Intervention de Sonia Krimi

Réunion du mercredi 5 mai 2021 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSonia Krimi, rapporteure :

Vous venez de répondre, monsieur le président, à plusieurs interrogations dont on m'a fait part au sujet de la procédure, qui est nouvelle pour beaucoup d'entre nous. J'en profite pour remercier chaleureusement l'administrateur de la commission avec qui j'ai travaillé sur ce texte.

Notre collègue Sébastien Nadot et plusieurs membres du groupe Libertés et Territoires ont déposé, le 2 avril dernier, une proposition de résolution visant à la création d'une commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France.

Lors de la conférence des présidents qui s'est tenue le 6 avril dernier, le président du groupe Libertés et Territoires, notre collègue Bertrand Pancher, a fait usage, pour cette proposition de résolution, du droit de tirage que l'article 141 de notre règlement accorde à chaque président de groupe d'opposition ou de groupe minoritaire une fois par session ordinaire.

En application de l'article 140 du règlement, il revient à la commission des affaires étrangères, à laquelle la présente proposition de résolution a été renvoyée, de vérifier si les conditions requises pour la création de cette commission d'enquête sont réunies. Nous ne devons pas nous prononcer sur l'opportunité de la proposition de résolution mais uniquement sur sa recevabilité. Celle-ci est soumise à trois conditions.

Pour être recevables, en premier lieu, les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ». L'article 137 du règlement l'exige.

En l'espèce, les faits sur lesquels la commission d'enquête devra se pencher paraissent définis avec une précision suffisante. Selon l'article unique de la proposition de résolution, la commission d'enquête serait notamment chargée « d'évaluer, en retraçant le parcours des migrants, la réalité des conditions d'accueil et d'accès au droit, notamment à nos frontières, des migrants, réfugiés et apatrides en France au regard du droit international, européen et national ».

L'exposé des motifs précise qu'il s'agira en particulier de déterminer, « de Calais à Menton, de Briançon aux Pyrénées jusqu'à Mayotte, quelles sont les premières confrontations directes des migrants avec l'état de notre droit » et d'expliquer les raisons pour lesquelles « seuls des bateaux d'organisations non‑gouvernementales sillonnent la Méditerranée quand le sauvetage des migrants en mer devrait être assuré par l'UE » (Union européenne).

L'exposé des motifs ajoute qu'une attention particulière devra être portée « aux causes écologiques des migrations, avec l'enjeu de la concrétisation de la déclaration du Président de la République français [e] aux Nations unies du 23 février 2021 à Paris sur la question climatique et les relations internationales » ainsi qu'au « suivi des travaux de la France relatifs au chapitre spécifique dédié aux migrations en relation avec les changements environnementaux dans le cadre de la COP26 qui se tiendra à Glasgow du 1er au 12 novembre 2021 ».

Par conséquent, les faits qui sont l'objet de la commission d'enquête me paraissent déterminés avec précision.

En second lieu, les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sont recevables sauf si, dans les douze mois qui précèdent leur discussion, a déjà eu lieu, avec un objet identique, une commission d'enquête ou une mission d'information effectuée dans les conditions prévues à l'article 145-1 du règlement, c'est-à-dire avec les prérogatives d'une commission d'enquête.

Cette condition est également satisfaite. Aucun rapport récent ne fait obstacle à la création de la commission d'enquête qui est envisagée. Le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques a déposé un rapport sur l'évaluation des coûts et bénéfices de l'immigration en matière économique et sociale, le 22 janvier 2020, mais il n'a pas bénéficié, dans ce cadre, des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête, et l'objet du rapport était très largement différent de celui de la proposition de résolution. Les autres rapports traitant de la question de l'immigration sont plus anciens et n'ont pas davantage donné lieu à l'application des pouvoirs d'une commission d'enquête.

Enfin, aux termes de l'article 139 du règlement, une proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits concernés. L'ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit, quant à elle, que la mission d'une commission d'enquête déjà créée prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter. C'est normal, en vertu de la séparation des pouvoirs.

Le ministre de la justice, M. Éric Dupond-Moretti, a fait savoir, dans un courrier du 20 avril dernier, que « le périmètre de la commission d'enquête envisagée est susceptible de recouvrir des enquêtes en matière d'aide au séjour irrégulier ou de traite des êtres humains ».

L'aide au séjour irrégulier est punie par les articles L. 823-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Est incriminé le fait, pour toute personne, de faciliter ou de tenter de faciliter, par une aide directe ou indirecte, l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un ressortissant étranger. Des immunités sont néanmoins prévues lorsque l'aide à la circulation ou au séjour a été fournie par un ascendant, un descendant ou le conjoint, ou lorsqu'elle a été apportée sans contrepartie et dans un but exclusivement humanitaire.

La traite des êtres humains, quant à elle, est punie par l'article 225-4-1 du code pénal. Elle consiste à recruter, transporter, transférer, héberger ou accueillir une personne à des fins d'exploitation, par exemple dans le cadre du proxénétisme ou du travail forcé – notre collègue Jean-Michel Clément sait très bien quel problème se pose notamment à Poitiers –, avec l'emploi de menace, de contrainte ou de violence, par l'abus d'une situation de vulnérabilité ou encore par la pression exercée par un ascendant ou une personne ayant autorité. Les peines sont alourdies lorsque la traite a été commise hors du territoire français ou lors de l'arrivée de la victime sur notre territoire.

Compte tenu des précisions apportées par le garde des sceaux, la commission d'enquête devra veiller à ne faire porter ses travaux en aucun cas sur des faits d'aide au séjour irrégulier – en dehors des immunités prévues – ou de traite des êtres humains faisant l'objet de poursuites judiciaires. Sous cette réserve, la création d'une commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France apparaît recevable.

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