Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mardi 2 mars 2021 à 18h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre :

Je ne suis pas sûr d'avoir entendu la même chose que vous, nous en reparlerons ! Mais je suis très honoré que vous m'ayez fait le plaisir de venir à cette audition, cela n'était pas arrivé en trois ans et demi.

Monsieur Mélenchon, six membres du gouvernement du Mali étaient présents à Kidal – tous ceux qui devaient l'être. Le gouvernement intérimaire était donc d'accord. Cette démarche se développe, ce dont je me réjouis. Nous demandons aux autorités maliennes de respecter le calendrier sur lequel elles se sont engagées à l'égard des membres de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Le processus électoral devrait avoir lieu dans quatorze mois. Les accords d'Alger sont de bons accords ! Il faut simplement les respecter. Ils prévoient le développement du Nord et l'intégration des groupes armés dans les forces maliennes.

Monsieur Fuchs, je ne suis pas favorable à un élargissement de la force conjointe du G5 Sahel à d'autres pays, notamment à des pays du Golfe, qui pourraient aussi être victimes d'actes terroristes, notamment dans le nord de leur territoire. Lors de la réunion de N'Djamena, M. Akufo-Addo, président du Ghana et de la CEDEAO, a proposé que les pays les plus exposés à une pénétration des groupes djihadistes par le Nord, à savoir surtout le Togo, le Bénin, le Ghana et la Côte d'Ivoire, s'organisent entre eux pour sécuriser collectivement leurs propres frontières et disposer de leurs propres moyens de coordination, de dissuasion et d'identification des risques, grâce à un dispositif de surveillance que l'Europe se prépare à financer. Aucune autre hypothèse ne me paraît pertinente, dans la mesure où l'idée d'une solidarité et d'une défense commune entre les pays concernés est en train de monter en puissance. Il est opportun de continuer dans cette voie, initiée par le sommet de N'Djamena.

Concernant le Niger, saluons tout de même le fait que son président ait renoncé à briguer un autre mandat et ait parfaitement respecté la Constitution de son pays ! Le président Issoufou s'est retiré après ses deux mandats. Le processus électoral a été contrôlé, et a donné la victoire à M. Bazoum. Certes, certains contestent les résultats de l'élection, mais pourquoi ne pourrions-nous pas féliciter M. Issoufou ? Critiquons sont ceux ne respectent pas leur Constitution !

Concernant le Tchad, je suis bien sûr informé de l'affaire Yaya Dillo. Il se trouvait antérieurement sous le coup de deux mandats d'arrêt et a opposé de la résistance à des mandats judiciaires, mais cela n'explique en rien la perte de plusieurs vies humaines. Nous invitons solennellement le Tchad à conduire au plus vite une enquête indépendante et impartiale pour faire toute la lumière sur cet événement tragique. Je le dis publiquement. Des élections auront bientôt lieu, le 11 avril. Nous avons dit à de nombreuses reprises aux autorités tchadiennes qu'il fallait garantir la participation de l'opposition au débat, la liberté de réunion et un accès équilibré aux médias. Voilà qui est essentiel pour la stabilité du Tchad. Nous avons fait passer ce message à plusieurs reprises au président Déby, je l'ai fait plusieurs fois personnellement, et nous regrettons le décès de plusieurs personnes dans l'entourage de M. Dillo.

Concernant les deux groupes armés terroristes EIGS et RVIM, État islamique dans le Grand Sahara et Rassemblement pour la victoire de l'islam et des musulmans, il faut quand même se rappeler de temps en temps que le premier est directement rattaché à Daesh, et le second à Al-Qaïda, officiellement et organiquement ! Ce n'est pas anodin. Rappelez-vous ce qu'a fait Daesh dans notre pays ! C'est pourquoi il faut distinguer entre les groupes armés signataires et les groupes armés terroristes, qui sont en lien avec des organisations terroristes internationales que nous combattons partout. Nous devons éviter que ce cancer ne pénètre profondément en Afrique, il y va de notre propre sécurité.

J'en viens à la Turquie. Nous constatons des évolutions positives dans le discours des autorités turques : plus d'insultes, des propos rassurants, des gestes verbaux attentionnés, y compris à notre égard. Dans les faits, il y a deux éléments nouveaux : à ce stade, il n'y a plus de bateaux turcs dans les eaux chypriotes, et nous constatons une volonté de renouer le dialogue avec la Grèce. La situation est cependant fragile, car la liste des désaccords est très longue. Les présidents Macron et Erdogan vont dialoguer, ce qui n'est pas arrivé depuis longtemps, et je vais moi-même échanger à nouveau avec mon homologue turc. Nous avons toujours dit vouloir entretenir des relations saines avec ce pays, sans pour autant cacher nos désaccords. Nous ne pouvons avoir des discussions de long terme que si un certain nombre de questions sont traitées : Libye, Irak, Haut-Karabagh, Grèce, Chypre… la liste serait très longue. Nous attendons des actes. L'Union européenne a élaboré un calendrier prévoyant une échéance intermédiaire en mars, avec un rapport du Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, M. Borrell, et des orientations prises en juin. Je ne peux en dire plus. J'ai toujours dit que nous ne nous positionnerions qu'au vu d'actes clairs, et pour l'instant il ne s'agit que d'actes verbaux.

Quant à l'Iran, il me semble avoir dit les choses. Je sais que vous contestez la logique de l'accord de Vienne, qui permettait d'éviter que l'Iran n'accède à l'arme nucléaire. Je suis intimement convaincu que c'est la pression maximale exercée par l'administration américaine et le retrait des États-Unis de l'accord qui ont fait que l'Iran se trouve en situation d'accéder relativement rapidement à l'arme nucléaire, et non l'inverse. Les masques ne vont pas tomber, c'est cela la réalité de ce qui s'est passé depuis 2018 ! Nous souhaitons vraiment le retour progressif des États-Unis dans l'accord et la reprise par les Iraniens de leurs engagements de 2015, qui ont été rompus. Au-delà, nous souhaitons pouvoir aborder avec les Iraniens la question de la prolifération des missiles dans la zone et de la stabilité régionale, en particulier dans le Golfe. Il faut bien commencer quelque part. La question est de savoir qui fera le premier pas. Personne ne veut se faire piéger, mais c'est bien la démarche pertinente. Le fait que les Iraniens aient renoncé au protocole additionnel du TNP constitue une mauvaise nouvelle.

J'ai déjà évoqué la Birmanie dans mon propos liminaire. La situation est très grave. L'initiative de gels des avoirs que propose M. David sera prise au niveau européen. Sans donner de détails dans cette réunion publique, c'est en cours. Des mesures ont déjà été prises contre quatorze militaires de haut rang, en raison de leur comportement vis-à-vis des Rohingyas. Je précise, même si ce n'est pas le cas en l'occurrence pour la Birmanie, que les sanctions ne concernent pas forcément des personnes, mais peuvent viser des entreprises. Nous avons par le passé gelé les actifs de certaines entreprises. Nous savons faire preuve d'une grande fermeté.

Monsieur Lecoq, vous essayez à chaque fois d'enfoncer des coins ! J'ai bien reçu le texte des parlementaires français et allemands. Je vais y répondre. La France soutient la mobilisation de la communauté internationale sur la protection des civils dans les conflits armés en zone habitée. Nous défendons l'application stricte du droit international qui les protège. Nous considérons que la mise en œuvre, la promotion et le partage des pratiques les plus exigeantes constituent des pistes d'action utiles au niveau international. C'est dans cet esprit de coopération que nous agissons et que nous soutenons la proposition d'adopter une déclaration politique sur ce sujet important. Notre position est extrêmement ferme, comme vous pouvez vous en rendre compte.

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