Intervention de Rémy Rioux

Réunion du mercredi 27 janvier 2021 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement :

Je souhaite d'emblée rendre hommage à votre présidente, Marielle de Sarnez. Je sais qu'elle attendait ce débat avec un grand intérêt et tout son engagement. Elle avait préparé ce projet de loi par beaucoup de travaux de la commission. C'est une douleur qu'elle ne soit pas présente.

Marielle de Sarnez était très attachée au fait que ce texte constitue bien une politique : la politique de développement. Je suis tout à fait d'accord avec cette lecture. Nous avons, pendant de nombreuses années, eu tendance à considérer le développement comme un instrument au service d'autres fins politiques. Le développement constitue un pilier de notre politique étrangère, en effet, mais celui-ci doit recevoir un mandat politique spécifique, fixé au plus haut niveau par la représentation nationale. L'agence que je dirige doit exécuter ce mandat. Le débat que vous avez engagé autour de cette loi de programmation est par conséquent très important pour nous. Nous sommes conscients de notre responsabilité et de la redevabilité attendue, à mesure d'ailleurs que la charge budgétaire qui nous est confiée augmente.

Ma lecture de la loi est très positive. Elle donne l'occasion d'un débat public et d'une refondation de cette politique. Vous allez fixer une ligne, qui avait été troublée ou oubliée par le passé – au moins depuis 2014 et la dernière loi, qui était d'ailleurs la première du genre. Je salue les nombreux travaux de votre commission à ce sujet : les différents rapports produits ainsi que le groupe de travail sur l'aide publique au développement et l'action humanitaire. Nous sommes très heureux que cette mandature soulève des débats qui nous interpellent.

Ce débat est d'autant plus important que nous conduisons chaque année des sondages sur les Français et le développement. Les personnes qui se déclarent informées de la politique de développement la trouvent efficace à 70 % ; les personnes qui s'avouent mal informées la considèrent inefficace. Nous constatons que la plupart des personnes se déclarent mal informées – d'où l'importance de diffuser un maximum d'informations sur la politique d'aide au développement.

Les évaluations sont une matière absolument essentielle. La totalité de nos évaluations est désormais mise à disposition en ligne. En 2020, nous avons évalué 43 % de nos projets – dans le Sahel, ce chiffre atteint les 88 %. Nous versons toute cette matière au débat public. Il est très important de disposer d'une instance indépendante qui vienne questionner les résultats des opérateurs et porter sur eux un regard extérieur et objectif. L'évaluation des projets internationaux est également intéressante en ce sens qu'elle peut servir à nourrir nos propres politiques publiques en France. Plus cette approche sera adoptée, plus nos politiques publiques seront riches et éclairées d'éléments utiles de parangonnage. En ce sens, l'article 9 du projet de loi ainsi que tous les éléments portant sur la transparence sont très bienvenus dans le cadre de ce débat.

La loi apporte une visibilité budgétaire : les crédits de la mission aide publique au développement connaissent 75 % d'augmentation entre 2016 et 2022. Il s'agit de la mission qui augmente relativement le plus dans tout le budget de l'État. La fixation de l'objectif de 0,55 % – qui sera atteint, et peut-être même dépassé – constitue une excellente nouvelle pour nous tous. Cela est d'autant plus vrai à un moment où nos collègues britanniques, considérés pendant vingt ans comme les leaders de la politique d'aide au développement dans le monde, réduisent d'un tiers les crédits qui y sont alloués. Je le regrette. Les décisions du gouvernement français sont donc très positives pour l'influence de notre pays.

La loi fixe un nouveau récit de la politique de développement : elle mentionne les politiques partenariales, le développement solidaire, les inégalités mondiales, l'approche globale intégrée. Nous trouvons ainsi les mots français pour dire les objectifs de développement durable et l'accord de Paris. Cela permet de mieux transcrire le lien entre les politiques et les espaces, et d'exprimer l'idée selon laquelle les enjeux nationaux se retrouvent dans l'international. Cela permet de ne pas faire du développement seulement un enjeu extérieur et étranger, mais de reconnaître que nos intérêts s'y expriment. Ces intérêts sont bienveillants, généreux, ouverts ; ils recouvrent également l'intérêt de bâtir une relation de long terme avec les pays du Sud. De ce point de vue, tous les éléments issus du rapport d'Hervé Berville et des travaux d'Esther Duflo sur l'innovation, le volontariat réciproque (article 6), l'attractivité de la France (article 10) viennent nourrir le récit du lien réciproque entre notre pays et le reste du monde.

Il me semble que l'AFD est déjà mobilisée au service de cette ambition. Je ne vois pas de contradiction entre le cap que vous allez fixer et le mandat de l'AFD. Au contraire, nous souhaiterions pousser plus loin encore ces ambitions. Nous menons toutes nos activités sous le contrôle du gouvernement et des ambassadeurs. Je souhaiterais que l'agence soit le plus près possible de son mandat politique – c'est en effet de là qu'elle tire sa force et ses moyens. Nous sommes un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) et nos activités prennent place dans le cadre d'une gouvernance et d'un conseil d'administration dans lequel siègent des députés et des sénateurs. Je salue ici Hervé Berville, Amélia Lakrafi, Bérengère Poletti et Dominique Potier pour leur soutien vigilant depuis plusieurs années.

Une partie du chemin financier tracé dans la loi de programmation est déjà mené. Nous sommes passés de 7 milliards d'euros à 14 milliards d'euros de financements par an. Cela représente une empreinte financière significative. Nous allons stabiliser notre budget 2021 et 2022 autour de 12 milliards d'euros par an, et poursuivre la consolidation et la modernisation de l'agence, notamment en améliorant les décaissements.

Il est en effet nécessaire de trouver un équilibre entre les prêts et les dons. Pendant de nombreuses années, nos moyens en subventions et en dons ont été réduits à portion congrue et nous avons donc fortement soutenu l'activité en prêts. Nous sommes maintenant revenus, avec votre confiance et votre vote, à un ratio de 80 % de prêts pour 20 % de dons et subventions – à cela s'ajoute près d'un milliard d'euros alloués par l'Union européenne, puisque notre agence met également en œuvre des moyens et des priorités européennes. Il est donc nécessaire de garder un équilibre d'instruments et de savoir les gérer de façon différente selon leurs caractéristiques. Je me considère agnostique sur les instruments. Il faut disposer des instruments correspondant à la politique qui nous est fixée, et non élaborer une politique en fonction de nos instruments – comme cela a pu être le cas dans le passé.

En réponse à votre question sur le soutien que l'AFD apporte aux petits projets : à mes yeux, la seule distinction utile est celle entre les bons et les mauvais projets. Il ne faut pas s'arrêter au montant du projet. Il faut être capable de gérer avec agilité des projets de petite taille, s'ils ont un impact et une exemplarité très forts, et savoir mener des projets de taille plus significative.

Je reviendrai que le cadre de partenariat et les priorités fixées. Qu'il s'agisse des priorités transversales, des priorités sectorielles ou des priorités géographiques, nous sommes tout à fait à l'aise avec votre formulation et vos documents. Nous soutenons et servons les activités en Afrique et dans la Méditerranée ; sur le climat ; en matière de diplomatie féministe et d'égalité entre les femmes et les hommes. Il est intéressant d'étudier la somme de ces priorités. Les sujets climatiques se rapprochent de la biodiversité ; ces sujets ayant trait à la planète amènent la question des inégalités et donc les questions sociales. L'agenda des objectifs de développement durable émerge et oriente nos activités.

J'ai en effet affirmé que l'AFD devenait une plateforme. J'ai indiqué dans notre plan stratégique que nous devions adopter un réflexe partenarial. Le message que je passe aux agents de l'AFD est de systématiquement chercher à tourner le plus grand nombre possible de partenaires vers le sud et vers notre action internationale. Il peut s'agir de partenaires français – cela est notre responsabilité – mais aussi de partenaires internationaux. Je citerai l'alliance Sahel de 2017 ou le sommet Finance en commun de novembre 2020 qui a rassemblé les banques de développement. Nous nous servons donc des moyens que vous nous accordez pour rassembler des coalitions plus larges.

Plusieurs dispositions du projet de loi nous concernent très directement. Les deux articles portant sur l'AFD et sur Expertise France sont les plus importants pour nous : ils fondent le groupe AFD. Jusqu'à présent, l'AFD ne disposait que d'une filiale, Proparco. Si vous nous témoignez cette confiance, vous nous ajouterez une seconde filiale et nous deviendrons alors un groupe public très différent. L'on voit déjà émerger, dans le rapprochement mené avec Expertise France, des dynamiques très intéressantes. Je regrette que notre expertise et notre capacité d'assistance technique se soient effondrées : elles représentaient 70 % de l'aide publique au développement dans les années 1970, rassemblant 25 000 experts dans le monde entier – ils sont aujourd'hui 150 experts. Cet instrument a connu le choc le plus brutal, en partie car il était isolé. L'AFD a d'ailleurs une part de responsabilité dans cet effondrement. Elle a considéré qu'il valait mieux conduire des financements et oublier la dimension humaine de l'assistance technique, qui est absolument essentielle. Nous allons maintenant présenter à nos clients une offre commune, réunissant en même temps l'offre financière et l'offre non financière. Cela va avoir pour effet de renforcer considérablement le volet d'expertise de notre action internationale. Nous allons apporter à Expertise France un réseau : le modèle économique d'Expertise France ne lui permet pas de créer un réseau à l'étranger, or l'AFD dispose déjà d'un réseau. Soyez assurés que nous allons le faire dans le respect du mouvement propre et de l'autonomie d'Expertise France dans le groupe AFD. Il est nécessaire qu'Expertise France remporte des marchés auprès de l'Union européenne, du Fonds vert pour le climat, de la Banque mondiale pour rayonner encore davantage et accroître les ressources orientées par les priorités fixées par la France. Je n'ai pas de problème de principe avec les dispositions prévues dans ce projet de loi pour garantir le mouvement propre d'Expertise France.

Le 1 % mobilité est une très bonne disposition. Nous disposons de l'expérience en la matière car nous connaissons la loi Oudin dans le domaine de l'eau. Ce type de financement innovant est extrêmement important.

Enfin, nous sommes très attachés à bien distinguer les deux mandats que nous servons : un mandat de solidarité et de lutte contre la pauvreté orienté vers les pays qui ont décroché et qu'il est nécessaire de ramener dans le mouvement général de coopération internationale ; un mandat portant sur les biens publics mondiaux et le développement durable, qui s'exprime dans les pays émergents ainsi que dans nos Outre-Mer. Qualifier d'aide ces deux mandats conduit à délégitimer le mandat conduit avec les pays les plus riches. La loi est très intéressante en ce sens car elle distingue bien ces deux mandats, très différents et qui ont tous deux leur utilité.

Je terminerai par quelques remarques sur des éléments qui pourraient émerger de vos discussions et qui ne sont pas présents dans le projet de loi.

Il existe un débat sur les biens mal acquis. Il s'agit de savoir s'il est possible d'envisager un mécanisme qui permette, dans une logique de grande transparence et de respect des droits humains, de rendre les sommes aux populations des pays dans lesquels elles ont été prélevées. L'agence et son réseau sont absolument disponibles pour contribuer à cette orientation.

Émergera également peut-être de vos débats la question de la lutte contre le blanchiment d'argent et contre le terrorisme, et notamment sa compatibilité avec des actions de développement dans des zones très fragiles comme le Sahel. À ce sujet, peut-être une solution juridique pourrait-elle émerger pour assurer une cohérence entre ces deux objectifs, qui se retrouvent parfois en contradiction dans certains territoires.

Enfin, je souhaite revenir sur nos Outre-Mer. Il est important, dans ce nouveau récit, de faire de nos territoires ultramarins des plateformes de coopération avec les pays voisins. Je souhaiterais que l'on puisse aligner et rendre opérants l'ensemble des outils du groupe AFD à l'étranger et en Outre-Mer : cela n'est pas le cas de Proparco ni d'Expertise France, qui n'interviennent aujourd'hui pas dans les Outre-Mer. S'agissant de Proparco, la décision relève du conseil d'administration de l'AFD. S'agissant d'Expertise France en revanche, il s'agit d'un sujet de nature législative puisque la loi fixe le mandat et les territoires d'intervention d'Expertise France.

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