Je suis ravi d'être avec vous pour l'une des dernières réunions de l'année. Il me revient de vous présenter, ce matin, les conventions d'extradition et d'entraide judiciaire en matière pénale conclues avec le Burkina Faso, d'une part, et le Niger, d'autre part, dont il vous sera demandé d'autoriser l'approbation. Le Sénat, saisi en première lecture, a adopté les projets de loi autorisant cette approbation. Ces conventions ont été signées en 2018. Elles sont issues des réflexions d'un groupe de travail, piloté par le ministère français de la justice et consacré à l'entraide pénale avec les principaux États de la région. La France est déjà liée aux deux États concernés par des conventions signées en 1961 avec le Burkina Faso et en 1977 avec le Niger. Toutefois, des évolutions majeures sont intervenues depuis. La criminalité organisée s'est internationalisée et complexifiée. Des réseaux de trafics d'êtres humains, d'armes, de stupéfiants, d'or agissent dans la bande sahélo-saharienne et leurs ramifications s'étendent jusqu'en Europe.
Les pays de la région sont confrontés, par ailleurs, depuis plusieurs années, dans des proportions inconnues jusqu'alors, à une menace terroriste qui continue, hélas, à faire de nombreuses victimes. L'attaque meurtrière perpétrée par Boko Haram il y a quelques jours, au Niger, dans la région de Diffa, en témoigne, tout comme l'enlèvement très récent des jeunes lycéens.
La frontière entre criminalité organisée et terrorisme est très poreuse. Les autorités françaises peuvent avoir à connaître de ce type d'affaire, soit parce que des ressortissants français figurent parmi les victimes, comme ce fut le cas au Niger, il y a peu, soit parce qu'ils sont, au contraire, mis en cause, soit parce que les dossiers concernés sont susceptibles d'avoir des répercussions pour la sécurité de notre pays. Inversement, les autorités burkinabè et nigériennes ont besoin de la coopération des juridictions françaises dans un certain nombre de dossiers sensibles. Les anciens accords bilatéraux de 1961 et 1977 ne sont plus adaptés, sur bien des points, aux nouveaux défis posés par la criminalité organisée et le terrorisme. L'exécution des demandes françaises d'entraide et d'extradition se révèle particulièrement lente, prenant souvent un an, voire davantage, quand ces demandes ne tombent pas purement et simplement dans l'oubli, vidées de leur substance. Les quatre conventions concernées visent donc à rénover un cadre juridique devenu obsolète afin de favoriser une exécution plus rapide et efficace des demandes. Ces conventions organisent, de manière claire, les modalités de communication et de transmission des demandes d'entraide et d'extradition, notamment dans les cas les plus urgents. Elles posent expressément une obligation de célérité. Rappelons au passage, pour lever toute ambiguïté, que l'extradition n'a rien à voir avec le droit des étrangers. Cette procédure tend à remettre l'auteur d'un délit ou d'un crime à un autre État, pour qu'il y soit jugé et y exécute sa peine. Elle vise à éviter que l‘auteur d'une infraction d'une certaine gravité trouve refuge dans un autre État pour ne pas avoir à répondre de ses actes.
Les conventions en cause permettront de recourir aux techniques modernes d'enquête, telles que les auditions par vidéoconférence, les demandes d'informations en matière bancaire, les saisies et confiscations d'avoirs criminels, les interceptions de télécommunications, les livraisons surveillées et les opérations d'infiltration, autant de domaines qui n'étaient pas couverts par les précédents accords et qui représentent aujourd'hui des outils essentiels pour lutter contre la criminalité et le terrorisme.
Ces conventions prévoient, ce qui est essentiel, les garanties indispensables qui doivent entourer ce type de procédure. L'entraide peut ainsi être refusée si la demande se rapporte à des infractions politiques. Les témoins, experts ou personnes poursuivies, lorsqu'ils sont appelées à comparaître devant les autorités judiciaires du pays demandeur, bénéficient d'immunités précisément définies. De même, l'extradition ne saurait être accordée lorsque les infractions reprochées sont de nature militaire ou politique, ou s'il existe de sérieuses raisons de croire que l'extradition a été demandée afin de punir une personne pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinion politique. Des clauses excluant l'extradition en cas de risque d'application de la peine de mort ont aussi été insérées à toutes fins utiles, alors même que la peine capitale a été supprimée du code pénal burkinabè et que le Niger est abolitionniste de fait depuis 1976. Par ailleurs, en vertu du principe de spécialité, une personne ne pourra être poursuivie pour un fait autre que celui ayant motivé son extradition.
Les quatre conventions comportent également des garanties pour la protection des données personnelles. L'ambassadeur de France au Niger, que j'ai auditionné, a souligné la grande qualité rédactionnelle et juridique des textes ainsi négociés. Ils ont fait l'objet d'une élaboration attentive, inspirée en grande partie des mécanismes de coopération de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe. Ils ont d'ailleurs servi de modèle à des conventions similaires signées avec le Mali en octobre 2019. M. l'ambassadeur de France au Niger, dans son poste précédent, était à la manœuvre pour négocier les conventions que nous examinons aujourd'hui. Il était donc parfaitement autorisé et habilité à répondre précisément à nos questions, ce qu'il a fait bien volontiers.
Les moyens budgétaires et techniques du Burkina Faso et du Niger ne leur permettront pas d'utiliser immédiatement l'ensemble des techniques modernes, d'audience ou d'enquête, citées précédemment. Il est cependant important de poser le cadre juridique, quitte à ce qu'il soit recouru à ces techniques plus tard. Il appartiendra ensuite à la France d'apporter son aide matérielle, financière et opérationnelle pour faciliter ce recours. Notre pays s'y emploie déjà, par l'intermédiaire de l'Agence française de développement ou des programmes de formation de magistrats africains. Cette aide de la France est un complément indispensable de notre soutien militaire. Il ne suffit pas, en effet, de remporter des victoires sur le terrain et d'appréhender un certain nombre de membre présumés de groupes armés si ces victoires ne trouvent pas un relais judiciaire et étatique. Ce dernier aspect a d'ailleurs été expressément conçu comme l'un des piliers de la Coalition pour le Sahel, établie dans le prolongement du Sommet de Pau, du 13 janvier 2020. Sur la base de ce soutien global et intégré, nous pourrons lutter efficacement contre la criminalité organisée et le terrorisme, avec nos partenaires nigériens et burkinabè, à qui nous unissent une culture juridique et administrative commune mais aussi des liens d'amitié historiques. L'approbation de ces conventions me semble particulièrement opportune et bienvenue. C'est pourquoi je vous invite à adopter ces projets de loi.