Monsieur le ministre, la France a évacué 600 personnels afghans en mai 2021, ce qui montre bien que le ministère avait conscience de la dégradation de la situation. Il aura pourtant fallu attendre le 15 août pour assister à deux semaines d'évacuation dans l'urgence absolue. Comment se fait-il que, d'après le décompte du journaliste Quentin Müller, seuls 15 auxiliaires, sur les 170 recensés, aient été rapatriés avec leurs familles ? Ce journaliste estime que le Gouvernement veut éviter de créer un précédent juridique avec le cas des Afghans. Qu'en est-il ? Plus généralement, je n'ai pas entendu dans vos propos la formulation d'une véritable stratégie politique, qui dépasse le simple constat d'une situation.
Ce dont nous devrions parler, face au fiasco qui se déroule sous nos yeux en Afghanistan, c'est de l'efficacité de la guerre au terrorisme. Nous sommes plus qu'en droit de nous interroger. Nous devrions parler de nos relations avec les États-Unis, de notre dispositif diplomatique et des prises de position de la France. Tout cela nécessite des débats démocratiques, notamment avec la représentation nationale dans son ensemble et pas uniquement avec la commission des affaires étrangères.
En Afghanistan, le cap démocratique a été clairement raté. Il serait bon que le Mali ne devienne pas pour la France ce que l'Afghanistan a été pour les États-Unis. Monsieur le ministre, à quand un grand débat dans l'hémicycle ? Je sais que vous réfutez l'analogie entre la question afghane et la situation au Sahel ; pour nous, elle coule de source. Certes, la France est intervenue à la demande des autorités locales, mais il faut bien constater que l'intervention armée n'a en rien amoindri le vivier terroriste que constitue le nord du Mali. Tandis que vous avez décidé, sans en rendre compte devant la représentation nationale, de modifier le cadre de notre intervention au Mali à l'horizon 2022, un acteur privé, la société russe Wagner, serait sur le point de conclure un contrat de sécurité avec les autorités maliennes, alors même que les exactions de ses bandes de mercenaires sont de notoriété publique et que leur intervention est tout sauf un remède au djihadisme endémique sévissant au Sahel.
Par ailleurs, vous affichez une proximité avec le Qatar, qui est du reste l'un de nos plus gros clients en matière d'armement. Je suis un peu subjuguée par le ton sur lequel vous rapportiez tout à l'heure vos négociations avec les Qataris, que vous semblez considérer comme des interlocuteurs privilégiés pour parler aux talibans. Il faudrait déjà se demander si l'on doit et si l'on peut négocier avec les talibans ! Les cinq points que vous avez énoncés me laissent de glace. Demander ce que vous demandez aux talibans, c'est comme demander à une vache de manger de la viande. Tout cela n'a aucun sens.
Je vous rappelle que le Qatar est un financeur important de l'islam radical en France, qu'il investit dans les quartiers populaires, qu'il est soupçonné de financer le terrorisme, par exemple en Somalie, que plus de 6 500 travailleurs migrants sont morts depuis l'attribution du Mondial de football en 2010, et que les exécutions capitales y ont repris après une trêve de vingt ans. Vous devez aussi savoir, monsieur Le Drian, que c'est depuis le Qatar que le mollah Abdul Ghani Baradar, cofondateur et numéro 2 des talibans, dirigeait le bureau politique du mouvement taliban. Ne pensez-vous pas qu'il y a un paradoxe à faire du Qatar un partenaire de la lutte contre le terrorisme ?