Intervention de Sylvain Waserman

Réunion du mercredi 19 mai 2021 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvain Waserman, rapporteur :

Pourquoi ai-je souhaité être rapporteur pour ce texte ? D'abord parce que le sujet, apparemment abstrus, me rappelle de très bons souvenirs : la première fois que j'ai entendu parler des TBI, les traités bilatéraux d'investissement, je travaillais au cabinet de Peter Mandelson, alors commissaire européen au commerce. Ensuite, parce qu'il est hautement symbolique d'une étape de la construction de l'Union.

Dans les années 1990, alors que l'élargissement de l'Union se faisait pressentir, la Commission a fortement insisté sur l'importance de développer les investissements des États membres dans les pays en cours d'adhésion. Se sont alors multipliés les accords bilatéraux destinés à sécuriser de tels investissements, en particulier ceux consentis dans les pays d'Europe de l'Est. Ces pays n'étant pas soumis aux règles de l'Union, cette sécurisation était nécessaire, ainsi que la définition des règles d'arbitrage en cas de litige : après la chute du rideau de fer, les droits nationaux des pays en question n'étaient pas assez sécurisants pour les investisseurs d'Europe de l'Ouest. Deux cents accords ont ainsi été signés, dont douze impliquant la France.

Les choses se sont corsées en 2004, lorsqu'une entreprise néerlandaise, Eastern Sugar BV, a attaqué la République tchèque, à propos d'un sujet mineur. Les États se sont alors demandé si les accords bilatéraux avaient un sens eu égard au droit européen, et quelle place leur donner du point de vue juridique. À l'époque, la Commission européenne, à chaque affaire de ce genre, jouait le rôle d' amicus curiae, intervenant dans les arbitrages et dans l'ensemble de la réflexion juridique comme témoin et pour donner son avis, selon lequel il fallait que le droit européen se substitue à tous ces accords bilatéraux.

Le moment déterminant se situe en 2018, à propos d'une affaire engagée plusieurs années auparavant – la fameuse affaire Achmea, du nom d'une entreprise qui avait investi 70 millions d'euros en République slovaque lors de la libéralisation de l'assurance maladie. Deux ans après, la République slovaque avait fait marche arrière et ne souhaitait plus cette privatisation, d'où le litige. En 2018, la Cour de justice européenne a tranché en considérant que les accords bilatéraux, notamment parce qu'ils font appel à l'arbitrage privé, n'ont plus de sens dans l'édifice juridique européen et que l'on doit y mettre un terme.

À la suite de cette décision, les États européens ont souhaité sortir de manière coordonnée de l'ensemble de ces accords dès lors qu'ils concernent l'échelon intra-européen. C'est ce qu'il est proposé aujourd'hui de faire pour les douze accords engageant la France. Cette démarche, je le répète, s'opère en coordination avec la plupart des pays européens – vingt-trois en tout – ce qui est heureux. Elle est le symbole de la fin d'un modèle d'arbitrage privé, affranchi du droit national et du droit européen, au profit d'un modèle intra-européen qui relève pleinement du droit des États membres – empreint des règles européennes – et, le cas échéant, de l'arbitrage de la Cour de justice de l'Union.

Pour toutes ces raisons, je suis très favorable à la ratification de l'accord.

Plusieurs questions se posent. D'abord, qu'en est-il des affaires en cours – une trentaine, dont plusieurs concernant des entreprises françaises ? Le texte propose un système destiné à permettre un accord à l'amiable grâce à un dispositif spécifique de dialogue.

Ensuite, et je réponds là à une question que M. Lecoq n'aurait pas manqué de poser, l'arrêt Achmea s'applique-t-il au Traité sur la charte de l'énergie ? À ce sujet, deux écoles de pensée s'affrontent. Pour l'une, toutes choses égales par ailleurs, c'est bien le cas, de sorte que l'arrêt Achmea aboutira à mettre un terme au Traité sur la charte de l'énergie. Pour l'autre, il faudrait au contraire une démarche spécifique. Dans leur grande sagesse, les pays européens et leurs juristes ont décidé de ne pas traiter le sujet dans l'accord que nous examinons, de crainte de fragiliser le texte en créant de la division alors que la question de l'arbitrage privé fait l'unanimité. On a donc choisi d'interroger la Cour de justice de l'Union européenne sur l'application de l'arrêt Achmea au Traité sur la charte de l'énergie. La décision de la Cour permettra au législateur de trancher ce point dans les mois à venir.

Ce texte est important : c'est le symbole de la fin des traités bilatéraux, le moment où l'on dit enfin qu'il n'y a pas lieu, au sein de l'Union européenne, de recourir à l'arbitrage privé puisque nos institutions peuvent traiter les litiges. En remerciant vivement les services de leur aide, je vous invite à voter ce projet de loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.