Tout d'abord, je souhaite vous présenter les sujets qui seront abordés lors du Conseil des affaires étrangères réunissant les ministres du commerce qui se tiendra le 20 mai 2021 à Bruxelles.
Quelques semaines après la communication de la Commission européenne sur la révision de la politique commerciale de l'Union, nous évoquerons cette nouvelle stratégie. Nous aborderons également la relation transatlantique ; nous aurons l'occasion d'échanger en visioconférence avec Katherine Tai, la nouvelle représentante au commerce des États-Unis (USTR). Nous préparerons la prochaine réunion MC12 de l'Organisation mondiale du commerce ; nous aurons le plaisir d'accueillir pour le déjeuner Mme Ngozi Okonjo-Iweala, la nouvelle directrice générale de l'OMC, laquelle a nommé un Français, M. Jean-Marie Paugam, parmi les quatre directeurs généraux adjoints de l'institution. Ce grand diplomate contribuera à porter le message de l'Europe et à renouveler cette institution si importante pour le commerce international. Nous évoquerons les instruments à l'ordre du jour des institutions européennes, ainsi que l'accord avec le Mercosur.
Dans sa communication, la Commission européenne a repris nombre de propositions que la France avait formulées dans le cadre de ses prévisions sur la stratégie de la politique commerciale de l'Union. Elles mettent l'accent sur l'autonomie stratégique plus encore que sur l'ouverture, même si nous nous accordons sur le constat que nous vivons dans un monde ouvert. Nous voulons bâtir une politique commerciale plus affirmée, qui nous permette de mieux défendre nos entreprises et celles et ceux qui y travaillent, une politique commerciale plus durable et plus juste.
Nous avons besoin d'une position claire du Conseil des affaires étrangères (CAE) en matière de développement durable, qui fasse de l'Accord de Paris sur le climat une clause essentielle des futurs accords de libre-échange. Nous l'avons inscrit dans l'accord de commerce et de coopération entre l'Union européenne et le Royaume-Uni ; il est au cœur du Green deal européen ; il doit être inscrit dans l'accord avec la Nouvelle-Zélande en cours de rédaction.
Nous pensons également que l'Union européenne doit réviser le plan d'action en quinze points pour la mise en œuvre des engagements sociaux et environnementaux, afin de prévoir des sanctions si nos partenaires ne respectent pas ces engagements. Nous devons travailler à mettre en place un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, en l'inscrivant dans le cadre de l'OMC afin qu'il ne soit pas perçu comme une pratique protectionniste. Nous voulons également que le texte du CAE annonce la création d'un instrument autonome de lutte contre la déforestation importée et qu'il affirme le devoir de diligence des entreprises au niveau européen. En outre, nous cherchons à élaborer un instrument pour lutter contre des importations de produits issus du travail forcé. Nous sommes en effet convaincus que la politique commerciale peut être un levier pour avancer sur des sujets qui ne sont pas directement commerciaux ou économiques.
Nous voulons que la politique commerciale de l'Union européenne soit au service d'une concurrence équitable, qu'elle crée le terrain nécessaire pour que la concurrence puisse s'exercer. Pour cela, il faut permettre au procureur commercial, M. Denis Redonnet, récemment nommé chief trade enforcement officer, d'exercer pleinement son rôle pour nous assurer que nos partenaires respectent leurs engagements. Afin de protéger nos entreprises ainsi que celles et ceux qui y travaillent contre les pratiques déloyales, nous voulons élaborer un instrument international sur les marchés publics (IPI) pour exiger de nos partenaires qu'ils ouvrent leurs marchés publics aux entreprises européennes comme nous le faisons envers eux, ce qui constituerait une avancée considérable en matière de réciprocité. En outre, nous voulons nous doter d'un instrument de lutte contre les subventions étrangères, afin d'empêcher des entreprises étrangères d'acquérir des entreprises européennes grâce à des subventions de leur État ou d'empêcher des entreprises de répondre à des marchés publics si elles reçoivent des aides de leur État, qui créent une concurrence déloyale par rapport aux entreprises européennes.
Nous voulons aussi créer un instrument de lutte contre les pratiques coercitives. En effet, nous ne disposons pas actuellement de moyen juridique pour réagir face à un pays qui prend des mesures tarifaires illégales, c'est-à-dire qui ne sont pas validées par l'OMC. Nous devons engager une démarche auprès de l'OMC, ce qui demande plusieurs mois ; c'est seulement une fois que l'OMC a statué que nous pouvons juridiquement prendre des mesures de représailles. Avec un tel outil, nous aurions la possibilité de réagir tout de suite et fortement pour dissuader nos partenaires de persévérer dans ce genre de pratique ou pour réagir et protéger nos entreprises.
Il est donc nécessaire à nos yeux de maintenir un équilibre entre l'ouverture des marchés, la protection des entreprises et le souci du développement durable. Un tel équilibre est difficile à trouver car les différents pays ont des approches distinctes. Cependant, nous avons des « affinitaires », comme les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique, la Grèce ou la Pologne. Ainsi, les Pays-Bas, qui ont une vision très ouverte du marché européen, ont évolué pour se rapprocher de nos positions. De nombreux États restent à convaincre, ce que nous nous employons à faire.
Voilà les sujets que nous discutons avec les autres États membres en amont du CAE, afin de nous assurer que la contribution des États membres ne soit pas moins volontariste que la communication de la Commission européenne en la matière, en particulier à travers le Green deal avancé par la présidente de la Commission.
Comme vous le savez, les États-Unis nous ont envoyé des signaux très positifs depuis l'arrivée du président Joe Biden. Il a levé le veto à la nomination de Mme Ngozi Okonjo‑Iweala à la direction générale de l'OMC, dont la candidature était soutenue par l'Europe. Les États-Unis ont réintégré l'accord de Paris ; ils ont pris la décision de revenir à la table des négociations sur l'imposition des services numériques, notamment sur les questions d'imposition minimale et de localisation de l'impôt sur le lieu de l'activité.
Nous avons obtenu un moratoire de quatre mois dans le cadre du contentieux entre Boeing et Airbus. Ce bon signal envoyé par l'administration américaine n'est pas seulement une manifestation de la bonne volonté des États-Unis. Il résulte également du fait que nous avons su, quelques mois auparavant, affirmer notre puissance. Nous avons en effet pris la décision, après avoir obtenu l'autorisation de l'OMC et malgré les réticences de certains, d'appliquer des droits de douane sur des produits américains et sur l'aéronautique, en réponse aux tarifs douaniers qui nous ont été imposés par les Américains. Dès que nous avons appliqué ces droits de douane, nous avons vu changer l'attitude des États-Unis : ils sont revenus à la table des négociations avant même le changement d'administration, parce que les producteurs américains dans le domaine de l'agriculture et de l'aéronautique ont poussé l'administration à trouver une solution à ce contentieux avec l'Europe, pénalisés qu'ils étaient par les tarifs douaniers que nous appliquions à leurs produits. Affirmer notre souveraineté a permis de rééquilibrer notre relation avec les États-Unis et d'être traité comme un partenaire égal.
Nous devons absolument sortir par le haut de ce contentieux et trouver, dans le cadre de l'OMC, une solution acceptée par les deux parties pour que les États-Unis et l'Europe encadrent le financement de leur aéronautique. Les discussions continuent. Ainsi, le 17 mai 2021, la Commission européenne et les États-Unis ont conclu un accord afin de repousser au-delà du mois de juin la deuxième tranche de mesures de rééquilibrage dans le contentieux sur l'aluminium et l'acier, alors que l'augmentation les droits de douane sur certains produits américains au 1er juin 2021 inquiétait de nombreux producteurs de vins et de spiritueux et mettait en péril la désescalade des tensions entre l'Union européenne et les États-Unis. Nous travaillons à ce que les États-Unis retirent leur imposition sur l'acier des produits européens et nous cherchons une solution globale à la surcapacité de production d'acier qui est au cœur de cette compétition.
En somme, nous avons encore d'importants dossiers à régler avec les États-Unis, comme le contentieux Airbus-Boeing ou le contentieux sur l'acier, mais nous avançons dans le bon sens. Nous restons très vigilants en ce qui concerne l'utilisation extraterritoriale du droit américain et du dollar au service de pratiques déloyales. Les Européens ne peuvent continuer d'accepter que les États-Unis, ou demain d'autres pays, comme la Chine, décident avec qui l'Europe peut commercer.
Il est important de relancer le fonctionnement de l'OMC. La nomination de Mme Ngozi Okonjo-Iweala à la direction générale et de M. Jean-Marie Paugam comme directeur général adjoint sont des atouts pour cette relance. Nous avons besoin d'engager les États-Unis dans ce mouvement, en nous appuyant sur leur désir de revenir dans les institutions multilatérales. Nous envisageons également de travailler avec eux à la constitution d'un conseil du commerce et des technologies.
Par ailleurs, les tensions avec la Chine rendent inenvisageable pour la France de signer l'accord global sur les investissements avec la Chine (CAI), alors que la Chine a décidé de sanctions contre des parlementaires européens.
Enfin, nous avons établi avec la Commission européenne et les autres États membres un plan d'action pour mettre en œuvre l'accord économique et commercial global entre l'Union européenne et le Canada, le CETA. Nous procédons actuellement à l'évaluation de sa mise en œuvre provisoire, en attendant son éventuelle ratification, que nous souhaitons. Cet accord est très bénéfique pour l'Union européenne ; en particulier, il a permis à la France d'augmenter ses exportations vers le Canada de 24 %, notamment dans le secteur agricole, en particulier grâce aux exportations de fromage, de vins et de spiritueux, de matériel de transport ou de matières liées à l'équipement mécanique. Pour l'instant, nous n'avons pas constaté d'impact négatif sur les quelques filières agricoles sensibles au sujet desquelles nous demeurons très vigilants. Nous travaillons au renforcement des contrôles des normes sanitaires et phytosanitaires des produits agricoles et agroalimentaires qui entrent en Europe. Nous n'avons pas fini le processus de ratification, qui doit encore être voté par le Sénat, mais nous ne sommes pas parmi les derniers États membres à le faire, puisque l'Allemagne, notamment, n'a pas encore commencé à ratifier le texte. Lorsque nous disposerons de suffisamment d'éléments d'évaluation, nous le mettrons à l'ordre du jour du Sénat.