La séance est ouverte à 17 heures.
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.
Examen, ouvert à la presse, de la recevabilité de la proposition de résolution visant à la création d'une commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides au regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France (n° 4046) ( Mme Sonia Krimi, rapporteure )
La commission examine la présente proposition de résolution au cours de sa réunion du mercredi 5 mai 2021, après-midi.
Notre ordre du jour appelle l'examen, ouvert à la presse, de la recevabilité de la proposition de résolution visant à la création d'une commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France.
Je rappelle qu'en raison de la réunion des ministres des affaires étrangères des pays du G7 qui se tient en ce moment même, à Londres, l'audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, a dû être reportée au mercredi 19 mai à dix-sept heures.
Le texte a été déposé le 2 avril dernier par plusieurs membres du groupe Libertés et territoires. Lors de la conférence des présidents qui s'est réunie le 6 avril, le président de ce groupe a indiqué qu'il entendait exercer son « droit de tirage » annuel en application de l'article 141, alinéa 2, du règlement de l'Assemblée nationale.
La proposition de résolution a été renvoyée à notre commission. Nous devons en examiner la recevabilité au regard des dispositions de notre règlement avant que la conférence des présidents se prononce – elle le fera mardi prochain. À cette fin, Mme Sonia Krimi a été désignée rapporteure lors de notre réunion du 14 avril.
J'appelle votre attention sur les particularités de la procédure, très frustrante, que nous devons suivre.
Il nous est demandé de statuer, à l'exclusion de toute autre considération, sur la recevabilité juridique de la proposition de résolution, compte tenu des dispositions du règlement. Il ne s'agit pas de délibérer de l'opportunité de créer la commission d'enquête ou d'évaluer les termes de la proposition de résolution. Certes, le débat et la parole sont et resteront libres, mais notre vote ne doit porter que sur la question juridique de la recevabilité.
Par ailleurs, nous nous inscrivons dans le cadre d'un droit de tirage d'un groupe minoritaire ou d'opposition. La proposition de résolution ne sera pas examinée en séance publique, autre sujet de frustration… La conférence des présidents y fera droit dès lors que notre commission aura jugé qu'elle est juridiquement recevable.
Vous venez de répondre, monsieur le président, à plusieurs interrogations dont on m'a fait part au sujet de la procédure, qui est nouvelle pour beaucoup d'entre nous. J'en profite pour remercier chaleureusement l'administrateur de la commission avec qui j'ai travaillé sur ce texte.
Notre collègue Sébastien Nadot et plusieurs membres du groupe Libertés et Territoires ont déposé, le 2 avril dernier, une proposition de résolution visant à la création d'une commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France.
Lors de la conférence des présidents qui s'est tenue le 6 avril dernier, le président du groupe Libertés et Territoires, notre collègue Bertrand Pancher, a fait usage, pour cette proposition de résolution, du droit de tirage que l'article 141 de notre règlement accorde à chaque président de groupe d'opposition ou de groupe minoritaire une fois par session ordinaire.
En application de l'article 140 du règlement, il revient à la commission des affaires étrangères, à laquelle la présente proposition de résolution a été renvoyée, de vérifier si les conditions requises pour la création de cette commission d'enquête sont réunies. Nous ne devons pas nous prononcer sur l'opportunité de la proposition de résolution mais uniquement sur sa recevabilité. Celle-ci est soumise à trois conditions.
Pour être recevables, en premier lieu, les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ». L'article 137 du règlement l'exige.
En l'espèce, les faits sur lesquels la commission d'enquête devra se pencher paraissent définis avec une précision suffisante. Selon l'article unique de la proposition de résolution, la commission d'enquête serait notamment chargée « d'évaluer, en retraçant le parcours des migrants, la réalité des conditions d'accueil et d'accès au droit, notamment à nos frontières, des migrants, réfugiés et apatrides en France au regard du droit international, européen et national ».
L'exposé des motifs précise qu'il s'agira en particulier de déterminer, « de Calais à Menton, de Briançon aux Pyrénées jusqu'à Mayotte, quelles sont les premières confrontations directes des migrants avec l'état de notre droit » et d'expliquer les raisons pour lesquelles « seuls des bateaux d'organisations non‑gouvernementales sillonnent la Méditerranée quand le sauvetage des migrants en mer devrait être assuré par l'UE » (Union européenne).
L'exposé des motifs ajoute qu'une attention particulière devra être portée « aux causes écologiques des migrations, avec l'enjeu de la concrétisation de la déclaration du Président de la République français [e] aux Nations unies du 23 février 2021 à Paris sur la question climatique et les relations internationales » ainsi qu'au « suivi des travaux de la France relatifs au chapitre spécifique dédié aux migrations en relation avec les changements environnementaux dans le cadre de la COP26 qui se tiendra à Glasgow du 1er au 12 novembre 2021 ».
Par conséquent, les faits qui sont l'objet de la commission d'enquête me paraissent déterminés avec précision.
En second lieu, les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sont recevables sauf si, dans les douze mois qui précèdent leur discussion, a déjà eu lieu, avec un objet identique, une commission d'enquête ou une mission d'information effectuée dans les conditions prévues à l'article 145-1 du règlement, c'est-à-dire avec les prérogatives d'une commission d'enquête.
Cette condition est également satisfaite. Aucun rapport récent ne fait obstacle à la création de la commission d'enquête qui est envisagée. Le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques a déposé un rapport sur l'évaluation des coûts et bénéfices de l'immigration en matière économique et sociale, le 22 janvier 2020, mais il n'a pas bénéficié, dans ce cadre, des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête, et l'objet du rapport était très largement différent de celui de la proposition de résolution. Les autres rapports traitant de la question de l'immigration sont plus anciens et n'ont pas davantage donné lieu à l'application des pouvoirs d'une commission d'enquête.
Enfin, aux termes de l'article 139 du règlement, une proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits concernés. L'ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit, quant à elle, que la mission d'une commission d'enquête déjà créée prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter. C'est normal, en vertu de la séparation des pouvoirs.
Le ministre de la justice, M. Éric Dupond-Moretti, a fait savoir, dans un courrier du 20 avril dernier, que « le périmètre de la commission d'enquête envisagée est susceptible de recouvrir des enquêtes en matière d'aide au séjour irrégulier ou de traite des êtres humains ».
L'aide au séjour irrégulier est punie par les articles L. 823-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Est incriminé le fait, pour toute personne, de faciliter ou de tenter de faciliter, par une aide directe ou indirecte, l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un ressortissant étranger. Des immunités sont néanmoins prévues lorsque l'aide à la circulation ou au séjour a été fournie par un ascendant, un descendant ou le conjoint, ou lorsqu'elle a été apportée sans contrepartie et dans un but exclusivement humanitaire.
La traite des êtres humains, quant à elle, est punie par l'article 225-4-1 du code pénal. Elle consiste à recruter, transporter, transférer, héberger ou accueillir une personne à des fins d'exploitation, par exemple dans le cadre du proxénétisme ou du travail forcé – notre collègue Jean-Michel Clément sait très bien quel problème se pose notamment à Poitiers –, avec l'emploi de menace, de contrainte ou de violence, par l'abus d'une situation de vulnérabilité ou encore par la pression exercée par un ascendant ou une personne ayant autorité. Les peines sont alourdies lorsque la traite a été commise hors du territoire français ou lors de l'arrivée de la victime sur notre territoire.
Compte tenu des précisions apportées par le garde des sceaux, la commission d'enquête devra veiller à ne faire porter ses travaux en aucun cas sur des faits d'aide au séjour irrégulier – en dehors des immunités prévues – ou de traite des êtres humains faisant l'objet de poursuites judiciaires. Sous cette réserve, la création d'une commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France apparaît recevable.
Merci, madame la rapporteure, pour vos conclusions extrêmement claires sur ce sujet très intéressant, même si nous sommes un peu frustrés pour les raisons que j'ai indiquées tout à l'heure.
Puisqu'il est question de frustration, je vais essayer d'ouvrir un peu la fermeture éclair très étroite par laquelle il a fallu se glisser (Sourires).
Il faut se réjouir que cette procédure ait conduit à saisir la commission des affaires étrangères, et je remercie la rapporteure pour le travail de très grande qualité qu'elle a fait : il nous permet de répondre positivement, sans hésiter, à la question portant sur la recevabilité de la proposition de résolution.
Cette demande de commission d'enquête s'inscrit dans une dynamique de prise en compte des questions migratoires qui est forte depuis le début de la législature. La commission des affaires étrangères s'est positionnée sur ce sujet à de nombreuses occasions. Je veux rendre hommage à Marielle de Sarnez, qui avait exigé, lors de l'examen du projet de loi « asile et immigration », déposé en 2018, que notre commission remette un rapport pour avis sur ce texte. Elle avait créé plusieurs groupes de travail thématiques qui ont permis de présenter une véritable contribution de fond et de remettre la politique migratoire dans la perspective du contexte international.
Je rappelle aussi que le pilotage exclusif de cette politique par le ministère de l'intérieur date de 2007 ou 2008. Deux autres ministères y participaient auparavant : ceux des affaires étrangères et des affaires sociales. Le prisme s'est réduit et on s'est enfermé dans une logique extrêmement « domestique », un peu au détriment de la compréhension globale du sujet.
Marielle de Sarnez a ouvert des perspectives qu'il me paraît utile de rappeler pour éclairer notre réflexion, notamment sur les rapports entre la commission d'enquête qui est envisagée et ce que nous pouvons faire de notre côté.
Il est notamment prévu, depuis 2018, qu'un débat sur les politiques migratoires a lieu tous les ans. Il s'est bien déroulé en 2019, malgré les inquiétudes que certains d'entre nous éprouvaient, mais il n'a pas vraiment eu lieu en 2020. Nous pourrions avoir de nouveau un débat maîtrisé et pondéré à l'automne prochain : cela montrerait que la question migratoire n'est pas un sujet tabou pour les parlementaires, que nous pouvons nous en saisir en adoptant un point de vue équilibré, en dehors des faits divers, dans le cadre d'un rendez-vous démocratique annuel.
Marielle de Sarnez était revenue, dans son rapport, sur le bilan de la politique menée au niveau européen, sur son potentiel et sur les frustrations qui en résultent, étant entendu qu'une bonne partie des outils évoqués par la proposition de résolution n'ont pas connu, en réalité, de développement opérationnel – cela concerne notamment les fonctions d'anticipation, de gestion et d'accompagnement des crises.
La politique migratoire s'incarne dans un cadre géographique – je pense en particulier à l'Afrique, qui a ses propres problématiques. Si on néglige cette réalité, on passe à côté d'une grande partie du débat, qui concerne les pays d'origine, notre rapport avec eux, qu'il s'agisse des questions humaines, de la coopération, des diasporas, de la dimension sécuritaire ou de la gestion des flux.
Mon vœu est que la commission d'enquête qui est proposée puisse voler de ses propres ailes d'une manière compatible avec la mise en valeur des travaux de notre commission et que nous puissions avoir – j'en appelle à vous, monsieur le président – une contribution d'un niveau au moins aussi élevé, pour l'éventuel débat de cette année et la fin de la législature, que celle que Marielle de Sarnez avait permis d'obtenir.
Je crois en effet que nous pouvons mais aussi que nous devons nous occuper de ces affaires.
La question des migrations et de notre politique migratoire est un sujet majeur qui nécessite de notre part une étude particulière. Cette commission d'enquête nous permettra de mieux en appréhender les tenants et aboutissants. Nous avons pu mesurer en rencontrant nos collègues de la commission des affaires étrangères italienne combien la coopération internationale était nécessaire en la matière. Le groupe Socialistes et apparentés répond positivement à la demande de commission d'enquête.
En préalable, puisque Jacques Maire a pris la parole, je voudrais lui apporter le témoignage de ma solidarité et lui dire que pour ma part, tant qu'il n'aura pas l'autorisation de se rendre en Russie, je n'y irai pas non plus.
Merci beaucoup à Sonia Krimi pour son rapport qui permet de cadrer cette commission d'enquête. Je voudrais vous faire part de l'état d'esprit qui anime le groupe Libertés et Territoires pour aborder la question des migrations, des conditions de vie des migrants et de leur accès au droit en France.
Un peu d'histoire. Depuis des siècles, des femmes et des hommes arrivent sur le territoire français, pour de multiples raisons. Certains sont de passage ou repartent, d'autres s'installent. On peut penser à tous les marchands ou banquiers venus d'Italie, d'Allemagne et de Flandre, aux théologiens, aux conseillers, aux ministres comme Mazarin ou Necker, à Catherine de Médicis, reine de France et régente, et aussi à de nombreux artistes. Mais les migrations sont également faites de figures modestes, artisans, domestiques pour une époque, marins, pêcheurs, paysans. Historiquement, il faut avoir en tête que les étrangers sont indispensables à notre pays dans bien des domaines, comme le commerce ou l'armée.
La révolution fonde une nouvelle conception de la nation qui distingue clairement au plan juridique celui qui est étranger et celui qui est citoyen français. Elle proclame l'égalité de tous, mais elle accorde la qualité de Français à ceux qui sont nés sur son sol. En 1804, le code civil ajoute à cette vision de la nationalité la question du droit du sang et de la filiation paternelle notamment.
Avec l'âge industriel, les migrants sont de plus en plus nombreux et viennent de plus en plus loin : on s'éloigne progressivement des pays voisins. En 1881, 3 % de la population en France sont des étrangers, soit un peu plus d'un million de personnes. L'immigration frontalière à ce moment ne suffit plus et corrélativement, le politique se penche sur la question. Pour répondre à la forte présence étrangère, la IIIe République adopte en 1889 une loi qui fixe pour l'avenir un code de la nationalité, valable quasiment jusqu'à aujourd'hui. On peut parler d'une forme d'acquisition de la nationalité par un droit du sol dérivé.
Depuis la révolution française, l'histoire des relations entre Français et étrangers est souvent tumultueuse. On a toujours l'impression qu'elle l'est davantage dans l'histoire récente mais, qu'il s'agisse du relent de xénophobie, de la concurrence de main d'œuvre dans les périodes économiques difficiles ou du rejet de l'autre parce que différent, les problématiques actuelles relatives aux migrations sont finalement assez peu nouvelles.
Ce qui change, c'est la mondialisation et l'insertion de la France dans une forme de souveraineté européenne. En tenant compte des problématiques du changement climatique et des réfugiés climatiques, cette commission d'enquête veut évaluer la politique migratoire française dans son contexte européen et international. Au vu des crispations du débat politique sur le sujet, il me semble nécessaire d'évaluer, en retraçant les parcours, la réalité des conditions d'accueil et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en France au regard du droit international, européen et national.
Lorsque j'ai reçu la convocation à cette réunion, j'ai cherché à comprendre quel serait le sens de notre vote, de notre démarche dans cette procédure. Mais le sujet est extraordinaire, et c'est tout à l'honneur de notre commission et du groupe Libertés et Territoires de s'en emparer.
S'agissant des migrations, il ne faut pas faire l'autruche ; il faut regarder la situation en face, en Europe et dans notre pays, en métropole et outre-mer. Il ne faut notamment pas évacuer la question de Mayotte : dix ans après ce que je nomme la colonisation française de Mayotte, il y a une multitude de questions à se poser.
Tout cela reste un sujet ô combien humain, et humanitaire, comme l'a été notre débat de ce matin sur la République du Congo avec le prix Nobel Denis Mukwege. C'est bien là la particularité de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale : le fait qu'elle n'ait pas fusionné avec la commission de la défense et qu'elle ait aussi à traiter de sujets purement humains.
C'est le cas de celui que nous examinons. Il s'agit de savoir comment on accueille, comment on vit avec les migrants et les réfugiés en France, comment on s'assure que leurs conditions de vie sont dignes d'un pays comme le nôtre et de la fraternité qui doit y régner. Certes ils sont étrangers, migrants, mais ils sont d'abord humains. Le reconnaître et ensuite veiller à ce que toutes nos politiques s'appuient sur cette humanité me paraît essentiel.
Notre commission doit favoriser cette commission d'enquête et lui donner suite. Dans un domaine si vaste, on trouvera toujours un cas qui fait l'objet de poursuites judiciaires. Mais justement, le sujet va bien au-delà d'un examen au cas par cas : il s'agit de politique.
Nous avons discuté encore récemment avec le président de l'Assemblée nationale des débats importants que nous devons oser porter dans l'hémicycle. Celui-ci en est un. L'Assemblée nationale s'honorerait à le faire, et l'état d'esprit dans lequel se trouve le groupe Libertés et Territoires me permet de penser qu'il pourrait en résulter un débat de grande qualité politique plutôt qu'un moment politicien – car, comme on est toujours à l'approche d'élections dans notre pays, une grande question éminemment humaine et politique peut tout de suite être détournée à des fins politiciennes.
Le rapport de Sonia Krimi nous éclaire et nous aide à formuler un avis favorable sur cette proposition de résolution. Mon groupe le fait évidemment, tout en la remerciant pour son travail.
Notre rapporteure a posé les problèmes de façon très intéressante. La sente est étroite, mais nous pouvons nous y engager hardiment. Nous devons même le faire. Nous avons le rapport de Mme de Sarnez, nous aurons un débat sur les migrations et nous pourrons nous servir des travaux de la commission d'enquête qui va sans doute voir le jour. Il s'agit vraiment d'un sujet central pour une commission comme la nôtre et j'apprécie les propos justes et bien pensés que chacun vient de tenir, en particulier M. Lecoq.
Je vous ai exposé tout à l'heure de façon purement technique pourquoi nous devions accepter cette commission d'enquête. Je voudrais maintenant tenir des propos un peu plus politiques. S'il est un domaine où l'on échappe à l'exigence de la vérité, c'est en matière d'immigration. On peut produire tous les rapports qu'on veut, on peut faire la liste de tout ce que l'immigration apporte, il y a toujours une échéance électorale dont il faut tenir compte. Mais en tant que femmes et hommes d'État, nous devons nous inscrire dans le temps long et cette commission d'enquête que nous nous honorerions de créer nous permettrait de le faire. Nous pourrons ainsi, un jour peut-être, établir le lien entre insécurité et pauvreté, insécurité et insalubrité, insécurité et logement, insécurité et manque de travail, tout cela dans l'optique de comprendre et non d'excuser. Je ferme la parenthèse politique.
J'adhère aux propos de Jacques Maire. La question de l'immigration doit s'envisager dans le contexte international, nous n'avons cessé de le dire, presque à l'unanimité, depuis notre arrivée dans cette commission. La parole forte de Marielle de Sarnez nous a apporté beaucoup et nous a aidés à comprendre et à aller plus loin. Oui, il faut que le débat prévu à l'Assemblée nationale ait bien lieu tous les ans, pour apporter un peu plus de vérité à ce sujet qui en manque. Par ailleurs, le fait que depuis 2007 le ministère de l'intérieur accapare le sujet de l'immigration le rend totalement « politicard ». À titre personnel, je souhaite moi aussi que les ministères des affaires étrangères et des affaires sociales y prennent de nouveau toute leur part.
Je ne peux qu'être d'accord avec les propos d'Alain David, et je le remercie de son soutien. Quant à Sébastien Nadot, qui a écrit cette proposition de résolution et dont je sais l'attachement au sujet, j'espère qu'il participera à la commission d'enquête. Nous partageons beaucoup de convictions en la matière.
Il a aussi été question de la situation outre-mer. J'ai eu l'occasion de me rendre à Mayotte pour une enquête qui ne dit pas son nom sur la rétention des mineurs sur l'île : c'est un véritable drame humain qui se déroule là-bas, et qui est le berceau du conspirationnisme et de nombreuses difficultés qui ne peuvent qu'empirer si nous laissons les choses en l'état.
Bravo pour vos interventions, bravo à Sébastien Nadot pour cette proposition de résolution à laquelle je suis favorable.
Toutes les positions exprimées sur le sujet des migrations ne sont pas nécessairement dictées par des considérations électoralistes ou politiciennes. C'est une très redoutable question, où se mêlent des pressions contradictoires et des considérations délicates. Dans certains cas de demandes d'asile ou de situation irrégulière, on se trouve confronté à de véritables dilemmes, qui ne connaissent pas de solution vraiment satisfaisante. C'est un problème vital pour notre société : nous devons l'aborder, et cela avec la hauteur de vue, la générosité et le sens des responsabilités qui caractérisent les membres de notre commission. C'est dans cet état d'esprit que la commission d'enquête a été proposée.
En application de l'article 140, alinéa 2, du règlement, la commission constate que les conditions requises pour la création de la commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France sont réunies.
Puisque vous être présent, monsieur Maire, souhaitez-vous dire à notre commission ce que vous attendez de nous à la suite des sanctions, mesures iniques, dont vous avez été l'objet de la part d'un État étranger ? Que pourrait faire la commission ? Réunis hier avec le président de l'Assemblée nationale, les membres du bureau de la commission ont évoqué votre cas. Certes, ce n'est pas en tant que député national que vous êtes victime de l'ire de monsieur Poutine mais vous êtes membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe parce que vous êtes député français ; votre cas concerne donc notre assemblée. Je serai heureux de vous entendre après avoir entendu le Gouvernement lors de la séance de questions. Sachez que nous sommes extrêmement solidaires et sensibles à la summa injuria qui vous est faite et, à travers vous, est faite à la représentation parlementaire française.
Comme vous le savez le statut de la Russie n'est pas le même auprès de l'Union européenne et au Conseil de l'Europe où elle est un État membre depuis 25 ans ; elle a célébré le 25e anniversaire de son adhésion il y a trois mois. Elle a fait l'objet en 2015 de sanctions pour avoir envahi un État voisin membre du Conseil de l'Europe. La Russie a fait tous ses efforts pour revenir au sein de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe malgré ces sanctions, ce qui s'est réalisé en 2019 sous présidence française avec le soutien unanime des parlementaires et des groupes de la délégation parlementaire française.
Les règles de répartition font effectivement que tous les groupes ne sont pas représentés à Strasbourg. La Russie est donc de nouveau membre de plein droit de l'Assemblée parlementaire ; cela a été motivé par la protection que constituent la Cour européenne des droits de l'homme et la convention européenne des droits de l'homme pour les citoyens russes. Une forme de pari était ainsi faite : nous attendions que la Russie entrât dans un respect à la fois du fond et des procédures.
Les attentes des Européens ont été relativement déçues, sans prendre un caractère vital jusqu'à ce que survienne le supposé empoisonnement d'Alexeï Navalny en août 2020. Quand une action pose un problème majeur, comme l'atteinte à la vie d'un opposant politique très important, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe engage systématiquement une mission d'enquête à travers un dispositif assez simple de la commission juridique. J'ai ainsi été mandaté en tant que député français et président du groupe libéral dans cette assemblée, pour la raison que les Français ne sont pas considérés comme antirusses et offraient donc une garantie de neutralité. Il n'y pas eu d'opposition de la Russie à ma désignation. Le travail sur l'empoisonnement a été intense ; il a duré quatre à cinq mois. Il a donné lieu à très peu de contributions de la part de la Russie car ce sujet la gênait : pas d'opposition, pas d'obstacle mais très peu de contribution. J'ai ainsi pu rencontrer des témoins et Alexeï Navalny.
Ce travail est passé au second plan quand Alexeï Navalny est rentré, le 17 janvier 2021, sur le territoire russe et mis en prison sur la base d'une décision de l'administration pénitentiaire pour non-respect de son obligation de contrôle judiciaire en vertu d'un jugement lui-même considéré comme infondé en droit par la Cour européenne des droits de l'homme mais confirmé dans l'essentiel de ses éléments par la Cour suprême russe. En fait, la base juridique de l'internement puis de la nouvelle condamnation d'Alexeï Navalny était donc déjà allée au bout du processus de contestation devant la Cour européenne des droits de l'homme. Le cas est sensible puisque nous sommes face à des décisions contradictoires de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour suprême russe. L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a donc, à nouveau, décidé de nommer un rapporteur ; les mêmes causes produisant les mêmes effets, on m'a demandé d'être à nouveau rapporteur.
La Russie a joué un certain rôle dans le processus contradictoire engagé en se montrant plus ouverte à des contributions pour cette nouvelle enquête par rapport à la précédente. L'enquête a été beaucoup plus facile parce que ni les faits ni les jugements n'étaient contestés, il n'y avait qu'à qualifier juridiquement les faits et estimer la validité juridique des différentes décisions de justice. À mesure que l'emprisonnement d'Alexeï Navalny devenait un enjeu européen la contribution russe s'est faite de plus en plus tenue. Il a donné lieu à des sanctions réciproques entre l'Union européenne et la Russie. Le rapport sur cet emprisonnement a été déposé le 25 avril et voté à une immense majorité. Il qualifie l'emprisonnement d'infondé en droit et de politiquement motivé, et demande la libération immédiate d'Alexeï Navalny ainsi que la visite immédiatement du comité de prévention de la torture, qui est de droit, et l'accès à des médecins indépendants, qui est de droit dans le droit russe, et demande qu'au cas où la Russie ne libèrerait pas Alexeï Navalny le comité des ministres de juin prochain engage un dialogue de convergence, voire une procédure de sanction en fonction du résultat de cette médiation.
La Russie a finalement décidé, sans en avoir donné des signes avant-coureur, d'assimiler le rapporteur de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe aux autres acteurs de l'Union européenne. Est-ce une erreur d'appréciation ? Est-ce délibéré ? Est-ce amalgamer l'Union européenne et le Conseil de l'Europe ? Cela pose en tous les cas problème au Conseil de l'Europe qui a un mode de fonctionnement et un rapport à la Russie totalement différent. La question de la signification de cette décision a été réellement posée à la Russie. Je dirais simplement qu'en décidant de cette sanction la Russie se pose à elle-même deux problèmes importants : elle s'interdit de contribuer plus avant à cette mission, or des visioconférences avec des autorités gouvernementales avaient été prévues, et d'avoir accès aux rapporteurs : elle se pénalise donc. Elle remet aussi en cause, au travers de mon interdiction d'accès au territoire russe, le principe de l'immunité dont bénéficient les parlementaires de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur tous les territoires des membres. L'immunité des parlementaires russes qui sont déjà sous sanction se trouve donc en question. Les conséquences de la décision russe vont donc bien au-delà de ce qu'elle avait pu imaginer. La visibilité de ma mission est renforcée. La coalition d'acteurs derrière mon rapport est renforcée ainsi que le soutien international de ma mission.
L'expression de l'Assemblée nationale est, à cet égard, très important. Les sanctions sont souvent prononcées pour décrédibiliser le rapporteur. J'ai moi-même fait l'objet d'opérations de déstabilisation de la part d'acteurs russes : par exemple, des conversations téléphoniques privées ont été diffusées sur des médias russes, ce qui n'est pas acceptable. Il y a une volonté de décrédibiliser le rapporteur qui a eu pour conséquence de souder les forces en présence derrière le rapporteur. Ce que vous pouvez donc faire est de me soutenir et ensuite rappeler, puisque je suis dans cette assemblée un représentant du parlement français, que les rapporteurs puissent avoir un accès au territoire russe et faire leur travail de façon correcte.
Je vous remercie infiniment. Votre exposé était extrêmement clair. Beaucoup de choses sont graves dans cette affaire, mais ce qui est très grave est que la mesure dont vous êtes l'objet et la victime est une mesure qui frappe l'activité parlementaire qui est la vôtre, activité parfaitement régulière, balisée, qui correspond à l'exercice d'une compétence de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et qui met effectivement en cause la nature même de l'adhésion des Russes à cette procédure : ce qui est remis en cause ce ne sont pas les prises de position de monsieur Maire mais la règle même de fonctionnement de l'institution dont ils font partie. Il y a là une mise en cause de principe très préoccupante.
La Russie est représentée par différents groupes à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Quels sont-ils ? Quelle a été leur attitude ? Relaient-ils positivement la démarche du Conseil de l'Europe ? Le rapporteur peut-il s'appuyer sur les représentants de l'opposition russe ? Le rapport n'a pas été adopté à l'unanimité ; sont-ce des individualités ou des groupes qui ont pris position contre le rapport ?
Les Russes sont, en général, non-inscrits pour la raison qu'aucun groupe, aujourd'hui, ne correspond à leur sensibilité. Je crois que des députés russes sont membres du groupe pour la gauche unitaire européenne mais ils ne se sont jamais distingués. La délégation russe a une obligation de coopérer pour l'accès aux autorités du pays. Nous nous sommes sentis dans une situation ambiguë dans la mesure où la délégation russe avait accru les manifestations de bonne volonté depuis six mois pour les échanges et les facilitations de contact sur des sujets sensibles comme Navalny ou les prisonniers politiques. Des choses ont été faites. Il y a eu également des ouvertures russes sur des sujets périphériques comme le covid-19. Ces offres de coopération ont relevé de la mise en œuvre du mandat de retour au sein de l'Assemblée depuis 2019. Ma perspective aujourd'hui est que le sujet devient trop difficile ou trop sensible pour que la délégation russe estime pouvoir agir de façon autonome. Il est vrai qu'au sein de la délégation russe le débat du 25 avril s'est très bien passé, j'en remercie les Russes ; il a donné lieu à des échanges d'arguments modérés, ce qui n'avait pas toujours été le cas. Les votes négatifs sont essentiellement venus des Russes, de quelques Arméniens, Azerbaïdjanais et Serbes. L'enjeu au titre des groupes politiques est moins important que le positionnement d'État à État pour quelques délégations, ce qui n'est pas dans l'esprit de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
Cet échange était précieux ; ce n'était pas un débat. Mais votre présence était l'occasion de vous entendre. Votre témoignage était extrêmement retenu, équilibré, modéré, et de ce fait d'autant plus redoutable.
La séance est levée à 17 h 55.