Le vendredi 13 novembre, l'attaque perpétrée par le Maroc sur le territoire du Sahara occidental, à la fois en zone occupée et en zone libre, à l'encontre de manifestants sahraouis a marqué la fin du cessez-le-feu en vigueur depuis 1991 entre les forces marocaines et le Front Polisario. Cela s'est produit à Guerguerat, lieu-dit situé à proximité d'une brèche illégalement ouverte par le Maroc dans le mur qui sépare le Sahara occidental occupé de la Mauritanie afin de lui permettre de commercer avec l'Afrique subsaharienne. Cette brèche est une insulte aux accords de cessez-le-feu ; elle n'aurait jamais dû être maintenue ouverte, mais les Sahraouis ont fait preuve de patience : cela fait près de trente ans qu'ils demandent que cette situation cesse, sans résultat.
La France a une responsabilité dans cette situation, d'abord en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, parce que jamais le Maroc n'a respecté ses obligations après qu'il a été condamné par le Comité contre la torture de l'ONU pour avoir torturé des prisonniers politiques sahraouis, parce que jamais la mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental, la MINURSO, n'a intégré dans sa mission le contrôle du respect des droits de l'homme – c'est d'ailleurs la seule mission de l'ONU à ne pas avoir cette prérogative, du fait de l'opposition de la France –, parce que jamais le référendum d'autodétermination n'a été organisé, parce que jamais la brèche de Guerguerat n'a été refermée par la MINURSO.
La France a une responsabilité également en tant que membre de l'Union européenne, qui a conclu avec le Maroc un accord commercial portant aussi, en toute illégalité, sur des produits commerciaux provenant du Sahara occidental, violant ainsi l'interdiction du pillage des ressources de ce territoire non autonome – ce qui a d'ailleurs donné lieu à des condamnations.
Elle a enfin une responsabilité en tant que partenaire du Maroc. Vous estimez que le plan d'autonomie marocain est une base crédible de négociations alors qu'il viole le droit international. L'amitié franco-marocaine, que je souhaite sincèrement, ne doit pas vous aveugler. Vous ne devez pas réduire la position française aux seules options que propose la diplomatie marocaine, ni épouser les intérêts du Maroc dans cette zone. Être franc en amitié, c'est la base de la confiance mutuelle.
Vous savez bien que l'immobilisme diplomatique favorise la colonisation de peuplement en faveur du Maroc et contient en germe une reprise de la guerre. Comme pour Palestine, comme pour l'Arzat, le statu quo favorise l'occupant ; et comme pour l'Arménie, il favorise la guerre. L'immobilisme du Conseil de sécurité, à cause de l'attitude de la France, est coupable d'avoir laissé tomber depuis quarante-cinq ans le peuple sahraoui. Le multilatéralisme, c'est le droit international, rien que le droit international et tout le droit international.
Monsieur le ministre, allez-vous enfin, au nom de l'amitié franco-marocaine, choisir le chemin du droit international pour la résolution de ce conflit ? Allez-vous faire en sorte qu'une sortie de crise soit opérée, sous la surveillance du Conseil de sécurité de l'ONU, par l'organisation du référendum d'autodétermination promis depuis 1991 ?
Et s'il fallait poursuivre l'argumentation, sachez que le phosphate, le poisson, les marchés publics, le tourisme et les autres ressources naturelles et économiques du Sahara occidental, qui sont nombreuses, attirent les entreprises étrangères, dont les entreprises françaises. Or le Sahara occidental est un territoire au statut juridique particulier et le droit pénal français pourrait contrarier les stratégies des acteurs privés, puisque l'article 461-26 du code pénal réprime sévèrement le crime de colonisation par peuplement. Des entreprises transnationales françaises peuvent-elles être coupables de ce crime ? Pour retenir le crime de colonisation par peuplement, il faut qualifier le Sahara occidental de territoire occupé et démontrer que cette occupation découle d'un conflit armé international : c'est le cas.
Le défi qui va nous occuper dans les prochaines semaines, c'est donc l'imputation de crimes aux entreprises ; il s'agira de montrer en quoi les activités d'entreprises françaises peuvent constituer matériellement une colonisation par peuplement ou une complicité de celle-ci. Ce travail juridique commence déjà à porter ses fruits. Peut-être va-t-il enfin éclairer la diplomatie française ?