Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 2 mars 2021 à 18h00

Résumé de la réunion

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  • États-unis

La réunion

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La séance est ouverte à 18 h 10.

Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.

Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

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Je suis très heureux, mes chers collègues, d'accueillir au nom de la commission des affaires étrangères le ministre de l'Europe et des affaires étrangères M. Jean-Yves Le Drian. Je le suis encore plus que d'habitude car cela fait très longtemps que nous ne vous avons pas entendu, monsieur le ministre, sur autre chose que le projet de loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales : votre dernier tour d'horizon général de la situation diplomatique date du 25 novembre. Pour nous qui avons l'habitude de nos rendez-vous mensuels, c'est long ! N'y voyez pas le moindre reproche, les dernières semaines furent chargées.

L'adoption de ce projet de loi de programmation cet après-midi, sans aucun vote contre, constitue une grande satisfaction. Cette commission et le Gouvernement peuvent légitimement en être fiers, c'est précieux. Malgré nos différences de sensibilité, nos oppositions et nos critiques, les débats en commission et en séance plénière ont offert une bonne image de la représentation nationale. L'effort, porté principalement mais pas exclusivement par Hervé Berville, notre rapporteur, a été très important et cette conclusion est extrêmement satisfaisante.

Depuis ce dernier tour d'horizon donc, de l'eau a coulé sous les ponts. Le fait majeur de l'actualité internationale a été l'installation de l'administration Biden. Il serait prématuré d'en chercher toutes les implications, mais déjà beaucoup de signes ont été envoyés par cette nouvelle administration. Cela mérite que nous nous y arrêtions, pour envisager en retour l'action de la France et des pays européens. Mais comme le ministre participera au débat de demain sur les questions européennes, nous ne les aborderons pas directement aujourd'hui.

Le premier grand dossier à examiner aujourd'hui est l'ouverture de l'administration Biden sur les instances multilatérales. Après des années de quasi-boycott du multilatéralisme par l'administration Trump, les États-Unis font leur grand retour dans les instances de l'organisation mondiale du commerce (OMC), de l'organisation mondiale de la santé (OMS), de l'OTAN et de l'ONU – la liste est impressionnante. Mais tout n'est pas simple. Monsieur le ministre, nous attendons avec impatience votre analyse sur ce sujet où l'action de l'administration Biden tranche fortement avec celle de son prédécesseur.

Mais le multilatéralisme est une question de méthode. Il est un grand dossier, géopolitique lui, où l'action des États-Unis n'est qu'infléchie, c'est le rapport avec la Chine. Une relation de confrontation assez vive s'installe entre les deux pays, ce qui nous impose de définir notre place. Devons-nous considérer la Chine comme un adversaire idéologique et politique, avec lequel nous devons entretenir des relations extrêmement dures ? Devons-nous la considérer comme ce que les sociologues appellent un « associé rival », c'est-à-dire comme un partenaire avec lequel nous avons beaucoup à faire, et en même temps beaucoup de conflits potentiels ? Il s'agit de savoir comment accueillir le futur traité avec la Chine sur les investissements, dont la conclusion a été ébauchée. Est-il opportun, alors que la Chine dénonce pratiquement les accords conclus sur Hong-Kong et qu'elle engage au Xinjiang une politique inhumaine, de signer ce traité, qui certes comporte pour nous beaucoup d'avantages, sans considération pour les dispositions des signataires à appliquer les droits de la personne ?

Le troisième grand dossier est le couple Iran-Arabie saoudite. La position de l'administration américaine évolue là encore très fortement. Comment appréciez-vous ce mouvement, monsieur le ministre, sur le théâtre iranien et le théâtre saoudien ? Concernant le Moyen-Orient s'ajoute la question de la Turquie, avec laquelle nous avons connu des tensions extrêmement vives au cours des mois derniers. Les contacts semblent à nouveau plus sereins, mais nous serons évidemment très intéressés par votre analyse sur la dernière métamorphose de M. Erdogan, qui, d'abord pro-européen pour se détacher des États-Unis, puis anti-européen quand les Européens l'ont un peu trop gêné au sujet des droits de la personne et se rapprochant États-Unis, semble de nouveau ébaucher un mouvement vers l'Union européenne.

La démocratie connaît bien d'autres problèmes que la Turquie : en Russie, en Biélorussie, en Birmanie, en Chine les situations sont extrêmement dures. Quelle attitude adopter ? Comment procéder ? Nous semblons comme abonnés aux sanctions : j'ai été très frappé, lors du dernier Conseil, par l'avalanche de celles qui ont été prises. Mais, de même que la culture est ce qui reste quand on a tout oublié, les sanctions sont ce qui reste quand on ne sait pas très bien quoi faire d'autre.

L'ensemble des groupes signalent un autre problème auquel nous devons être sensibles : celui de l'extraterritorialité. Le multilatéralisme et la défense de la démocratie sont formidables, mais nous ne voudrions pas continuer à être associés à des mesures unilatérales que nous n'aurions pas prises ni cautionnées et que nous serions obligés d'avaler. Je suis de ceux qui pensent que la souveraineté n'exclut pas des liens très forts de caractère multilatéral, contraignants, mais qu'en revanche elle exclut totalement qu'un État indépendant soit soumis à une politique qui n'est pas définie par lui ou avec lui. Or il en va un peu ainsi. En mettant l'accent sur les sanctions et la lutte pour la démocratie, nous courons le risque de nous voir soumis à tout un ensemble de mesures définies unilatéralement à Washington.

Je n'insiste pas sur la situation de la Birmanie, qui est très préoccupante. Monsieur le ministre, vos positions sont très nettes, et vous avez marqué votre extrême préoccupation. La situation peut dégénérer en un bain de sang assez facilement. Et nous devrions aussi parler du Sahel… N'en jetez plus, la cour est pleine ! Monsieur, le ministre, je vous cède la parole.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Pour commencer, je suis moi aussi très ému de la manière dont le vote de cet après-midi a abouti. Personne ne se renie. En séance plénière comme en commission, chacun a fait preuve de compréhension. Le texte est riche, très exigeant. Malgré les abstentions, l'esprit d'unanimité qui s'est exprimé nous engage tous, l'actuel gouvernement comme ceux qui lui succéderont. Cette loi a des allures de charte. Inscrire ces principes et ces financements ne fut pas chose aisée, mais nous donne un souffle considérable pour revenir dans le jeu du développement au niveau international. Je vous remercie pour ce travail commun.

Monsieur le président, nous nous verrons plusieurs fois dans les jours qui viennent. Je reviendrai sur l'Europe dans le débat de demain, et sur l'opération Barkhane dans le débat d'après-demain. Je souhaite cependant vous dire quelques mots sur le Sahel.

Je constate une forme de dynamique de sursaut civil, que j'avais appelée de mes vœux notamment lors du débat sur l'opération Barkhane au Sénat il y a quelques semaines. Elle s'est manifestée de plusieurs manières. Le comité de suivi de l'accord d'Alger, conclu en 2015, s'est réuni. Ce comité inclut les groupes armés signataires, les autorités maliennes, les Nations unies, l'Algérie, la France, bref un certain nombre d'acteurs de l'ensemble sahélien. Ces acteurs avaient beaucoup de difficultés à se réunir, et surtout ne le faisaient qu'à Bamako. Ce comité s'est donc réuni à Kidal, ville située au nord du Mali, près de la frontière algérienne, le 11 février, en la présence physique du ministre algérien M. Boukadoum. L'ensemble des acteurs y participaient, y compris en visioconférence, comme je l'ai fait, compte tenu de la situation sanitaire. Cette réunion à Kidal est une première.

Cet événement s'est traduit par un certain nombre de décisions qui reprennent les éléments fondamentaux de l'accord d'Alger, qui n'ont jamais été vraiment mobilisés par les autorités politiques maliennes. Ces dernières, même si elles sont issues d'un coup d'État, souhaitent appliquer ces dispositions. Cet échange très significatif témoigne d'une dynamique très positive.

Les 15 et 16 février ont eu lieu à N'Djamena deux événements. Lors de la deuxième assemblée générale de l'Alliance Sahel tout d'abord, nous avons fait le point sur le sursaut de stabilisation et développement que j'appelle de mes vœux. L'Alliance Sahel compte désormais près de 30 partenaires et permet un appui d'abord à la stabilisation puis au développement de l'ensemble des pays du G5. Présidée par ma collègue espagnole, elle gère aujourd'hui 23 milliards de dollars, mobilisables immédiatement autour de 900 projets, dans des secteurs essentiels que sont l'agriculture, la sécurité alimentaire, l'éducation, l'énergie ou la gouvernance. Cette réunion a été importante en matière d'organisation et de gouvernance, parce que je souhaite promouvoir un autre modèle de développement dans la zone du Sahel. Il faut notamment encourager le développement territorial, car les acteurs sont pluriels et travaillent chacun sur leur projet, dans son silo, sans regarder alentour. C'est l'un des problèmes de la politique de développement : les moyens financiers disponibles sont certes très importants, mais dans une partie du Sahel le programme des Nations unies pour le développement engage telle action, l'organe de développement de l'Allemagne une autre action et l'Agence française de développement une autre encore… Tout cela n'est pas cohérent.

La grande orientation prise au cours de cette réunion de l'Alliance pour le Sahel est donc d'encourager une gestion territorialisée du développement, singulièrement dans les zones qui ont connu des situations conflictuelles et où le travail de pacification passe par une aide humanitaire immédiate, par la stabilisation et par le développement. Voilà une grande avancée, qui exige d'être concrétisée, sans quoi le cycle infernal reprendra inévitablement.

Nous avons aussi décidé de relancer le projet de grande muraille verte, projet initié par les Africains il y a une quinzaine d'années, repris par le Président de la République il y a peu de temps et par l'Alliance Sahel ensuite. Développer ce grand projet mobilisateur va prendre du temps. Il permettra de restaurer 100 milliards d'hectares dégradés, du Sénégal à Djibouti, d'ici à 2030, en luttant contre la désertification et en protégeant la biodiversité. Ce projet, dont nous pensions qu'il ne pourrait voir le jour, est relancé. Pour le faire aboutir, il faudra beaucoup de volonté.

Ensuite a eu lieu un sommet des pays du G5 dans le cadre de la coalition pour le Sahel initiée l'année dernière au sommet de Pau, qui réunit 45 pays membres, des Européens aux Japonais, en passant par toute une série d'acteurs. Ces échanges ont permis d'une part de constater les résultats de l'action lancée à Pau, une espèce de « surge » militaire, et d'autre part de faire en sorte que la sécurité dans les pays du Sahel soit progressivement assurée par les forces militaires sahéliennes elles-mêmes, dans le cadre de la force conjointe du G5. Je ne suis pas certain que nous ayons le temps de parler longuement jeudi matin de ce sujet, qui est tout à fait central.

Venons-en à la nouvelle donne américaine. Depuis son entrée en fonction, le président Biden a souhaité avancer rapidement dans la mise en œuvre de son programme. Sans faire d'observations sur la politique intérieure américaine, j'évoquerai l'action internationale. Les premiers actes sont plutôt de bon augure, à commencer par le retour des États-Unis dans l'accord de Paris sur le climat. L'année 2021 s'achèvera par une échéance majeure, la COP 26 de Glasgow, laquelle exigera des engagements indispensables des acteurs – l'Union européenne a déjà pris les siens – par le biais de leurs contributions déterminées au niveau national. Ces nouveaux engagements porteront sur de nouvelles contributions, la pérennisation de la finance climat après 2025, les règles de mise en œuvre de l'accord de Paris liées au marché carbone. Voilà l'agenda de Glasgow. L'Union européenne et le Royaume-Uni sont très engagés et le retour des États-Unis et mes discussions avec John Kerry sont plutôt encourageantes.

Le rendez-vous principal aura lieu le 22 avril : les États-Unis organisent un sommet informel sur le climat, façon de revenir dans l'accord de Paris, au cours duquel ils afficheront leurs engagements.

La levée du veto américain à la nomination de la nouvelle directrice générale de l'OMC, la nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, après une procédure de candidature multilatérale, est aussi une bonne nouvelle. Voilà qui devrait apaiser les tensions commerciales et encourager une conception plus durable et plus équitable des échanges internationaux. Jusqu'à présent, l'OMC était en panne de tout – de réformes comme de fonctionnement. Ce blocage est désormais levé, et ce chantier très lourd et complexe devrait pouvoir avancer.

Le réengagement américain au sein de l'OMS constitue aussi une bonne nouvelle. Il était ahurissant que les États-Unis se soient retirés de cette organisation au moment précis d'une pandémie jamais connue dans le monde, alors que l'OMS, jusqu'à preuve du contraire, est la seule organisation internationale qui puisse agir dans la prévention sanitaire.

Autre bonne nouvelle, dont on parle peu : la prolongation du traité New Start de réduction des armes stratégiques entre les États-Unis et la Russie. J'avais évoqué devant vous notre inquiétude à ce sujet. Le traité, qui devait arriver à échéance en février, a été prorogé de cinq ans, limitant quantitativement les arsenaux nucléaires stratégiques russes et américains. Depuis quelques années, nous assistions à une disparition quasi systématique des accords multilatéraux relatifs au domaine militaire, non seulement sur les armements nucléaires, mais aussi sur les forces intermédiaires et sur l'aérospatial. Cette évolution majeure portant sur les armements stratégiques constitue un encouragement pour la maîtrise des armements.

Ces éléments sont tous encourageants. Ils dénotent une volonté de rupture avec la précédente administration. Nous allons pouvoir aller de l'avant ensemble, en bâtissant une nouvelle relation transatlantique. L'Europe que l'administration Biden vient de retrouver n'est pas l'Europe d'il y a quatre ans : elle a commencé à créer pour elle-même un agenda de souveraineté et de présence dans le monde différent de l'époque. Ce réveil européen doit perdurer ; de mon point de vue, ce n'est pas une parenthèse dans notre histoire. Mon nouvel homologue, Antony Blinken, débattant avec l'ensemble des ministres des affaires étrangères des Vingt-sept il y a quelques jours, en visioconférence depuis Washington, a dit très clairement que l'intérêt des Américains est d'avoir à ses côtés un allié fort et énergique plutôt que servile. Parfait. Cette déclaration doit être déclinée dans différents domaines.

Concernant l'Iran, la situation est un peu paradoxale. Les États-Unis ont annoncé leur volonté de revenir dans l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPoA) au lendemain d'une discussion longue, à quatre, le 18 février, entre mes homologues Dominic Raab le Britannique, Heiko Maas l'Allemand, Antony Blinken et moi-même. Revenir dans le JCPoA signifie reprendre leur place dans le dispositif, sous réserve que l'Iran revienne aussi à ses engagements initiaux, progressivement rompus après le retrait américain de 2018. Dans le même temps, nous voyons les tensions se développer dans la zone et l'Iran abandonner d'autres engagements de l'accord de Vienne, le dernier étant le renoncement au protocole additionnel du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) – ce qui signifie que l'Iran n'accepte plus les contrôles de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) sur l'ensemble de ses activités.

Ces nouvelles tensions sur la question nucléaire nous amèneront à émettre des protestations dans le cadre du conseil des gouverneurs de l'AIEA. Par ailleurs, des tensions se manifestent dans la zone et de nouvelles attaques ont eu lieu contre l'Arabie saoudite et à Erbil, au Kurdistan irakien, contre les forces de la coalition, attaques menées par des milices associées à l'Iran. S'ajoutent des tensions au sujet de la circulation dans le Golfe persique. Enfin, les Iraniens ne veulent pas participer à la réunion informelle que nous avions proposée pour débattre du retour des États-Unis dans l'accord de Vienne.

La situation est compliquée. Je me suis entretenu avec mon homologue iranien pour expliquer qu'il était dans l'intérêt de chacun de revenir dans l'accord. Cette situation de tension est similaire à celle de l'automne 2019, lorsqu'au moment du G7 de Biarritz une tentative d'accord n'avait finalement pas abouti. Différence notable : à l'époque, les États-Unis avaient quitté le JCPoA, qu'ils souhaitent désormais réintégrer. Bref, dans ce domaine il y a du nouveau tous les jours. Le Président de la République s'est entretenu encore aujourd'hui avec le président Rohani.

Concernant l'Irak, nous notons une forte résurgence de Daesh. Nos relations récentes avec le Premier ministre al-Kazimi ont été très étroites. Avec les autorités irakiennes, nous souhaitons réactiver la coalition contre Daesh, qui ne s'était pas réunie depuis longtemps. Il faut renforcer la souveraineté et la stabilité de l'Irak, qui reste fragilisé par cette résurgence de Daesh dans les zones sunnites et par des tensions régionales, y compris par l'action de milices qui remettent en cause l'autorité du Premier ministre. Des élections auront lieu en octobre, ce qui impose de réunir la coalition rapidement.

Nous notons aussi des changements sur la question israélo-palestinienne. La nouvelle administration américaine a déclaré être favorable au principe des deux États, et a rappelé son opposition aux actes unilatéraux, y compris en matière de colonisation. Elle a par ailleurs repris ses financements à l'administration des Nations unies pour le secours et la reconstruction, ainsi que l'aide américaine bilatérale à l'Autorité palestinienne. Voilà des signes tangibles. Avec mes collègues jordanien, égyptien et allemand, nous avions tenté en attendant de reprendre les discussions avec les Israéliens et les Palestiniens. Nos discussions furent assez longues avec M. Ashkenazi, ministre israélien des affaires étrangères, ainsi qu'avec son homologue palestinien. Peut-être arriverons-nous à élaborer un nouveau dispositif, mais c'est encore prématuré, même si notre volonté est commune. Nous n'avons pas encore eu l'occasion d'évoquer ces questions avec le secrétaire d'État américain. Nous devrons nous positionner rapidement pour trouver une voie d'entente, mais entre les élections en Israël et la crise sanitaire, la situation est particulière.

S'agissant toujours de la nouvelle relation transatlantique, il nous faudra aussi évoquer avec les Américains la manière dont nous travaillons au sein de l'OTAN. Au mois de décembre dernier, au sommet de Londres, nous avions engagé une réflexion avec l'Allemagne, après une déclaration du Président de la République dont chacun se souvient, sur les grands défis auxquels l'alliance est aujourd'hui confrontée. Un groupe des sages a produit un rapport auquel nous avons indirectement contribué. Un sommet de l'Alliance aura lieu dès que les conditions sanitaires le permettront. Une première réunion de travail se tiendra à la fin du mois de mars avec l'ensemble des ministres des affaires étrangères de l'OTAN, dont le ministre américain.

Le nouveau concept stratégique de l'Alliance s'articule autour de trois nouveaux défis. Le premier enjeu que nous aborderons est celui de la cohésion entre les alliés, pour réaffirmer nos engagements et nos valeurs communes, y compris face à des comportements problématiques de la part de membres de l'Alliance. Nous souhaitons aboutir à un code de conduite de l'Alliance, tel que le rapport des sages le préconise. Le deuxième enjeu est celui de la mobilisation des Européens au sein de l'Alliance, après des relations parfois conflictuelles avec l'administration Trump. Le troisième enjeu est celui de l'identification des menaces et des défis sécuritaires dont l'Alliance doit se prémunir, en adaptant ses actions, qu'il s'agisse de terrorisme, des nouvelles menaces cyber, des actions de la Russie ou de la réflexion collective sur les défis posés par la Chine au regard de notre propre sécurité. Nous n'avons pas commencé, mais le calendrier de travail doit être rapidement établi. Nous mettons les sujets sur la table, et la nouvelle administration américaine les regarde de près.

J'en viens à la Chine. Monsieur le président, vous avez évoqué la notion de rival potentiel. Notre relation avec la Chine repose sur un triptyque : elle est un partenaire, un concurrent et un rival. Nous devons gérer cette situation singulière en sachant que la tension est assez forte entre la Chine et les États-Unis. Nous ne souhaitons pas entrer dans la logique d'une rivalité sino-américaine. Cependant, nous ne souhaitons pas nous positionner à équidistance des deux pays. Je cite le Président de la République lors d'un entretien donné au think tank américain Atlantic Council, il y a quelques jours : « Il ne s'agit pas seulement de trouver un équilibre entre deux grandes puissances. Il s'agit de préserver la démocratie. »

Nous tenons donc avec la Chine un dialogue de franchise, de fermeté et d'exigence. Nous sommes très exigeants concernant les pressions exercées sur l'opposition démocratique à Hong-Kong, qui sont inacceptables, et les pratiques injustifiables dont font état les témoignages et les documents qui nous parviennent du Xinjiang, qui semblent indiquer l'existence d'un système de surveillance et de répression à grande échelle. L'accord auquel vous faisiez référence tout à l'heure intègre les trois dimensions, y compris la référence aux engagements de l'Organisation internationale du travail, que la Chine doit respecter. Nous ne sommes qu'au début du processus, puisqu'il faudra que le Conseil entérine et que le Parlement européen soit saisi. L'histoire n'est pas finie, mais les problèmes fondamentaux sont clairement posés. Nous expliquerons à notre partenaire américain, dans le cadre du dialogue entre l'Union européenne et les États-Unis sur la Chine, que nous devons continuer à entretenir ce type de relations avec cette dernière : franchise, fermeté et exigence. En effet nous aurons besoin de la Chine, ne serait-ce que pour la réunion de Glasgow. Sur l'ensemble des questions environnementales, la Chine est un partenaire ; sur d'autres questions, il s'agit d'un concurrent ; sur la question des droits de l'homme, c'est un rival systémique.

Je termine, concernant la relation avec les États-Unis, avec le champ des discussions économiques que nous devons ouvrir, en particulier sur la désescalade tarifaire réciproque sur l'acier et l'aluminium, sur l'aéronautique et sur la taxation du numérique. Même si les représailles de la précédente administration américaine à notre taxe sur les services numériques n'ont pas été appliquées et sont suspendues, une discussion franche avec l'administration Biden sera nécessaire. La reprise des négociations à l'OCDE en vue d'un cadre multilatéral pour la fiscalité du numérique constitue un premier signal positif. Nous devons trouver des compromis sur la régulation des plateformes numériques et engager un dialogue plus structuré sur la construction d'un cyberespace sûr, ouvert et neutre.

Vous m'avez également interrogé sur la Russie, la Biélorussie, la Birmanie et tous les pays qui connaissent des violations des principes de la démocratie et des droits de l'homme. Les décisions prises par les autorités russes depuis l'été démontrent une dérive autoritaire très grave : voyez les développements de l'affaire Navalny, depuis son empoisonnement jusqu'à sa récente condamnation, les arrestations et condamnations arbitraires de manifestants et de journalistes, et l'expulsion de trois diplomates européens pour des motifs injustifiés. Nous continuons de demander la libération immédiate de M. Navalny et agissons pour que des sanctions soient prises au niveau européen.

Monsieur le président, les sanctions ne sont pas anodines ! Elles empêchent ceux qui en sont frappés de voyager dans l'Union européenne et d'avoir accès à leurs propres actifs placés dans le territoire européen. Pour un certain nombre de responsables, ce n'est pas rien – le tout étant d'identifier les bons.

Malgré tout, nous devons garder une relation de long terme avec la Russie et préserver les canaux de discussion. Nous ne renoncerons pas à cette ambition, car la Russie est notre voisin – parfois désagréable, parfois horripilant, parfois insupportable, parfois tout à fait condamnable, mais est notre voisin. La Russie ne va pas déménager : préservons donc nos liens, tout en restant très ferme quant aux condamnations des actions telles que celles menées à l'encontre de M. Navalny.

Concernant la Biélorussie, vous avez rencontré Mme Tikhanovskaïa, comme moi. Manifestement, le durcissement se maintient. Nous ne reconnaissons pas la légitimité de M. Loukachenko et nous soutenons fortement la mobilisation démocratique qui se développe. Nous avons également pris des sanctions assez fortes à l'égard de M. Loukachenko et de l'ensemble des dirigeants de son administration. Nous pourrions élargir ces sanctions à d'autres responsables biélorusses si la situation venait à se détériorer.

J'en viens à la situation dramatique de la Birmanie. Un mois après le coup d'État commis par les forces armées le 1er février, la situation continue à se dégrader. Un millier d'arrestations ont eu lieu le week-end dernier. Les menaces se multiplient à l'encontre des représentants élus en novembre dernier. Le mouvement de désobéissance civile se poursuit ; le peuple birman est extrêmement attaché à la démocratie. Nous avons initié au niveau européen des sanctions extrêmement strictes à l'égard des autorités militaires birmanes, et fait en sorte d'encourager un mouvement de protestation international contre la junte militaire, en soutien aux autorités élues. L'Union européenne, le G7, le Conseil de sécurité et le Conseil des droits de l'homme des Nations unies se sont exprimés en ce sens. L'Assemblée générale des Nations unies s'est également mobilisée vendredi dernier. Nous avons agi à la fin de la semaine dernière auprès de nos collègues malaisiens et indonésiens, puisque se tient actuellement une réunion extraordinaire des ministres des affaires étrangères de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) à Jakarta. Les pays concernés devraient prendre des mesures contre cette action insupportable menée par la junte militaire.

Vous avez évoqué notre capacité d'action. Face aux violations des droits humains, nous disposons d'une gamme d'instruments, de la condamnation, au nom des vingt-sept membres de l'Union européenne, jusqu'aux sanctions, en passant par des canaux discrets, lorsque les défenseurs des droits de l'homme sont menacés, ou l'accès à notre marché, que nous utilisons comme levier de pression. Les instruments sont multiples, mais nous ne sommes forts qu'à vingt-sept. Mener des sanctions seul ne sert à rien. Tel est le modèle que nous défendons au niveau européen, sans renoncer à aider les populations directement concernées. Nous en revenons ainsi au débat sur le développement. En cas de coup d'État où d'action militaire condamnable, les populations ne peuvent subir la double peine ; nous devons mener autant que faire se peut des actions humanitaires, pour les aider à conserver leur dignité.

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Merci d'avoir dressé ce vaste panorama, qui recoupe nos préoccupations.

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Avec cet exposé très riche, nous comprenons que les tensions internationales s'accentuent, ou du moins sont toujours présentes, dans ce contexte géopolitique particulièrement troublé par les multiples crises issues de la pandémie de la covid-19. Le groupe La République en marche salue la mobilisation de notre diplomatie, qui, malgré la crise, reste très présente, sur le plan européen comme sur le plan international ; en atteste l'adoption à l'unanimité, il y a quelques minutes, de l'excellent projet de loi relatif au développement solidaire, dont nous avons longuement discuté dans notre commission. Nous pouvons être fiers de ce texte, qui acte le retour en force de la France dans l'aide publique au développement. Ce vote est à l'honneur de notre pays.

Monsieur le ministre, vous me permettrez de revenir sur des déclarations concernant la gestion par l'Union européenne de la crise sanitaire. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a annoncé hier un projet de passeport numérique vert. Il s'agira, semble-t-il, d'un certificat médical indiquant si l'on est vacciné, testé ou porteur d'anticorps. Il aurait pour objet de faciliter, en toute sécurité, la circulation au sein de l'Union européenne et à l'étranger, que ce soit pour le travail ou le tourisme. On se souvient que, lors du conseil des ministres de janvier, l'Europe s'était montrée divisée sur le sujet : des États comme la Grèce ou l'Espagne s'étaient montrés très favorables au passeport vaccinal, tandis que l'Allemagne et surtout la France avaient affiché leur réticence. Ces dernières semaines, Grecs et Chypriotes ont même conclu un accord avec Israël et ils s'apprêteraient à faire de même avec le Royaume-Uni, deux pays hors Union européenne très avancés en matière de vaccination.

En parallèle, le Président de la République appelle à « tenir, ensemble ». Il a évoqué en fin de semaine dernière des pistes pour la réouverture des lieux publics, notamment l'idée d'un pass sanitaire. Monsieur le ministre, ces solutions doivent bien sûr être discutées par les parlementaires, mais quelle est votre position ? Cette question est essentielle pour la saison touristique, mais aussi pour trouver des solutions au calvaire des frontaliers. Nous avons beaucoup parlé, ces derniers jours, des 16 000 Mosellans pour lesquels travailler en Allemagne est devenu un casse-tête. En tant que députée de l'Ain, j'évoquerai le bassin genevois. La circulation entre la France et la Suisse y a certes été aménagée pour les professionnels et les résidents, dans un rayon de trente kilomètres, selon des règles adaptées à la réalité de ce bassin de vie, mais nous sommes régulièrement interpellés par les familles, dont le quotidien est bouleversé par les restrictions, qu'il s'agisse de gardes d'enfants ou de visites en famille. Monsieur le ministre, « tenir ensemble » s'applique-t-il aussi aux pays voisins ? Le délai évoqué de quatre à six semaines concerne-t-il aussi les frontaliers ?

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Ma chère collègue, nous étions convenus de ne pas aborder les questions européennes, sur lesquelles nous reviendrons lors du débat de demain. Le domaine d'aujourd'hui est déjà immense !

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Monsieur le ministre, vous nous donnez un certain nombre de bonnes nouvelles concernant notre relation avec les États-Unis, ce dont le groupe Les Républicains se réjouit. L'attitude a changé : nous constatons surtout plus de politesse et de civilité par rapport aux années Trump. Cependant, derrière les mots, derrière l'intention nouvelle, derrière un certain nombre de décisions que vous avez rappelées, notamment le retour vers le multilatéralisme, vous dites que l'Europe n'est plus exactement la même, et vous parlez d'un agenda de souveraineté de l'Europe et d'un réveil européen. Quelles en sont les traductions concrètes dans les relations avec les États-Unis ?

Les États-Unis ne retrouvent pas la même Europe, mais l'Europe comme Biden ne retrouvent pas exactement les mêmes États-Unis. Nous ne pouvons faire l'impasse sur les quatre années Trump. La meilleure des preuves est que la notion « America First » reste très prégnante, et qu'Antony Blinken, dès sa prise de fonction, a dit que les décisions prises par Trump à l'égard de la Chine étaient très positives et qu'il continuerait sur la même voie. Pourriez-vous aller un peu plus loin ? Tout en portant très grand intérêt à vos propos, nous restons un peu sur notre faim. Qu'attendez-vous, et comment va s'exercer concrètement cette nouvelle relation transatlantique, au-delà des principes ? La sortie des États-Unis des accords du JCPoA, et donc des règles d'extraterritorialité, avait été très pénalisante pour les entreprises françaises qui avaient déjà commencé à investir en Iran.

Ma seconde question concerne l'Algérie. Il est toujours complexe de parler des relations entre la France et l'Algérie, tellement elles sont marquées par les brûlures de l'histoire. Cependant, le mouvement Hirak reprend, des manifestations ont lieu malgré la situation sanitaire. Le président Tebboune a annoncé de nouvelles élections législatives, mais on a le sentiment que la présence de l'armée est toujours aussi forte, que c'est elle qui détient le pouvoir et que rien n'a vraiment changé en Algérie. Comment voyez-vous l'évolution des relations, complexes mais essentielles, y compris pour la lutte contre le terrorisme, entre la France et l'Algérie ?

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Au nom du groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés, je voudrais revenir sur le sommet du G5 Sahel qui s'est tenu à N'Djamena il y a une quinzaine de jours pour essayer de refonder la stratégie de la France avec ses partenaires dans la région. Cette refondation est nécessaire, car le profil des groupes armés a beaucoup évolué depuis 2012. En 2017 s'est constitué le groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), fusion de différentes forces djihadistes de la région ; ce sont maintenant des fédérations de groupes armés qui s'organisent et s'étendent en périphérie de la zone sahélienne. En 2016, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a revendiqué des attaques en Côte d'Ivoire, dans la cité balnéaire de Grand-Bassam, qui ont causé la mort de dix-neuf personnes. Plus récemment, le poste-frontière avec le Burkina Faso a fait l'objet d'une attaque qui a coûté la vie à quatorze militaires. Je salue la mémoire de nos deux combattants décédés au Bénin, lors d'une opération de libération d'otages français en 2019.

Le Sénégal, pôle de stabilité dans la région, devient aussi un terrain d'intérêt pour les conglomérats djihadistes. Le pouvoir indique multiplier les arrestations d'individus liés à des groupes terroristes à sa frontière avec le Mali. Monsieur le ministre, puisque nous évoquons les questions de stratégie, n'est-il pas temps d'imaginer une stratégie un peu audacieuse, avec un redéploiement géographique ? Le fait que le président du Sénégal, Macky Sall, ait participé au dernier sommet à N'Djamena pourrait-il préfigurer un changement de stratégie vers la prise en compte anticipée d'une zone beaucoup plus large, celle de l'Afrique de l'Ouest ?

Ensuite, pour atteindre ses objectifs au Sahel, la France a besoin de partenaires de confiance sur la question militaire. Une fois les territoires reconquis, il faut y installer un État fort, des services publics, un État qui protège la population. Or force est de constater que certains de nos partenaires contribuent grandement à fragiliser leur pays. Au Tchad, Idriss Déby va s'assurer un sixième mandat, après avoir réécrit la Constitution en sa faveur et réprimé l'opposition politique. Pas plus tard que ce week-end, l'opposant Yaya Dillo a été victime d'une tentative d'arrestation, qui s'est soldée par l'assassinat de sa mère et de son fils. Pour sa part, Succès Masra sera candidat à l'élection présidentielle, contre la volonté du président Déby, qui a cherché à l'écarter. Au Niger, la contestation du dernier résultat de l'élection présidentielle a été rendue muette par des coupures internet de plus en plus fréquentes. Au Mali, la France a soutenu en son temps l'ancien chef d'État Ibrahim Boubacar Keïta, qui a été renversé et qui serait coupable, selon plusieurs rapports indépendants, de détournements de fonds et de corruption à grande échelle.

Si nous partons du postulat selon lequel la France doit renforcer les États dans la région, qu'est-ce qu'un État fort : un État dont le régime est stable mais qui feint de respecter la volonté populaire tout en la piétinant, ou plutôt un État où le pluralisme et l'État de droit sont respectés, et qui associe les citoyens à sa construction politique ? Monsieur le ministre, l'action diplomatique de la France en général, et au Sahel en particulier, ne serait-elle pas plus efficace si elle se concentrait sur le pluralisme politique, la défense des règles démocratiques, la protection des populations et la création des conditions d'un débat public inclusif ?

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Monsieur le ministre, je vous avais alerté le 2 février dernier, lors de la séance des questions d'actualité, sur la situation en Birmanie. Après le coup d'État militaire et l'arrestation d'Aung San Suu Kyi, la cheffe du gouvernement civil, du président Win Myint et d'un certain nombre de députés et de responsables du pays, l'état d'urgence a été proclamé pour un an et des généraux placés aux principaux postes du pouvoir. Depuis, la contestation populaire subit une violente et sanglante répression policière et les arrestations d'opposants se poursuivent. Il y a quelques semaines, j'ai accueilli, avec le groupe d'amitié France-Birmanie que je préside, une délégation d'élus birmans avec lesquels les échanges ont été passionnants. Nous avons, à la fin de l'année 2019, préparé minutieusement le déplacement d'une délégation parlementaire, mais la crise sanitaire nous a conduits à reporter notre voyage. Nous avons également participé, il y a quelques jours, au rassemblement de protestation devant l'ambassade de Birmanie à Paris, aux côtés de la communauté birmane en France et du président des Birmans de France.

Je suis particulièrement préoccupé par la situation, d'autant que les Rohingyas sont actuellement parqués, à la suite de leur évacuation par les militaires depuis la Birmanie vers le Bangladesh. J'ai pu tenter pour ce peuple, en tant que président du groupe d'amitié, un certain nombre de démarches à l'occasion d'un voyage à New-York. J'ai évoqué le problème avec le secrétaire général de l'ONU comme avec le représentant permanent de la Chine aux Nations unies, qui, après une discussion avec une délégation, s'était engagé à accompagner le retour des Rohingyas vers leur pays d'origine, la Birmanie. Le ministère des affaires étrangères allemand a convoqué hier l'ambassadeur de Birmanie à Berlin, et le secrétaire général des Nations unies António Guterres a appelé à intensifier les réponses internationales. Le groupe Socialistes et apparentés souhaite donc savoir, monsieur le ministre, si la voix de la France sera ferme face à cette démonstration de force. Quelles actions comptez-vous mener afin d'œuvrer pour une paix durable en Birmanie ? Avons-nous pu explorer certaines pistes comme le gel des avoirs des généraux de la junte placés en France et en Europe ?

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Au nom du groupe Agir ensemble, je souhaite vous parler, monsieur le ministre, des Français de l'étranger. Ils sont 3,5 millions dans le monde et sont nos ambassadeurs. Ils portent la France au cœur et sont des fervents soldats de notre développement économique, partout où cela est possible. Ils ont conscience de la gravité de la crise sanitaire, du fait que le monde n'était pas préparé et que la circulation des variants du virus passe par les voyageurs. Je le dis en saluant votre action, parce que vous avez constamment œuvré pour que les Françaises et Français de l'étranger ne soient pas considérés comme des étrangers et qu'ils puissent revenir en France quand ils le souhaitent.

Cependant, certains d'entre eux sont tellement choqués d'avoir été bloqués, d'avoir été empêchés de rentrer en France, qu'ils en sont venus à saisir le Conseil d'État. C'est ce qu'ont fait des associations avec lesquelles j'œuvre au quotidien, comme l'Union des Français de l'étranger, à la suite du décret du 30 janvier dernier, qui impose des motifs impérieux à toutes les personnes qui veulent accéder au territoire national. De nombreuses pétitions circulent ces dernières semaines pour rappeler que nos compatriotes qui résident à l'étranger ne sont ni des parias ni des Français de seconde zone. Malgré la longueur de la liste de ces motifs impérieux – je sais, monsieur le ministre, que vous y avez œuvré personnellement – beaucoup n'y figurent pas, comme les problèmes personnels ou les questions de succession. Beaucoup de nos compatriotes se sont vu refuser l'embarquement, ce qui est absolument scandaleux. Aujourd'hui, nos compatriotes qui résident à l'étranger ont le sentiment d'être maltraités.

Au Sénégal, seulement 880 personnes sont décédées de la covid. En France, elles sont plus de 80 000. Comment se fait-il que les Français qui résident au Sénégal ne puissent pas accéder au territoire national, contrairement à ceux qui résident en Italie, où les morts se comptent par milliers ? Ce deux poids deux mesures est inacceptable. Monsieur le ministre, j'espère que vous porterez ce message auprès du Gouvernement. Ne peut-on imaginer un droit inaliénable, pour les Françaises et Français qui résident à l'étranger, d'accéder au territoire national sans jamais en être empêchés ?

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Je ne peux pas m'exprimer sans avoir une pensée, au nom du groupe UDI et indépendants, pour Marielle de Sarnez, qui nous manque. Monsieur le président, tous mes vœux vous accompagnent.

Monsieur le ministre, concernant la Turquie, le Président de la République doit parler ce soir au président Erdogan. Après des dérapages invraisemblables, en particulier sur la santé mentale de notre président, j'espère que les choses vont s'apaiser. Que pensez-vous de la situation ?

Concernant l'Iran, je voudrais rappeler vos propos très lucides dans le Journal du dimanche du 17 janvier : « Il est urgent de dire […] que cela suffit » et « L'Iran, je le dis clairement, est en train de se doter de la capacité nucléaire. » Vous avez tout dit, monsieur le ministre. Avec la nouvelle administration américaine, les masques vont tomber. Auparavant, l'Iran expliquait que tout était de la faute de Trump, qui s'était retiré de l'accord de Vienne. Maintenant, Biden n'est pas Obama et les frappes récentes, même légères, ne sont pas anodines. L'Iran est le champion les violations des droits humains, c'est un pays homophobe, cruel et islamiste, et il risque de disposer de l'arme nucléaire ! Que faire ? Les sanctions suffiront-elles ? Surtout, si les Iraniens avancent dans leur programme nucléaire, les Israéliens interviendront, ce qui serait une très mauvaise solution. Quelle est votre intime conviction ? L'Iran va-t-il se doter de l'arme nucléaire ?

J'en viens au passeport vert. J'ai écrit le 15 février au Président de la République – je vous ai envoyé la copie de mon message – pour demander qu'on duplique l'accord évoqué par Olga Givernet entre Israël, la Grèce et Chypre. J'en avais parlé à notre excellent secrétaire d'État Jean-Baptiste Lemoyne, qui n'y était pas tout à fait favorable, invoquant une forme de discrimination. Mais ce n'en est pas une ! J'ai demandé au Premier ministre israélien s'il était d'accord pour dupliquer cet accord avec la France : il y est favorable ; sous réserve bien sûr de réciprocité. Ainsi, les personnes vaccinées pourraient voyager avec un test PCR sans subir de quarantaine. C'est très important pour les Français de l'étranger, ceux qui résident en Afrique du Nord, aux États-Unis… Nous devons encourager la population à se faire vacciner, car le vaccin est notre seul espoir : ça marche ! En Israël, les restaurants et les stades rouvrent ! Nous avons du retard, mais j'espère que nous y arriverons. Seriez-vous d'accord, monsieur le ministre, pour dupliquer ces accords établissant un passeport vert ?

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Monsieur le ministre, je vous remercie pour le tableau que vous avez dressé. Le temps dont je dispose ne me permet pas de vous faire connaître les raisons de mon opposition à vos appréciations, aussi bien sur la Russie que sur la Chine. Je vais donc en rester à ce qui est, pour le groupe La France insoumise, le danger le plus imminent et le plus préoccupant, puisque nous sommes directement impliqués : la situation au Sahel. Je ne vais pas l'envisager dans toutes ses dimensions, mais me concentrer sur l'urgence.

Je ne partage pas votre enthousiasme pour l'accord d'Alger et la réunion de Kidal. L'accord d'Alger est rejeté par les autorités maliennes actuelles comme par les responsables de l'opposition, qui s'est exprimée dans les grands mouvements de mobilisation populaire qui ont été à l'origine du renversement du précédent Président de la République. Dans un contexte extrêmement instable, je m'alarme premièrement du risque d'élargissement de la zone. Certains de mes collègues y ont appelé. Pour ma part, je prévois surtout une extension des dangers et des menaces si nous ouvrons sans fin la zone dans laquelle les rapports de force militaires s'expriment aujourd'hui. Je fais référence à la forme prise par le G5.

Par ailleurs, un très grand nombre de manifestations populaires ont eu lieu, extrêmement denses et intenses, contre l'annonce par le maréchal-président Idriss Déby de sa candidature à un sixième mandat, après plus de trente ans de présidence. Nous savons ce qu'il en coûte de soutenir au-delà du raisonnable des gens qui ne sont plus soutenables. C'est précisément le cas du maréchal-président. En attendant, les derniers événements de samedi ont montré qu'il était entré dans une logique folle, et néanmoins conforme à ce qu'il est. La garde présidentielle, dirigée par son fils, a pris d'assaut le domicile de M. Dillo, l'un de ses opposants. Il en est résulté cinq morts, dont la mère de M. Dillo ainsi que son fils, pour ne rien dire des trois autres personnes qui méritent tout autant notre attention.

Dans ce contexte et compte tenu du danger que cela représente, le secrétaire général de l'ONU a fait connaître sa condamnation et sa préoccupation. Peut-être ai-je mal suivi, monsieur le ministre : la France a-t-elle dit quelque chose, et quoi ? Nous souhaitons vous entendre sur le sujet. M. Déby n'est pas facteur de stabilité, mais un facteur de déstabilisation dans la zone. Quelle sera notre attitude ? Monsieur le ministre, vous savez aussi bien que moi que l'opposition à laquelle il s'affronte n'est pas superficielle, qu'il ne s'agit pas simplement d'un règlement de compte ou d'une divergence politique ou politicienne, mais d'un remuement de fond de la société tchadienne. Que feront les Français ? Notre devoir est de multiplier les signes qui nous permettront d'être compris par le peuple tchadien plutôt que par M. Idriss Déby.

Enfin, je me joins à la demande qui a été faite concernant la politique de la France à l'égard des Rohingyas et de la population musulmane de Birmanie, réprimés, déportés et massacrés sans que la communauté internationale manifeste le même degré de préoccupation que pour des cas similaires dans d'autres pays.

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Monsieur le ministre, demain se tiendront trois jours de discussion en ligne pour soutenir et faire avancer le document final du processus de limitation de l'usage des armes explosives en zones peuplées, dit Ewipa. Ces négociations internationales historiques vont faire progresser l'application du droit humanitaire, ce dont les députés du groupe GDR se réjouissent fortement.

Le texte doit permettre d'avancer sur trois sujets fondamentaux. Premièrement, l'usage des armes explosives lourdes et imprécises dans le contexte du combat urbain devra être drastiquement limité. Deuxièmement, il sera reconnu officiellement par les États parties qu'il existe des effets indirects à long terme des bombardements en zones peuplées : la destruction des infrastructures comme les hôpitaux, les écoles, les routes, les réseaux électriques, les réseaux d'eau et d'assainissement éloignent durablement les habitants de ces zones, entraînant des déplacements de population massifs et une insécurité sanitaire, sociale, économique et environnementale profonde. Troisièmement, il s'agira d'améliorer l'assistance aux victimes en créant un devoir de réparation pour les États, ce qui est par ailleurs un objectif prioritaire du droit humanitaire.

Monsieur le ministre, le texte actuel est le fruit d'un consensus qui l'a affaibli, notamment à cause de l'usage un peu partout du verbe « pouvoir », qui atténue les accusations qu'il porte contre les armes utilisées en zones peuplées. On passe ainsi de « les armes entraînent tel ou tel effet » à « les armes peuvent entraîner tel ou tel effet ». Malheureusement, la France est du côté de ceux qui soutiennent cette formulation. Ainsi, vous vous opposez à toute limitation sérieuse de l'usage des armes explosives les plus lourdes et imprécises dans les zones peuplées. Votre ligne est plus proche de celle des États-Unis que de celle du secrétaire général de l'ONU, du Comité international de la Croix-Rouge ou des organisations non gouvernementales comme Handicap international. Nous le regrettons amèrement.

Monsieur le ministre, je vous interroge au nom de mes 210 collègues parlementaires français et allemands qui vous ont envoyé hier une lettre ouverte. La France compte-t-elle se battre pour faire de ce texte un outil efficace pour protéger les civils face au bombardements urbains, en reconnaissant les conséquences disproportionnées de ces armes, et non le seul usage indiscriminé ? Va-t-elle enfin s'engager pour renforcer le premier pilier de ce texte, qui porte sur le non-usage à terme des armes explosives en zones peuplées ? Comment réagit le secteur de l'armement français face à ce processus diplomatique du quai d'Orsay ? Fait-il partie de ceux qui veulent limiter l'impact de ces négociations ? Défendez-vous, face à eux, le souhait que des explosifs de cette nature ne soient plus du tout utilisés en zones peuplées ?

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Je vais demander au ministre de répondre aux représentants des groupes. Un grand nombre de parlementaires demandent à s'exprimer ensuite, ce qui prouve l'intérêt que suscite cette réunion. Tous ne pourront pas prendre la parole ce soir, mais M. le ministre reviendra bientôt parmi nous.

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Jean-Yves le Drian, ministre

Concernant le passeport sanitaire, certes le sujet nous intéresse, mais nous restons prudents. Ce document ayant un impact sur la libre circulation au sein de l'Union européenne, une démarche européenne doit être favorisée. Un mandat a été donné à la présidente de la Commission européenne, qui a annoncé que la Commission proposerait un projet de législation sur un passeport vert électronique pour voyager plus librement. En attendant, les travaux doivent se poursuivre sur les enjeux techniques, notamment concernant la preuve de vaccination européenne, tout comme sur les enjeux de sécurisation et de protection des données personnelles et sur la mise en place d'un dispositif harmonisé de résultats des tests. Des aspects éthiques doivent aussi être pris en considération : il est notamment difficile de faire cohabiter deux catégories de population, ceux qui ont reçu le vaccin et ceux, en particulier les jeunes, qui ne le peuvent pas pour le moment. Bref nous ne sommes pas opposés à l'idée, mais nous menons un travail de réflexion approfondi. De plus, dans l'état actuel des informations, il n'est toujours pas démontré que le vaccin, s'il immunise la personne vaccinée, supprime entièrement la contagion envers les autres.

Le pass sanitaire, que le Président de la République a envisagé au niveau national, est un sujet différent. Ce dispositif pourrait permettre la réouverture des lieux de rencontre. Sur ces deux sujets complémentaires, nous devons poursuivre nos travaux afin de nous garantir, sur le plan national comme européen, contre toute dérive éthique, juridique et sociétale qui viendrait s'ajouter aux difficultés actuelles.

Ce qui m'amène à la question liée des frontières et des espaces frontaliers, qui doit également être traitée au niveau européen. La situation sanitaire est très difficile. Nous avons fermé les frontières extérieures à l'espace européen en mars 2020. Depuis, sauf pour motif dûment justifié, les étrangers n'entrent plus dans l'espace européen ; en revanche les résidents d'Europe n'étaient pas concernés. Désormais, notre frontière est fermée pour tout le monde, sauf pour les Français qui regagnent leur pays pour un motif impérieux. Oui ces motifs impérieux sont listés, car la situation est difficile. Et nous ne pouvons pas établir une classification par pays, autoriser les entrées depuis le Sénégal et pas depuis un autre pays, nous ne nous en sortirions pas. Je conçois que ce soit difficile pour nos compatriotes, et j'espère que cela ne durera pas trop longtemps. La décision a été prise mi-janvier, en raison de la recrudescence du virus et de l'arrivée des variants. Nous ne sommes pas les seuls à agir ainsi.

Dans l'espace intérieur européen, les frontières ne sont pas fermées, mais nous avons renforcé les contrôles et la limitation des échanges, avec des tests PCR de moins de 72 heures nécessaires pour circuler dans l'espace européen. Nous avions réussi à exclure les frontaliers de ces dispositions, mais la recrudescence de la pandémie dans certains secteurs nous a amenés à renforcer les contraintes, singulièrement entre la Moselle et l'Allemagne, même si la frontière n'est pas fermée et que les contrôles sont réalisés de manière aléatoire. Dorénavant les tests doivent dater de moins de 48 heures, mais il est possible d'utiliser les tests antigéniques. On peut continuer à circuler, mais avec des tensions et des embouteillages. Et encore ces dispositions sont-elles moins strictes que celles prises par l'Allemagne vis-à-vis de la République tchèque et du Tyrol. Je comprends donc les contraintes de nos compatriotes, mais je ne peux donner de réponse positive à M. El Guerrab et Mme Givernet. La situation sanitaire exceptionnelle exige de la part de tous des sacrifices, et ceux qui ne sont pas considérés comme ayant un motif impérieux doivent attendre. Je suis bien conscient de ne pas être porteur de bonnes nouvelles, mais il nous faut être responsables.

Monsieur Herbillon, le fait que cette audition soit publique implique que sur certains sujets je reste extrêmement sobre dans mon propos. Concernant l'Algérie, je constate comme vous le maintien des manifestations, en particulier liées à l'anniversaire du mouvement Hirak. Nous suivons la situation de très près, mais en respectant la souveraineté de ce pays ami. Le président Tebboune, avec lequel le président Macron s'est entretenu il y a quelques jours, s'est remis de la covid. Il a engagé un ensemble de réformes et prononcé des amnisties, à la veille du deuxième anniversaire du début du Hirak. Le journaliste Khaled Drareni a été libéré ; nous nous étions battus publiquement en ce sens. Le président Tebboune a aussi exprimé l'ambition de réformer l'Algérie en profondeur, dans un esprit de dialogue et d'ouverture. Toutefois, il revient aux Algériens et à eux seuls de déterminer la voie de leur avenir, dans un dialogue démocratique dont ils doivent eux-mêmes définir les modalités. Ces amnisties et la dissolution de l'Assemblée algérienne semblent marquer une volonté de réconciliation. Il revient désormais au peuple algérien d'agir comme il l'entend, dans un processus démocratique que le président Tebboune annonce vouloir renforcer. C'est ce qui ressort de sa discussion avec le président Macron. Une réunion du comité interministériel de haut niveau entre l'Algérie et la France, qui avait été reportée à cause de la maladie du président Tebboune, doit se tenir rapidement, mais la date n'est pas encore fixée.

Pour le reste, l'administration américaine n'est installée que depuis un mois. Les premières décisions emblent bonnes, mais il faut attendre la suite. Des rendez-vous significatifs auront lieu, dont celui des négociations commerciales. C'est un des points sur lesquels l'Europe a changé : elle a riposté par des contraintes commerciales quand les États-Unis ont décidé de faire jouer l'extraterritorialité. Concernant l'acier et l'aluminium, un des trois dossiers que j'ai cités tout à l'heure, avec le numérique et l'aéronautique, nous avons réagi avec le dispositif « motos-bourbon », qui taxait en retour les Harley Davidson, le bourbon et d'autres produits. Ces trois dossiers constituent des rendez-vous majeurs. J'espère que parallèlement sera lancée la réforme de l'OMC, maintenant que ses autorités ont été reconnues.

Concernant l'extraterritorialité, nous devons poser le problème de manière claire. L'Europe est aujourd'hui plus forte qu'il y a quatre ans, elle est moins naïve et a pris à plusieurs reprises des positions fermes quand ses intérêts étaient en jeu. Nous devons maintenir cet esprit. C'est ce que nous avons dit lors de la réunion avec le secrétaire d'État Blinken, et la réaction a été plutôt positive et compréhensive. Mais les États-Unis ont aussi changé : la situation intérieure est particulière et va inévitablement influer sur leur politique extérieure, notamment pour les questions chinoise et iranienne. Nous devons remettre sur la table des discussions l'ensemble de ces sujets, et aussi celui de la sécurité. Nous sommes très déterminés sur ce point. La question est plutôt de savoir si les Vingt-sept seront solidaires et unanimes. Pour le moment, c'est bien le cas.

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La gauche démocrate américaine, la presse, le parti démocrate, le New-York Times prennent des positions très nouvelles !

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Jean-Yves le Drian, ministre

C'est vrai. Mais cela ne fait qu'un mois, voyons la suite.

J'en viens aux questions de MM. Fuchs et Mélenchon. Monsieur Mélenchon, nous nous parlons beaucoup moins qu'à une époque – il y a longtemps. Nous avons pris de l'âge, mais cela n'empêche pas les souvenirs. Rappelez-vous le jardin de l'ambassadeur à l'île Maurice, j'y suis retourné récemment…

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Vous m'enverrez des photos ! En ce temps-là vous vous vantiez d'être un révolutionnaire. Le président Mitterrand avait dit que de nous trois il n'en voyait qu'un, et que c'était vous !

(Rires.)

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Jean-Yves le Drian, ministre

Je ne suis pas sûr d'avoir entendu la même chose que vous, nous en reparlerons ! Mais je suis très honoré que vous m'ayez fait le plaisir de venir à cette audition, cela n'était pas arrivé en trois ans et demi.

Monsieur Mélenchon, six membres du gouvernement du Mali étaient présents à Kidal – tous ceux qui devaient l'être. Le gouvernement intérimaire était donc d'accord. Cette démarche se développe, ce dont je me réjouis. Nous demandons aux autorités maliennes de respecter le calendrier sur lequel elles se sont engagées à l'égard des membres de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Le processus électoral devrait avoir lieu dans quatorze mois. Les accords d'Alger sont de bons accords ! Il faut simplement les respecter. Ils prévoient le développement du Nord et l'intégration des groupes armés dans les forces maliennes.

Monsieur Fuchs, je ne suis pas favorable à un élargissement de la force conjointe du G5 Sahel à d'autres pays, notamment à des pays du Golfe, qui pourraient aussi être victimes d'actes terroristes, notamment dans le nord de leur territoire. Lors de la réunion de N'Djamena, M. Akufo-Addo, président du Ghana et de la CEDEAO, a proposé que les pays les plus exposés à une pénétration des groupes djihadistes par le Nord, à savoir surtout le Togo, le Bénin, le Ghana et la Côte d'Ivoire, s'organisent entre eux pour sécuriser collectivement leurs propres frontières et disposer de leurs propres moyens de coordination, de dissuasion et d'identification des risques, grâce à un dispositif de surveillance que l'Europe se prépare à financer. Aucune autre hypothèse ne me paraît pertinente, dans la mesure où l'idée d'une solidarité et d'une défense commune entre les pays concernés est en train de monter en puissance. Il est opportun de continuer dans cette voie, initiée par le sommet de N'Djamena.

Concernant le Niger, saluons tout de même le fait que son président ait renoncé à briguer un autre mandat et ait parfaitement respecté la Constitution de son pays ! Le président Issoufou s'est retiré après ses deux mandats. Le processus électoral a été contrôlé, et a donné la victoire à M. Bazoum. Certes, certains contestent les résultats de l'élection, mais pourquoi ne pourrions-nous pas féliciter M. Issoufou ? Critiquons sont ceux ne respectent pas leur Constitution !

Concernant le Tchad, je suis bien sûr informé de l'affaire Yaya Dillo. Il se trouvait antérieurement sous le coup de deux mandats d'arrêt et a opposé de la résistance à des mandats judiciaires, mais cela n'explique en rien la perte de plusieurs vies humaines. Nous invitons solennellement le Tchad à conduire au plus vite une enquête indépendante et impartiale pour faire toute la lumière sur cet événement tragique. Je le dis publiquement. Des élections auront bientôt lieu, le 11 avril. Nous avons dit à de nombreuses reprises aux autorités tchadiennes qu'il fallait garantir la participation de l'opposition au débat, la liberté de réunion et un accès équilibré aux médias. Voilà qui est essentiel pour la stabilité du Tchad. Nous avons fait passer ce message à plusieurs reprises au président Déby, je l'ai fait plusieurs fois personnellement, et nous regrettons le décès de plusieurs personnes dans l'entourage de M. Dillo.

Concernant les deux groupes armés terroristes EIGS et RVIM, État islamique dans le Grand Sahara et Rassemblement pour la victoire de l'islam et des musulmans, il faut quand même se rappeler de temps en temps que le premier est directement rattaché à Daesh, et le second à Al-Qaïda, officiellement et organiquement ! Ce n'est pas anodin. Rappelez-vous ce qu'a fait Daesh dans notre pays ! C'est pourquoi il faut distinguer entre les groupes armés signataires et les groupes armés terroristes, qui sont en lien avec des organisations terroristes internationales que nous combattons partout. Nous devons éviter que ce cancer ne pénètre profondément en Afrique, il y va de notre propre sécurité.

J'en viens à la Turquie. Nous constatons des évolutions positives dans le discours des autorités turques : plus d'insultes, des propos rassurants, des gestes verbaux attentionnés, y compris à notre égard. Dans les faits, il y a deux éléments nouveaux : à ce stade, il n'y a plus de bateaux turcs dans les eaux chypriotes, et nous constatons une volonté de renouer le dialogue avec la Grèce. La situation est cependant fragile, car la liste des désaccords est très longue. Les présidents Macron et Erdogan vont dialoguer, ce qui n'est pas arrivé depuis longtemps, et je vais moi-même échanger à nouveau avec mon homologue turc. Nous avons toujours dit vouloir entretenir des relations saines avec ce pays, sans pour autant cacher nos désaccords. Nous ne pouvons avoir des discussions de long terme que si un certain nombre de questions sont traitées : Libye, Irak, Haut-Karabagh, Grèce, Chypre… la liste serait très longue. Nous attendons des actes. L'Union européenne a élaboré un calendrier prévoyant une échéance intermédiaire en mars, avec un rapport du Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, M. Borrell, et des orientations prises en juin. Je ne peux en dire plus. J'ai toujours dit que nous ne nous positionnerions qu'au vu d'actes clairs, et pour l'instant il ne s'agit que d'actes verbaux.

Quant à l'Iran, il me semble avoir dit les choses. Je sais que vous contestez la logique de l'accord de Vienne, qui permettait d'éviter que l'Iran n'accède à l'arme nucléaire. Je suis intimement convaincu que c'est la pression maximale exercée par l'administration américaine et le retrait des États-Unis de l'accord qui ont fait que l'Iran se trouve en situation d'accéder relativement rapidement à l'arme nucléaire, et non l'inverse. Les masques ne vont pas tomber, c'est cela la réalité de ce qui s'est passé depuis 2018 ! Nous souhaitons vraiment le retour progressif des États-Unis dans l'accord et la reprise par les Iraniens de leurs engagements de 2015, qui ont été rompus. Au-delà, nous souhaitons pouvoir aborder avec les Iraniens la question de la prolifération des missiles dans la zone et de la stabilité régionale, en particulier dans le Golfe. Il faut bien commencer quelque part. La question est de savoir qui fera le premier pas. Personne ne veut se faire piéger, mais c'est bien la démarche pertinente. Le fait que les Iraniens aient renoncé au protocole additionnel du TNP constitue une mauvaise nouvelle.

J'ai déjà évoqué la Birmanie dans mon propos liminaire. La situation est très grave. L'initiative de gels des avoirs que propose M. David sera prise au niveau européen. Sans donner de détails dans cette réunion publique, c'est en cours. Des mesures ont déjà été prises contre quatorze militaires de haut rang, en raison de leur comportement vis-à-vis des Rohingyas. Je précise, même si ce n'est pas le cas en l'occurrence pour la Birmanie, que les sanctions ne concernent pas forcément des personnes, mais peuvent viser des entreprises. Nous avons par le passé gelé les actifs de certaines entreprises. Nous savons faire preuve d'une grande fermeté.

Monsieur Lecoq, vous essayez à chaque fois d'enfoncer des coins ! J'ai bien reçu le texte des parlementaires français et allemands. Je vais y répondre. La France soutient la mobilisation de la communauté internationale sur la protection des civils dans les conflits armés en zone habitée. Nous défendons l'application stricte du droit international qui les protège. Nous considérons que la mise en œuvre, la promotion et le partage des pratiques les plus exigeantes constituent des pistes d'action utiles au niveau international. C'est dans cet esprit de coopération que nous agissons et que nous soutenons la proposition d'adopter une déclaration politique sur ce sujet important. Notre position est extrêmement ferme, comme vous pouvez vous en rendre compte.

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J'ai une vingtaine de demandes de parole, dont quatorze de la part du groupe de La République en marche. Je donnerai d'abord la parole à un député de chaque groupe.

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Depuis ce week-end, nous assistons à une escalade de violence en Birmanie. Nous partageons les condamnations que vous formulez, vous-mêmes, les ministres du G7 ou encore plus récemment l'Union européenne, mais quelles sont les actions entreprises par la France en faveur d'une désescalade rapide des hostilités et du retour à l'état de droit au Myanmar ?

En Haïti ensuite, la légitimité du Président est contestée. Nous avons voté il y a quelques heures un projet de loi sur l'aide publique au développement. Quelles sont les actions qui permettraient de résoudre cette crise, qui obère les perspectives de développement du pays ?

Enfin, je vous transmets une question de Mme Ramlati Ali : quel est le premier bilan d'étape sur l'accord-cadre France-Union des Comores, et quel serait le calendrier pour la tenue du second comité franco-comorien ?

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Je partage la satisfaction que soulève la large adoption du projet de loi sur l'aide au développement, ce qui traduit l'attachement de beaucoup de nos collègues à cette politique inspirée par des valeurs en lien avec la vocation historique de notre pays. Ce vote traduit aussi à la fois l'esprit et la méthode qui ont présidé à l'élaboration et à l'examen de ce texte. Je salue, monsieur le ministre, votre implication personnelle, en y associant toutes celles et tous ceux qui se sont directement impliqués, élus et partenaires, pour conclure ainsi cette réussite collective.

Ma première question, dans le cadre de la prise de fonction du nouveau président des États-Unis, concerne la situation au Proche-Orient, l'évolution du processus de paix, et plus précisément la question israélo-palestinienne. Auriez-vous des éléments de connaissance et d'appréciation à nous communiquer sur le positionnement de la nouvelle administration américaine, ses relations avec les parties prenantes et sa volonté ou non de favoriser la relance d'un processus de paix, sur des bases respectueuses des résolutions des Nations unies ? J'ai entendu tout à l'heure vos déclarations qui marquent l'attachement des États-Unis à ces résolutions, sans qu'apparaissent, en tout cas à ce jour, des perspectives d'initiatives concrètes.

Par ailleurs, le récent sommet de N'Djamena fut considéré comme à la fois utile et nécessaire. Parmi le réajustement ou les évolutions de l'action conduite au Sahel, la volonté partagée d'une montée en puissance de l'Union européenne s'est fortement exprimée, s'agissant notamment de l'extension de son champ d'action, et de la coordination du suivi politique avec les autorités nationales et partenaires associés. Comment cette articulation, avec l'engagement déterminant de la France peut-elle fonctionner ? Quels pays européens sont les plus impliqués, et quelle part peut prendre l'Union européenne en tant que telle, notamment en renforçant sa contribution financière ?

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Monsieur le ministre, à propos de la Birmanie, pouvons-nous espérer une réponse ferme et unanime de la part de l'Union européenne ? J'ai bien compris que des discussions étaient en cours.

S'agissant des événements entre le Haut-Karabagh et l'Arménie, le cessez-le-feu est-il bien respecté ? Les craintes exprimées par la population arménienne, notamment pour sa sécurité, sont-elles fondées ? Lorsque les forces armées arméniennes dénoncent la gouvernance inefficace des autorités de tutelle, à qui font-elles référence : à la Russie, au groupe de Minsk ? Quel rôle joue désormais la France dans ce conflit ? Lors de son audition à la fin de l'année dernière, l'ambassadeur azerbaïdjanais déclarait avoir eu en sa possession des preuves d'une intervention de mercenaires français dans le conflit. Le ministère des affaires étrangères s'est-il entretenu avec l'Azerbaïdjan sur ce sujet ?

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Monsieur le ministre, je souhaite évoquer la dégradation continue et préoccupante des conditions d'exercice des droits de l'homme en Guinée. Le 27 janvier dernier, vous faisiez part de votre décision d'accorder la protection politique à M. Diallo, opposant politique du président Alpha Condé, décision que je salue. Cependant, plus de 400 opposants sont toujours incarcérés dans des conditions déplorables ; plusieurs détenus sont morts, quand d'autres font état de maladies sans que leurs conditions de détention ne soient aménagées. Ces personnes détenues sont également coupées de tout contact avec le monde extérieur, leur famille mais également leurs avocats. Monsieur le ministre, la voix et les efforts de la France sont très attendus. Quelles actions le ministère a-t-il prévu d'entreprendre pour intercéder en faveur de la libération de ces détenus politiques, dont le régime guinéen nie jusqu'à l'existence ?

D'autre part, un rapport d'Amnesty International fait état d'un programme financé par l'Union européenne visant à développer les services de sécurité guinéens jusqu'en 2022 : le programme d'appui à la réforme du secteur de sécurité accompagne, forme et équipe les services de sécurité guinéens, dans le but de lutter contre le terrorisme ou le trafic de drogue. Il serait sans doute nécessaire que la France s'assure auprès de l'Union européenne que cet appui soit exclusivement utilisé à ces fins, et non détourné vers la répression des populations.

Enfin, les événements récents imposent de faire l'inventaire des programmes d'aide et de financement que la France dédie à la Guinée à des fins de sécurité, afin d'éviter que ces derniers ne soient dévoyés de leurs objectifs premiers. Des actions ont-elles été entreprises en ce sens, et lesquelles ?

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Ma question porte sur les vaccins. Dans cette pandémie qui nous touche tous, l'un des axes de sortie est la vaccination. Nous ne vaincrons ce virus que si nous parvenons à développer une vaccination partout dans le monde, en particulier en Afrique, idée que la France a défendu au G7 fin février. Personne ne sera en sécurité tant que le monde entier ne le sera pas : c'est la raison d'être du mécanisme Covax, mis en place par l'OMS et dont l'objectif est d'accélérer la mise au point et la fabrication de vaccins contre la covid-19 et d'en assurer un accès juste et équitable à l'échelle mondiale. Il s'agit d'ailleurs du plus grand déploiement de vaccins de l'histoire et l'Europe en est le premier contributeur. Tel est aussi le fondement de l'approche européenne, où les efforts de coordination engagés depuis le début de la pandémie montrent de plus en plus leur nécessité et leur efficacité. Monsieur le ministre, quelle est la stratégie de la France dans cette géopolitique du vaccin et de la vaccination ?

Ma seconde question, par laquelle je me fais le porte-voix de M. Lénaïck Adam, porte sur les dispositifs visant à faciliter l'entrée légale des ressortissants surinamais en Guyane, particulièrement les commerçants. Si chacun a bien compris la nécessité de la fermeture des frontières, il souhaite à nouveau vous sensibiliser sur ce point, et propose la mise en place d'une carte de frontalier, au même titre qu'à la frontière brésilienne, ou encore d'un visa à prix réduit ou gratuit pour les Surinamais souhaitant se rendre en Guyane pour moins de vingt-quatre heures.

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Un mot, monsieur le ministre, sur un sujet que vous avez effleuré mais qui est très important, à savoir le retour des États-Unis dans l'accord de Paris. La COP 26 de Glasgow sera fondamentale. Nous allons revisiter les contributions déterminées au niveau national, INDC en langage onusien, c'est-à-dire les contributions des 180 États parties de l'accord de Paris. Le retour, grâce à Joe Biden, des États-Unis dans l'accord de Paris est positif, tout comme la présence de John Kerry, qui est très sensible à ces questions. Le sommet du 22 avril que veulent organiser les États-Unis est un autre point positif.

En revanche, certains aspects sont un peu moins favorables. Chaque Américain représente per capita 16 tonnes d'émissions de CO2, contre 4 pour la France et 7,8 pour la Chine. La négociation va être terriblement difficile, monsieur le ministre, et vous le savez. À Glasgow, seront présents et le ministre des affaires étrangères et le ministre de l'environnement – vous vous rappelez de la bataille pour l'accord de Paris, en 2015, entre Laurent Fabius et Ségolène Royal : c'est Laurent Fabius, en tant que ministre des affaires étrangères, qui avait présidé la COP de Paris. Vous devrez donc tous deux – et vous ne serez pas de trop ! – négocier et renégocier l'accord de Paris, en tout cas sa déclinaison, car c'est vital pour notre planète : c'est 3,5 degrés d'augmentation des températures que prévoit le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) aujourd'hui, loin des 1,5 ou 2 degrés de l'accord de Paris.

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Je souhaite revenir sur la seconde assemblée générale de l'Alliance Sahel du 15 février à N'Djamena. Vous y avez rappelé la volonté de la France de relancer le projet de la grande muraille verte, destinée à lutter contre la désertification et les effets du changement climatique dans la bande sahélo-saharienne. Pourtant, le rideau de verdure de plus de 8 000 kilomètres du Sénégal à Djibouti dessine une ligne discontinue ; seulement 4 millions d'hectares ont été aménagés sur les 100 millions prévus officiellement depuis près de quinze ans déjà, soit 4 % de ce programme de restauration écologique au service de la lutte contre la pauvreté. Quand j'habitais en Éthiopie, en 1997, on en parlait déjà : le projet a plus de vingt-cinq ans !

Selon l'Agence panafricaine de la grande muraille verte, 200 millions de dollars ont été mobilisés, dont 150 millions proviennent de financements étrangers, le reste étant pris en charge par les États eux-mêmes. Selon les donateurs, il s'agirait de 870 millions de dollars ; cet écart viendrait du fait que des opérations seraient menées en dehors du tracé initialement prévu par les pays africains, tout en étant comptabilisées dans la grande muraille verte.

Par ailleurs, il semblerait que les gouvernements, à l'exception du Sénégal et de l'Éthiopie, n'aient pas placé cette priorité en tête de leur feuille de route. Pourquoi ? Lors du sommet One Planet Summit de janvier, 14,3 milliards de dollars ont été collectés pour ce projet. Quel sera l'agenda de la France pour la défense de la sécurité et de la souveraineté alimentaires de la bande sahélo-saharienne ?

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Jean-Yves le Drian, ministre

S'agissant de l'accord de Paris, le retour des États-Unis était un préalable, sachant qu'ils sont le premier émetteur de gaz à effet de serre. En vue de Glasgow, nous jugerons lors du sommet du 22 avril où a été placé le curseur. Je me suis déjà entretenu avec M. Kerry ; il est tout à fait allant et a l'expérience des accords de Paris. Il faut évidemment que les ministres des affaires étrangères s'en occupent ! Mon interlocuteur chinois sera bien le ministre des affaires étrangères, c'est bien avec M. Wang Yi que j'échange sur ces questions. Nous devons aussi avancer avec la Chine. Les INDC seront décidées à ce moment-là, ce qui est tout à fait essentiel. Par ailleurs, deux autres conférences auront lieu, sur la biodiversité et sur la désertification, que nous essayerons, si la situation sanitaire nous le permet, de réunir au moment de l'Assemblée générale des Nations unies, avant la COP 26 de Glasgow, en septembre prochain, pour initier une dynamique collective. Mon ministère est totalement partie prenante de cette discussion.

Concernant la Birmanie, j'ai peu à ajouter. Nous allons renforcer les mesures restrictives individuelles à l'égard des hauts représentants de la junte militaire. C'est en cours, nous montrons beaucoup de fermeté. Nous ne manquerons pas de poursuivre la pression internationale dans les semaines à venir, en portant le dossier au niveau de l'ASEAN même si cette dernière pour l'instant n'a pas été extrêmement offensive sur le sujet – car, disons les choses clairement, la question chinoise interfère. Quand nous parlons de ces régions, gardons à l'esprit que la Chine est proche.

En Haïti, la situation est extrêmement préoccupante. Elle ne cesse de se dégrader depuis maintenant deux ans. Le Parlement a cessé de siéger depuis février 2020. Aux Nations unies, nous souhaitons une expression du Conseil de sécurité qui fixe clairement ses attentes vis-à-vis du président Moïse mais aussi de son opposition, pour rétablir les conditions minimales d'exercice d'une vie démocratique et sécuritaire acceptable. Cela suppose le rétablissement des institutions et la tenue d'élections législatives et présidentielles crédibles en 2021, sous les yeux d'observateurs internationaux. Il n'appartient pas à la France de dicter leur choix aux Haïtiens, mais nous sommes liés à ce pays par l'histoire et par la langue et nous menons des efforts importants sur le plan humanitaire : nous ne pouvons donc pas nous désintéresser du processus politique, que nous essayons de mettre en œuvre par le biais des Nations Unies.

S'agissant des Comores, j'ai signé en 2019 un accord-cadre avec les autorités comoriennes, qui comporte des engagements réciproques et un plan de développement de 150 millions d'euros. Nous avons considérablement augmenté notre aide aux Comores. L'application de cet accord se poursuit, même si des ajustements restent nécessaires. Je me suis entretenu à ce sujet, le mois dernier, avec mon homologue M. Dhoulkamal. Nous tiendrons la seconde réunion du comité franco-comorien de haut niveau dès que la situation sanitaire nous le permettra. Nous souhaitons que les élus de Mayotte soient des partenaires de ce dispositif. Malgré les difficultés sanitaires, et parce que nous disposons d'un protocole sanitaire robuste entre la France et les Comores, les opérations de reconduite des flux d'immigration clandestine se poursuivent normalement, même si nous rappelons parfois les autorités comoriennes à leurs engagements.

L'Arménie connaît une crise interne. J'ai pu constater des mouvements des autorités militaires contre le Premier ministre Pachinian. Par ailleurs, le chef de l'État, M. Sarkissian, a refusé aujourd'hui de signer la décision de M. Pachinian de limoger le chef d'état-major. Voilà qui devient compliqué. Il s'agit de problèmes internes à l'Arménie, auxquels nous n'avons pas à nous mêler. Au niveau du fonctionnement interne de la démocratie arménienne, je n'ai pas de jugement à porter. Je souhaite simplement que les choses se passent sereinement et dans le respect des institutions. J'ai reçu mon collègue arménien il y a quelques jours, et Jean-Baptiste Lemoyne s'est rendu en Arménie et en Azerbaïdjan récemment. Nous avons conforté un prêt de politique publique avec l'Arménie, pour lui permettre de s'extraire de ses difficultés financières ; nous avons fait part de notre disponibilité pour des efforts d'investissement et de développement économique, sous réserve que nos intérêts soient tout à fait respectés. Je ne suis pas au courant d'activités de mercenaires français, et je ne dispose pas d'informations particulières sur ce point. Si c'était le cas, je vous en ferais part. Tout n'est pas réglé dans l'application du cessez-le-feu, notamment la question des prisonniers, mais nous œuvrons pour une issue favorable. Par ailleurs, le groupe de Minsk continue de fonctionner, avec un représentant russe, un représentant américain et un représentant français. M. Visconti, ambassadeur, me rend régulièrement compte des évolutions.

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Nous sommes rassurés. Nous sommes assez horrifiés par ce qui s'est passé.

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Jean-Yves le Drian, ministre

, ministre. Concernant Israël et la Palestine, la situation a évolué : j'ai parlé du multilatéralisme, du cadre international, des deux États et de l'opposition aux actes unilatéraux. Certains points ne changeront pas : l'installation de l'ambassade américaine à Jérusalem, Jérusalem capitale d'Israël, ainsi que, à une échéance plus lointaine, la réouverture des bureaux de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Washington. Indépendamment du niveau de priorité qui sera accordé au sujet par les États-Unis, car les priorités régionales sont aujourd'hui très nombreuses pour la diplomatie américaine, nous poursuivrons pour notre part le travail engagé, en essayant d'y associer les Américains. Nous nous sommes rencontrés au Caire, au mois de janvier, pour lancer cette politique de nouvelle initiative au Proche-Orient.

J'en viens au Sahel. Ce qui est frappant, c'est que la question devient européenne. Au niveau militaire, la force Takuba, qui va agir contre le terrorisme, en accompagnement de la force Barkhane et de la force conjointe, regroupe maintenant neuf pays. Certains sont déjà présents sur place, comme l'Estonie. Elle inclut par exemple la République tchèque, le Portugal ou l'Italie. La réunion de la coalition pour le Sahel, des 45 acteurs qui soutiennent notre action, aura lieu à Berlin, ce qui montre l'engagement européen, même si je ne peux vous donner les chiffres exacts. Politiquement, financièrement et militairement, l'enjeu sahélien devient progressivement européen, contrairement à la situation initiale.

Concernant le Suriname, je vais signer avec les autorités du pays, peut-être dès la semaine prochaine, un traité de délimitation de la frontière, à l'occasion du déplacement à Paris de mon homologue surinamien. Cette avancée considérable était une condition nécessaire pour établir une vraie coopération autour de notre frontière commune, même si des incidents ont toujours lieu sur le fleuve Maroni et qu'il est difficile de lutter contre l'orpaillage illégal. La situation exigeait une vraie clarification. Cette signature aura lieu dans quelques jours et les élus ont été informés de ces avancées.

À propos de la muraille verte, Mme Lenne a tout dit. L'initiative de la muraille verte regroupe onze États, du Sénégal à Djibouti. Ce projet, d'abord symbolique et non effectif, avance. La France est pleinement mobilisée sur le terrain pour concrétiser les objectifs fixés. Nous avons engagé, en particulier au Tchad, plusieurs projets dans le domaine agricole, surtout pour le maraîchage et les oléagineux ; nous avons développé une assistance technique pour valoriser les eaux de pluie. S'ajoute un projet d'appui de 150 millions d'euros dans le Tibesti, qui contribuera à la construction de cette grande muraille, qui représente 7 800 kilomètres entre Djibouti et le Sénégal, sur 15 kilomètres de largeur. Ce projet est gigantesque et essentiel pour lutter contre la désertification et réinstaller les acteurs agricoles dans l'agro-pastoralisme. Il a été longtemps sous-estimé et nous voulons le remettre au meilleur niveau.

Madame Dumont, je me suis exprimé publiquement sur la situation en Guinée à plusieurs reprises. La Cour constitutionnelle guinéenne a confirmé la victoire de M. Alpha Condé. Nous en avons pris note, et avons exprimé toutes nos interrogations sur le processus électoral. Nous avons aussi condamné les violences. Que voulez-vous que nous fassions de plus : rompre les relations diplomatiques avec la Guinée ? Souhaitez-vous que nous retirions toute aide à ce pays, et donc aux populations ? Il est juste de dénoncer certaines situations, mais dès que l'on souhaite faire mieux, les réponses ne sont pas simples. J'ai exprimé en tête-à-tête mes oppositions au président Condé. Cependant, les Guinéens sont encore touchés par le virus Ébola et pour lutter contre ce virus, nous travaillons avec le président Condé ! C'est cela la réalité, et il me semble que nous avons raison de le faire.

Enfin, concernant les vaccins, il est évident qu'il n'y aura de réponse à la pandémie que globale. Aider les 92 pays bénéficiaires de l'opération Covax est un devoir à la fois de solidarité et d'efficacité. Le mouvement a commencé, puisque l'opération Covax a permis de mobiliser 2,3 milliards de doses, qui sont acheminées au Ghana, en Côte d'Ivoire et au Bénin. Un élargissement sera ensuite possible, sous réserve que les doses soient bien acheminées et conservées. Les conditions de conservation du vaccin Pfizer ne conviennent pas, mais avec l'arrivée des vaccins AstraZeneca et Johnson & Johnson, nous pourrons peut-être répondre à la demande. Cela est essentiel, il en va de notre solidarité. L'initiative prise sous l'impulsion du Président de la République était indispensable.

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Merci de nous avoir accordé tant de temps, monsieur le ministre. En vous écoutant nous avons constaté que l'Amérique est de retour. Ce que nous attendons, c'est que l'Europe soit de retour aussi, et nous comptons sur la France pour agir en ce sens.

Toutes nos questions n'ont pas pu vous être posées, monsieur le ministre. Si c'est possible, nous nous verrons de nouveau la semaine prochaine. En attendant, merci pour votre tour d'horizon très complet.

La séance est levée à 20 h 35. ————