Je vous remercie, chers collègues, pour vos propos à mon égard. Nous avons un regard commun sur l'Afrique, sur notre passé et l'action que nous conduisons aujourd'hui. Je remercie également nos interlocuteurs, qu'il s'agisse des ambassadeurs du Niger et du Burkina Faso en France, des ambassadeurs de France en poste dans ces pays, ou du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Nous connaissons tous l'histoire de ces pays, la fragilité de ces démocraties naissantes. On peut se réjouir du fait que les élections au Burkina Faso – marquées, je le rappelle, par la réélection du président Kaboré, avec 57 % des voix – se soient plutôt bien passées, malgré les problèmes récents d'insécurité. Il faut espérer que, le 27 décembre, les élections au Niger se dérouleront correctement. Le président Issoufou ne se représente pas, respectant en cela ses engagements. Il faut souhaiter que des problèmes de terrorisme ne viendront pas perturber le débat – on a vu ce qui s'est passé hier au Nigéria. Des actions terroristes pourraient ainsi survenir dans le sud du Niger, où Boko Haram est présent, ce qui ébranlerait cette fragile démocratie.
Je voudrais revenir sur les équipes d'investigation franco-nigériennes, évoquées par Jacques Maire. Sur le terrain, au-delà de la démarche judiciaire, les armées française et nigérienne se sont beaucoup rapprochées. Alors qu'il y a quelque temps, on considérait que la France s'immisçait dans la gestion du pays, son image s'est aujourd'hui nettement améliorée. Les victoires sont à présent collectives ; l'armée nigérienne s'approprie les succès sur le terrain, notamment ceux qui ont été remportés récemment dans la zone des trois frontières. L'armée nigérienne, qui a été durement touchée par les attentats, prend sa revanche au côté des Français. Bien que le Niger soit le pays le plus pauvre au monde, il accomplit de grands efforts pour renforcer la démocratie. Il est essentiel, dans cette perspective, que le pays fasse sienne ses victoires sur le terrorisme.
Je suis plus préoccupé par le Burkina Faso. Le pays des « hommes intègres » a longtemps été dirigé par un régime sévère mais vivait en paix. Si Blaise Compaoré exerçait un pouvoir tentaculaire, les conditions d'une certaine harmonie entre les confessions étaient réunies. La situation a commencé à se dégrader lorsqu'il a voulu accomplir le mandat de trop. S'il y avait eu une transition démocratique, on n'en serait pas là aujourd'hui. Son départ a déstabilisé la police et l'armée. Les gens ont voulu conserver les places qu'ils avaient acquises. L'édifice a été déstabilisé, laissant place au vide et au terrorisme, notamment dans le Nord. C'est peut-être le pays le plus en danger à l'heure actuelle. Il n'est pas beaucoup plus riche que le Niger et se trouve en grande difficulté.
On peut s'interroger sur l'opportunité de conclure des conventions d'extradition avec des pays ainsi déstabilisés. Je suis de ceux qui pensent que c'est en avançant sur des sujets comme celui-ci qu'on fera progresser la démocratie. La formation des universitaires a un rôle à jouer en la matière. Nos universités ont des échanges réguliers avec l'Afrique, par exemple en droit ; des professeurs français enseignent, par exemple, à Lomé, à Abidjan ou à Ouagadougou. Notre droit a sa place dans la manière d'appréhender les choses. On peut plus facilement concevoir et appliquer une convention avec des pays ayant une tradition juridique comparable à la nôtre. C'est un gage de réussite.
Les avocats de François Compaoré ont engagé un recours devant le Conseil d'État pour contester son extradition, qui aurait déjà eu lieu s'ils n'avaient pas intenté cette action. Voilà en effet trois ans que le recours a été formé, ce qui peut paraître un peu long. Je voudrais dire à Jean-Paul Lecoq que la convention ne gênera en rien la mise en œuvre de cette extradition. Celle-ci devrait être possible dès que le Conseil d'État aura rendu sa décision. Politiquement, ce serait un signe fort que le Burkina Faso puisse juger François Compaoré, car il s'agit d'une demande très ancienne, que j'ai souvent entendue quand je me suis rendu dans le pays.
Les archives du dossier Sankara ont déjà donné lieu à deux transmissions dans le cadre d'une commission rogatoire délivrée à la suite d'une demande d'entraide du Burkina Faso. Par définition, les conventions que nous examinons doivent faciliter la communication d'informations – en l'occurrence, la troisième transmission d'archives qui nous est demandée.
On constate une dégradation sécuritaire au Nord. Le terrorisme s'attaque aux symboles que sont l'éducation, les institutions, les maires, pour faire peur à la population. Arriverons-nous à faire avec l'armée burkinabé ce que nous avons accompli avec l'armée nigérienne ? C'est certainement là que réside une partie de la solution. L'autre volet est le développement, l'accompagnement des ONG sur place. Notre action en la matière doit être lisible pour les populations, qui pourraient se retourner contre ceux qui les violentent. C'est un combat de longue haleine, en partie psychologique.
La question de la peine de mort nous a effectivement préoccupés car, si le Burkina Faso est abolitionniste, le Niger n'en est pas tout à fait arrivé au même stade : depuis 1976, onze personnes y ont été condamnées à mort. L'article 12 de la Constitution nigérienne énonce le droit à la vie, tandis que l'article 243 du code pénal prévoit encore la peine capitale pour les crimes les plus graves. Le dispositif est quelque peu ambigu. Concrètement, les juridictions nigériennes – cela a été le cas, très récemment, de la cour d'assises de Zinder, comme l'a rappelé Frédérique Dumas – continuent de prononcer la peine capitale, même s'il s'agit d'affaires isolées. Dans les faits, ces peines ne sont pas exécutées et sont commuées en réclusion à perpétuité. Il n'en demeure pas moins que la menace plane et peut légitimement nous conduire à nous interroger. Cela nous obligera à être extrêmement vigilants. Si, demain, une situation singulière devait survenir, à l'image des affaires Compaoré ou Sankara, il faudrait certainement tenir compte de cette difficulté avant d'autoriser une éventuelle extradition. Si François Compaoré était un ressortissant nigérien, le Conseil d'État refuserait certainement d'autoriser l'extradition.
En mai 2017, le ministre de la justice nigérien a affirmé courageusement, lors de la soixantième session de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, que l'abolition de la peine de mort est « nécessaire et conforme aux constitutions modernes et doit être adoptée. » Cette position a été réaffirmée par l'adhésion au deuxième protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort. Le 17 décembre 2018, le Niger a voté la résolution de l'ONU en faveur d'un moratoire sur l'application de la peine de mort, après s'être abstenu en 2016. Le pays est signataire des principales conventions internationales de protection des droits de l'homme, sans avoir pour autant abrogé l'article 243 de son code pénal. Les mécanismes existent pour nous permettre de prévenir ce type de risques. Cela étant, depuis 2009, aucune demande d'extradition n'a été faite, ni dans un sens, ni dans l'autre – ce qui ne signifie pas qu'il ne pourrait pas y en avoir à l'avenir.
Pour l'ensemble de ces raisons, je vous invite à approuver les conventions.