Intervention de Sira Sylla

Réunion du mercredi 19 mai 2021 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSira Sylla, rapporteure :

Il m'appartient de vous présenter aujourd'hui les conventions d'extradition et d'entraide judiciaire en matière pénale conclues avec le Mali, dont il vous est demandé d'autoriser l'approbation. Ces conventions ont été signées à Bamako en 2019. Elles traduisent concrètement les réflexions d'un groupe de travail conduit par le ministère français de la justice et consacré à l'entraide pénale avec les principaux États de la région.

La France est liée au Mali par un accord de coopération judiciaire signé en 1962. Des évolutions majeures sont intervenues depuis. La criminalité organisée s'est internationalisée et complexifiée, et des réseaux de trafics d'êtres humains, de stupéfiants, d'armes, d'or, exercent leurs activités dans la bande sahélo-saharienne, étendant leurs ramifications en Europe.

Par ailleurs, les pays de la région font face depuis plusieurs années, dans des proportions inconnues jusqu'alors, à une menace terroriste qui continue malheureusement à faire de nombreuses victimes. Je voudrais ici avoir une pensée pour notre compatriote journaliste Olivier Dubois, enlevé à Gao le 8 avril dernier et aujourd'hui entre les mains du groupe de soutien à l'islam et aux musulmans, une branche locale d'Al Qaïda.

La frontière entre criminalité organisée et terrorisme est très poreuse. Les autorités françaises peuvent avoir à connaître de ce type d'affaires lorsque des ressortissants français figurent parmi les victimes, qu'ils sont au contraire mis en cause, ou encore que les dossiers concernés sont susceptibles d'avoir des répercussions pour la sécurité de notre pays. En sens inverse, les autorités maliennes ont besoin de la coopération des juridictions françaises dans un certain nombre de dossiers sensibles.

L'accord bilatéral de 1962 n'est plus adapté, dans bien des domaines, aux nouveaux défis posés par la criminalité organisée et par le terrorisme. L'exécution des demandes françaises d'entraide et d'extradition se révèle particulièrement lente. Les deux conventions que nous examinons visent donc à rénover un cadre juridique devenu obsolète, notamment en vue de favoriser une exécution plus rapide et plus efficace des demandes. Elles visent aussi à prendre en compte les bouleversements techniques et technologiques intervenus depuis 1962, en particulier la généralisation du numérique et la dématérialisation.

Ces conventions organisent de manière claire les modalités de communication et de transmission des demandes d'entraide et d'extradition, notamment dans les cas les plus urgents. Elles posent expressément une obligation de célérité. Je rappelle à toutes fins utiles, et pour éviter toute ambiguïté, que l'extradition n'a rien à voir avec le droit des étrangers. Elle vise à remettre l'auteur d'un délit ou d'un crime à un autre État pour qu'il puisse y être jugé ou y exécuter sa peine. Elle a pour objet d'empêcher que l'auteur d'une infraction d'une certaine gravité aille chercher refuge dans un autre État pour ne pas avoir à répondre de ses actes.

La convention d'entraide judiciaire, en particulier, permet de recourir aux techniques modernes d'enquête telles que les auditions par vidéoconférence, les demandes d'informations en matière bancaire, les saisies et confiscations d'avoirs criminels, les interceptions de télécommunications, les livraisons surveillées et les opérations d'infiltration, autant de domaines qui n'étaient pas couverts par l'accord de 1962 et qui constituent aujourd'hui des outils essentiels dans la lutte contre la criminalité et le terrorisme.

Ces conventions prévoient les garanties indispensables qui doivent entourer ce type de procédure. L'entraide peut ainsi être refusée si la demande se rapporte à des infractions politiques. Les témoins, experts ou personnes poursuivies, lorsqu'elles sont appelées à comparaître devant les autorités judiciaires du pays demandeur, bénéficient d'immunités précisément définies.

De même, l'extradition ne saurait être accordée lorsque les infractions reprochées sont de nature militaire ou politique ou s'il existe des raisons sérieuses de croire que l'extradition a été demandée en vue de poursuivre ou de punir une personne pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques. Par ailleurs, en vertu du principe de spécialité, une personne ne pourra être poursuivie pour un fait autre que celui ayant motivé son extradition.

Une clause excluant l'extradition lorsque l'infraction concernée fait encourir la peine de mort a aussi été insérée, alors même que le Mali est abolitionniste de fait depuis 1981. L'extradition n'est possible que si la partie requérante donne des assurances suffisantes que la peine capitale ne sera pas requise et que, si elle est prononcée, elle ne sera pas exécutée.

Les deux conventions comportent également des garanties pour la protection des données personnelles.

Les textes négociés ont fait l'objet d'une élaboration attentive, largement inspirée des mécanismes de coopération de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe. Ils sont très proches des conventions signées avec le Burkina Faso et le Niger en 2018, dont nous avons autorisé l'approbation en janvier dernier.

Les moyens budgétaires et techniques du Mali ne lui permettront peut-être pas d'utiliser immédiatement l'ensemble des techniques modernes d'audience ou d'enquête rappelées plus haut. Il est toutefois important que le cadre juridique soit posé, quitte à ce que le recours à ces techniques se développe par la suite. À la France d'apporter son aide matérielle, financière et opérationnelle pour faciliter ce recours. Notre pays s'y emploie d'ailleurs déjà, par l'intermédiaire de l'Agence française de développement ou de programmes de formation des magistrats africains.

Cette aide de la France est un complément indispensable de notre soutien militaire. Il ne suffit pas en effet de remporter des victoires sur le terrain et d'appréhender un certain nombre de membres présumés de groupes armés si ces victoires ne trouvent pas un relais judiciaire et étatique. Ce dernier aspect a d'ailleurs été expressément conçu comme l'un des quatre piliers de la coalition pour le Sahel, lancée lors du sommet de Pau du 13 janvier 2020. Ces piliers sont : la lutte contre le terrorisme ; le renforcement de l'appareil militaire, grâce au partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel ; l'appui au retour de l'État et au redéploiement des services régaliens – police, gendarmerie et douanes – sur l'ensemble du territoire malien, très centralisé ; et le développement.

C'est sur la base de ce soutien global et intégré que nous pourrons œuvrer efficacement à la lutte contre la criminalité et le terrorisme avec nos partenaires maliens, à qui nous unissent non seulement une culture juridique et administrative commune mais aussi des liens d'amitié anciens et solides.

L'approbation de ces conventions me paraît donc particulièrement opportune et bienvenue. C'est pourquoi je vous invite à adopter ce présent projet de loi.

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