membre du gouvernement pakistanais. Cette logique est toujours à l'œuvre, et les attentats récents – ceux qui sont survenus en France et en Autriche, mais aussi les attaques de Djeddah – ont montré à quel point on passe rapidement de la haine virtuelle aux pires violences physiques.

Nous ne saurions accepter cet engrenage de haine et de violence. Nous avons multiplié les contacts et les prises de parole publiques, avec un double message : un message de fermeté à destination de ceux qui instrumentalisent ces questions à des fins politiques et géopolitiques, et un message d'apaisement à destination des femmes et des hommes de bonne volonté du monde musulman. Nous le faisons en tant que Français, mais aussi en partageant ces initiatives avec nos partenaires européens.

Nous travaillons surtout, pour combattre ces errements, à la mise en place d'une réglementation européenne renforçant les obligations pesant sur les plateformes numériques s'agissant de la modération des contenus qu'elles hébergent. L'échelon européen est le bon niveau pour le faire. Deux textes sont en cours de discussion et de préparation. D'une part, le projet de règlement relatif à la prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne (TCO) fait l'objet de négociations avec le Parlement européen. Il faut une réelle mobilisation pour faire en sorte qu'il soit adopté le plus rapidement possible. Ce texte permettra de faire retirer les contenus terroristes en ligne dans un délai d'une heure, même si la plateforme hébergeant le contenu se trouve dans un autre État membre. D'autre part, le projet Digital Services Act (DSA), qui doit être présenté par la Commission début décembre, permettra d'agir plus largement sur les contenus haineux en ligne en instaurant un régime de responsabilité des plateformes pour ce qui est de modérer ces contenus et de les retirer. Ce sont deux initiatives très fortes que nous soutenons et en faveur desquelles nous mobilisons l'ensemble de nos partenaires.

Les éléments que je viens de vous présenter incitent plutôt à l'optimisme, dans un panorama général assez sombre. Cela montre qu'il est toujours possible de mobiliser l'optimisme européen. Je tenais à le souligner dans ce propos général.

J'en viens maintenant, comme vous m'y avez invité, aux enjeux du débat actuel sur le plan de relance, qui est lui aussi le résultat de notre mobilisation face à la crise sanitaire et à ses conséquences.

Le 10 novembre, les négociations avec le Parlement européen sur le cadre financier pluriannuel et sur le plan de relance agréé en juillet par les chefs d'État et de gouvernement ont permis d'aboutir à un accord politique sur ce paquet budgétaire. Son niveau a été augmenté de 15 milliards d'euros par rapport à l'accord conclu en juillet pour les sept années à venir, en raison de l'intervention du Parlement sur les orientations budgétaires, en particulier pour renforcer des dispositifs comme Erasmus plus, le programme de l'Union européenne pour la santé ou encore le programme de recherche Horizon Europe. Une feuille de route vise également à introduire de nouvelles ressources propres – démarche que nous soutenons.

En outre, un accord a été trouvé avec le Parlement européen sur un mécanisme de conditionnalité financière liée à l'État de droit, qui donne au Conseil la possibilité de décider à la majorité qualifiée une suspension des versements de l'Union européenne dès lors des violations importantes des principes de l'État de droit seraient constatées ; sont visés, pour l'essentiel, les cas de corruption et de fraude, mais aussi le non-respect des valeurs fondamentales de l'Union.

Comme vous l'avez rappelé, la Pologne et la Hongrie, en raison de leur opposition à ce nouveau mécanisme, ont fait obstacle à l'adoption des textes du paquet budgétaire, y compris la décision relative aux ressources propres. Or celle-ci est essentielle, car elle autorise la Commission à emprunter sur les marchés de capitaux les 750 milliards d'euros nécessaires au plan de relance européen. Nous regrettons ce blocage qui va à l'encontre de l'impératif de solidarité européenne, dans une période pourtant extrêmement difficile. Il va aussi à l'encontre de nos valeurs, comme si celles-ci n'étaient pas le cœur même de notre modèle – car l'Europe ne sera vraiment l'Europe que si elle n'est pas uniquement un grand marché.

Vous m'interrogez sur les chances de réussite. Je pense qu'il faut surmonter cet obstacle en travaillant avec la présidence allemande et la Commission, mais aussi avec la Pologne et la Hongrie, dans une démarche de conviction, pour leur montrer que leur intérêt est aussi celui-là. Pour mémoire, la Pologne pourrait se voir dotée de 124 milliards d'euros au titre du nouveau cadre financier pluriannuel et du fonds de relance ; ce n'est pas rien. La Hongrie, elle aussi, sera largement bénéficiaire nette du budget de l'Union européenne. On peut espérer que ces arguments, joints à la force de conviction que nous déploierons, permettront d'aboutir à un accord au moment du Conseil européen des 10 et 11 décembre.

La manifestation de l'unité de l'Europe est aussi une valeur cardinale dans la dernière ligne droite des négociations sur le Brexit. L'issue de ces négociations reste, à ce moment, très incertaine – comme depuis le début. Les ouvertures britanniques demeurent insuffisantes sur les sujets les plus sensibles.

Vous avez cité la question de la pêche. Je le répète avec force : elle ne sera pas la variable d'ajustement de cette négociation. Je le dis pour que l'on m'entende, y compris de l'autre côté de la Manche. Les positions des uns et des autres concernant l'accès aux eaux et les quotas, ainsi que leur périodicité, restent extrêmement éloignées. Londres veut toujours récupérer la quasi-totalité du volume pêché par l'Union dans les eaux britanniques. Il en va de même s'agissant de l'ouverture de l'accès à la zone des 6-12 milles en Manche, qui fait pourtant partie des droits historiques. Ce point fait l'objet de discussions qui sont loin d'être convergentes. Il en va de même s'agissant des conditions de concurrence loyale. Les garanties envisagées restent minimes, et la partie britannique s'en tient à une posture défensive quant aux règles en matière d'aides d'État, à la règle d'origine et aux normes environnementales et sociales.

Le principe est simple : si l'on veut bénéficier du marché intérieur que représente l'Union européenne, il faut en accepter les règles. Quand on joue au football, même sur un terrain extérieur, il faut en accepter les règles, sinon on ne vient pas jouer, ou alors c'est un autre sport – on ne peut pas venir jouer au cricket sur un terrain de football. Si les Britanniques veulent venir sur notre marché, il faut qu'ils en respectent les règles.

Des problèmes subsistent également s'agissant de la gouvernance. Nous avons besoin d'un cadre institutionnel prévoyant un mécanisme de règlement des différends couvrant tous les sujets : il faut des mécanismes de protection et des mesures croisées pour s'assurer que chacun respecte ses engagements.

À l'heure actuelle, le Royaume-Uni continue de faire traîner les discussions sur des sujets secondaires et joue avec le calendrier, profitant du fait que ses procédures de ratification sont moins contraignantes et moins longues que celles de l'Union européenne. Toutefois, je constate avec intérêt que l'Union reste unie.

Même si nous sommes en train d'étudier des procédures pour permettre à un éventuel accord d'entrer en application, même de manière provisoire, dès le 1er janvier, que l'on ne s'y trompe pas : nous ne ferons pas primer le calendrier sur le contenu. Je le dis aussi à nos amis britanniques. L'Union est certes déterminée à aboutir à un partenariat aussi étroit que possible avec le Royaume-Uni, mais il revient aux Britanniques de sortir des postures tactiques et de faire les gestes nécessaires.

Par ailleurs, nous serons intransigeants s'agissant de la pleine et entière application de l'accord de retrait. Cet aspect a fait l'objet de nombreuses discussions ces derniers temps, mais il y va du respect des engagements pris et de la parole donnée par le Royaume-Uni, pour préserver à la fois l'intégrité du marché intérieur et la paix – je pense en particulier au respect des accords du Vendredi saint sur l'île d'Irlande.

Nous sommes prêts à tous les scénarios, au niveau européen comme au niveau national. Nous avons pris par anticipation, il y a un certain temps déjà, les mesures nécessaires en matière de contrôles aux frontières, d'infrastructures, de droits des citoyens et de vérification des normes. Nous en avions d'ailleurs parlé ici même. Ces mesures seront appliquées si nous sommes dans la nécessité d'aboutir à un no deal. Parfois, il vaut mieux une absence d'accord qu'un mauvais accord. En l'occurrence, nous en espérons un, tout en constatant que, vu l'état des négociations, nous ne sommes pas susceptibles de l'obtenir. Quoi qu'il en soit, nous ne nous laisserons pas piéger par des jeux de calendrier : cela risquerait de remettre en cause des enjeux beaucoup plus importants.

Nous avons aussi besoin d'unité européenne face à la Turquie. Vous connaissez l'ampleur des désaccords que nous avons avec ce pays – j'ai déjà eu l'occasion d'en parler à plusieurs reprises. Quand je dis « nous », je parle de l'Europe. L'expansionnisme turc en Méditerranée orientale touche la souveraineté et l'intégrité territoriale de Chypre et de la Grèce, donc de l'Europe tout entière ; l'instrumentalisation de la question migratoire par le président Erdogan touche l'Europe tout entière ; la politique de déstabilisation menée par la Turquie en Libye, en Syrie, en Irak ou dans le Haut-Karabakh touche l'Europe tout entière et constitue une menace pour notre sécurité.

Le moment est venu pour la Turquie de clarifier sa position – je l'ai dit sans ambiguïté depuis déjà plusieurs semaines –, car le Conseil européen des 10 et 11 décembre doit prendre les décisions nécessaires. La Turquie doit choisir entre la voie de la coopération, qui est la condition d'une relation constructive, et la voie de la confrontation. Force est de constater qu'elle n'a pas saisi la première possibilité, comme le montre le petit pique-nique du président Erdogan sur la plage de Varosha, à Chypre, dont vous mesurez bien la dimension symbolique, et qui marque une rupture avec les accords passés dans le cadre des Nations unies.

Il y a quelques jours, j'ai noté une certaine inflexion dans la tonalité des déclarations émanant des autorités turques : les mots employés tranchaient, mais c'était vraiment la moindre des choses, avec les discours inacceptables des jours précédents. Toutefois, des inflexions dans le discours ne suffisent pas : ce qu'il faut, ce sont des actes et des preuves tangibles d'un vrai changement de politique.

Rendez-vous est pris : lors du Conseil européen du mois de décembre, les chefs d'État et de gouvernement devront tirer collectivement les conséquences de la situation actuelle et de l'attitude turque.

Pour parler très concrètement, l'un des actes que nous attendons de la Turquie, c'est le retrait des mercenaires syriens déployés à ses frais et à son instigation dans le Haut-Karabakh. À cet égard, monsieur le président, et puisque vous m'avez interrogé sur ce conflit, je ferai quelques remarques.

L'arrêt des combats était indispensable, mais il n'a pas résolu la crise de manière durable. Il n'apporte pas non plus de réponse à la crise humanitaire qui touche l'Arménie. Il y a donc trois priorités d'action pour la France.

D'abord, nous devons jouer notre rôle de coprésidents du groupe de Minsk, formé en 1992 et dont la coprésidence a été établie en 1994 après un premier conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, et qui associe la Russie, les États-Unis et la France : ces trois pays ont la responsabilité d'encadrer les négociations et d'assurer le respect du cessez-le-feu de l'époque. Dans ce cadre, nous devons faire en sorte que les paramètres de l'accord soient clarifiés et qu'un processus de discussion soit engagé. Il y a des angles morts dans l'accord : un certain nombre de points appellent des garanties. Je pense notamment au départ des combattants étrangers, au retour des personnes déplacées – pour l'essentiel, des Arméniens qui doivent pouvoir revenir au Haut-Karabakh – et à la protection du patrimoine historique et culturel. Nous allons poursuivre les discussions avec l'ensemble des parties pour faire en sorte de clarifier tous ces aspects. Je m'entretiens très régulièrement avec mon collègue Lavrov à ce propos, ainsi qu'avec la présidence sortante des États-Unis : la question a été abordée lors des entretiens que j'ai eus avec M. Pompeo la semaine dernière, quand il est passé à Paris.

Ensuite, il est nécessaire de renforcer notre solidarité humanitaire avec l'Arménie. C'est là une action tout à fait déterminante. Nous avons engagé une première livraison dimanche dernier : un avion gros porteur a été affrété, contenant plusieurs dizaines de tonnes de matériel à destination d'Erevan. Un autre vol partira après-demain pour apporter une aide de l'État français, ainsi que d'organisations non gouvernementales (ONG), d'associations de la communauté arménienne de France et de collectivités locales – nous coordonnons ces initiatives au sein d'un comité de pilotage. Il importe non seulement de soutenir le secteur de santé et les hôpitaux arméniens, mais aussi d'aider au retour des déplacés sur leur lieu de vie.

Enfin, il faut passer d'un cessez-le-feu militaire à un cessez-le-feu culturel, en mettant en place rapidement les conditions de préservation du patrimoine. C'est ce que nous faisons en mobilisant une institution créée il y a quatre ou cinq ans, l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (ALIPH), présidée par Tom Kaplan. Ce partenariat important, qui rassemble la France, les Émirats arabes unis et quelques autres pays, a pour objectif d'expertiser l'état du patrimoine et d'engager les réhabilitations nécessaires. C'est particulièrement important dans cette région qui possède un patrimoine culturel et religieux considérable.

Telles sont les bases sur lesquelles nous travaillons. Nous sommes en relation permanente avec les autorités arméniennes. Je recevrai mon nouveau collègue arménien – car le pays a connu quelques difficultés politiques – dans les prochaines semaines pour aboutir à la mise en œuvre de l'ensemble de ces paramètres. Le trio des coprésidents est tout à fait en phase pour aller dans cette direction. Des précautions s'imposent, mais je pense que nous avançons de manière positive.

Voilà, monsieur le président, pour quelques-unes des urgences du moment. Vous m'avez interrogé également sur les relations nouvelles que nous pourrions avoir avec la prochaine administration américaine. J'observe, pour commencer, que le président sortant, Donald Trump, a autorisé l'établissement de relations directes avec l'équipe du président entrant. C'est une bonne chose.

Je me réjouis tout particulièrement de la désignation par le président élu de M. Antony Blinken – même si elle doit encore être validée par le Congrès –, et cela d'autant plus que j'ai déjà eu l'occasion de travailler avec lui, dans une vie antérieure, sur un certain nombre de sujets liés à la défense. Sa nomination permettra d'éclairer une relation transatlantique qui en avait besoin, dans le respect à la fois de l'autonomie de chacun et du multilatéralisme, méthode qu'il a su illustrer, en particulier sur des questions cruciales.

Il y a des sujets sur lesquels nous allons avancer assez vite. Le fait que le président élu ait annoncé que les États-Unis reviendraient dans les accords de Paris sur le climat va nous permettre de préparer de manière active la COP26 de Glasgow, prévue à la fin de l'année prochaine, dans une nouvelle configuration ; nous pourrons l'aborder avec un certain nombre d'exigences, ce qui est indispensable. Il en va de même pour les questions de santé : le président élu a annoncé que les États-Unis réintégreraient le dispositif de l'Organisation mondiale de la santé. S'agissant d'une autre question urgente, à savoir les accords de Vienne sur l'Iran, nous aurons également des possibilités d'agir assez rapidement.

Nous devrons en outre redéfinir la relation transatlantique. Il ne faut pas se leurrer : nous n'allons pas revenir au statu quo ante. Il s'est passé beaucoup de choses depuis quatre ans, du fait non seulement de la présidence Trump, mais aussi de l'évolution du monde. Les rapports de force se sont aggravés, des conflictualités se sont manifestées, des enjeux nouveaux sont apparus, liés à l'affirmation internationale de la Chine et à la brutalité des rapports internationaux. Bref, nous ne sommes plus dans le même monde.

Il va donc falloir refonder un équilibre, parce que, dans le même temps, l'Europe s'est affirmée ; elle est en partie sortie de la naïveté – mais pas totalement encore. L'agenda de la souveraineté de l'Europe et celui de la refondation de la relation transatlantique ont vocation à former un cercle vertueux. Il n'y a aucune raison de les opposer, mais il n'y en a pas non plus d'être timides s'agissant de nos exigences. C'est dans cet état d'esprit que nous allons aborder la relation avec la nouvelle équipe américaine. Parmi les questions à traiter, il y aura la consolidation de l'Alliance atlantique, qui a été quelque peu ébranlée par certaines actions et déclarations. Le Président de la République a eu l'occasion de le dire avec force : il faut réfléchir aux enjeux stratégiques de l'OTAN. À la suite de sa déclaration, un groupe de travail sur l'avenir de cette organisation a été créé, qui rendra ses conclusions la semaine prochaine, à l'occasion de la réunion des ministres des affaires étrangères des pays membres de l'OTAN. Cela nous permettra de disposer d'éléments pour envisager une relation plus équilibrée, dans ce cadre aussi, avec les États-Unis d'Amérique.

Je crois qu'il est de l'intérêt des États-Unis que l'Europe soit forte, car il vaut mieux avoir un allié fort qu'un partenaire faible et aux ordres. C'est dans cette logique-là que nous allons travailler dès que la nouvelle équipe sera installée – c'est-à-dire après le 20 janvier. Il nous faudra examiner aussi avec elle plusieurs sujets délicats que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer à plusieurs reprises, dont les questions turque, libyenne, irakienne et de Daech.

Un dernier mot concernant la réforme du franc CFA. Vous l'avez rappelé, monsieur le président, l'Assemblée nationale examinera le 10 décembre prochain le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le gouvernement de la République française et les gouvernements des États membres de l'Union monétaire ouest-africaine. Cet accord, qui remplace celui de 1973, répond à une demande des pays concernés. Il s'agit d'une nouvelle étape dans la coopération monétaire entre la France et les pays de l'UMOA, qui marquera le changement de nom de la monnaie unique ouest-africaine – ce sera a priori l'eco, mais les discussions sont encore en cours –, la fin de la centralisation des réserves de change de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest auprès du Trésor français et le retrait de la France des instances de gouvernance ; en revanche, le maintien d'une parité fixe avec l'euro a été décidé par les chefs d'État des pays membres de l'UMOA. Cette réforme est une étape importante, conforme aux orientations qu'avait données le Président de la République dans son discours de Ouagadougou ; elle intervient au moment où les Africains sont eux-mêmes en train de mettre en place une zone de libre-échange continentale africaine. Il est par conséquent tout à fait essentiel d'établir un véritable partenariat entre l'Europe et l'Afrique. La fin du franc CFA a évidemment une très forte valeur symbolique à cet égard.

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Monsieur le ministre, je voudrais vous interroger sur l'axe indopacifique, une semaine après la signature du partenariat régional économique global (RCEP). Ce partenariat constitue à ce jour le plus important accord commercial au monde ; il a été signé par la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les dix États membres de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN). Ces quinze pays représentent à eux seuls 2 milliards de consommateurs, environ 30 % de la population mondiale, 30 % du PIB mondial et pas loin de 30 % des échanges internationaux. L'accord porte essentiellement sur une baisse des droits de douane sur plus de 80 % des produits échangés, hors biens agricoles, et sur une simplification des démarches administratives liées aux transactions commerciales.

Au-delà de son importance économique, ce partenariat a une forte valeur symbolique, d'abord, parce que les États-Unis en sont absents, ce qui ne fait que renforcer le poids de la Chine, ensuite, parce que c'est le premier accord commercial signé entre la Corée du Sud, le Japon et la Chine.

Cette dernière apparaît incontestablement comme la grande gagnante de l'accord. En s'imposant comme la garante du multilatéralisme, elle renforce son influence dans la région. Elle pourrait en outre bénéficier d'un surplus de revenus de près de 85 milliards de dollars à l'horizon 2030, selon les premières estimations.

Face à l'hégémonie chinoise, Emmanuel Macron a appelé dès 2018 à un nouvel ordre géostratégique. En refusant d'être directement associée au dialogue quadrilatéral pour la sécurité (QUAD) noué entre le Japon, l'Inde, les États-Unis et l'Australie, la France promeut une position d'équilibre entre les États-Unis et la Chine, ainsi qu'une certaine conception du multilatéralisme. Le Président de la République l'a souligné : l'axe indopacifique constitue l'un des grands enjeux de demain. La France intervient dans la région non seulement en tant que puissance étrangère, mais aussi en tant que puissance voisine, puisque plus de 1,6 million de nos concitoyens vivent dans la zone économique exclusive française, dont plus de 90 % des 9 millions de kilomètres carrés se situent dans le Pacifique et l'océan Indien. La présence militaire de la France dans la région est importante : le dispositif actuel, qui s'étend de Djibouti à la Polynésie, comprend cinq commandements régionaux, trois bases et quelque 7 000 militaires. Si la France entend s'imposer comme une puissance militaire dans la région, le Président de la République a indiqué qu'elle comptait aussi y renforcer ses partenariats économiques, technologiques et stratégiques.

La signature du RCEP remet-elle en cause la stratégie de la France dans l'axe indopacifique ? Quelle politique la France doit-elle mener pour parvenir à s'imposer face aux puissances asiatiques, tout en conservant son indépendance à l'égard de la Chine et des États-Unis ? Actuellement isolée au sein de l'Europe sur cette question, la France a-t-elle pour ambition de rallier à sa cause certains de ses voisins européens, en vue de renforcer la position de l'Europe dans la région ?

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Je voudrais revenir sur nos relations avec la Turquie, aujourd'hui présente sur nombre de théâtres d'opérations : en Irak, en Libye, en Syrie, en Méditerranée orientale. Je veux condamner de nouveau les propos inacceptables que le président Erdogan a tenus à l'égard du Président de la République, ainsi que le fait que Recep Tayyip Erdogan a pris la tête d'une fronde contre la France en lançant un mouvement de boycott des produits français.

Monsieur le ministre, vous avez, à juste titre, manifesté l'opposition de la France à la politique du fait accompli menée par la Turquie et aux volontés expansionnistes de celle-ci. Vous avez indiqué que vous attendiez de la part de Recep Tayyip Erdogan des actes, notamment le retrait des mercenaires syriens dans le Haut-Karabakh, et que vous considériez que la question des relations avec la Turquie concernait l'Europe tout entière. Cette question est à l'ordre du jour du Conseil européen de décembre. Outre ce retrait, quels actes attendez-vous de la part d'Erdogan ? Qu'espérez-vous du prochain Conseil européen ? Demanderez-vous le réexamen du processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ? Ce processus a été engagé il y a bien longtemps et – si vous me passez l'expression – il n'en finit pas de finir. Entre le moment où les négociations ont commencé et aujourd'hui, les conditions ont bien changé. La France va-t-elle prendre une position claire sur ce dossier ?

Deuxième question : quel bilan tirez-vous de la présidence allemande du Conseil de l'Union européenne, qui va bientôt prendre fin, et qu'attendez-vous de la prochaine présidence ?

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Tant d'échéances importantes s'imposent à la France et au monde dans les semaines et mois à venir que le calendrier que vous venez de présenter, monsieur le ministre, peut paraître insurmontable ; cela nous contraint à trouver collectivement les moyens d'une action forte, concertée et volontaire de la part de l'ensemble des parties prenantes. On a trop tôt annoncé la mort du multilatéralisme dans le règlement des différends du monde, sans voir que les replis, à l'instar de ceux du Royaume-Uni et des États-Unis, pouvaient n'être que des épiphénomènes traduisant un changement d'époque : le temps de la géopolitique des États semble laisser la place à celui d'une géopolitique des sociétés civiles. Il reste que, dans l'intervalle, certains États semblent s'affranchir de leurs engagements internationaux pour n'user que de la force brute. Face à eux, les États démocratiques doivent composer avec de multiples facteurs. La situation sanitaire internationale, le terrorisme, les conflits gelés, l'urgence climatique… : rien de tout cela ne peut trouver de solution acceptable sans la promotion d'un nouveau mode de concertation multilatérale qui englobe non seulement des considérations politiques, mais aussi des aspects économiques, sociaux et sécuritaires.

Des signes encourageants apparaissent : la construction progressive d'une voix européenne ; le prochain changement d'administration aux États-Unis ; l'échec des populismes à répondre aux attentes. Dans ce contexte, les outils du multilatéralisme international doivent probablement être repensés – tel est le sens de l'action menée par la France depuis plusieurs années sous votre impulsion, monsieur le ministre. Il importe aussi de multiplier les initiatives visant à mettre en relation les sociétés civiles, qui, au-delà des États, sont des acteurs importants. Le sommet des deux rives me semble de ce point de vue exemplaire, et porteur d'espoir pour l'avenir.

L'environnement international nous oblige à repenser durablement notre approche géopolitique et laisse entrevoir de nouvelles perspectives à une collaboration autour de nouveaux modes d'action, qui ne seraient plus uniquement de l'ordre de la confrontation des puissances. Quels pourraient en être, selon vous, les marqueurs ? Comment la France pourrait-elle s'y prendre pour favoriser son émergence ?

D'autre part, les négociations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne suscitent beaucoup d'inquiétudes, notamment au sein du monde de la pêche. J'aurais souhaité savoir si, à l'approche de leur clôture, on avait enregistré des avancées – mais vous avez déjà abordé cette question, monsieur le ministre.

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Monsieur le ministre, quelque chose m'a gêné dans votre propos liminaire – par ailleurs très intéressant. Je suis un homme de gauche souverainiste, chevènementiste, et si le nationalisme, c'est la peste, la nation est pour moi quelque chose d'important ; le Président de la République y fait d'ailleurs de plus en plus référence depuis quelque temps. Or vous avez employé trente-neuf fois les mots « Europe » ou « européen » et trois fois le mot « France ». Je sais bien que vous êtes d'abord ministre de l'Europe et ministre des affaires étrangères de la France en second lieu, mais il ne faudrait pas que cela prête le flanc aux attaques d'autres formes de nationalisme que le mien ou que celui du Président de la République.

Prenons par exemple les ressources propres. L'initiative du plan de relance européen – il serait honteux de le nier – revient au Président Macron, peut-être avec Mme Merkel. Or cette action, conforme à notre conception, partagée par d'autres États membres, des Lumières, de la République, de la nation, de la laïcité, des libertés, de l'indépendance de la justice, de la condition féminine… est aujourd'hui bloquée par certains pays, qui sont pourtant membres de cette Europe qu'on ne cesse de louer, mais qu'on appelle les pays « frugaux » – une appellation totalement ridicule.

Même chose pour le Brexit. Si l'accord n'aboutit pas, c'est essentiellement à cause de la pêche. Or qui cela concerne-t-il en priorité ? La côte française, de Dunkerque jusqu'au Finistère – les Belges se débrouillent en allant vers le nord, le long de la côte néerlandaise. Ce n'est pas l'Europe qui va nous aider en matière de quotas de pêche ! Les eaux dunkerquoises, calaisiennes et boulonnaises sont pillées par les Hollandais, qui utilisent la pêche électrique et d'autres techniques nouvelles. Où est l'Europe dans ce domaine ? Pour la pêche, nous sommes en réalité en guerre contre un certain nombre d'États membres.

Enfin, s'agissant de la Turquie, il ne faut pas attendre ; pour être parti en mission là-bas au nom de la commission, je peux vous dire que la France est particulièrement ciblée – bien plus que les autres États membres. Compte tenu de son histoire et de sa population, l'Allemagne a sur le sujet une position beaucoup plus ambiguë. Attendre les copains en disant : « Retenez-moi ou je fais un malheur » ne me semble pas la bonne solution – en tout cas, elle n'est pas audible pour nombre de nos concitoyens.

Bref, appuyons-nous sur l'Europe, mais ne comptons pas uniquement sur elle pour régler nos problèmes. Je tenais à exprimer ce point de vue, qui me semble assez rare dans cette commission.

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Le cessez-le-feu conclu entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan le 9 novembre dernier sous l'égide de la Russie, à la suite d'un conflit de plusieurs jours, n'est que le nouvel épisode d'une rivalité ancienne qui oppose Arméniens et Azerbaïdjanais. Alors que tous les regards se portaient à juste titre sur l'influence turque dans le conflit, une nouvelle fois, c'est la Russie qui a tiré son épingle du jeu, en arbitrant les conditions du cessez-le-feu.

Il nous faut garder à l'esprit que la France et l'Azerbaïdjan entretiennent des relations très anciennes. La coopération universitaire est un axe important de la coopération culturelle franco-azerbaïdjanaise ; l'université franco-azerbaïdjanaise de Bakou, inaugurée en septembre 2016, est un bel exemple de cette relation d'amitié et de confiance. La coopération scientifique et de recherche entre la France et l'Azerbaïdjan s'est également développée par l'intermédiaire de l'antenne de l'Institut français d'études anatoliennes implantée à Bakou depuis 2002. Comme le reste du Caucase, les Azerbaïdjanais sont francophones ou francophiles.

La France est le septième investisseur étranger dans le pays, ce qui fait de l'Azerbaïdjan notre premier partenaire économique du Caucase du Sud, devant l'Arménie et la Géorgie. Un institut français est implanté depuis 2004 à Bakou et un lycée français, financé et géré par la Mission laïque française, y a ouvert en 2013. Près d'une trentaine d'accords interuniversitaires lient des établissements publics d'enseignement azerbaïdjanais à des universités françaises.

Le peuple azerbaïdjanais est un peuple ancien, qui a une culture du vivre ensemble. De nombreuses ethnies non azéries – Lezguis, Talychs, Avars, Russes, Tatars, Juifs, etc. – vivent en Azerbaïdjan en parfaite harmonie, dans un respect mutuel. Chacun peut pratiquer sa foi sans être inquiété. L'Azerbaïdjan est un pays profondément laïque – c'est d'ailleurs le premier pays laïque du monde musulman ; c'est peut-être le seul pays au monde où cohabitent pacifiquement autant de religions. Cela a été popularisé par Alexandre Dumas et par George Sand, qui, en 1843, a été la première à traduire en français l'épopée azerbaïdjanaise de Köroglu.

Au-delà de ces considérations, la reconnaissance unilatérale du Haut-Karabakh, comme le souhaite le Sénat, pourrait être dangereuse pour la position de la France dans le monde, d'autres territoires du Caucase, comme l'Ossétie du Sud ou l'Abkhazie, pouvant en demander autant. Je rappelle que la France a voté à quatre reprises pour les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité de l'ONU en avril, juillet, octobre et novembre 1993 : elles prévoient le respect de la souveraineté, de l'intégrité territoriale et de l'inviolabilité des frontières internationalement reconnues de la République d'Azerbaïdjan, sans ingérence aucune. Il est important pour notre pays d'avoir une vision équilibrée et pondérée de ce conflit.

Les résolutions, motions et autres initiatives prises par l'Assemblée nationale, le Sénat ou la mairie de Paris ne contreviennent-elles pas au statut de médiateur de la France ? Quelle est la position officielle de notre pays sur ces résolutions et initiatives locales ? Le Gouvernement se montrera-t-il favorable au texte adopté par le Sénat ? N'est-il pas indispensable que la France conserve sa neutralité, gage de sa présence au sein du groupe de Minsk ?

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Lors de la séance de questions du 27 octobre, j'avais interrogé le Gouvernement sur les provocations, les agressions et les humiliations imposées au Président de la République par le président Erdogan, le nouveau sultan d'Ankara – auxquelles s'ajoutent les problèmes avec la Grèce et Chypre, son ingérence dans les conflits, le chantage migratoire, etc. Le ministre de l'intérieur m'avait répondu dans son domaine de compétence, en dénonçant l'entrisme d'Ankara dans l'islam de France. Nous sommes à la veille du Conseil européen, et vous venez pour votre part, monsieur le ministre, d'affirmer que des déclarations de la part du leader turc ne suffiraient pas – dont acte.

Erdogan ne comprend que les rapports de force. Va-t-on prendre des sanctions véritablement dissuasives ? Y a-t-il un consensus européen sur le sujet ? J'écoutais avec attention mon ami Hutin souligner l'importance que la France assume le leadership sur cette question.

Le 11 novembre, nous, Français, nous sommes associés, lors de l'assemblée générale de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), à une résolution condamnant Israël pour violation des droits à la santé des Palestiniens. Il s'agit là d'un texte mensonger : vous savez très bien que tous les Palestiniens se font soigner dans les hôpitaux israéliens ; ainsi Ismaïl Haniyeh, le leader du Hamas, ou Saëb Erakat, qui – hélas pour les Palestiniens – est mort dans un hôpital israélien il y a deux semaines. Cette résolution a été promue par, entre autres, la Turquie d'Erdogan, cette grande démocratie qu'est la Syrie d'Assad et l'Autorité palestinienne. Franchement, monsieur le ministre, pensez-vous que ce vote en faveur d'une résolution turque mensongère et diffamatoire soit de nature à renforcer notre crédibilité dans le bras de fer qui nous oppose au président Erdogan ? Comment expliquer que la France décide de s'associer à cette résolution honteuse de l'OMS, alors que, dans le même temps, le Quai d'Orsay reste silencieux face aux manifestations de la rue palestinienne, où l'on crie « mort à la France » et l'on brûle des portraits du Président de la République devant la résidence de notre ambassadeur à Tel-Aviv, devant l'ambassade de Tel-Aviv et devant le mont du Temple à Jérusalem ? Je n'ai entendu aucune condamnation sur ce point ! En revanche, nous continuons à condamner la construction de n'importe quel logement en Judée-Samarie, alors que, pour sa part, M. Pompeo, le secrétaire d'État américain, se rend dans le Golan et dans une implantation juive de Samarie. Je sais que la France n'a pas la même position que les États-Unis sur le sujet, mais la paix est en train de se faire dans la région. Le premier ministre israélien, M. Netanyahu, aurait selon toute vraisemblance rencontré le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane, dit MBS, un accord de paix a été signé au Soudan et nous – je vous le dis amicalement mais avec franchise, monsieur le ministre –, nous continuons de raisonner avec un logiciel périmé et regardons passer le train de la paix. D'un côté, il y a des pays comme la Turquie ou l'Iran, mais, de l'autre côté, certains pays arabes, dont beaucoup de sunnites, changent : il faut le prendre en considération.

S'agissant précisément de l'Iran, je connais la position du Quai d'Orsay sur le sujet et sais que vous êtes, à titre personnel, favorable à l'accord, mais la porte-parole du ministère allemand des affaires étrangères a récemment déclaré que l'Iran n'avait pas cessé de violer l'accord et qu'il se dirigeait vers le nucléaire. C'est une immense inquiétude pour le monde entier, et tout particulièrement pour le monde libre, de savoir qu'un État islamiste pourrait disposer de la bombe nucléaire. Je sais que vous y êtes opposé. J'aimerais vous entendre à ce sujet.

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Alassane Ouattara en Côte d'Ivoire, Alpha Condé en Guinée : tous deux ont suivi un processus strictement identique, avec un troisième mandat anticonstitutionnel, des résultats non crédibles, l'arrestation d'opposants, des violences s'accompagnant de morts et de blessés. Le Président de la République a pourtant félicité Alassane Ouattara pour son élection. Il réduit ainsi le débat à une histoire de personnes, voire de personnalités, l'une, Alpha Condé, ayant violé la Constitution, l'autre, Alassane Ouattara, ne l'ayant pas fait.

De votre côté, monsieur le ministre, au terme d'un séjour de vingt-quatre heures au Niger, vous avez rendu un vibrant hommage au président Issoufou, qui, arrivant en fin de mandat, respecte son engagement de ne pas se représenter pour un troisième mandat. Vous avez déclaré : « Je suis venu parce que je voulais rencontrer le président Issoufou avant la fin de son mandat, […] parce que nous avons eu depuis 2012 de nombreux échanges de qualité et je tenais à lui rendre hommage ». Il s'agit donc d'un soutien affiché que vous lui apportez en pleine campagne électorale. Vous avez d'ailleurs ajouté, à propos des élections de décembre : « Elles vont avoir lieu au moment où elles doivent avoir lieu, dans le respect de la Constitution. La qualité de l'élection au Niger sera une référence pour toute l'Afrique. » Il n'aura échappé à personne que vous avez tenu ces propos sur l'exemplarité des élections avant même que celles-ci aient lieu et alors que la candidature du principal opposant au président Issoufou venait d'être invalidée par la Cour constitutionnelle sur des bases plus que discutables, au moment même où il terminait une tournée dans tout le pays, remplissant les stades.

Trouvez-vous normal que le Président de la République française félicite le président d'un autre pays pour sa réélection alors que cette dernière s'est faite au mépris de la Constitution et qu'il distribue des bons points en fonction de son intérêt du moment ? Trouvez-vous normal, pour ce qui vous concerne, que vous félicitiez un président pour l'exemplarité d'élections qui ne se sont pas encore tenues ? Pensez-vous que le seul fait que ces élections aient lieu dans le prétendu respect de la Constitution suffise à les rendre exemplaires ? Ne pensez-vous pas que de tels propos risquent d'embraser une partie de l'Afrique, notamment le Sahel ? Vous n'aurez qu'à déplorer les conséquences de vos actes !

Pour ce qui concerne la Turquie, je pense que, s'il existe des divergences entre nos deux pays, les propos que vous tenez ne reflètent pas vraiment la réalité – pour le dire poliment. La France et la Turquie méritent mieux que cela. À ceux qui parlent de chantage migratoire, je veux rappeler qu'il y a 3,5 millions de réfugiés en Turquie, dont 600 000 Kurdes, et 600 000 naissances depuis la conclusion de l'accord avec l'Union européenne. Avons-nous respecté les contreparties de cet accord ? Celui-ci prévoyait une enveloppe financière ; or nous avons versé en quatre ans l'équivalent de ce que nous aurions dû verser en un an. Il prévoyait aussi une relance du processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, des visas pour les Turcs et une aide au retour des réfugiés en Syrie. Rien de tout cela n'a été appliqué. Nous faisons la même chose avec l'Iran ; nous demandons à tous ces pays de respecter leurs engagements, mais nous ne respectons pas un seul des nôtres.

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Le vendredi 13 novembre, l'attaque perpétrée par le Maroc sur le territoire du Sahara occidental, à la fois en zone occupée et en zone libre, à l'encontre de manifestants sahraouis a marqué la fin du cessez-le-feu en vigueur depuis 1991 entre les forces marocaines et le Front Polisario. Cela s'est produit à Guerguerat, lieu-dit situé à proximité d'une brèche illégalement ouverte par le Maroc dans le mur qui sépare le Sahara occidental occupé de la Mauritanie afin de lui permettre de commercer avec l'Afrique subsaharienne. Cette brèche est une insulte aux accords de cessez-le-feu ; elle n'aurait jamais dû être maintenue ouverte, mais les Sahraouis ont fait preuve de patience : cela fait près de trente ans qu'ils demandent que cette situation cesse, sans résultat.

La France a une responsabilité dans cette situation, d'abord en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, parce que jamais le Maroc n'a respecté ses obligations après qu'il a été condamné par le Comité contre la torture de l'ONU pour avoir torturé des prisonniers politiques sahraouis, parce que jamais la mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental, la MINURSO, n'a intégré dans sa mission le contrôle du respect des droits de l'homme – c'est d'ailleurs la seule mission de l'ONU à ne pas avoir cette prérogative, du fait de l'opposition de la France –, parce que jamais le référendum d'autodétermination n'a été organisé, parce que jamais la brèche de Guerguerat n'a été refermée par la MINURSO.

La France a une responsabilité également en tant que membre de l'Union européenne, qui a conclu avec le Maroc un accord commercial portant aussi, en toute illégalité, sur des produits commerciaux provenant du Sahara occidental, violant ainsi l'interdiction du pillage des ressources de ce territoire non autonome – ce qui a d'ailleurs donné lieu à des condamnations.

Elle a enfin une responsabilité en tant que partenaire du Maroc. Vous estimez que le plan d'autonomie marocain est une base crédible de négociations alors qu'il viole le droit international. L'amitié franco-marocaine, que je souhaite sincèrement, ne doit pas vous aveugler. Vous ne devez pas réduire la position française aux seules options que propose la diplomatie marocaine, ni épouser les intérêts du Maroc dans cette zone. Être franc en amitié, c'est la base de la confiance mutuelle.

Vous savez bien que l'immobilisme diplomatique favorise la colonisation de peuplement en faveur du Maroc et contient en germe une reprise de la guerre. Comme pour Palestine, comme pour l'Arzat, le statu quo favorise l'occupant ; et comme pour l'Arménie, il favorise la guerre. L'immobilisme du Conseil de sécurité, à cause de l'attitude de la France, est coupable d'avoir laissé tomber depuis quarante-cinq ans le peuple sahraoui. Le multilatéralisme, c'est le droit international, rien que le droit international et tout le droit international.

Monsieur le ministre, allez-vous enfin, au nom de l'amitié franco-marocaine, choisir le chemin du droit international pour la résolution de ce conflit ? Allez-vous faire en sorte qu'une sortie de crise soit opérée, sous la surveillance du Conseil de sécurité de l'ONU, par l'organisation du référendum d'autodétermination promis depuis 1991 ?

Et s'il fallait poursuivre l'argumentation, sachez que le phosphate, le poisson, les marchés publics, le tourisme et les autres ressources naturelles et économiques du Sahara occidental, qui sont nombreuses, attirent les entreprises étrangères, dont les entreprises françaises. Or le Sahara occidental est un territoire au statut juridique particulier et le droit pénal français pourrait contrarier les stratégies des acteurs privés, puisque l'article 461-26 du code pénal réprime sévèrement le crime de colonisation par peuplement. Des entreprises transnationales françaises peuvent-elles être coupables de ce crime ? Pour retenir le crime de colonisation par peuplement, il faut qualifier le Sahara occidental de territoire occupé et démontrer que cette occupation découle d'un conflit armé international : c'est le cas.

Le défi qui va nous occuper dans les prochaines semaines, c'est donc l'imputation de crimes aux entreprises ; il s'agira de montrer en quoi les activités d'entreprises françaises peuvent constituer matériellement une colonisation par peuplement ou une complicité de celle-ci. Ce travail juridique commence déjà à porter ses fruits. Peut-être va-t-il enfin éclairer la diplomatie française ?

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Je vais maintenant donner la parole aux deux rapporteurs : Jean-François Mbaye, rapporteur du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le gouvernement de la République française et les gouvernements des États membres de l'Union monétaire ouest africaine, et Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur pressenti du projet de loi autorisant l'approbation de la décision du Conseil relative au système des ressources propres de l'Union européenne.

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Ce matin, notre commission a examiné et adopté le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le gouvernement de la République française et les gouvernements des États membres de l'Union monétaire ouest-africaine, qui refonde l'accord monétaire de 1973.

Je rappelle que, de concert avec les autres États membres de la CEDEAO, les États non membres de l'UMOA étaient convenus qu'ils organiseraient une convergence macro-économique durable et vérifiable en leur sein, dans le cadre d'un deuxième regroupement monétaire régional nommé ZMOA, zone monétaire ouest-africaine, l'objectif étant, à moyen ou à long terme, de fusionner ces deux zones monétaires régionales dans la perspective de la création d'une monnaie commune à l'ensemble des quinze États membres de la CEDEAO. À l'époque, le Nigéria avait proposé de nommer cette monnaie commune l'eco ; elle était appelée à évoluer en régime de changes flottants, sans rattachement fixe à une quelconque devise étrangère, à l'image de la monnaie nigériane, le naira. C'est dans ce contexte que l'accord de coopération monétaire a été conclu.

Néanmoins, j'ai pu voir, lors des auditions que j'ai conduites et des déplacements que j'ai effectués, que les points d'étape organisés de concert avec la ZMOA montraient clairement une absence de progrès vers la convergence macro-économique, ce qui éloigne la perspective de la création d'une monnaie unique couvrant à moyen terme l'ensemble de la CEDEAO. Il y a en outre dans l'opinion publique une forme de procès d'intention qui est fait à la France. On pourrait envisager de créer un comité de réflexion sur les contours de la future réforme monétaire, auquel le comité interparlementaire de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) serait associé.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, comment, selon vous, monsieur le ministre, la France pourrait-elle engager une réflexion avec les pays africains sur le sujet et contribuer à la définition d'un calendrier qui permette d'inclure le plus grand nombre de participants, notamment les parlements africains et le comité interparlementaire de l'UEMOA ?

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Au mois de juillet dernier, a été scellé un accord européen portant sur un plan de relance de 750 milliards d'euros. Cet accord est historique, d'abord, par son ampleur, qui permet d'éloigner le risque d'implosion que la crise faisait courir à l'Union européenne. Il est historique ensuite par son financement puisque, pour la première fois de son histoire, celle-ci va émettre une dette commune. Il est historique, enfin et surtout, par sa portée politique, car les Européens envoient ainsi un message très fort au reste du monde : ils sont unis et entendent le rester au cours des décennies à venir.

Nous avons ainsi la preuve qu'avec de la volonté et de la détermination, il est possible de faire bouger l'Europe. Cet accord, nous le devons en effet en partie à la volonté inlassable du Président de la République d'œuvrer en faveur d'une Europe plus unie et plus souveraine. La volonté et l'unité européennes se sont traduites, il y a deux semaines, par l'approbation de l'accord par le Parlement européen.

Hélas, cet accord qui doit bénéficier à 450 millions d'Européens est bloqué parce qu'un État, qui a réussi à en entraîner d'autres dans son sillage, a décidé de sacrifier temporairement l'intérêt général européen sur l'autel d'intérêts politiques nationaux, voire d'intérêts partisans. C'est inacceptable.

Le Conseil européen du mois de décembre pourrait, nous dit-on, débloquer la situation. Notre assemblée le souhaite ardemment. Mais si l'Europe veut devenir une véritable puissance entre les États-Unis d'Amérique et la Chine, si elle veut être crédible, elle ne peut pas dépendre de la volonté d'un chef d'État et être à la merci de son veto. Notre Europe mérite mieux que de tels blocages.

Le plan de relance est indispensable pour que nos entreprises résistent, pour que notre économie se relève et pour que le continent prépare la décennie qui s'ouvre.

Lors de sa séance plénière de ce matin, le Parlement européen a indiqué qu'il ne reculerait pas. Le groupe LaREM est quant à lui prêt à avancer et il attend avec impatience que nous soyons saisis de ce texte. Nous attendons donc du Conseil européen qu'il prenne ses responsabilités. En l'espèce, j'en suis convaincu, l'unanimité n'est pas la seule voie : si le blocage devait persister, il nous faudrait avancer à vingt-six, voire à vingt-cinq, même s'il n'est pas souhaitable d'en arriver là. Au demeurant, les montants que le plan de relance prévoit d'allouer à la Pologne ou à la Hongrie devraient permettre de débloquer la situation. Quel est votre sentiment sur cette question ?

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Jean-Yves le Drian, ministre

Monsieur Buon Tan, vous m'avez interrogé sur le RCEP. D'abord, je constate que l'offensive chinoise pour aboutir à un accord a été facilitée par le renoncement des États-Unis à leur propre projet de traité transpacifique. Par ailleurs, il existait déjà des accords de libre-échange entre la Chine et une bonne partie des pays signataires, de sorte que le RCEP ressemble à l'addition d'engagements antérieurs. Je réserve donc mon analyse, d'autant plus que, parallèlement à cette initiative économique, des initiatives d'ordre militaire ont été prises qui excluent la Chine ; je pense en particulier aux accords que passent entre eux l'Australie, le Japon et l'Inde, qui n'est pas partie au RCEP. La situation me paraît donc actuellement un peu confuse et j'attends qu'elle se clarifie.

Pour la France, vous l'avez indiqué, la bonne réponse consiste à développer une stratégie indopacifique qui lui soit propre, puisqu'elle est territorialement présente dans cet espace géographique, et qui lui permette d'avoir des relations avec ses partenaires majeurs. Ainsi le président Macron a marqué, en mai 2018, lors de son déplacement en Australie, les finalités prioritaires de cette stratégie indopacifique dont les grands enjeux sont la stabilité et la paix dans la zone, la lutte contre le terrorisme, la préservation du multilatéralisme, les enjeux climatiques et la promotion des biens communs mondiaux. C'est sur ce fondement que nous avons conclu des accords avec l'Australie, l'Inde et le Japon. J'ajoute que nous avons obtenu – c'est un combat que nous menions de longue date – le statut de partenaire de développement de l'Association des nations du Sud-Est asiatique (ASEAN), statut qui renforcera notre présence dans la zone et notre capacité à développer une stratégie indopacifique inclusive – elle n'exclut pas la Chine – sur les enjeux que nous avons affichés. C'est, me semble-t-il, la logique à privilégier, sachant que l'Union européenne veut se doter, elle aussi, d'une stratégie indopacifique dont nous pourrons être partenaires.

Monsieur Herbillon, j'ai déjà dressé à plusieurs reprises l'inventaire des difficultés que nous avons avec la Turquie ; je l'ai fait sans complaisance car elles induisent des déstabilisations majeures. En revanche, peut-être n'ai-je pas encore suffisamment souligné l'apparition d'une espèce de connivence conflictuelle, sur un certain nombre de théâtres – je pense au Haut-Karabakh ou à la Libye –, entre la Russie et la Turquie, chacun de ces pays s'efforçant de créer son domaine d'influence. Si mon propos est assez ferme, c'est parce que nos intérêts et les intérêts européens sont remis en cause.

Je ne dresserai pas devant vous la liste des actes que nous attendons, car cette audition est publique et je ne peux pas m'adresser à M. Erdogan par votre intermédiaire. La Turquie, je le répète, doit choisir entre la confrontation et la collaboration. Si elle fait le choix de la collaboration, nous sommes prêts au dialogue, mais elle doit nous démontrer par des actes qu'elle s'inscrit dans une logique différente de celle qui prévaut depuis plusieurs mois. Ces actes doivent être significatifs – nous avons quelques idées sur le sujet ; j'en ai cité un, mais il peut y en avoir d'autres. C'est aux Turcs de prendre la mesure de notre attente et de celle des Européens.

En fait, la situation a commencé à évoluer en 2016, avec le coup d'État raté : depuis cette date, nous observons une inflexion vers une sorte d'expansionnisme islamo-nationaliste et une politique de provocation et du fait accompli. Au fur et à mesure de cette évolution, nous percevons, de la part de nos partenaires européens, une prise de conscience que les choses ne peuvent pas continuer ainsi. Lors de sa réunion des 10 et 11 décembre, le Conseil européen sera donc amené à prendre les initiatives qui conviennent. Je ne vous en dirai pas plus, mais nous attendons, d'ici là, de la part de la Turquie, des actes qui nous permettront de savoir si nous sommes dans une stratégie de confrontation ou de collaboration. C'est de sa responsabilité. Le panel des initiatives que nous pouvons prendre à l'égard de ce pays est très large et très varié ; les Turcs peuvent très bien l'identifier. Nous en sommes là, à l'heure où je vous parle. Nous avons, avec les Allemands, qui assument actuellement la présidence du Conseil de l'Union européenne, des discussions très approfondies sur la situation.

La présidence allemande a été dominée, c'est évident, par la crise pandémique. Néanmoins, certains dossiers ont avancé. Je pense en particulier à la relation avec la Chine ; le sommet de septembre a permis de lui adresser des messages de fermeté, notamment sur le plan commercial et économique. Nous attendons, par ailleurs, d'ici à la fin de l'année, plusieurs résultats en faveur desquels les Allemands se mobilisent ; je pense à la fin de la négociation du Brexit, aux avancées sur le pacte asile et migration, aux progrès de la lutte contre le terrorisme – un paquet consacré à cette question doit être validé lors du prochain Conseil – et à un engagement clair sur le climat. Cela dit, la présidence allemande a été, me semble-t-il, de bonne qualité, en particulier pendant la traversée de la crise pandémique ; elle a également permis l'élaboration du plan de relance.

J'étais à Berlin avant-hier pour poursuivre la discussion avec l'Allemagne sur les sujets que je viens d'évoquer et faire en sorte que le prochain Conseil européen soit de grande qualité – mais vous mesurez l'ampleur des dossiers qui devront être discutés et, on l'espère, tranchés les 10 et 11 décembre. Succéderont à l'Allemagne, le Portugal et la Slovénie, où je me suis rendu pour préparer la suite, puis la France.

Monsieur Joncour, le multilatéralisme que nous souhaitons encourager est renouvelé en ce qu'il doit permettre d'obtenir des résultats – c'est ce que j'appelle le multilatéralisme par la preuve – et associer tous les acteurs pertinents, et non plus seulement les États, sur les sujets concernés. Les accords de Paris sur le climat en sont un bon exemple puisqu'ils sont le résultat du multilatéralisme dans le cadre d'une approche multi-acteurs. Sur l'ensemble des défis que la planète doit relever, c'est cette logique qu'il faut privilégier. Le forum de Paris sur la paix, dont le Président de la République a pris l'initiative en 2018, s'inscrit dans cette démarche, puisque les acteurs sont invités à défendre des mesures concrètes sur les thèmes de mobilisation du nouveau multilatéralisme. La troisième édition de ce forum a ainsi rassemblé, certes en ligne, 12 000 personnes, parmi lesquelles des représentants de la société civile, des organisations non gouvernementales, des États, des entreprises, des collectivités locales… C'est ainsi que nous pourrons faire avancer les dossiers de la santé, de l'environnement, du numérique, de la lutte contre les « infodémies », de l'égalité entre les hommes et les femmes. Telle est la nouvelle donne du multilatéralisme : inclusive et partagée. L'initiative que j'ai prise l'an dernier, à New York, avec Heiko Maas, mon homologue allemand, s'inscrit dans cette démarche et rencontre un véritable succès.

Je vous sais par ailleurs très préoccupé par la question de la pêche. En la matière, les enjeux majeurs sont l'accès à la bande des 6-12 milles britanniques et du respect de la stabilité relative, qui est au fondement de l'Europe bleue, c'est-à-dire le respect des droits historiques. Dès lors que les armements d'un pays donné pêchent dans une zone depuis longtemps, ils gardent une priorité historique. Nous avons eu par le passé, dans le domaine de la pêche, des situations très conflictuelles avec l'Espagne, dont j'ai eu à connaître lorsque j'étais ministre de la mer, et nous avons fini par trouver une voie d'entente en nous fondant sur les droits historiques. Il faut donc agir en respectant l'histoire et la souveraineté des États – je pense à la bande des 6-12 milles – tout en s'assurant que l'histoire de l'action économique des pêcheurs de tel ou tel pays soit respectée pour prendre en compte la nouvelle donne. Telle n'est pas, actuellement, la position des Britanniques ; c'est un des obstacles à la mise en œuvre des accords futurs, si tant est qu'ils puissent être mis en œuvre.

En tout état de cause, nous préparons des mesures d'accompagnement des pêcheurs qui consistent dans le renforcement, dans le cadre du retrait britannique et d'un éventuel no deal du Fonds maritime européen pour les affaires maritimes et la pêche, le fameux FEAMP, et dans la participation du « fonds Brexit » de 5 milliards d'euros, décidé par les chefs d'État, dont une partie importante pourrait revenir à la pêche afin d'éviter les désastres que pourrait provoquer une attitude intransigeante du Royaume-Uni.

Monsieur El Guerrab, nous avons en effet depuis longtemps avec l'Azerbaïdjan des relations de cordialité, mais cela ne nous empêche pas de défendre la position globale que nous avons adoptée sur le Haut-Karabakh. Le président Chirac, le président Sarkozy, le président Hollande se sont rendus à Bakou dans le cadre de voyages d'État. Notre relation avec ce pays a une histoire, dont témoigne notamment l'université franco-azerbaïdjanaise qui, j'ai pu le constater lorsque je me suis rendu à Bakou, se développe et fonctionne bien. Mais cela ne nous empêche pas de parler très clairement avec les Azéris, que nous incitons à s'engager dans un processus de discussion en vue de parvenir à une solution durable de ce conflit.

Le cessez-le-feu devait intervenir ; il faut désormais faire en sorte d'en éclairer les zones d'ombre. Notre mission est de rester coprésidents du groupe de Minsk : les autres parties et les Arméniens nous le demandent. Être coprésident, ce n'est pas être neutre ; c'est faire une analyse équilibrée. Si la France n'était pas, avec les États-Unis et la Russie, garante du processus, elle ne répondrait pas, je le répète, aux demandes notamment des Arméniens, qui souhaitent que nous restions partie prenante pour assurer un équilibre. Je le dis avec clarté car, aujourd'hui, se tient au Sénat un débat sur la reconnaissance du Haut-Karabakh. Mais, à ma connaissance, l'Arménie elle-même ne l'a pas reconnu ! Dès lors, si la France devait le reconnaître tout en étant coprésidente du groupe de Minsk, la situation serait pour le moins acrobatique.

Notre position est claire : nous souhaitons une clarification de l'accord de cessez-le-feu. Celui-ci a été conclu après trois tentatives infructueuses. La quatrième a abouti, sur l'initiative de la Russie, car il fallait éviter que Stepanakert ne soit prise par les forces azéries. La Russie a bloqué, et elle a eu raison de le faire. Il convient maintenant de traduire tout cela dans une démarche inclusive à laquelle nous nous efforcerons de contribuer le mieux possible.

Monsieur Hutin, si j'ai beaucoup parlé de l'Europe, c'est parce que le président m'a incité, dans son propos introductif, à évoquer en priorité les sujets européens. Par ailleurs, choisir l'Europe n'a jamais impliqué – en tout cas pour moi, je vous rejoins donc sur ce point – de renoncer à la nation. Au contraire, il me semble que la souveraineté de notre pays est renforcée par l'affirmation de la souveraineté européenne. Que ce soit dans le domaine climatique ou dans le domaine commercial, la France a, grâce à l'Europe, plus de poids pour défendre ses valeurs. Le véritable patriote n'est pas celui qui fait le choix du repli national ; c'est celui qui, au nom de ses valeurs nationales, fait le choix de l'engagement européen. Je ne suis pas certain que nous soyons en désaccord sur ce point, mais je prends acte de votre observation.

Monsieur Meyer Habib, je ne crois pas que le logiciel soit périmé. Je connais votre détermination et votre engagement, et vous connaissez les positions que je défends au nom du Gouvernement et qui sont partagées au niveau européen. Nous avons salué, je le rappelle, l'avancée que constitue l'engagement des Émirats arabes unis, du royaume de Bahreïn et du Soudan dans la normalisation de leurs relations avec Israël. J'ai publié un communiqué pour indiquer que nous étions favorables à cette reconnaissance. Toute initiative qui permet d'apaiser les tensions régionales est bonne. Nous considérons que l'esprit nouveau dont témoignent ces annonces doit être mis au service de la reprise du dialogue entre Israéliens et Palestiniens sur le fondement des paramètres agréés par les Nations unies, à savoir l'établissement de deux États dans le cadre du droit international. Sans doute ne nous accordons-nous pas sur ce point, et c'est pourquoi vous jugez le logiciel périmé. Moi, je ne pense pas qu'il le soit. Il faut désormais agir pour ouvrir, à partir de ces avancées, un dialogue positif.

En ce qui concerne l'Iran, vous faites une erreur d'optique : ce n'est pas ce pays qui s'est retiré du JCPOA (Joint comprehensive Plan of action) mais bien les États-Unis. Ensuite, l'Iran a commencé à détricoter les éléments de l'accord en justifiant ces ruptures d'engagement partielles et successives par le retrait américain et l'absence des retours économiques dont il pouvait bénéficier au titre de l'accord de Vienne. Nous avons souligné ses insuffisances et condamné la rupture de ses engagements. Voilà où nous en sommes. Je note avec intérêt que, dans une déclaration récente, le président élu Biden a annoncé vouloir reprendre les discussions afin de réintégrer le JCPOA, sous une forme qui reste à déterminer. Nous allons donc entrer dans une nouvelle logique, mais il faut attendre que la future administration américaine soit en place.

Nous avons toujours indiqué aux Iraniens qu'ils avaient une mauvaise réaction face à une mauvaise décision – celle des Américains de se retirer de l'accord. Il faut désormais tenter de restaurer la confiance et nous allons nous efforcer d'y contribuer.

Madame Dumas, j'ai des désaccords avec vous. La situation en Côte d'Ivoire n'est pas la même qu'en Guinée-Conakry. Il faut être très clair. En Guinée-Conakry, la Constitution a été révisée pour permettre au président Alpha Condé de se représenter pour un troisième mandat. L'élection a eu lieu et elle a été suivie de difficultés, après que le référendum constitutionnel eut lui-même été marqué par des violences. Nous considérons qu'il revient au président Alpha Condé de faire des gestes d'ouverture pour apaiser les tensions qui perdurent dans son pays.

En Côte d'Ivoire, le président Ouattara avait exprimé publiquement sa volonté de se retirer au terme de deux mandats. Il se trouve que le candidat de son parti, Amadou Gon Coulibaly, est décédé durant la campagne, un mois ou un mois et demi avant l'élection – je me suis rendu à ses obsèques. On ne peut donc pas suspecter M. Ouattara d'avoir organisé ces événements à son profit. Mais il a décidé, face à cette situation particulière, de se représenter. C'est son choix. Toujours est-il que le dispositif constitutionnel n'est pas du tout le même qu'en Guinée-Conakry. C'est la raison pour laquelle le président Macron a félicité M. Ouattara pour son élection et s'est, pour l'instant, abstenu de le faire pour M. Condé.

Nous souhaitons qu'en Côte d'Ivoire, des gestes d'ouverture susceptibles de ramener la sérénité soient faits. Des ouvertures ont été effectuées à l'égard du président Bédié et des annonces d'ouverture sont intervenues à l'égard de M. Gbagbo. Nous souhaitons que le président Ouattara poursuive dans cette logique, en espérant qu'elle aboutira à une situation plus sereine.

Quant au Niger, constatons ensemble, madame Dumas, que le processus électoral se déroule pour l'instant dans des conditions approuvées par la communauté internationale, qu'il s'agisse des cartes d'électeur ou de l'organisation des bureaux de vote. Le président Issoufou a annoncé qu'il ferait deux mandats et qu'il arrêterait. Pourquoi l'accuser ? J'avoue qu'il y a des choses que je ne comprends pas.

S'agissant des accords migratoires avec la Turquie, l'Europe remplit ses obligations, notamment dans le cadre de la facilité de l'Union européenne en faveur des réfugiés en Turquie, la FRIT. Nous sommes au rendez-vous financier. Je comprends que la Turquie, qui assume une lourde tâche en accueillant des réfugiés, en veuille toujours un peu plus. Mais il ne faut pas dire que les Français et les Européens ne remplissent pas leurs obligations en la matière.

Monsieur Lecoq, je connais votre préoccupation pour la situation au Sahara occidental. Cependant, j'ai eu le sentiment, en vous écoutant, que tout était la faute de la France : il ne faut tout de même pas exagérer ! Nous ne sommes pas les seuls membres du Conseil de sécurité, et ce serait de l'ingérence – je sais que vous y êtes opposé – si nous intervenions en tant qu'acteurs dans les relations compliquées entre le peuple sahraoui, le Maroc et l'Algérie. Il est temps que l'émissaire de l'ONU, M. Köhler, ancien président de la République fédérale d'Allemagne, qui a dû renoncer à sa mission pour des raisons de santé, soit remplacé pour que l'on entre dans un processus de paix, faute de quoi – je suis d'accord avec vous sur ce point – la situation deviendra conflictuelle.

Monsieur Anglade, je ne vois pas d'autre solution qu'un accord avec les Hongrois et les Polonais, qui doivent se rendre compte qu'ils sont en train de bloquer l'Union européenne. La voie d'une coopération renforcée au sens des traités européens, que vous avez évoquée en pointillé, nécessiterait un très long travail. Au demeurant, dès lors que la question ne concerne pas le budget européen, un accord intergouvernemental en dehors des traités serait nécessaire. Je ne crois donc pas que ce soit la bonne solution. Il nous faut donc user de persuasion – et nous nous y employons, de même que la présidence allemande et les chefs d'État et de gouvernement – afin de montrer à la Hongrie et à la Pologne qu'il existe un droit européen – nous nous sommes engagés sur des valeurs communes – et qu'il est dans leur intérêt de parvenir à un accord.

Monsieur M'Baye, je n'ai pas grand-chose à ajouter à vos propos. La France soutient entièrement les Africains, qui doivent gérer souverainement cette monnaie naissante. Nous sommes tout à fait favorables à des accompagnements parlementaires, mais c'est aux Africains d'en décider. Cette initiative au service de l'intégration monétaire régionale marque une avancée, même si elle a été freinée par la pandémie. En tout cas, il importe que nous accompagnions les Africains dans cette dynamique.

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Monsieur le ministre, je sais que, dans l'affaire arménienne, vous faites le maximum ; j'ai d'ailleurs indiqué à nos amis Arméniens qu'ils devaient vous aider en s'abstenant de surenchérir. Cependant, force est de constater que les Russes et les Turcs nous ont en quelque sorte roulés dans la farine. Je ne vous en fais pas le reproche, mais c'est ainsi. La tribune signée par Olivier Roy il y a quelques jours dans Le Monde est très claire à cet égard. Lorsqu'il écrit que la Russie a consciemment et délibérément laissé l'Arménie se faire écraser, il a raison. La connivence entre le président Aliev, la Russie et, indirectement, le président turc est évidente.

Se pose désormais à nous la question grave de ce que nous devons faire. La France est vice-présidente du groupe de Minsk, soit. Mais, en réalité, nous n'avons pas de cartes en main ; il faut l'assumer.

À propos de la Libye, nous avons tout de même cédé à des menaces de guerre – je veux bien sûr parler des menaces dont la frégate française a fait l'objet. Par ailleurs, les Turcs violent la légalité en Grèce. Aussi, même s'il est normal que vous soyez diplomate, je vous trouve un peu lénifiant lorsque vous affirmez que la Turquie doit choisir entre la coopération et la confrontation. De fait, son choix est clair : c'est celui de la confrontation. En revanche, nous n'avons pas encore quant à nous clairement choisi si nous jouons la solidarité européenne – et je sais que la France agit en ce sens – ou la résignation, qui est la tendance de beaucoup. L'enjeu réside donc davantage dans notre choix entre solidarité et résignation que dans le choix de la Turquie entre coopération et confrontation car je crains, hélas, que de ce côté-là, le choix ait été fait.

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En tant que députée des Français de l'étranger, je souhaite tout d'abord vous témoigner de la fierté que ressentent beaucoup de nos ressortissants, si ce n'est tous, à l'égard de la politique étrangère de la France et de son positionnement dans des circonstances extrêmement complexes, que vous avez longuement exposées. Je voudrais saluer les initiatives et les démarches que vous entreprenez pour défendre notre influence dans le monde. Si nous n'avions pas des gens tels que vous ou notre président, je ne donnerais pas cher de notre présence et de notre influence dans vingt ou trente ans ! Soyez-en donc remercié.

Je souhaite vous parler d'un point très précis. Vous avez dit que « nous », au sens européen du terme, étions très attaqués actuellement et qu'un sentiment anti-français s'était développé dans un certain nombre de pays. Vous avez évoqué l'influence turque ; je voudrais souligner le fait que la Turquie joue également un rôle sombre dans une autre partie du monde, en Indonésie, en Malaisie et au Bangladesh.

Comment défendre notre modèle laïc et universaliste ? Selon l'article 2 de la loi de 1905, « la République française ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Néanmoins, notre société les reconnaît : nous avons ainsi un ambassadeur au Vatican. Ne pourrions-nous pas nous inspirer de la diplomatie cultuelle menée par les États-Unis et le Royaume-Uni pour défendre notre modèle laïc et universaliste ?

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Notre commission a adopté ce matin le projet de loi visant, à terme, à enclencher le processus de suppression du franc CFA pour le remplacer par l'ECO. Le Président de la République, dans une interview au journal Jeune Afrique, a posé les bases de cette nouvelle relation entre la France et le continent africain, illustrée également par la restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal. Cette interview du Président de la République pose toutefois autant de questions qu'elle en résout.

Mes questions seront très précises et tourneront autour de la liberté d'expression et des libertés publiques. Vous avez parlé de la Côte d'Ivoire : dans ce pays, cinq parlementaires sont toujours privés de liberté. Alain Lobognon, détenu depuis bientôt un an, a vu son avocat pour la dernière fois en février dernier et a été entendu par un juge en août, sans avocat. Affi N'Guessan, ancien Premier ministre, est en prison, certainement dans un camp militaire, sans que l'on puisse connaître le lieu de sa détention. Outre ces cinq parlementaires, d'autres hommes politiques sont également privés de liberté. L'investiture du président Ouattara devrait avoir lieu le 14 décembre prochain. Monsieur le ministre, pourriez-vous affirmer ici que la France pèsera de toutes ses forces politiques et diplomatiques pour que ces députés soient libérés avant cette date ?

Concernant le Tchad, une nouvelle Constitution est à l'étude, qui interdira de prétendre être président de la République avant l'âge de 45 ans – voilà qui ne favorise pas le renouvellement des générations politiques. Quelle est la position de la France sur cette disposition de la future Constitution tchadienne ?

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Ma première question concerne la situation de quelqu'un que vous connaissez bien, monsieur le ministre : il s'agit de Maurice Kamto, principal opposant politique au Cameroun, actuellement en résidence surveillée. Ses soutiens, y compris au niveau international, expriment leurs inquiétudes sur son cas, et vous-même étiez déjà intervenu fortement en 2019. Quelle est votre analyse de la situation ?

Ma deuxième question concerne le Mercosur. Le Parlement européen vient de dire, à l'occasion d'un vote sur le rapport de la Commission en matière de commerce extérieur, que l'accord commercial avec le Mercosur n'était pas acceptable en l'état. Les Espagnols, les Italiens et les Portugais y restent très favorables, notamment pour des raisons historiques. Sachant que le groupe Renew Europe et nos collègues français Les Républicains du groupe PPE ont voté massivement contre la ratification de l'accord avec le Mercosur, comment voyez-vous la suite des opérations ? Une réunion importante aura lieu demain à la Commission sur ce sujet. L'accord est toujours sur la table mais beaucoup de parlementaires le jugent inacceptable en l'état. Quelle est votre position sur ce sujet, monsieur le ministre ?

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Monsieur le ministre, concernant le Brexit, vous avez expliqué ne pas vouloir être l'otage du calendrier et préférer ne pas avoir d'accord plutôt que de conclure un mauvais accord – propos que je partage pleinement. Cependant, pensez-vous qu'il sera toujours possible d'ouvrir une nouvelle phase de négociations après le 31 décembre ? Cette date butoir est-elle vraiment la dernière limite ? À quel moment estimez-vous que nous aboutirons à un no deal ?

Dans le territoire du Calaisis, que je représente, nous nous interrogeons sur la directive européenne 2008/118/CE. L'article 14 de cette directive autorise le duty free pour les marchandises emportées par les voyageurs se rendant dans un pays tiers par voie aérienne ou maritime, mais il n'indique pas de façon claire si cela sera autorisé pour le transport ferroviaire vers le Royaume-Uni, dans l'hypothèse où celui-ci deviendrait un pays tiers, en l'absence d'accord, à compter du 1er janvier. Si le duty free était interdit dans le terminal du tunnel sous la Manche mais autorisé dans un port maritime, cela entraînerait une distorsion de concurrence très importante. Selon Bercy, il n'est pas possible de transiger avec cette directive : pensez-vous pouvoir rouvrir les négociations sur ce texte pour y inclure le ferroviaire ?

Pour compléter la question de mon collègue Michel Herbillon sur la Turquie, celle-ci doit-elle poursuivre le processus d'adhésion à l'Union européenne ? Si l'on devait reprendre la procédure à zéro, la Turquie ne respecterait plus les critères d'adhésion définis lors du Conseil européen de Copenhague, à savoir le critère relatif à la mise en place d'institutions stables garantissant l'État de droit, la démocratie, les droits de l'homme, le respect des minorités et leur protection – la Turquie ne respecte pas la souveraineté des autres États membres de l'Union européenne – et le critère relatif à une économie de marché viable et stable – elle affronte sa pire récession, avec 12 % d'inflation et une chute de 30 % du cours de sa monnaie. Quelle est votre opinion sur ce sujet ? Doit-on mettre un terme, comme les députés Les Républicains le demandent, à la procédure d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ?

Enfin, le Président de la République a annoncé que les stations de ski n'ouvriraient pas à Noël. Une harmonisation européenne est-elle possible, sachant que la Suisse, qui partage certains domaines skiables avec la France, a déjà autorisé l'ouverture de ses stations de ski et que l'Autriche a annoncé, en septembre dernier, qu'elle ouvrirait ses stations afin de préserver « le plaisir du ski, oui, mais sans l'après-ski », pour reprendre les propos du chancelier Sebastian Kurz ?

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Dans le cadre de la commission des affaires européennes, je prépare, avec un collègue député, un rapport sur la neutralité carbone ; nous rendrons nos conclusions courant décembre. À ce stade, nous pouvons constater l'ampleur des efforts financiers réalisés par l'Union européenne pour atteindre ses objectifs : au moins 30 % des 750 milliards d'euros du plan de relance seront consacrés à des dépenses liées au climat. C'est un effort incontestable et inédit, dont nous espérons qu'il sera soutenu par tous les États.

Cela étant, si les efforts financiers consentis par nos entreprises pour produire mieux sont massivement soutenus, nos entreprises restent soumises à une concurrence sur les prix, ce qui provoque de l'incompréhension chez nos compatriotes. Un discours plus offensif sur notre politique commerciale ne vous apparaît-il pas nécessaire pour gagner la bataille politique et environnementale ? Pouvez-vous nous en dire plus sur la recherche du consensus de Paris, évoqué récemment par le Président ?

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La France et l'Égypte entretiennent depuis des années un partenariat stratégique dans le domaine économique, politique, sécuritaire et culturel. Lors de sa visite officielle au Caire, en janvier 2019, le président Macron a réaffirmé la nécessité de veiller au respect des droits et libertés civiques car l'Égypte continue de se distinguer sur la scène internationale par ses violations répétées des droits humains et de ses engagements internationaux. En effet, la répression qui s'exerce à l'égard de la société civile égyptienne – défenseurs des droits humains, militants politiques, avocats, journalistes – ne faiblit pas. Cela fait ainsi plus d'un an que la France, dans un dialogue franc et ouvert avec les autorités égyptiennes, demande la libération ou, du moins, l'amélioration des conditions de détention des prisonniers d'opinion égyptiens tels que le défenseur des droits humains Ramy Shaath. Or, la semaine dernière, les autorités égyptiennes ont arrêté des membres de l'ONG égyptienne Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR) et ce, peu de temps après votre déplacement au Caire et après que ses défenseurs ont rencontré des représentants diplomatiques européens, dont l'ambassadeur de France. Monsieur le ministre, comment expliquez-vous une telle attitude des autorités égyptiennes ? À l'approche de la visite du président Abdel Fattah al-Sissi à Paris, pourriez-vous nous indiquer quelle position la France entend adopter à ce sujet ?

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Permettez-moi d'insister, comme mon collègue Pierre-Henri Dumont, sur la nécessité d'harmoniser les décisions d'ouverture des stations de ski, notamment du domaine binational des Portes du Soleil, entre la Suisse et la Haute-Savoie.

Le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales, toujours en cours d'élaboration, fixe, parmi les cinq priorités sectorielles, l'insécurité alimentaire, la nutrition et l'agriculture durable. Dans sa stratégie internationale du secteur, publiée en 2019, la France a rappelé son attachement à l'action du Fonds international de développement de l'agriculture (FIDA), notamment à travers son soutien aux organisations paysannes et au développement des filières agricoles.

Pourtant, la sécurité alimentaire et nutritionnelle, l'agriculture et le développement rural représentent seulement 6,2 % de la totalité de l'aide publique au développement (APD) française. L'agriculture est un levier fondamental du développement. Si la France a tenté de rattraper son retard depuis la création du FIDA, elle figure aujourd'hui en dixième position des bailleurs. Quelle sera sa position pour la douzième reconstitution de ce fonds international ? Décrochera-t-elle une meilleure place, à la hauteur des enjeux ?

Soyons clairs : la population du continent africain va doubler dans les trente années à venir. Comment dès lors doubler la production agricole, et la quadrupler d'ici 2050 ? D'après les chiffres du ministère, l'aide publique au développement allouée à l'agriculture et à la sécurité alimentaire via le canal multilatéral se traduit principalement par des contributions aux programmes de l'Union européenne à hauteur de 177 millions d'euros, au Fonds vert pour le climat pour 36 millions et au FIDA pour 160 millions. Concernant ce dernier, le chiffre interroge : en effet, la contribution de la France lors de la dernière reconstitution du FIDA s'élevait à seulement 44 millions, quand celle de l'Italie était à 55 millions, celle de l'Allemagne à plus de 60 millions et celle de la Chine à plus de 540 millions. Pouvez-vous nous éclairer sur les chiffres du ministère et sur ces 160 millions a priori consacrés au FIDA au titre de l'APD multilatérale ?

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Monsieur le ministre, je souhaite revenir sur les actes terroristes commis par le régime iranien en Europe et les suites politiques qui pourraient y être données. Le 27 novembre prochain aura lieu en Belgique le procès des citoyens iraniens qui se préparaient à commettre sur notre territoire un acte terroriste ; ces quatre personnes, dont un diplomate iranien, sont actuellement incarcérées en Belgique. La justice belge a enquêté de manière indépendante sur les charges retenues contre elles. Selon le dernier rapport annuel du service fédéral allemand de sécurité, publié en juillet 2020, le diplomate a été arrêté car il est accusé d'être le commanditaire d'un attentat à la bombe contre la réunion annuelle de l'opposition iranienne qui s'est tenue à Villepinte, près de Paris, le 30 juin 2018. À cette rencontre participaient des Iraniens, des citoyens français, mais aussi plusieurs personnalités politiques, dont certains de nos collègues parlementaires et élus français. Si cette opération terroriste avait réussi, elle aurait sans aucun doute fait des centaines de morts et plus encore de blessés, et aurait eu un retentissement international et diplomatique sans précédent. De plus, le régime iranien a retenu une chercheuse franco-iranienne en otage afin de faire pression sur la France au sujet de cette procédure, ce que vous avez vous-même qualifié d'action malveillante de nature politique.

Monsieur le ministre, n'est-il pas temps de reconsidérer, en France comme en Europe, le traitement du terrorisme d'État iranien avant que celui-ci ne commette un acte irréparable ?

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Alors que le Président de la République défend l'idée d'une autonomie stratégique européenne, la ministre allemande de la défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, dite « AKK », dans un entretien publié le 2 novembre dernier sur le site Politico, a appelé au réalisme, en réaffirmant que l'OTAN devait demeurer le pilier de la défense de l'Europe. Comment interprétez-vous cette déclaration ?

Concernant la stratégie indopacifique, pouvez-vous nous préciser la position de la France sur la participation de plein droit de Taïwan à différentes organisations internationales comme l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ?

Enfin, pouvez-vous nous indiquer l'évolution des relations bilatérales avec Djibouti, pays avec lequel nous sommes liés par un accord de défense et la présence d'une base interarmées, mais où nous sommes en net recul par rapport aux Américains et surtout aux Chinois ?

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Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur la lutte contre le terrorisme. Il se trouve que je suis rapporteure d'information, au nom de la commission des affaires européennes, sur le projet de loi relatif au parquet européen. Celui-ci n'est actuellement compétent que pour les atteintes aux intérêts financiers. Toutefois, le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne permet d'étendre sa compétence à la lutte contre le terrorisme. La France a-t-elle l'intention de proposer une telle extension du mandat du parquet européen lorsqu'elle présidera le Conseil de l'Union européenne en 2022 ?

S'agissant de la pêche, j'appelle votre attention – j'en ferai part également à la ministre de la mer – sur un point : en l'absence d'accord, la concurrence des Britanniques risque de menacer l'activité des pêcheries françaises et notamment bretonnes compte tenu de la compétitivité de leurs prix de production et ce, même si nous imposons des droits de douane importants. Au-delà du fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), qui a été renforcé, et du fonds Brexit, qui pourrait venir en aide aux pêcheurs européens et donc français, des mesures nationales sont-elles envisagées ? Les fonds européens sont importants mais il y a un délai pour les mobiliser, et je crains que certaines pêcheries ne résistent pas à la crise.

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Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre présence fidèle aux réunions de notre commission – certains collègues d'autres commissions sont jaloux depuis qu'ils savent que vous venez tous les mois !

Vous avez évoqué le G20 organisé par Ryad la semaine dernière. Le seul fait qu'aucun de nos collègues ne soit revenu sur ce sujet montre à quel point ses résultats sont faibles ; même le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a fait part de sa déception.

Vous avez certes rappelé que le G20 avait consacré l'expression de « bien public mondial » pour le vaccin contre la covid-19 mais les attentes concernant la dette des pays pauvres et le climat ont vraiment été déçues. Alors que l'on connaît les conséquences de la pandémie de covid-19 sur la paupérisation de nombreuses régions du monde, l'argent manque toujours pour assurer l'accessibilité du vaccin à tous.

Les réunions internationales sont importantes dans le contexte actuel mais l'on peut se demander, quand le résultat est si faible, s'il fallait participer à ce G20 organisé par un État qui, certes, est un partenaire important dans la lutte contre le terrorisme, mais dont nous ne pouvons passer sous silence les atteintes multiples et répétées aux droits humains. Vous connaissez comme moi le calvaire de ces centaines de militantes féministes, emprisonnées arbitrairement et dont le seul crime est de demander plus d'égalité. Loujaine Al Hathloul a entamé une grève de la faim pour interpeller le monde en amont du G20 sur l'impunité d'un régime décrié par des dizaines d'ONG. De plus, on connaît l'implication de l'Arabie Saoudite dans la guerre au Yémen, guerre que vous avez vous-même qualifiée de « sale guerre ». La coalition que l'Arabie Saoudite mène avec les Émirats Arabes Unis porte une lourde responsabilité dans la terrible crise humanitaire que connaît le Yémen, même s'ils ne sont pas les seuls protagonistes de ce conflit.

Pour conclure, la semaine dernière, nous avons consacré notre réunion de commission à l'excellent rapport de nos collègues Jacques Maire et Michèle Tabarot, dans lequel nos exportations d'armes à destination de Ryad et d'Abou Dabi sont mises en cause pour leur responsabilité indirecte dans la crise terrible que connaît le Yémen. Quelles sont les avancées obtenues lors du G20 organisé par Ryad, dans ce pays qui pose des problèmes à la fois en termes de droits humains et de responsabilité dans la crise humanitaire au Yémen ?

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Je tiens sincèrement à vous remercier, monsieur le ministre, de venir à l'Assemblée nationale avec une telle assiduité. Le Haut Représentant et vice-président de l'Union européenne, Josep Borrell, s'est interrogé sur la crédibilité du résultat de l'élection présidentielle du 18 octobre 2020 en Guinée, notamment en ce qui concerne la remontée des procès-verbaux et le décompte final des votes.

Un mois après les élections présidentielles guinéennes, le Président de la République, Emmanuel Macron, s'est exprimé à son tour dans le journal Jeune Afrique sur la situation en Guinée dans les termes suivants : « Le président Condé a une carrière d'opposant qui aurait justifié qu'il organise de lui-même une bonne alternance. Et d'évidence, il a organisé un référendum et un changement de la Constitution uniquement pour pouvoir garder le pouvoir. C'est pour ça que je ne lui ai pas encore adressé de lettre de félicitations. Je pense que la situation est grave en Guinée, pour sa jeunesse, pour sa vitalité démocratique et pour son avancée. »

À la suite de cette prise de parole très forte du Président de la République, que comptez-vous proposer pour aider la démocratie et l'État de droit en Guinée, et pour faire cesser la répression orchestrée actuellement par le gouvernement d'Alpha Condé à l'encontre de l'opposition politique et médiatique ?

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Monsieur le ministre, je souhaite vous poser une question urgente sur le Haut-Karabakh. Vous avez évoqué la situation tout à l'heure : le risque d'épuration ethnique existe, même s'il a été interrompu. De plus, on sait très bien que les Turcs ont cherché à rendre certains endroits absolument inhabitables. Envisagez-vous d'envoyer des soldats sur le territoire azéri pour garantir la sécurité des populations arméniennes ? Même si on ne peut pas reconnaître, à ce stade, l'indépendance du Haut-Karabakh, est-il possible de le faire reconnaître comme une entité au sein de l'Azerbaïdjan, afin de lui garantir un statut permettant la sauvegarde de ses populations, avant de passer à une autre phase ?

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Monsieur le ministre, depuis plusieurs mois, la violence au Cameroun ne cesse de croître. La guerre civile dans les régions anglophones, les États terroristes au Nord du pays, la répression politique des autorités ont causé plusieurs milliers de morts : des enfants, des femmes, des enseignants, des humanitaires, des journalistes doivent faire face quotidiennement à une violence inouïe. Plus récemment, d'importantes contestations populaires ont mis en exergue de graves violations de l'État de droit de la part du régime de Paul Biya. La captivité forcée de son principal opposant, Maurice Kamto, en est un parfait exemple.

La France est attendue, et même espérée, au Cameroun. Si le président Macron a haussé le ton en début d'année pour réagir aux massacres perpétrés dans les zones anglophones, la France, depuis, est restée muette. En tout cas, on ne l'entend pas suffisamment. Afin de réduire les inégalités dans la région, le président Biya avait indiqué, en 2019, vouloir promulguer un projet de loi sur la décentralisation. D'autre part, Maurice Kamto demande, pour sortir de cette crise, la création d'une commission d'enquête internationale et appelle le gouvernement de Paul Biya à conclure avec les séparatistes un cessez-le-feu immédiat.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous faire un point sur les relations de la France avec le Cameroun ? De quelle manière la France intervient-elle auprès du gouvernement camerounais pour aider ce pays, qui nous est proche, à sortir de cette crise profonde ? Entendez-vous soutenir la proposition de M. Maurice Kamto ?

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Jean-Yves le Drian, ministre

Monsieur Bourlanges, je ne trouve pas que nous ayons une attitude lénifiante vis-à-vis de la Turquie. Je crois avoir affirmé publiquement, non seulement devant votre commission, mais aussi en séance publique à l'Assemblée nationale et au Sénat, comme dans nombre de mes déclarations dans la presse, notre fermeté vis-à-vis de la Turquie. Et je défends la même position lorsque je m'entretiens avec mes collègues européens, y compris dans les réunions de l'OTAN. Nous faisons preuve d'une grande fermeté et attendons de la Turquie qu'elle clarifie sa position.

S'agissant de l'Arménie, le groupe de Minsk, qui a été mandaté par l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), est à l'œuvre et nous considérons que la France doit assumer ses responsabilités au sein de ce groupe. Sans doute avons-nous moins de force que les Russes dans cette région, mais nous avons un poids politique qui nous permet de tenir notre place. C'est ce que nous avons essayé de faire pendant toute cette période et c'est ce que nous allons continuer à faire.

C'est la Turquie qui fait ses choix, ce n'est pas nous. Si elle choisit la confrontation, nous en tirerons les conséquences. Vous avez évoqué la frégate française, récemment « illuminée » par une frégate turque. Pour nous, l'incident n'est pas bouclé. Nous avons transmis nos protestations à l'OTAN et le dossier est toujours en cours d'instruction. Nous avons introduit de nouvelles procédures pour éviter ce genre de situation. Je vous signale par ailleurs que dans l'opération IRINI, une frégate allemande s'est elle aussi trouvée en difficulté face à des bateaux turcs qu'elle devait inspecter. Nous nous montrons très fermes et attendons de voir comment la Turquie va se positionner. Nous devons faire preuve de solidarité au niveau européen et obtenir de la clarté sur les initiatives turques.

Monsieur Fuchs, vous m'avez interrogé, comme plusieurs de vos collègues, sur la Côte d'Ivoire. J'ai dit que notre posture était à l'apaisement. Cela suppose que le président Ouattara prenne des initiatives, dans le respect du droit constitutionnel et de l'État de droit. Le règlement des différends entre les autorités ivoiriennes et l'opposition doit se faire dans ce cadre. J'espère que le bon sens l'emportera.

S'agissant de la réforme constitutionnelle du Tchad, je rappellerai le principe de non-ingérence. Il faut respecter l'indépendance de ce pays : s'il souhaite changer sa Constitution, c'est son affaire et nous souhaitons qu'il le fasse le mieux possible.

Madame Genetet, je ne suis pas certain d'avoir bien compris ce que vous entendez par « diplomatie cultuelle ». La question religieuse entre évidemment en ligne de compte dans l'appréciation que nous faisons de notre relation avec les différents pays : nous avons, au Quai d'Orsay, un poste de conseiller des affaires religieuses, qui intervient en particulier dans nos relations avec le Vatican ; nous avons aussi, avec l'Arabie Saoudite, des discussions sur la régulation des pèlerinages et sur la formation des imams, mais il n'y a pas, au sens propre du terme, une problématique religieuse de nos relations diplomatiques. Il importe d'éviter toute confusion : la donne religieuse fait partie de la réalité de la vie du monde et de l'histoire des différents pays avec lesquels nous sommes en relation, mais il n'y a pas de logique religieuse dans notre diplomatie. S'agissant du rôle de la Turquie dans le développement d'un sentiment anti-français en Malaisie, en Indonésie et au Bangladesh, nous savons très bien le rôle que peuvent jouer certains réseaux turcs dans la région.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé au sujet de la situation de M. Maurice Kamto. Notre position est très claire : nous voulons que la démocratie fonctionne au Cameroun. J'ai indiqué à plusieurs reprises que je ne serais pas allé au Cameroun si M. Kamto n'avait pas été libéré : j'ai attendu qu'il le soit pour m'y rendre. À l'époque où j'y suis allé, nous étions dans une phase d'accalmie et plusieurs libérations étaient intervenues, dont la sienne. Mais la situation s'est de nouveau tendue depuis le mois de septembre. Nous souhaitons que les autorités camerounaises fassent des gestes d'ouverture pour rétablir la confiance sur la scène politique intérieure et qu'elles libèrent les personnes arrêtées dans le cadre de manifestations à caractère politique. Le Président de la République l'a rappelé dans une interview à Jeune Afrique il y a quelques jours et c'est la logique qui nous guide. Nos messages sont très fermes vis-à-vis des autorités camerounaises.

S'agissant de l'accord avec le Mercorsur, je ne vais pas revenir sur toutes les raisons qui nous amènent à nous y opposer aujourd'hui. Je dirai simplement que ce projet ne permet pas d'écarter le risque de déforestation en Amérique du Sud et qu'il ne constitue pas un levier suffisant pour lutter contre le dérèglement climatique et pour protéger la biodiversité. Telle est notre position, et nous sommes loin d'être isolés sur ce sujet.

Monsieur Dumont, j'avoue ne pas avoir d'informations sur l'application de la directive européenne relative au duty free dans le secteur ferroviaire. Je vais regarder ce qu'il est possible de faire. S'agissant de la Turquie et de sa potentielle adhésion à l'Union européenne, tout est arrêté depuis 2016 et il n'y a pas lieu de relancer ce processus dans l'état actuel des choses.

Vous m'avez interrogé, enfin, au sujet de la décision que pourrait prendre la Suisse d'ouvrir ses stations de ski. Je me suis entretenu hier avec mon collègue suisse sur ce sujet ; il m'a indiqué que cette question relève, sur certains points, de la compétence des cantons et, sur d'autres, de celle du gouvernement fédéral. Puisque rien n'est encore décidé du côté suisse, je ne peux pas vous répondre sur la question de l'harmonisation des décisions entre nos deux pays. Vous avez également évoqué l'Autriche, qui envisage elle aussi d'ouvrir son domaine skiable : nous n'avons pas à nous mêler de son choix, mais vu la dynamique de la pandémie en Europe, je pense que la plus grande prudence s'impose. Je suis allé à Berlin avant-hier : le niveau de contamination y est plus important qu'à Paris. Nous sommes dans une phase d'explosion, dont il faut avoir conscience. Le Président de la République a bien rappelé hier que des mesures de précaution s'imposent. Nous essayons d'arriver à une harmonisation des domaines skiables au niveau européen : nous y travaillons avec l'Andorre et avec l'Espagne, pour la Catalogne et l'Aragon, et j'espère que nous aboutirons à une solution commune.

Madame Clapot, nous travaillons étroitement avec l'Égypte en matière de lutte contre le terrorisme, nous coopérons avec elle sur les grandes crises régionales – la situation libyenne et le processus de paix au Proche-Orient –, nous avons également une relation culturelle très forte avec ce pays, en particulier dans le domaine de l'archéologie. Mais cela n'implique pas un blanc-seing sur les droits de l'homme et nous sommes très vigilants sur ces questions. À chacune de nos rencontres, nous appelons l'attention des autorités égyptiennes, au plus haut niveau, sur la situation d'un certain nombre de détenus, dont M. Ramy Shaath, que je ne manque jamais de mentionner. Je crois d'ailleurs que sa situation s'est améliorée : il a pu s'entretenir au téléphone avec sa compagne, Mme Céline Lebrun, et nous militons pour qu'ils puissent se rencontrer, même si la pandémie complique évidemment les choses. Nous prêtons une grande attention à la décision qui a été prise à l'égard de l'ONG Initiative égyptienne pour les droits personnels : nous avons fait une déclaration publique et notre ambassadeur en poste au Caire a mené, avec ses collègues européens, une action pour signifier aux autorités égyptiennes que leur décision était préoccupante.

Monsieur Quentin, vous avez évoqué la déclaration de la ministre allemande de la défense au sujet du concept d'autonomie stratégique. Le Président de la République a rappelé la position de la France à ce sujet et je vous invite à lire la tribune que j'ai publiée avec mon collègue Heiko Maas, à la fois dans un grand journal du soir français et dans la presse allemande et américaine. Nous expliquons ensemble notre position, qui a été validée à la fois par la chancelière allemande et par le Président de la République française et réaffirmons notre autonomie stratégique, y compris sur le plan militaire. Cette déclaration n'est pas exactement sur la même ligne que la première déclaration de la ministre allemande de la défense.

Je crois par ailleurs vous avoir déjà dit que nous étions favorables à ce que Taiwan participe aux réunions de plusieurs organismes internationaux, dont l'OMS, car il est essentiel que tous les acteurs qui peuvent prendre part à la lutte contre les pandémies, notamment celle du covid-19, le fassent. Nous avons d'ailleurs regretté que Taiwan ne puisse pas participer aux travaux de la soixante-treizième assemblée mondiale de la santé, qui s'est tenue du 9 au 13 novembre, et nous continuerons d'appeler à un accord entre Pékin et Taipei en vue de la participation de Taiwan à la prochaine assemblée mondiale de la santé, comme ce fut le cas par le passé. Il ne doit pas y avoir de vide sanitaire dans la lutte contre la pandémie.

Vous avez rappelé l'importance de notre présence à Djibouti et l'accord de défense que nous avons avec ce pays. Vous avez également noté, à juste titre, que nous n'y sommes pas seuls. Les Chinois y sont présents, mais aussi les Japonais et les Américains. Djibouti est vraiment un lieu de plus en plus stratégique, où tout le monde veut être présent. Nous avons pour nous l'ancienneté, le nombre, et l'insertion dans la vie du pays : des militaires français sont basés à Djibouti, accompagnés de leur famille. Nous avons une longue histoire de présence et de confiance avec ce pays, qui est aussi partie prenante de la francophonie. Nous y avons un lycée, que fréquentent nombre de Djiboutiens, et qui sera rénové en 2021. Il faut sans doute que nous renforcions notre présence sur le plan économique, mais je ne suis pas inquiet quant à la qualité de notre relation avec Djibouti, même si c'est effectivement une zone de compétition importante. Je sais par ailleurs que de grands groupes français s'intéressent à des projets structurants pour l'avenir du pays. Nous sommes très soucieux de garantir la souveraineté de Djibouti et d'éviter qu'il ne la mette en péril par un recours excessif à l'endettement, stimulé par une intervention extérieure autre que la nôtre – si vous voyez ce que je veux dire.

Madame Lenne, j'ai déjà répondu à M. Dumont au sujet de l'harmonisation de l'ouverture des domaines skiables avec la Suisse. Vous m'avez également interrogé sur notre contribution au FIDA. Ce fonds est effectivement un outil important de notre action de lutte contre la pauvreté et la faim en milieu rural et, pour la période 2019-2021, notre contribution a atteint 46,6 millions, auxquels il faut ajouter des prêts d'un montant de 50 millions, accordés à des conditions très favorables par l'Agence française de développement (AFD), ce qui nous place parmi les six premiers contributeurs. Je précise que, dans les orientations de l'aide publique au développement, la France a consacré 869 millions à la sécurité alimentaire, soit 12 % de plus qu'en 2018. Cela représente près de 6 % de notre aide publique globale. C'est aussi une façon de rappeler que l'aide alimentaire ne passe pas seulement par le FIDA et que notre engagement, sur les questions alimentaires et de nutrition, est massif.

Monsieur Clément, nous avons pris des sanctions contre l'Iran à la suite de l'affaire de Villepinte, notamment au travers de nos services du renseignement. Nous avons été très fermes avec ce pays après cette tentative d'attentat et nous restons très attentifs à la situation de notre compatriote Fariba Abdelkhah, comme à celle de Mme Nasrin Sotoudeh, dont nous avons obtenu la libération, à force de pressions. Je rappelle qu'elle a reçu le prix franco-allemand des droits de l'homme l'année dernière.

Madame Tanguy, le parquet européen n'est en charge, pour l'heure, que de la protection des intérêts financiers de l'Union européenne, mais le Président de la République s'est dit favorable à l'extension de ses compétences à la lutte contre le terrorisme, et ce, dès son discours de La Sorbonne. Le développement du terrorisme en Europe et la volonté de la Commission européenne de se doter d'un nouveau programme européen de lutte contre le terrorisme, qui sera présenté le 9 décembre, devraient aboutir à l'élargissement des compétences du parquet. En tout cas, nous y sommes favorables.

Sur la pêche, je me suis déjà exprimé. Attendons la fin des discussions ; en l'absence d'accord, des mesures de conservation seront prises, ainsi que des mesures d'accompagnement, de préférence au niveau européen, avec des engagements financiers très importants.

Madame Le Peih, vous m'avez interrogé sur le mécanisme d'inclusion carbone. M. Franck Riester mène actuellement une discussion sur le sujet dans le cadre de la révision de la politique commerciale européenne, un travail lancé par la Commission au mois de juin. Cette révision intervient à un moment crucial, marqué par les conséquences de la crise sanitaire, mais aussi de la crise climatique. Nous entendons intégrer dans cette révision les enjeux commerciaux et environnementaux, afin que le mécanisme d'inclusion carbone soit mis en œuvre et atteigne ses objectifs.

Monsieur Nadaud, j'ai déjà évoqué Alpha Condé à deux reprises et je ne crois pas qu'il mérite que je parle de lui une troisième fois. C'est une façon de le punir.

S'agissant du Haut-Karabakh, monsieur Maire, nous devons entrer dans une logique de discussion – et nous aurions dû le faire il y a déjà un certain temps. S'il y a eu une situation de guerre, c'est en partie parce que les acteurs – et sans doute avons-nous aussi notre part de responsabilité dans tout cela, puisque nous sommes co-présidents du groupe qui était chargé de trouver une solution – ne se sont pas rencontrés pour discuter du statut de cet espace. À présent, il est nécessaire d'agir, mais on ne pourra le faire que quand les conditions sanitaires et humanitaires auront été rétablies. Or de nombreux Arméniens qui résident habituellement dans le Haut-Karabakh se sont réfugiés en Arménie. Il faut reconstituer la vie de ce territoire avant d'avoir une discussion sur son statut définitif. Sur le plan militaire, il paraît difficile d'intervenir. Du reste, qui interviendrait ? Les forces des Nations unies ? Puisque l'OSCE valide le processus en cours, il n'y a pas de raison de revenir là-dessus.

Monsieur Julien-Laferrière, je ne suis pas aussi pessimiste que vous s'agissant du G20. Certes, il n'a pas donné des résultats exceptionnels mais il faut saluer, dans le domaine de la santé, l'engagement pris par les chefs d'État et de gouvernement de garantir un accès équitable au remède contre la covid-19, de soutenir le dispositif pour accélérer l'accès aux outils de lutte contre la covid-19 (Accélérateur ACT) et sa facilité de diffusion des vaccins, le COVAX, et la reconnaissance de la vaccination comme un bien public mondial. Nous n'aurions pas pu parvenir à un tel accord antérieurement, en raison de l'affrontement sino-américain, sur l'OMS en particulier.

Sur le climat aussi, il y a eu des progrès par rapport au G20 d'Osaka, puisque tous les signataires se sont engagés à réviser à la hausse leurs contributions nationales, dans la perspective de la COP26. Et vous savez que la nouvelle administration américaine veut revenir dans les accords de Paris.

S'agissant de la dette, enfin, il faut souligner l'accord de prolongation de la suspension du service de la dette et la volonté d'instaurer un cadre commun entre le G20 et le Club de Paris pour définir des critères pour le traitement des dettes à venir. Tout cela est plutôt positif, même si nous ne sommes pas allés aussi loin que nous l'aurions souhaité sur d'autres questions. Il faut bien avouer qu'un G20 en visioconférence n'est pas idéal pour mener des négociations. Dans le contexte, le bilan n'est pas si mauvais.

Vous avez évoqué l'Arabie Saoudite. S'agissant de son attitude à l'égard du Yémen, on oublie parfois que les Houthis sont alimentés militairement par l'Iran. Quand on parle du Yémen, il faut parler de tout, et c'est ce que je m'efforce de faire. L'Arabie Saoudite cherche désormais une sortie de crise politique, alors que son territoire continue de faire l'objet de bombardements des Houthis, avec de l'armement iranien. S'agissant de la situation des femmes en Arabie Saoudite et de la situation particulière de Mme Loujain Al-Hathloul, il faut être très clair et très ferme sur notre position et le dire régulièrement aux autorités saoudiennes. C'est ce que nous faisons.

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Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre disponibilité.

La séance est levée à 18 heures.

Information relative à la commission

La commission a désigné M. Frédéric Petit membre du conseil d'administration de Campus France pour un nouveau mandat de trois ans, en application de l'article 6 de la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État.