L'Assemblée nationale, par le biais de notre commission, est la première des deux chambres à avoir été saisie pour approbation de l'accord de partenariat pour les migrations et la mobilité conclu entre la France et l'Inde le 10 mars 2018, à New Delhi par notre ministre de l'Europe et des affaires étrangères, M. Jean-Yves Le Drian, et par la ministre indienne des affaires extérieures, Mme Sushma Swaraj. Près de dix longues années de négociations ont permis d'aboutir à cet accord ambitieux, qui poursuit deux objectifs complémentaires : faciliter la circulation de talents entre les deux pays, en renforçant la mobilité des étudiants, des universitaires, des chercheurs et des professionnels ; prévenir l'immigration irrégulière et lutter contre l'exploitation et le trafic d'êtres humains.
L'Inde est la cinquième économie mondiale. Elle excelle dans de nombreux domaines dont celui des nouvelles technologies. Elle est également le deuxième pays le plus peuplé du monde, avec 1,36 milliard d'habitants, dont 50 % ont moins de 25 ans. Ce géant économique et démographique peut être source de nombreuses opportunités pour la France.
Les migrations franco-indiennes sont relativement faibles. S'agissant de la mobilité universitaire, avant la crise sanitaire, on ne comptait que 300 étudiants français en Inde, contre 9 000 étudiants indiens en France. La France n'est placée qu'au dixième rang pour l'accueil des étudiants indiens, très loin derrière les pays anglo-saxons. Les étudiants indiens sont 165 000 aux États-Unis, 45 000 en Australie et 19 000 au Royaume-Uni. Il ne s'agit pas seulement d'une question de langue, puisque la France se place aussi derrière l'Allemagne, qui accueille 13 000 étudiants indiens. On pourrait aussi comparer ce chiffre avec les 35 000 étudiants chinois accueillis en France.
Les étudiants indiens sont encore trop peu informés de la qualité de l'enseignement supérieur français, des possibilités de plus en plus nombreuses d'étudier en anglais et des opportunités professionnelles dont ils peuvent ensuite bénéficier en France. De plus, l'accès aux documents de séjour est parfois difficile – c'est un euphémisme. Ces observations ont été confirmées par l'ambassadeur d'Inde en France, que je salue. Par ailleurs, les établissements d'enseignement supérieur français ne songent pas systématiquement à inclure l'Inde dans leur stratégie d'attractivité.
Les migrations économiques et scientifiques sont aussi en deçà de leur potentiel. En 2019, seuls 2 453 premiers titres de séjour ont été accordés à des ressortissants indiens pour des motifs économiques ; 1 593 à des salariés et 769 à des scientifiques. Ces chiffres restent faibles en regard de la démographie indienne et des bénéfices de cette immigration qualifiée pour l'économie française. Dans un pays qui connaît une véritable ouverture au monde depuis les années 1990, la présence de salariés français détachés au sein d'un même groupe en Inde reste aussi relativement modeste. Selon les chiffres communiqués par l'ambassade d'Inde en France, seulement 823 visas d'emploi ont été délivrés à des Français en 2019.
L'accord facilite l'accès aux documents de séjour. L'article 3 présente les documents dont peuvent bénéficier les étudiants et les stagiaires. Les étudiants indiens qui souhaitent compléter leur formation de niveau master ou supérieur par une première expérience professionnelle en France peuvent, par exemple, bénéficier d'une autorisation provisoire de séjour, d'une durée d'un an, renouvelable une fois. La mesure est susceptible d'encourager les étudiants indiens à parier sur la France pour leur début de carrière, après avoir étudié dans notre pays.
L'article 4 présente les documents de séjour pour l'immigration professionnelle et économique, et mobilise en particulier le dispositif passeport talent, un outil performant de la France, destiné à attirer sur son sol les talents internationaux, notamment les salariés détachés. Les autorités indiennes s'engagent, elles aussi, à garantir des facilités pour les détachés, au sein d'un même groupe, et les talents français, ce qui les sécurise et facilite l'obtention de documents nécessaires à leur installation en Inde, ainsi qu'à celle de leur famille.
L'article prévoit également le dispositif jeune professionnel, déjà utilisé pour d'autres accords. Chaque année, 500 jeunes professionnels français ou indiens, âgés de 18 à 35 ans, titulaires d'un diplôme correspondant à au moins trois années d'études supérieures ou justifiant d'une expérience professionnelle comparable, et parlant la langue de leur pays d'accueil, pourront bénéficier d'un visa de long séjour, valable un an, renouvelable, sans que la situation de l'emploi ne puisse être opposée. En contrepartie, le nombre annuel de places des volontaires internationaux en entreprise (VIE) français en Inde a été porté à 250, contre une centaine aujourd'hui. C'est un point important de l'accord, car ce nombre était très faible, alors qu'environ 1 000 entreprises françaises sont basées en Inde.
Un autre volet de l'accord est la lutte contre l'immigration irrégulière. L'objectif est d'augmenter le nombre de réadmissions de ressortissants indiens en situation irrégulière, jusqu'ici peu élevé en comparaison du nombre de mesures d'éloignement prononcées. L'article 5 détaille la procédure de retour et impose un délai court dans le traitement des dossiers. L'article 6 prévoit une coopération policière et technique opérationnelle pour lutter contre le trafic de migrants et d'êtres humains, comportant notamment des actions de formation des agents.
À lui seul, l'accord ne fera pas bouger les lignes. Qu'il s'agisse de l'immigration régulière ou irrégulière, il est nécessaire de prévoir une vaste campagne d'information de l'ensemble des acteurs concernés, tant ceux qui appliqueront les dispositifs que les bénéficiaires. Il est, par exemple, indispensable que Campus France renforce ses actions de promotion des études supérieures en France auprès du public indien, ce qui est d'ailleurs prévu dans l'accord. Cet organisme aura besoin de moyens supplémentaires. Alors que l'Office allemand d'échanges universitaires dispose d'une vingtaine d'agents et prévoit de créer vingt postes supplémentaires, Campus France ne dispose que d'une quinzaine d'agents mobilisés en grande partie pour des tâches liées à l'évaluation des dossiers, quand leurs collègues allemands se consacrent uniquement aux actions de promotion. De même, les établissements d'enseignement supérieur français devraient être proactifs dans leur stratégie d'attractivité, à l'image de la SKEMA Business School dont les étudiants indiens forment le deuxième contingent d'étudiants étrangers. Ce résultat est obtenu grâce à des campagnes de recrutement adéquates, à la conclusion d'accords avec des établissements partenaires, au développement de programmes en anglais et à la présence en Inde de représentants de l'école. Si les actions de terrain sont effectuées, il ne fait aucun doute que l'accord sera un succès et nous permettra d'atteindre l'objectif de 20 000 étudiants indiens en France en 2025.
Dans le domaine économique aussi, il conviendra de mieux communiquer sur les opportunités permises par cet accord, grâce auquel la France pourra attirer de nouveaux talents. Il faut ainsi promouvoir nos instruments et faire connaître les mesures permettant aux salariés détachés français de s'installer plus facilement en Inde.
L'Inde fait partie de ces géants désormais incontournables sur la scène internationale, et dans les relations économiques. Étant particulièrement intéressée par le secteur du numérique et des nouvelles technologies, essentiel à la croissance économique, je connais la grande force de l'Inde dans ce domaine et la qualité de ses ingénieurs et chercheurs. Les acteurs de la Silicon Valley ne s'y sont pas trompés, en recrutant massivement des étudiants et professionnels indiens. Cet accord favorisant les échanges scientifiques, universitaires et la mobilité professionnelle ne peut être que profitable à notre innovation et au dynamisme de notre économie. C'est pourquoi je vous invite à voter sans réserve le projet de loi d'approbation.