Intervention de Jacques Maire

Réunion du mercredi 20 janvier 2021 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Maire, rapporteur :

Nous sommes saisis d'un accord d'extradition avec l'Algérie. C'est un accord qui engage les deux pays à se remettre mutuellement les personnes poursuivies ou condamnées qui seraient en fuite sur le territoire de l'autre partie.

Les traités d'extradition sont des accords classiques, standardisés dans leur contenu. La France est partie à une cinquantaine d'accords bilatéraux de ce type. Les derniers accords d'extradition que nous avons autorisés sont ceux qui nous lient avec le Pérou et Sainte-Lucie.

En l'occurrence, l'accord qui nous est présenté nous engage vis-à-vis d'un pays avec lequel les liens, notamment les liens humains, sont beaucoup plus denses. Je ne reviendrai pas sur tout le champ de la relation bilatérale avec l'Algérie mais je dirai un mot du contexte politique et des liens humains entre nos deux pays.

S'agissant de la situation politique, elle est extrêmement confuse. Nous avons tous vécu l'atmosphère de fin de règne d'un président absent, M. Bouteflika, sorti de façon rapide par le général Gaïd Salah. Une période d'intérim par le président du Sénat s'en est suivi dans un contexte où le mouvement du Hirak prenait toute son importance. Il y a eu, je vous le rappelle, une élection présidentielle, à laquelle M. Tebboune, qui n'était pas forcément le favori, a été élu. Il s'agit d'une personnalité du sérail âgée, qui n'est pas très présent puisqu'il est souvent en Allemagne pour se faire soigner. Pendant ce temps-là, la réforme constitutionnelle peine à prendre son envol et sa crédibilité. Toutefois, la mobilisation a faibli avec le contexte sanitaire mais aussi la lassitude et les espoirs déçus d'un renouveau politique en Algérie.

Dans ce contexte, nos liens humains sont toujours aussi importants. En janvier 2020, près de 620 000 Algériens étaient titulaires d'un titre de séjour français en cours de validité. A la même période, près de 40 000 Français résidaient eux-mêmes en Algérie.

Du fait de l'importance de la communauté algérienne en France et de la communauté française en Algérie, le nombre d'Algériens incarcérés en France est élevé. Et inversement. Environ 2 450 Algériens sont détenus en France et, dans l'autre sens, 50 Français seraient emprisonnés en Algérie. Je précise que, pour la plupart de ces détenus, la convention d'extradition que nous examinons n'est pas applicable. Ces personnes sont souvent emprisonnées pour des infractions sur le territoire où ils sont détenus, alors que la convention vise les personnes en fuite.

De par les échanges humains incessants entre nos deux pays, la France et l'Algérie ont développé une coopération dans le domaine de la justice pénale. Vous vous en souvenez peut-être : au début de la législature, au rapport de notre collègue Sira Sylla, nous avions autorisé la ratification d'une nouvelle convention d'entraide pénale avec l'Algérie. L'Algérie est un des pays du continent africain vers lequel nous adressons le plus de demandes d'entraide judiciaire. Nous avons donc renforcé notre coopération en matière d'enquête et de poursuites.

Le deuxième volet de notre coopération en matière pénale avec l'Algérie concerne l'extradition. Actuellement, cette coopération repose sur une convention en date de 1964. Comme on peut s'y attendre, la France et l'Algérie s'adressent régulièrement des demandes d'extradition. Sur les dix dernières années, nos deux pays se sont échangés une soixantaine de demandes, dont seulement trois pour des faits de terrorisme.

Le cadre de notre coopération en matière d'extradition bute cependant sur deux difficultés. D'abord, la convention de 1964 n'est pas aux normes des garanties qui conditionnent l'extradition. C'est notamment le cas – nous allons le voir – de la garantie sur la non application de la peine de mort. L'autre problème tient aux difficultés de la coopération avec les autorités algériennes. Certaines de nos demandes d'extradition ne sont pas traitées par ces dernières. Inversement, les dossiers que nous présente l'Algérie sont souvent incomplets et la recherche des informations complémentaires nécessaires à l'examen de la demande s'avère souvent extrêmement laborieuse.

C'est pour ces raisons que les autorités françaises ont souhaité renforcer le cadre de notre coopération avec l'Algérie. Ces efforts ont abouti à la signature, le 27 janvier 2019 à Alger, d'une nouvelle convention d'extradition.

Cette nouvelle convention a deux caractéristiques principales. S'agissant de ses objectifs, celle-ci vise à « rendre plus efficace la coopération en matière de lutte contre la criminalité sous toutes ses formes », comme l'indiquent les deux gouvernements en préambule. S'agissant de son contenu, elle s'inspire largement de la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957, qui fait figure de modèle dans ce domaine.

Alors, qu'apporte de nouveau cette convention par rapport au régime en vigueur ? D'évidence, ses principales dispositions – l'engagement des parties à se remettre les personnes poursuivies ou condamnées, les infractions pouvant donner lieu à remise, les principaux motifs de refus et les principales règles de procédure – sont peu ou prou inchangées. Mais certaines avancées, qui rehaussent la coopération avec l'Algérie sur les standards les plus récents, doivent être soulignées.

D'abord, la nouvelle convention actualise et clarifie les motifs qui justifient le refus d'extrader. C'est important dans le contexte algérien parce que, malgré les revendications qui sont portées par les manifestants du Hirak, des inquiétudes demeurent sur le plan du respect des droits de l'Homme et de l'État de droit. Les polémiques sont constantes. La justice en Algérie ne peut être jugée indépendante. Les libertés publiques, comme la liberté d'expression et la liberté de réunion, restent aujourd'hui mal assurées. Et la peine de mort est encore, au moins théoriquement, en vigueur.

Malgré un moratoire de fait depuis 1993, le principal nœud de la négociation a porté sur la formulation de la garantie sur la non application de la peine de mort. La formulation trouvée pose le principe du refus d'extrader lorsque la personne risque la peine de mort. Mais cette règle souffre d'une exception : lorsque la partie requérante donne des assurances jugées suffisantes que cette peine ne sera pas requise et que, si elle est requise et prononcée, elle ne sera pas exécutée. Cette formulation est finalement identique à celle des accords bilatéraux que nous avons signés avec d'autres pays. Elle satisfait nos valeurs et respecte l'indépendance algérienne.

La nouvelle convention consacre également de nouveaux motifs facultatifs de refus. Par exemple lorsque la remise de la personne aurait des conséquences gravissimes compte tenu de son âge ou de son état de santé.

L'article 22 garantit enfin le plein respect des droits fondamentaux. Il spécifie que la convention ne porte pas atteinte aux obligations des parties résultant des accords multilatéraux. Autrement dit, dès lors qu'une demande d'extradition pourrait conduire la France à violer un traité comme la convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, un refus sera opposé.

Le deuxième grand apport de la convention est de fluidifier les échanges entre États. Le mode de communication des demandes, ainsi que leur contenu, sont identiques au régime actuel. C'est un échange par voie diplomatique. En revanche, un cadre est établi pour qu'une partie puisse solliciter, si besoin, des éléments complémentaires. Passé un certain délai sans réponse, la demande d'extradition tombe, ce qui devrait inciter la partie algérienne à améliorer la qualité des dossiers présentés.

Dans un souci d'efficacité, des procédures spéciales de remise sont également établies. Par exemple, en cas d'urgence, une des parties peut demander l'arrestation provisoire d'une personne avant de transmettre une demande d'extradition en bonne et due forme. Le délai fixé pour faire parvenir cette demande passe à 40 jours contre 30 jours auparavant, ce qui était plus contraignant. Autre nouveauté : lorsque la personne consent à sa remise, la partie saisie d'une demande d'extradition est invitée à la traiter aussi rapidement que possible.

Un dernier mot pour dire que la procédure est allégée pour les infractions fiscales. Auparavant, la procédure pour ce type d'infractions reposait sur un mécanisme assez contraignant d'échanges de lettres. Ce mécanisme obsolète est ainsi supprimé, ce qui rajoute de la fluidité.

En conclusion, cette nouvelle convention assurera, d'une part, une plus grande lisibilité des garanties qui permettent d'extrader, et d'autre part, des échanges plus fluides et une réduction des délais de procédure. Pour ces raisons, j'appelle notre commission à autoriser la ratification de cette convention.

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