En préambule, je veux rendre hommage à Marielle de Sarnez, qui était une militante inlassable du projet européen. J'ai eu le plaisir et l'honneur de la rencontrer, il y a plus de dix ans, au Parlement européen, où j'effectuais un stage au sein de la délégation qu'elle présidait ; j'ai bien entendu beaucoup appris à ses côtés. Elle aurait aimé, je crois, participer à notre discussion sur le changement profond que marque la décision relative au système des ressources propres de l'Union européenne. Marielle de Sarnez a effectué, au cours des derniers mois, malgré la maladie, un travail remarquable dont nous profitons encore des fruits ce matin. Je pense bien entendu à son dernier rapport, qui portait sur les dimensions européenne et internationale de la crise liée à la pandémie de covid-19 et dont je souhaiterais lire une partie des conclusions sur l'action européenne :
« La réponse européenne s'est progressivement mise en place, mais la mobilisation de l'Union face à cette crise doit rester entière, tant les défis qui restent à relever sont nombreux. Parmi ces défis, la relance économique et le renforcement de l'autonomie stratégique européenne seront cruciaux. De ce point de vue, le plan de relance adopté par l'Union européenne apparaît comme une innovation qui peut ouvrir un cycle nouveau. »
Marielle de Sarnez avait vu juste : le plan de relance européen est une innovation politique majeure, qui repose sur une véritable transformation budgétaire.
Le projet de loi autorisant l'approbation de la décision relative au système des ressources propres de l'Union européenne (DRP) que nous examinons ce matin est le mécanisme qui permet la mise en œuvre de ce plan de relance. En autorisant la Commission européenne à emprunter 750 milliards d'euros, soit l'équivalent de cinq budgets européens annuels, cette décision constitue l'acte fondateur du plan de relance européen ; elle est la traduction juridique de l'accord du Conseil européen de juillet 2020. À ces 750 milliards s'ajoutent les 1 074 milliards alloués au budget européen pour la période 2021-2027, si bien que la relance européenne s'appuie sur près de 2 000 milliards, une somme colossale, sans précédent et indispensable pour nous aider à traverser une crise sanitaire, économique et sociale qui est, elle aussi, sans précédent.
L'objet du présent projet de loi est donc de taille, puisqu'il s'agit de soutenir les économies des pays de l'Union en permettant aux 450 millions de citoyens européens de bénéficier des sommes prévues. Le texte, qui ne comporte qu'un seul article, vise à autoriser l'approbation de la décision du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l'Union européenne, la DRP, laquelle a trait au volet recettes du budget de l'Union européenne et a trois principaux objets : l'emprunt commun européen destiné à financer la relance, la création de nouvelles ressources propres et la question des rabais.
L'emprunt commun, d'abord. Avant d'entrer dans les modalités techniques de l'emprunt détaillées dans la présente décision, il convient de prendre la mesure du saut qualitatif et quantitatif historique – même si le mot est galvaudé – réalisé par l'Union lors du Conseil européen du mois de juillet dernier.
Historique, l'initiative du Conseil l'est par son ampleur, qui permet d'éloigner le risque d'implosion que la crise actuelle fait courir à l'Union européenne. Le volume de l'emprunt est en effet sans commune mesure avec les activités de prêt menées jusqu'à présent par la Commission. Il s'élève à 750 milliards d'euros, qui s'ajoutent aux 540 milliards de prêts que les Européens ont déjà convenu de débloquer via le Mécanisme de soutien temporaire à l'atténuation des risques de chômage en situation d'urgence (SURE), le Mécanisme européen de stabilité et le Fonds de garantie de la Banque européenne d'investissement.
Historique, en tout cas importante, cette initiative l'est aussi sur le plan politique, car elle place la solidarité au cœur de la construction européenne, en soutenant en priorité les États les plus touchés par la crise. Sur le plan financier et budgétaire, un pas essentiel a été franchi : les États membres acceptent, pour la première fois, que l'Union prenne en charge une dette commune, à savoir les 390 milliards d'euros que la Commission empruntera sur les marchés financiers et qui seront remboursés en commun, avec un partage de risque mutualisé.
Enfin, cette proposition signe le retour du couple franco-allemand sur le devant de la scène européenne, puisqu'elle s'appuie largement sur l'initiative franco-allemande de mai 2020, et l'affirmation du Parlement européen, qui a joué un rôle décisif au cours des dix mois qu'a duré la crise que nous avons traversée.
Au plan national, la France devrait bénéficier, au titre de ce plan de relance, d'une enveloppe d'environ 40 milliards d'euros, ce qui en ferait le troisième bénéficiaire du plan de relance, après l'Italie et l'Espagne. Cette enveloppe permettrait de financer 40 % du plan de relance français, en soutenant des initiatives relevant des diverses priorités fixées par le Premier ministre en septembre dernier : la rénovation énergétique, la réindustrialisation de notre pays, le soutien aux entreprises, la numérisation de notre économie, l'accompagnement des jeunes ou encore la formation professionnelle.
Au plan européen, le plan de relance permet de mieux coordonner nos réponses à la crise et la relance elle-même, en favorisant notamment une transition concertée vers des économies vertes et numériques. Ainsi, afin d'assurer cette convergence, 37 % du montant des plans de relance nationaux devront être alloués à la transition écologique et 20 % à la transition numérique. Dans ces domaines où les besoins en investissements sont massifs et dans un contexte de forte dégradation des finances publiques nationales, l'échelle européenne a toute sa pertinence et permet aux États membres de tirer bénéfice des taux très bas consentis à l'Union.
Concrètement, la décision habilite la Commission européenne, à titre exceptionnel et au nom de l'Union, à emprunter temporairement sur les marchés de capitaux jusqu'à 750 milliards d'euros « à la seule fin de faire face aux conséquences de la crise de la covid19 ». La décision fixe également la répartition entre la part de l'emprunt pouvant être consacrée à des dépenses – 390 milliards d'euros – et la part destinée à fournir des prêts aux États les sollicitant, qui est de 360 milliards d'euros. Le remboursement de l'emprunt ne commencera, quant à lui, qu'à partir de 2028 et s'achèvera en 2058, ce qui permet d'étaler le coût de la crise sur une longue période.
La seconde innovation de la décision du Conseil réside dans la réforme du système des ressources propres. Pour la première fois depuis les années 1970, le Conseil a entériné le principe de nouvelles ressources propres, en mentionnant certaines propositions en matière de fiscalité écologique et de taxation du numérique ou des transactions financières. D'apparence technique, cette décision est en fait éminemment politique et trace le chemin de l'Union que nous voulons construire dans les années à venir. En amorçant une transformation de ses ressources propres, nous bâtissons une Europe plus souveraine, plus solidaire et à la hauteur des défis à venir. Les ressources prévues répondent en effet aux objectifs de justice fiscale et de respect des priorités politiques européennes que sont l'écologie et l'autonomie de l'Union.
Dans cette logique, la DRP prévoit, dès 2021, une contribution des États membres fondée sur la quantité de plastiques non recyclés, qui correspond à l'objectif de verdissement du financement du budget de l'Union. Si cette contribution ne porte que sur un faible montant – 6 milliards d'euros – et n'est pas une ressource propre en tant que telle, dans la mesure où il s'agit d'une modalité de calcul des contributions nationales, elle n'en demeure pas moins essentielle en ce qu'elle incarne le type de contributions qui se développeront probablement dans les années à venir en Europe. En effet, elle permet d'aligner le financement de l'Union sur ses objectifs politiques, en l'occurrence écologiques, sans en faire peser la charge sur les citoyens européens.
Par ailleurs, les institutions européennes se sont engagées, à l'initiative du Parlement européen, sur un calendrier précis d'introduction de nouvelles ressources propres, destinées à couvrir les coûts du remboursement du principal et des intérêts du plan de relance. Ce calendrier comprend trois étapes.
Avant juin 2021, doivent être publiées les propositions de la Commission européenne pour une taxe numérique, une ressource fondée sur le système d'échange de quotas d'émission (ETS) et un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.
Avant le 1er juillet 2022, le Conseil devra délibérer de ces propositions, en vue de leur mise en œuvre le 1er janvier 2023.
Avant juin 2024, la Commission devra publier des propositions de nouvelles ressources propres, qui pourraient inclure une taxe sur les transactions financières, une contribution financière des entreprises ou une nouvelle assiette commune pour l'impôt sur les sociétés, le Conseil étant invité à délibérer de ces propositions avant le 1er juillet 2025, en vue de leur introduction au 1er janvier 2026.
Enfin, la décision prévoit la reconduction des grandes lignes du précédent système de financement du cadre financier pluriannuel, dont certaines apparaissent clairement obsolètes. Je pense notamment aux rabais, qui relèvent d'une logique à courte vue de juste retour et dont la France exige de longue date la suppression. Leur maintien était néanmoins la condition de l'acceptation par les pays frugaux du plan de relance et de l'introduction de nouvelles ressources propres. Au demeurant, j'appelle votre attention sur le fait que le coût des rabais pour la France diminuera dans le prochain cadre financier pluriannuel, puisqu'il sera ramené de 2 milliards d'euros à 1,5 milliard d'euros. Mais, à la faveur de l'introduction de nouvelles ressources propres qui permettront de sortir d'un système de financement reposant très majoritairement sur les contributions nationales et entretenant la logique du juste retour, la France devra impérativement remettre sur la table la question de la suppression de ces rabais.
Au-delà du plan de relance, les recettes de l'Union permettront de financer un budget européen ambitieux, s'établissant à 1 074 milliards d'euros, soit une augmentation de 12 % par rapport à la période précédente, alors même que le Royaume-Uni a quitté l'Union. La France a obtenu des avancées importantes, comme la préservation de la politique agricole commune, la hausse des crédits de la politique de cohésion pour les outre-mer et du programme spatial ou la création d'un nouveau programme pour la santé. Grâce à la mobilisation du Parlement européen, qui a su défendre avec beaucoup d'autorité un certain nombre de principes et d'ambitions et auquel il faut rendre hommage, les crédits de programmes prioritaires, comme Erasmus + ou Horizon Europe, sont également en hausse.
En conclusion, je veux insister à nouveau sur le caractère singulier de la décision sur laquelle nous devons nous prononcer. Il faut mesurer le chemin parcouru depuis le début de la crise et se souvenir des moments difficiles, comme nous y invitait Marielle de Sarnez dans la conclusion de son rapport en rappelant que l'Union européenne a d'abord eu du mal à se saisir de cette crise et à organiser une véritable solidarité entre États. Néanmoins, ajoutait-elle, la réponse européenne s'est progressivement mise en place ; nous en voyons aujourd'hui l'aboutissement concret. Qui aurait pu penser, il y a un an, qu'en l'espace de quelques mois, à l'initiative de la France et de l'Allemagne et dans la droite ligne des demandes formulées par les eurodéputés, les Européens réussiraient à mettre en œuvre ensemble un colossal plan de relance fondé sur la solidarité pour faire face à la crise et préparer l'avenir ?
En permettant le lancement de l'emprunt finançant le plan de relance, ce texte prépare l'avenir en autorisant la réalisation d'investissements ambitieux pour adapter notre économie aux enjeux du xxie siècle. En posant les bases d'une vaste réforme des ressources propres de l'Union, il augure d'une Europe plus souveraine et plus solidaire.
La crise du covid-19 nous secoue encore ; en 2021, les difficultés et les défis resteront nombreux. Mais le courage, l'unité et la solidarité manifestés en 2020 par les dirigeants européens sont les meilleures garanties non seulement que nous déferons le virus et ses variants, mais aussi et surtout que nous sortirons plus forts et plus déterminés de la crise. Pour ces différentes raisons, je suis très favorable à l'adoption du projet de loi.