Concernant le passeport sanitaire, certes le sujet nous intéresse, mais nous restons prudents. Ce document ayant un impact sur la libre circulation au sein de l'Union européenne, une démarche européenne doit être favorisée. Un mandat a été donné à la présidente de la Commission européenne, qui a annoncé que la Commission proposerait un projet de législation sur un passeport vert électronique pour voyager plus librement. En attendant, les travaux doivent se poursuivre sur les enjeux techniques, notamment concernant la preuve de vaccination européenne, tout comme sur les enjeux de sécurisation et de protection des données personnelles et sur la mise en place d'un dispositif harmonisé de résultats des tests. Des aspects éthiques doivent aussi être pris en considération : il est notamment difficile de faire cohabiter deux catégories de population, ceux qui ont reçu le vaccin et ceux, en particulier les jeunes, qui ne le peuvent pas pour le moment. Bref nous ne sommes pas opposés à l'idée, mais nous menons un travail de réflexion approfondi. De plus, dans l'état actuel des informations, il n'est toujours pas démontré que le vaccin, s'il immunise la personne vaccinée, supprime entièrement la contagion envers les autres.
Le pass sanitaire, que le Président de la République a envisagé au niveau national, est un sujet différent. Ce dispositif pourrait permettre la réouverture des lieux de rencontre. Sur ces deux sujets complémentaires, nous devons poursuivre nos travaux afin de nous garantir, sur le plan national comme européen, contre toute dérive éthique, juridique et sociétale qui viendrait s'ajouter aux difficultés actuelles.
Ce qui m'amène à la question liée des frontières et des espaces frontaliers, qui doit également être traitée au niveau européen. La situation sanitaire est très difficile. Nous avons fermé les frontières extérieures à l'espace européen en mars 2020. Depuis, sauf pour motif dûment justifié, les étrangers n'entrent plus dans l'espace européen ; en revanche les résidents d'Europe n'étaient pas concernés. Désormais, notre frontière est fermée pour tout le monde, sauf pour les Français qui regagnent leur pays pour un motif impérieux. Oui ces motifs impérieux sont listés, car la situation est difficile. Et nous ne pouvons pas établir une classification par pays, autoriser les entrées depuis le Sénégal et pas depuis un autre pays, nous ne nous en sortirions pas. Je conçois que ce soit difficile pour nos compatriotes, et j'espère que cela ne durera pas trop longtemps. La décision a été prise mi-janvier, en raison de la recrudescence du virus et de l'arrivée des variants. Nous ne sommes pas les seuls à agir ainsi.
Dans l'espace intérieur européen, les frontières ne sont pas fermées, mais nous avons renforcé les contrôles et la limitation des échanges, avec des tests PCR de moins de 72 heures nécessaires pour circuler dans l'espace européen. Nous avions réussi à exclure les frontaliers de ces dispositions, mais la recrudescence de la pandémie dans certains secteurs nous a amenés à renforcer les contraintes, singulièrement entre la Moselle et l'Allemagne, même si la frontière n'est pas fermée et que les contrôles sont réalisés de manière aléatoire. Dorénavant les tests doivent dater de moins de 48 heures, mais il est possible d'utiliser les tests antigéniques. On peut continuer à circuler, mais avec des tensions et des embouteillages. Et encore ces dispositions sont-elles moins strictes que celles prises par l'Allemagne vis-à-vis de la République tchèque et du Tyrol. Je comprends donc les contraintes de nos compatriotes, mais je ne peux donner de réponse positive à M. El Guerrab et Mme Givernet. La situation sanitaire exceptionnelle exige de la part de tous des sacrifices, et ceux qui ne sont pas considérés comme ayant un motif impérieux doivent attendre. Je suis bien conscient de ne pas être porteur de bonnes nouvelles, mais il nous faut être responsables.
Monsieur Herbillon, le fait que cette audition soit publique implique que sur certains sujets je reste extrêmement sobre dans mon propos. Concernant l'Algérie, je constate comme vous le maintien des manifestations, en particulier liées à l'anniversaire du mouvement Hirak. Nous suivons la situation de très près, mais en respectant la souveraineté de ce pays ami. Le président Tebboune, avec lequel le président Macron s'est entretenu il y a quelques jours, s'est remis de la covid. Il a engagé un ensemble de réformes et prononcé des amnisties, à la veille du deuxième anniversaire du début du Hirak. Le journaliste Khaled Drareni a été libéré ; nous nous étions battus publiquement en ce sens. Le président Tebboune a aussi exprimé l'ambition de réformer l'Algérie en profondeur, dans un esprit de dialogue et d'ouverture. Toutefois, il revient aux Algériens et à eux seuls de déterminer la voie de leur avenir, dans un dialogue démocratique dont ils doivent eux-mêmes définir les modalités. Ces amnisties et la dissolution de l'Assemblée algérienne semblent marquer une volonté de réconciliation. Il revient désormais au peuple algérien d'agir comme il l'entend, dans un processus démocratique que le président Tebboune annonce vouloir renforcer. C'est ce qui ressort de sa discussion avec le président Macron. Une réunion du comité interministériel de haut niveau entre l'Algérie et la France, qui avait été reportée à cause de la maladie du président Tebboune, doit se tenir rapidement, mais la date n'est pas encore fixée.
Pour le reste, l'administration américaine n'est installée que depuis un mois. Les premières décisions emblent bonnes, mais il faut attendre la suite. Des rendez-vous significatifs auront lieu, dont celui des négociations commerciales. C'est un des points sur lesquels l'Europe a changé : elle a riposté par des contraintes commerciales quand les États-Unis ont décidé de faire jouer l'extraterritorialité. Concernant l'acier et l'aluminium, un des trois dossiers que j'ai cités tout à l'heure, avec le numérique et l'aéronautique, nous avons réagi avec le dispositif « motos-bourbon », qui taxait en retour les Harley Davidson, le bourbon et d'autres produits. Ces trois dossiers constituent des rendez-vous majeurs. J'espère que parallèlement sera lancée la réforme de l'OMC, maintenant que ses autorités ont été reconnues.
Concernant l'extraterritorialité, nous devons poser le problème de manière claire. L'Europe est aujourd'hui plus forte qu'il y a quatre ans, elle est moins naïve et a pris à plusieurs reprises des positions fermes quand ses intérêts étaient en jeu. Nous devons maintenir cet esprit. C'est ce que nous avons dit lors de la réunion avec le secrétaire d'État Blinken, et la réaction a été plutôt positive et compréhensive. Mais les États-Unis ont aussi changé : la situation intérieure est particulière et va inévitablement influer sur leur politique extérieure, notamment pour les questions chinoise et iranienne. Nous devons remettre sur la table des discussions l'ensemble de ces sujets, et aussi celui de la sécurité. Nous sommes très déterminés sur ce point. La question est plutôt de savoir si les Vingt-sept seront solidaires et unanimes. Pour le moment, c'est bien le cas.