La séance est ouverte à 16 h 30
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.
Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Monsieur le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chers collègues, je suis heureux de vous accueillir pour cette réunion de rentrée qui se déroule, de surcroît, en présentiel. J'espère que vous avez pris suffisamment de forces cet été pour aborder les prochaines étapes.
Vous aurez pu observer que la vieille tradition, qui veut que les étés soient souvent meurtriers et voient surgir les crises internationales les plus aiguës, ne s'est pas démentie. C'est une lutte permanente entre la fonction publique qui veut prendre ses vacances en été et la vie internationale qui s'y oppose résolument. Cette fois, l'actualité est même impressionnante. Bien évidemment, l'Afghanistan y occupe la première place, mais pas la seule. Partout, des équilibres se sont brisés, des dérives se sont amorcées, des contradictions se sont nouées, des impuissances se sont manifestées.
Nous recevons aujourd'hui M. Jean-Yves Le Drian. Demain, nous accueillerons, à la demande de certains collègues, deux grands témoins de l'action internationale de la France durant ces vingt-cinq dernières années, Alain Juppé et Hubert Védrine. Issus de camps différents mais réunis dans une approche souvent convergente des événements, ils nous feront part de leurs réflexions sur le système international. Dans l'après-midi, nous recevrons, avec nos collègues de la commission de la défense, notre vaillant ambassadeur à Kaboul, David Martinon, qui a rempli son rôle avec dignité, courage et efficacité. Il a fait preuve d'un dévouement au bien public auquel nous devons rendre hommage. Il nous permettra, et c'est précieux, de comprendre la crise afghane de l'intérieur.
Cette semaine de rentrée pour notre commission est assez équilibrée. Aujourd'hui, nous nous penchons sur l'action internationale de la France telle qu'elle est menée actuellement. Demain matin, la réflexion sera plus prospective et dans l'après-midi, nous reviendrons sur la situation concrète en Afghanistan. Nous sortirons de ces réunions plus savants que nous ne le sommes aujourd'hui – même si les parlementaires sont, par définition, omniscients !
Cher Jean-Yves Le Drian, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Depuis le 15 août, nous sommes en contact régulier. Vous avez même devancé la demande des présidents des commissions parlementaires concernées, Christian Cambon, Françoise Dumas et moi-même, pour réunir en visioconférence leurs bureaux et faire le point sur la situation au cœur de la crise.
Grâce à votre longue expérience de parlementaire, vous avez toujours eu à cœur de respecter le Parlement, en particulier son droit à l'information. Vous n'avez pas failli à cette responsabilité durant les dernières semaines très éprouvantes que vous avez vécues. Nous les avons vécues, nous aussi, par procuration. Notre collègue Mme Lakrafi et moi avons d'ailleurs pu accompagner le voyage que vous avez fait avec le Président de la République à Bagdad. J'ai ainsi été témoin de l'émotion avec laquelle vous avez été accueilli à Erbil, dans ces terres kurdes irakiennes, par des personnalités kurdes qui avaient combattu Daech. Vous étiez ministre des armées, à l'époque, et la France s'était mobilisée avec une grande efficacité, plantant très profondément des graines dans ces terres. Il est heureux que le Président de la République ait manifesté la volonté de la France de rester impliquée dans cette région du monde, au moment où notre grand allié quittait l'Afghanistan dans des conditions désastreuses.
Vous l'imaginez aisément, nous avons beaucoup de questions à vous poser, monsieur le ministre. Concernant le passé, comment une erreur stratégique aussi monumentale a-t-elle pu être commise pendant si longtemps, conduisant la première puissance militaire du monde dans cette situation absurde ? Que penser, par ailleurs, du fonctionnement de l'Alliance ? C'était une opération de l'OTAN et la coordination a été désespérément nulle. S'agissant du présent, quel comportement devons-nous adopter à l'endroit des « nouvelles autorités » afghanes ? Ceux qui me connaissent savent que je suis d'un naturel sceptique : l'idée d'un gouvernement inclusif et respectueux des femmes, des tribus et des différences ne m'a jamais convaincu. Que faut-il faire face à ce pouvoir très déplaisant qui plonge la population dans la peine ? Nous ne sommes pas là pour financer des dictatures, mais comment utiliser les leviers dont nous disposons pour aider ceux qui n'ont pas pu partir à temps compte tenu des conditions effroyables dans lesquelles les Américains se sont retirés d'Afghanistan ? Comment gérer l'aide humanitaire ou l'argent ? Que pouvons-nous demander en contrepartie ? Nous avons envoyé une lettre au Père Noël aux talibans, mais il est bien évident que ces derniers n'y croient pas, au Père Noël.
Nous nous interrogeons par ailleurs quant à l'avenir de la zone. C'est un tout. Les crises dans le monde musulman sont nombreuses : la situation est délicate en Tunisie, un coup d'État a eu lieu au Sahel, le Burkina Faso est en proie à de graves difficultés, le Tchad s'en sort à moitié, les relations entre l'Algérie et le Maroc sont au plus bas. Quant à l'Europe, on se demande si elle est capable de réagir. La plupart des partis politiques français ont une idée de ce que devrait faire une Europe consciente de ses responsabilités politiques mais nous ne sommes pas du tout certains que cette idée soit partagée par nos amis, y compris les plus proches, qui gèrent la situation très honnêtement mais avec d'autres préoccupations que les nôtres, beaucoup moins politiques, surtout depuis le départ des Britanniques.
Je vous laisse le choix, monsieur le ministre, parmi toutes ces questions. De toute manière, nous nous reverrons !
Je suis très heureux de vous retrouver, après un mois d'août compliqué, durant lequel j'ai été régulièrement en contact avec votre président mais aussi avec les membres du bureau de votre commission, de celui de la commission de la défense et de celui de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. J'essaierai de répondre à un maximum de questions.
Nous assistons à un triple mouvement, de prise de conscience, de prise de responsabilité et de prise de décision, qu'accentuent les derniers événements de Kaboul. Avant d'y revenir, rappelons que notre allié américain, depuis dix ans, se recentre sur une définition plus ciblée, et donc limitée, de ses intérêts fondamentaux. Beaucoup de raccourcis ont été faits à ce propos ces dernières semaines. Ce recentrage n'est pas une nouveauté mais une évolution amorcée il y a dix ans donc, et constante sous les trois dernières administrations américaines. Souvenez-vous du retrait de l'Irak en 2011, de la fin du surge en Afghanistan la même année, du renoncement du président Obama, en 2013, à lancer une opération de frappe en réaction aux actions chimiques menées par le régime syrien, des coups d'éclat du président Trump. En miroir de cette évolution, on peut constater la place que prend désormais la compétition avec la Chine dans les préoccupations stratégiques des États-Unis.
Ce recentrage des États-Unis sur une définition plus étroite de leurs intérêts fondamentaux emportera des conséquences stratégiques et opérationnelles concrètes pour l'Europe. Ces conséquences, nous devrons les tirer en Européens, en nous demandant où sont, dans le monde actuel, nos intérêts propres, pour renforcer notre capacité à agir ensemble, en assumant pleinement nos responsabilités et en nous engageant davantage dans des zones où ces intérêts sont en jeu : l'Afrique du Nord, le Moyen-Orient, une partie de l'Asie. Cette évolution sur la durée, qui s'est récemment accélérée, doit nous conduire à réapprendre la géographie, parce qu'elle est têtue et s'impose à nous. De là découlent nos efforts pour construire une relation transatlantique rééquilibrée avec des Européens plus capables et actifs. Nous aurons d'ailleurs l'occasion, prochainement si ce n'est aujourd'hui, d'évoquer avec vous la « boussole stratégique », sorte de Livre blanc de la défense et de la sécurité en Europe initié sous présidence allemande et qui devrait s'achever sous la présidence française, en février ou mars 2022.
Enfin, ni cette évolution stratégique de notre partenaire ni la crise afghane ne sonnent la fin de la relation transatlantique. La garantie fondamentale de sécurité qu'apportent les États‑Unis à l'Europe, restée intacte, a été réaffirmée par le président Biden lors du dernier sommet de l'OTAN à Bruxelles. La relation transatlantique conserve tout son sens dans la lutte contre le terrorisme – d'où l'appui des États-Unis à la France et aux Européens au Sahel. Elle reste enfin un élément de la gestion de la compétition stratégique avec la Chine et la Russie. Ces sujets restent d'actualité et font l'objet de discussions dans le cadre de la préparation du nouveau concept stratégique de l'OTAN en vue du sommet de 2022, à Madrid. Le momentum est majeur et votre commission sera amenée à y réfléchir au cours des prochaines semaines.
Ces questions seront au cœur de la présidence française du Conseil de l'Union européenne et il conviendra d'affirmer en actes la souveraineté européenne, particulièrement dans le cadre de l'exercice de la boussole stratégique.
Revenons à l'Afghanistan. La première phase de nos opérations d'évacuation a été conduite par nos équipes à Kaboul et Abou Dabi, avec le concours de nos armées et le renfort des services de police, en lien étroit avec nos alliés américains et les Émirats arabes unis. Entre le 15 août, qui marque la chute de Kaboul, et le 27 août, jour où l'opération Apagan a pris fin, nous avons évacué près de 3 000 personnes, dont plus de 2 600 Afghanes et Afghans menacés parce qu'ils avaient travaillé à nos côtés ou qu'ils défendaient la liberté et le respect des droits. David Martinon et nos équipes ont agi avec beaucoup de sang-froid et de courage pour accomplir cette mission dans des conditions extrêmement compliquées. Ils ont été confrontés à de multiples difficultés variant d'un jour à l'autre, et à des situations dramatiques.
Pour ce qui est de nos exigences à l'égard du nouveau régime taliban, elles sont très nettes et nous avons été les premiers à les exprimer aussi clairement. À plusieurs reprises, les talibans ont déclaré qu'ils avaient changé, qu'ils n'étaient plus les mêmes que ceux qui avaient dirigé l'Afghanistan entre 1996 et 2001. Nous jugerons aux actes. Cinq appelleront particulièrement notre vigilance. Tout d'abord, les talibans doivent laisser aux Afghans qui le souhaitent la liberté de partir, quand l'aéroport de Kaboul sera à nouveau ouvert à la circulation civile. Deuxièmement, ils doivent rompre avec le terrorisme international sur leur territoire et renoncer à toute action ou tout lien ambigu à cet égard. Troisièmement, ils doivent laisser passer librement l'aide humanitaire portée par les organisations internationales, notamment les agences des Nations unies. Quatrièmement, ils doivent respecter les droits humains fondamentaux, en particulier ceux des femmes et des filles. Enfin, ils doivent permettre la formation d'un gouvernement de transition représentatif.
Ces points évoqués par la France ont été intégrés, d'une manière ou d'une autre, dans la résolution 2593 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée le 30 août. Ils ont été repris par les ministres des affaires étrangères de l'Union européenne, qui se sont réunis une première fois en visioconférence le 17 août, puis la semaine dernière à Ljubljana. Un consensus s'est dégagé sur ces sujets. Or, malgré toutes les déclarations, le compte n'y est pas. La composition du gouvernement de transition, qui compte parmi ses membres Sirajuddin Haqqani, au poste de ministre de l'intérieur, et le fils du mollah Omar, suffit à s'en convaincre : c'est un retour à la situation antérieure.
Concernant les mouvements de population que cette crise pourrait entraîner, je souhaite que l'Europe puisse faire face à la situation en renforçant la solidarité entre les États membres et en harmonisant leurs règles d'accueil afin que nous puissions accorder l'asile aux Afghanes et aux Afghans en péril qui demandent notre protection. Nous avons également rappelé la responsabilité de la communauté internationale à l'égard des mouvements de population qui se produiront, pour l'essentiel vers les pays voisins. Une conférence internationale s'est tenue hier, à Genève, autour du secrétaire général des Nations unies, pour mobiliser la communauté internationale autour d'une aide humanitaire à hauteur de la crise. Il faudra mobiliser les agences et les programmes des Nations unies, en particulier le Haut-Commissariat pour les réfugiés et le Programme alimentaire mondial. La France a annoncé qu'elle consentirait un effort de 100 millions d'euros pour faire face à l'urgence. Ces actions seront menées directement par les agences des Nations unies en Afghanistan ou dans les pays de la région qui seraient amenés à accueillir ces populations. Pour le moment, de tels mouvements ne sont pas constatés mais il n'est pas encore possible de circuler librement.
J'étais hier en déplacement au Qatar. Le Qatar aide les talibans à remettre en état l'aéroport de Kaboul, d'un point de vue technique mais aussi au niveau de la sécurité. Il continue par ailleurs à négocier avec les talibans, dans des conditions parfois tendues, un accord pour encadrer leur responsabilité dans la poursuite de l'exploitation. Ce lien a permis de reprendre les opérations d'évacuation. Hier matin, quarante-neuf de nos compatriotes et de leurs ayants droit ont pu quitter Kaboul. Ils ont été accueillis à Doha par les autorités qatariennes et nos équipes. J'étais présent. Nous avons affrété hier un vol pour les faire revenir en France. Nous organisons en ce moment un second vol qui devrait se dérouler dans les mêmes conditions, le plus rapidement possible, pour poursuivre le rapatriement de nos compatriotes et de leurs ayants droit, qui sont quelques dizaines à se trouver encore en Afghanistan. Seuls les ressortissants français sont autorisés à revenir actuellement, sauf exception.
Ce déplacement m'a également permis d'étudier en détail avec les autorités qatariennes les modalités d'organisation de nouvelles opérations d'évacuation, dès que possible, d'Afghanes et d'Afghans particulièrement menacés en raison de leurs engagements. Pour des raisons de sécurité, je ne peux vous en dire davantage. En tout cas, nous sommes, avec nos partenaires qatariens, pleinement mobilisés autour de cette hypothèse que nous souhaitons voir se concrétiser.
J'ai évoqué la mobilisation de la communauté internationale dans le domaine humanitaire. La question afghane fera inévitablement partie des discussions de l'Assemblée générale des Nations unies qui s'ouvre à New York lundi – sous une forme hybride, alors que la précédente, en septembre 2020, n'avait pu avoir lieu qu'en visioconférence, ce qui était très handicapant – et à laquelle je me rendrai pour la France.
Concernant la troisième dimension de notre réponse à la crise afghane, la dimension sécuritaire, notre priorité absolue est d'empêcher que l'Afghanistan ne redevienne un sanctuaire pour des combattants étrangers, une base arrière du terrorisme international. Pour cela, il faut des assurances claires sur la réalité de la rupture entre les talibans et Al-Qaïda. Or des doutes légitimes subsistent sur ce point, puisque Al-Zawahiri, qui a remplacé Ben Laden à la tête d'Al‑Qaïda, avait prêté allégeance au mouvement taleb en 2016, reconnaissant le mollah Haibatullah Akhundzada, leader de la choura de Quetta, comme commandeur des croyants. Une autre source d'inquiétude réside dans le fait que des membres du réseau Haqqani, avec lequel Al‑Qaïda a noué des connexions très importantes dans le passé, aient été nommés au gouvernement afghan.
Nous travaillons donc à accroître la pression à ce sujet avec l'ensemble de nos partenaires du P5, y compris la Russie et la Chine, car nous avons en la matière des intérêts convergents. Il faut aussi éviter que Daech ne tire profit de cette situation – un risque sous-estimé – grâce à une meilleure visibilité, en particulier à la suite de l'attentat du 26 août. Les talibans et la wilayat Khorassan de Daech s'affrontent sur le territoire afghan, en particulier dans l'est ; une résurgence de Daech est donc possible et nous devons être très vigilants à cet égard. Nous en parlerons avec nos homologues du P5, notamment russes et chinois, la semaine prochaine à New York.
La comparaison que certains commentateurs ont pu établir entre la situation de l'Afghanistan et celle du Sahel me paraît hors de propos. D'abord, le Sahel est notre frontière sud, alors que l'Afghanistan ne représente pas une frontière pour les États-Unis ; c'est donc aussi notre propre sécurité qui y est en jeu. Ensuite, les groupes terroristes actifs y restent une menace, pour la région comme pour nous. Ils se réclament maintenant de franchises internationales : Al‑Qaïda pour le JNIM, le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans, qui opère notamment, mais pas uniquement, au nord du Mali ; Daech pour l'État islamique au Grand Sahara (EIGS), notamment actif dans la zone des trois frontières – sachant que les deux filières se combattent par moments. Ces groupes terroristes n'ont jamais été au pouvoir dans le cadre d'un projet national, à la différence des talibans en Afghanistan.
De plus, la présence européenne et internationale au Sahel est marquée ; nous restons au Sahel même si nous engageons une transformation profonde de notre dispositif militaire pour plus de sahélisation, d'européanisation et de contre-terrorisme. Nos armées luttent au Sahel contre le terrorisme, elles forment et soutiennent des armées sahéliennes pour les aider à le combattre, mais elles ne sont pas engagées dans une mission de contre-insurrection comme les forces de l'OTAN ont pu l'être en Afghanistan. Par ailleurs, nous sommes au Sahel à l'invitation et à la demande de cinq États indépendants, autonomes et constitués, les membres du G5 Sahel, et les Nations unies y sont physiquement très présentes dans le cadre de la MINUSMA (mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali). Forte de 12 000 hommes, celle-ci est chargée de la stabilisation du territoire à la demande unanime des membres des Nations unies. Enfin, nous sommes tout à fait soucieux que notre présence au Sahel permette l'émergence de forces armées réellement autonomes, vouées à assurer la sécurité de leur propre territoire.
La donne est d'autant plus différente que le terrorisme au Sahel perdure. Nous parlerons plus tard de la question de savoir si l'Afghanistan représente ou non un échec, mais je rappelle que nous n'y sommes plus. C'est moi qui y ai engagé le retrait de nos forces, à la demande du président Hollande, en 2012. En effet la mission initiale de la force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) avait produit le résultat attendu. La FIAS avait été lancée en 2002 en application de l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord – activé pour la seule fois de son histoire – à la fois par solidarité et pour éradiquer la capacité de projection du terrorisme depuis le territoire afghan après le 11 Septembre – donc pour les mêmes raisons que nos frappes contre Daech après ses attentats depuis la Syrie et l'Irak. La riposte avait porté ses fruits : il n'y a pas eu depuis cette date d'action terroriste projetée vers quelque pays que ce soit à partir de l'Afghanistan. On ne peut pas en dire autant du Sahel.
Au Mali, la situation politique amène à suivre les événements avec une grande vigilance. Un grave recul s'est opéré lors du second coup d'État du 24 mai dernier. Des engagements ont été pris : le nouveau plan d'action du gouvernement adopté le 2 août sur proposition du président intérimaire, M. le colonel Goïta, reprend l'échéance du 27 février 2022 pour l'organisation de l'élection présidentielle afin de conclure la transition dans les dix-huit mois impartis, comme les autorités de transition s'y étaient engagées devant le peuple malien, la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), l'Union africaine (UA) et l'ensemble des partenaires du pays. La France, et pas uniquement elle, considère que ces engagements doivent et vont être tenus ; mieux vaut le rappeler régulièrement.
La situation politique et sécuritaire reste tendue. Nous avons relevé la libération de l'ancien président N'Daw et de l'ancien Premier ministre Moctar Ouane, en fonctions depuis le premier coup d'État, mais nous constatons par ailleurs des signes de durcissement du régime. Nous soutenons la mise en œuvre du processus électoral, pleinement en phase avec l'UA et la CEDEAO, laquelle a réaffirmé sa position lors de son sommet du 8 septembre et délégué une mission pour s'assurer de la concrétisation du dispositif. Nous avons des interrogations sur l'application effective d'un calendrier précis de mesures à prendre pour préparer la séquence électorale dans les délais prévus. Nous, y compris la communauté internationale et les Nations unies, avons la même volonté que ce calendrier soit respecté afin d'entrer ensuite dans la période post-coup d'État.
Nous continuons par ailleurs à accorder une attention très soutenue au processus de l'accord d'Alger, dont nous estimons qu'il tarde à être mis en œuvre. Les mouvements signataires se sont rapprochés les uns des autres et demandent toujours aux autorités l'organisation d'une réunion de haut niveau sur la reconstitution de l'armée malienne, selon le principe « désarmement, démobilisation, réintégration ». Un nouveau représentant des Nations unies a été désigné en la personne de M. Wane ; l'Algérie, qui assure la présidence de la médiation internationale, a elle-même désigné un nouveau représentant – je m'en entretiendrai à New York la semaine prochaine avec le nouveau ministre algérien des affaires étrangères, M. Lamamra. Nous veillons à ce que le processus reprenne.
En somme, nous nous en tenons aux principes affichés, affirmés et réaffirmés par les autorités maliennes, mais nous avons quelques inquiétudes quant à leur volonté concrète de les appliquer. Nous sommes prêts à apporter notre aide technique pour le permettre.
Au Tchad, la situation est plus positive, alors même que nous pouvions craindre de grandes difficultés après la mort du président Déby. J'ai rencontré le président intérimaire, qui est l'un de ses fils – le général Déby – hier soir à Doha. Je ne peux que constater que la feuille de route de transition adoptée le 29 juillet dernier s'applique comme prévu, ce dont nous pouvons nous réjouir. Le calendrier politique va jusqu'à la tenue des élections législatives et présidentielle en septembre 2022 ; elles feront suite à un dialogue national inclusif qui s'apprête à commencer, dans lequel la place réservée aux membres de l'opposition, M. Kebzabo et M. Ahmat Alhabo, est un nouveau signe d'ouverture, et auquel participent aussi certains cadres politico-militaires de l'opposition de longue date, rentrés au Tchad. Au cours des prochaines semaines sera réuni le Conseil national de transition, une sorte d'Assemblée nationale provisoire dont l'organisation et le nombre de membres ont déjà été fixés ; c'est une étape importante. L'évolution est donc plutôt positive et conforme aux demandes de l'Union africaine. La menace terroriste reste par ailleurs présente : Boko Haram poursuit ses opérations autour du lac Tchad – en août, vingt-six soldats tchadiens y ont été tués dans une attaque.
En ce qui concerne le Burkina Faso, le président Kaboré a été réélu à l'automne dernier dans un climat apaisé ; son principal opposant a rejoint le gouvernement pour exercer des fonctions visant à la réconciliation nationale. Le président réorganise son appareil de sécurité et de défense au profit des forces de sécurité, un gros point faible du pays. Les conditions semblent donc réunies pour que les choses s'améliorent. La volonté se manifeste de donner au pays toute sa place au sein de la force conjointe du G5 Sahel et de soutenir les zones reconquises sur les territoires antérieurement occupés par des groupes terroristes. Nos relations avec le président Kaboré sont bonnes. Je n'ai donc guère d'interrogations à ce sujet.
S'agissant de la Guinée, nous avons condamné le coup d'État survenu le 5 septembre. La prise de pouvoir par la force est inacceptable. La CEDEAO, le président ghanéen Akufo-Addo actuellement à sa tête et l'Union africaine ont la même position, comme le haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Nous voulons le retour à l'ordre constitutionnel et la libération immédiate du président Alpha Condé. Cela étant, nous n'avions pas caché nos réserves quant au processus électoral qui s'était tenu l'an dernier ; j'en avais parlé dans cette enceinte, et j'en avais fait part au président Alpha Condé lui-même. Mais rien n'excuse un coup de force et celui-là ne répond en rien aux aspirations du peuple guinéen ni à ses difficultés, qu'il ne fait qu'aggraver. Nous souhaitons donc que le processus constitutionnel reprenne à l'initiative du nouveau président intérimaire.
En Tunisie, nous suivons la situation avec beaucoup d'attention, mais dans le respect de la souveraineté du pays. Le 25 juillet dernier, le président Saïed a invoqué l'article 80 de la Constitution lui confiant des pouvoirs exceptionnels et annoncé la suspension de l'Assemblée nationale et le départ du chef du gouvernement, M. Mechichi. Il est clair que la Tunisie doit relever d'importants défis qui demandent des réponses rapides de la part des autorités. Les réformes sont urgentes, attendues par le peuple. La situation sanitaire s'est heureusement améliorée grâce à l'accélération de la vaccination – nous nous sommes beaucoup mobilisés pour soutenir la Tunisie dans ce domaine pendant l'été. Afin de relever l'ensemble de ces défis, il nous semble que la nomination rapide d'un chef de gouvernement et des précisions sur les modalités de la transition sont souhaitables. Nous espérons le retour sans tarder à un cadre constitutionnel clair dans lequel un Parlement élu joue pleinement son rôle. Nous sommes en contact régulier avec les autorités tunisiennes : le Président de la République s'est entretenu avec son homologue et moi, à plusieurs reprises durant l'été, avec le mien, resté à son poste ; la coordination est tout aussi étroite avec l'Union africaine et le G7. Nous pensons important que nos partenaires tunisiens puissent retrouver l'esprit de dialogue qui les anime depuis dix ans afin de relever les grands défis auxquels ils sont confrontés.
Quelques mots, enfin, du déplacement en Irak des 28 et 29 août. Au-delà de la relation bilatérale que vous avez évoquée avec émotion, monsieur le président, en particulier notre relation avec le Kurdistan, cette réunion, tenue à l'initiative conjointe de l'Irak et de la France, associant le Premier ministre Al-Kazimi et le président Macron, a permis d'asseoir à la même table des chefs d'État et de gouvernement selon un format entièrement inédit – étaient également présents l'Égypte, le Qatar, la Jordanie, les Émirats arabes unis, l'Arabie Saoudite, le Koweït, l'Iran et la Turquie : des acteurs qui, jusqu'alors, ne se parlaient pas. Outre la présence irakienne, qui n'était pas secondaire, l'Arabie Saoudite a pu échanger avec l'Iran, la Turquie avec les Émirats ; plusieurs lignes de faille de la région ont été surmontées. Or ce format n'était possible qu'à l'initiative de la France et de l'Irak. Nous allons essayer de poursuivre et nous provoquerons une nouvelle réunion de ce type la semaine prochaine à New York, au niveau des ministres des affaires étrangères cette fois, pour progresser sur la voie de la stabilisation régionale. Certes, ce n'est pas parce qu'on se réunit qu'on se met d'accord, mais on essaye au moins de se parler ; c'est essentiel.
Plus généralement, la stabilisation de l'Irak est primordiale. Or la visite a permis de conforter l'intégration de ses différentes communautés, en particulier de resserrer les liens d'amitié et de fidélité entre la France et la région du Kurdistan, ainsi que la reconnaissance des communautés chiite, chrétienne et yézidie. Le soutien de la France à l'Irak dans toute sa diversité a été réaffirmé. Des élections auront lieu à Bagdad au début du mois d'octobre ; elles sont cruciales et nous espérons qu'elles offriront à l'Irak des perspectives et un destin plus sereins que ce qu'il a connu au cours des trente années passées.
Monsieur le ministre, nous sommes ravis de vous retrouver après une coupure estivale riche, cette année encore, d'événements internationaux. Le 15 août, Kaboul est tombée aux mains des talibans au terme d'une offensive rapide, sous les yeux du monde entier, stupéfait de la facilité de cette prise de pouvoir. Cette débâcle a été considérée par beaucoup comme une victoire politique et médiatique des talibans sur les Américains, tragique et hautement symbolique à l'approche du vingtième anniversaire du 11 Septembre. Chacun gardera en mémoire les images de la panique des Afghans prêts à tout pour quitter leur pays. Nous nous devons de rester attentifs à l'évolution de la situation, de réagir au chaos humanitaire qui s'installe dans le pays et d'être particulièrement vigilants s'agissant des filles et des femmes afghanes, qui font preuve d'un courage extraordinaire.
Permettez-moi de saluer le travail remarquable de vos services, en particulier de notre ambassadeur en Afghanistan, M. Martinon, ainsi que du centre de crise et du ministère des armées qui, dans le cadre de l'opération Apagan, ont tout mis en œuvre pour permettre l'évacuation de nos compatriotes et des Afghans menacés. Je tiens également à saluer votre annonce d'une contribution de 100 millions d'euros de la France au plan d'urgence élaboré par les Nations unies.
La prise de pouvoir par les talibans met fin à un cycle d'histoire de l'Afghanistan qui a duré vingt ans après le 11 Septembre, et ajoute un élément aux troubles touchant l'ordre mondial. Vous avez répondu à certaines des très nombreuses questions que soulève ce nouvel épisode.
Comment empêcher que l'Afghanistan ne devienne un pays de repli d'un réseau terroriste international ? On voit bien l'effet du retour des talibans au pouvoir sur le moral des combattants des différents groupes djihadistes dans le monde. Quelles sont les relations entre les talibans et ces groupes, notamment Daech et Al-Qaïda ?
Lors de l'accession au pouvoir de Joe Biden, chacun s'est pris à rêver d'un retour à un multilatéralisme conforté. Que pouvons-nous désormais attendre des États-Unis ? Sont-ils toujours des alliés ? Comment leur retrait des « guerres sans fin » de l'après-11 Septembre affecte-t-il notre continent ? Cet épisode est-il un coup dur pour l'OTAN, va-t-il confirmer sa mort cérébrale ou, au contraire, transformer profondément son fonctionnement ?
Quels seront le rôle et la place sur l'échiquier mondial des grandes puissances que sont la Chine et la Russie ? Comment la Turquie va-t-elle se positionner ? En un mot, quels pays ont un rôle essentiel à jouer pour la protection du peuple afghan et pour assurer une certaine stabilité dans cette partie du monde ?
Enfin et surtout, le moment n'est-il pas venu pour l'Union européenne d'accélérer le processus d'autonomie et d'indépendance stratégique que le Président de la République a appelé de ses vœux dans son discours de la Sorbonne, en 2017 ? Quelle place la France peut-elle prendre pour défendre haut et fort, à l'intention de l'Union européenne mais aussi de très nombreux autres pays, dont ceux de l'axe indo-pacifique, les bases d'un nouvel ordre multipolaire stable et inclusif ?
S'agissant de l'Afghanistan, quel jugement portez-vous sur la position de la Chine et de la Russie ? Pensez-vous que l'échec de l'OTAN en Afghanistan puisse relancer le nécessaire projet de force d'intervention européenne, y compris chez ceux de nos partenaires européens qui sont très attachés à l'Alliance atlantique, après les récentes déclarations de Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'OTAN, hostile à ce projet ?
Quel est votre point de vue sur l'évolution de la situation au Liban, où un nouveau chef de gouvernement vient d'être désigné ?
Concernant Taïwan, beaucoup d'alliés des États-Unis, faisant confiance au parapluie américain, ont été un peu échaudés par les récents événements ; pouvez-vous nous préciser la position de la France sur la participation de Taïwan à l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et, plus généralement, sur son association aux travaux de plusieurs organisations internationales ?
Enfin, parmi les nombreux discours prononcés par le Président de la République en matière de relations internationales et de diplomatie, celui de la Sorbonne a été fondateur. Quatre ans plus tard, quelles en ont été les suites concrètes ? Comment le recalibrer à la lumière du recentrage des États-Unis sur leurs problèmes particuliers et sur leur antagonisme avec la Chine ?
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre présentation large et précise. Nous sommes ravis de vous retrouver. Notre groupe se joint aux félicitations émises par Didier Quentin et Valérie Thomas au sujet de l'action de nos services à Kaboul et en France dans la crise afghane.
La reprise de Kaboul par les forces talibanes a bouleversé l'opinion publique. Les scènes de chaos aux abords de l'aéroport, l'impuissance des soldats américains face à l'afflux de personnes désespérées et les images terribles de ces femmes et de ces hommes qui, prêts à tout pour échapper au nouveau régime, se sont accrochés aux réacteurs des avions au décollage, ont brutalement placé les États-Unis et les pays occidentaux face à leur échec.
Face à cette débâcle, notre groupe s'interroge sur la stratégie menée par les États-Unis, l'OTAN et, dans une moindre mesure, la France. La présence militaire étrangère massive n'a pas permis d'atteindre les objectifs initiaux, pas même celui de former et de structurer une armée afghane capable de faire pièce à l'avancée des talibans. À cet égard, la mission Resolute Support, qui a mobilisé 13 000 militaires des pays membres de l'OTAN de 2015 à 2021, et dont le premier objectif était la formation de l'armée afghane, est un échec flagrant.
Après le retrait militaire, comment la France compte-t-elle continuer à aider le peuple afghan ? Par ailleurs, les stratégies militaires et sécuritaires adoptées depuis la guerre du Vietnam n'ont pas été couronnées de succès, à en juger par la plupart des interventions. Ne pensez-vous pas que le tout-militaire et le tout-sécuritaire ont atteint leurs limites, et qu'il faudrait développer plus largement des approches politiques, avec des visions politiques et une idée des gouvernances à atteindre, derrière lesquelles se placeraient nos forces armées ?
En Afrique, la Guinée, après le Mali, a subi une reprise en main par les militaires. D'autres pays du continent sont critiqués en raison de leur gouvernance et de la fragilité de leurs institutions. Pensez-vous que ces deux coups d'État et la fragilité de plusieurs autres pays sont de nature à faire évoluer la politique française vis-à-vis de l'Afrique ? Quels enseignements la politique française peut-elle tirer de ces situations ? Enfin, le sommet de Djerba aura-t-il lieu conformément à ce qui a été annoncé ? Tiendra-t-il toutes ses promesses ?
Monsieur le ministre, cette opération afghane pose, pour l'avenir, le problème de la fiabilité de l'OTAN. Les Américains semblent ne plus vouloir être les gendarmes du monde. L'opinion publique américaine ne veut plus entendre parler de la mort de jeunes soldats dans des territoires lointains. Les États-Unis souhaitent se recentrer sur d'autres activités. Compte tenu du rôle de parapluie qu'ils jouaient pour la France, nous pouvons craindre qu'il soit nécessaire, à l'avenir, de nous tourner vers d'autres solutions.
Le retrait des Américains de l'Afghanistan est un véritable fiasco, chacun le reconnaît. Les talibans ont voulu les humilier par la rapidité de leur retour à Kaboul, et démontrer à leurs soutiens que ce sont eux qui les chassent, et non les Américains qui partent volontairement. Nous avons tous été surpris par cette rapidité et par le manque de combativité de l'armée régulière afghane qui, pourtant équipée et entraînée par les Américains, s'est montrée incapable d'au moins ralentir l'avance des talibans.
Nous avons donc dû subir, comme les Américains, un calendrier qui ne nous a pas permis de protéger et d'orienter vers la France tous ceux qui ont travaillé pour nous ou pour des organisations internationales. Nous nous en sommes tenus à 3 000 d'entre eux, par la force des choses. Si j'en juge par le nombre de personnes qui nous ont sollicités et par le nombre de personnes rapatriées par les autres pays, ce chiffre ne semble pas très élevé.
Vous avez rappelé les exigences que vous avez formulées à l'endroit des talibans sur divers points. Sans vouloir polémiquer, il nous semble que la parole des talibans n'est pas fiable, et que leurs promesses ne les engagent pas. En tout état de cause, compte tenu de la haine qu'ils nous vouent, on peut douter qu'il soit possible de négocier avec eux.
Enfin, il faut dresser le parallèle avec la situation au Sahel.
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre présence régulière devant notre commission. Au sujet de l'Afghanistan, je me contenterai de saluer l'action de la France, notamment la mobilisation de nos forces armées et de notre diplomatie, dont l'action a été exemplaire, cet été mais aussi au cours des mois précédents.
Je souhaite vous interroger sur les relations entre la France et Madagascar. La visite du président malgache à l'Élysée le 27 août dernier a éclairci les liens entre nos deux pays, dont on peut dire qu'ils ont été assez compliqués au cours des deux dernières années. La question des îles Éparses, notamment, a été source de tensions entre Paris et Tananarive. Le gouvernement malgache a été irrité par le report de l'accord qui devait voir le jour le 26 juin 2020, pour le soixantième anniversaire de l'indépendance de Madagascar, et par l'annonce par le président Macron du classement de certaines de ces îles en réserve naturelle nationale.
Autre question irritante entre la France et Madagascar : la restitution des biens culturels, notamment la couronne du dais de la reine Ranavalona III. La complexité des échanges a suscité de l'incompréhension parmi les Malgaches, qui demandent depuis février 2020 le transfert de propriété de cet élément clé de leur histoire. Pour votre bonne information, une proposition de loi a été déposée. Elle est soutenue par le groupe Agir ensemble et par plusieurs membres de la majorité. Nous espérons qu'elle sera bientôt débattue.
Enfin, en juillet 2020, un Français et un Franco-malgache ont été arrêtés par les autorités malgaches pour atteinte à la sûreté de l'État. Autant de sujets compliqués ! La France et Madagascar entretiennent de longue date des liens économiques, culturels et diplomatiques particulièrement riches. Notre responsabilité, dans l'intérêt de nos deux pays, est d'entretenir cette relation fructueuse.
Par ailleurs, le groupe d'amitié France-Madagascar de l'Assemblée nationale recevra demain la présidente de l'Assemblée nationale malgache. Dans ce cadre, j'aimerais savoir quelles ont été les avancées entre nos pays à l'issue de la rencontre des deux présidents le 27 août, et quelles perspectives ont été dégagées, à quel horizon le cas échéant, pour donner un nouveau souffle à nos relations.
Dernier point, qui n'est pas source d'irritation mais d'inquiétude : le drame du « kéré », qui sévit dans le sud de l'île. On parle beaucoup depuis cet été de cette forte sécheresse qui provoque la famine, mais cela fait une dizaine d'années qu'elle dure et que nous attendons une mobilisation de la communauté internationale. Sachant que Madagascar est un pays prioritaire de notre aide publique au développement (APD), quelle est votre position sur l'action que la France pourrait mener dans cette partie du pays ?
Monsieur le ministre des affaires étrangères, je vous remercie de votre long propos liminaire, très complet.
Sur l'Afghanistan, je me contenterai d'exprimer mon immense tristesse. Ma pensée va surtout aux femmes afghanes. Pour ce pays, le symbole est terrible en ce 11 septembre, vingt ans après les attentats. J'ai une pensée pour ces femmes qui, demain, pourront être arrêtées, voire lapidées, parce qu'elles auront mis du vernis à ongles. Monsieur le président, je pense comme vous que la stratégie des États-Unis a été terrifiante et déficiente.
Monsieur le ministre, vous avez rappelé clairement les exigences que nous avons adressées aux talibans, mais qui peut croire qu'elles seront respectées ? J'approuve Alain David sur ce point. Le croire – tel n'est pas votre cas, je n'en doute pas – serait faire preuve d'une naïveté extrême – de là ma tristesse. Que ferons-nous alors ? Quelles seront nos possibilités pour aider le peuple afghan ?
J'en viens au Liban. Ce pays frère est au bord de la banqueroute. Les femmes ont faim et ne peuvent plus nourrir leurs bébés. Plusieurs Libanais m'ont appelé : les gens ne veulent pas de l'argent, mais du lait pour leurs enfants. Retenant ses larmes, le Premier ministre M. Mikati, l'un des hommes les plus riches du pays, a reconnu la douleur des mères libanaises qui ne peuvent pas nourrir leurs enfants. Il a dit que, dans cette situation terrible, il n'était pas impossible de coopérer et qu'il accepterait l'aide de tous les pays du monde – sauf un : l'État d'Israël. Je trouve cela très triste et aimerais connaître votre position à ce sujet. Israël est un pays voisin du Liban ; son Premier ministre et son ministre de la défense, Benny Gantz, ont proposé une aide.
Enfin, je vous remercie personnellement, ainsi que le Président de la République, pour la libération de Fabien Azoulay, notre compatriote homosexuel détenu depuis quatre ans en Turquie – j'ai dit libération au lieu de transfèrement, mais à mes yeux, c'est presque pareil.
Je finis avec une pensée pour notre collègue Christian Hutin, fatigué, auquel nous souhaitons tous un prompt rétablissement.
Monsieur le ministre, je ne reviendrai pas sur l'enchaînement des événements et des renoncements qui nous ont menés au drame humanitaire et à l'onde de choc géopolitique majeure auxquels nous sommes confrontés. Nous y avons notre part de responsabilité, dès lors qu'a été adoptée en mars 2020, à l'unanimité du Conseil de sécurité de l'ONU, donc avec l'accord de la France, la résolution 2315 entérinant l'accord de paix conclu entre les Américains et l'émirat islamique d'Afghanistan en février 2020. Nous y avons notre part de responsabilité, quoi que vous en disiez, dès lors que la France a cautionné la déclaration du Conseil de l'Atlantique Nord du 14 avril 2021, selon laquelle, à l'issue de plusieurs consultations, les ministres des affaires étrangères et de la défense des pays de l'OTAN, dont fait partie la France, ont décidé d'entamer le retrait des troupes d'Afghanistan. Cette déclaration approuvait le calendrier fixant l'échéance du retrait au 31 août 2021, et précisait que celui-ci serait mené de manière méthodique, coordonnée et réfléchie. Cela signifiait, en toute conscience, que le retrait définitif aurait lieu sans qu'aucune des conditions posées, relatives à la sécurité, au terrorisme et au trafic de drogue, ne serait respectée, ni aucun des engagements pris en matière de droits humains, de droits des femmes et d'accord de paix dit inclusif, contrairement à ce que prévoyait la résolution 2315. Les cinq conditions que vous fixez dans la résolution 2395 sont identiques à celles fixées dans la résolution 2315. Où est passée la première et que vaut la nouvelle, monsieur le ministre ?
Pour l'heure, c'est l'urgence de la situation humanitaire qui s'impose. Vous dites que les talibans s'engageront à laisser partir les personnes les plus menacées – par eux-mêmes – alors qu'ils ont réitéré, lors d'une conférence de presse tenue le 25 août, leur opposition ferme à toute extension des évacuations après le 31 août, date présentée comme une ligne rouge, en accusant les Occidentaux de vider le pays de ses forces vives.
Plus grave : il semble que la France soit indirectement complice de telles demandes. Voici un extrait d'une boucle de discussion WhatsApp : « Attendez, vous charriez, je ne mets pas vos sept copains. Le laissez-passer pour les athlètes, point. La France n'encourage pas la désertion des élus. Je vous bloque, vous êtes toxique ». Il s'agit d'un échange entre le troisième conseiller de l'ambassade de France en Afghanistan, qui était alors dans l'aéroport de Kaboul, et Mme Fahimeh Robiolle, chargée de cours à l'ESSEC ainsi qu'aux universités de Téhéran et de Kaboul, qui, comme de nombreux civils, s'est investie jour et nuit pour rendre possibles les rapatriements. Il date du 21 août dernier et concerne une ancienne députée afghane, précédemment chef de la commission anticorruption, et sa famille, dont l'ambassadeur de France m'avait confirmé qu'ils figuraient bien sur les listes officielles.
Il est prouvé que, jusqu'au 15 août, alors même que la situation sécuritaire le permettait encore, tout n'a pas été fait pour rapatrier les personnels afghans qui ont aidé la France. Le juge des référés a dû, le 20 août dernier, enjoindre au ministre de l'intérieur et à vous-même, monsieur le ministre, de respecter la décision de la cour administrative d'appel de Nantes du 30 mars 2021 de restituer leur passeport et de délivrer des visas de long séjour à un personnel civil de recrutement local (PCRL) et aux membres de sa famille. À ce jour, 250 PCRL n'ont pas été rapatriés, dont 36 ayant travaillé pour la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). L'important est que les paroles s'accordent aux actes. Monsieur le ministre, que comptez-vous faire de concret pour que nous respections nos engagements ?
Monsieur le ministre, la France a évacué 600 personnels afghans en mai 2021, ce qui montre bien que le ministère avait conscience de la dégradation de la situation. Il aura pourtant fallu attendre le 15 août pour assister à deux semaines d'évacuation dans l'urgence absolue. Comment se fait-il que, d'après le décompte du journaliste Quentin Müller, seuls 15 auxiliaires, sur les 170 recensés, aient été rapatriés avec leurs familles ? Ce journaliste estime que le Gouvernement veut éviter de créer un précédent juridique avec le cas des Afghans. Qu'en est-il ? Plus généralement, je n'ai pas entendu dans vos propos la formulation d'une véritable stratégie politique, qui dépasse le simple constat d'une situation.
Ce dont nous devrions parler, face au fiasco qui se déroule sous nos yeux en Afghanistan, c'est de l'efficacité de la guerre au terrorisme. Nous sommes plus qu'en droit de nous interroger. Nous devrions parler de nos relations avec les États-Unis, de notre dispositif diplomatique et des prises de position de la France. Tout cela nécessite des débats démocratiques, notamment avec la représentation nationale dans son ensemble et pas uniquement avec la commission des affaires étrangères.
En Afghanistan, le cap démocratique a été clairement raté. Il serait bon que le Mali ne devienne pas pour la France ce que l'Afghanistan a été pour les États-Unis. Monsieur le ministre, à quand un grand débat dans l'hémicycle ? Je sais que vous réfutez l'analogie entre la question afghane et la situation au Sahel ; pour nous, elle coule de source. Certes, la France est intervenue à la demande des autorités locales, mais il faut bien constater que l'intervention armée n'a en rien amoindri le vivier terroriste que constitue le nord du Mali. Tandis que vous avez décidé, sans en rendre compte devant la représentation nationale, de modifier le cadre de notre intervention au Mali à l'horizon 2022, un acteur privé, la société russe Wagner, serait sur le point de conclure un contrat de sécurité avec les autorités maliennes, alors même que les exactions de ses bandes de mercenaires sont de notoriété publique et que leur intervention est tout sauf un remède au djihadisme endémique sévissant au Sahel.
Par ailleurs, vous affichez une proximité avec le Qatar, qui est du reste l'un de nos plus gros clients en matière d'armement. Je suis un peu subjuguée par le ton sur lequel vous rapportiez tout à l'heure vos négociations avec les Qataris, que vous semblez considérer comme des interlocuteurs privilégiés pour parler aux talibans. Il faudrait déjà se demander si l'on doit et si l'on peut négocier avec les talibans ! Les cinq points que vous avez énoncés me laissent de glace. Demander ce que vous demandez aux talibans, c'est comme demander à une vache de manger de la viande. Tout cela n'a aucun sens.
Je vous rappelle que le Qatar est un financeur important de l'islam radical en France, qu'il investit dans les quartiers populaires, qu'il est soupçonné de financer le terrorisme, par exemple en Somalie, que plus de 6 500 travailleurs migrants sont morts depuis l'attribution du Mondial de football en 2010, et que les exécutions capitales y ont repris après une trêve de vingt ans. Vous devez aussi savoir, monsieur Le Drian, que c'est depuis le Qatar que le mollah Abdul Ghani Baradar, cofondateur et numéro 2 des talibans, dirigeait le bureau politique du mouvement taliban. Ne pensez-vous pas qu'il y a un paradoxe à faire du Qatar un partenaire de la lutte contre le terrorisme ?
Nous sommes tous marqués par les images de la foule à l'aéroport de Kaboul, mais le peuple afghan reste et continuera de subir la pression des talibans. Ce régime autoritaire, il faut le condamner fermement, sans chercher à jouer ou à dialoguer avec lui. Le patron de l'ONU a appelé au dialogue sur l'aide alimentaire ; il faut s'assurer que les talibans n'en fassent pas un moyen de pression sur le peuple, en faisant en sorte que les ONG en soient détentrices. C'est essentiel.
J'évoquerai surtout la situation des femmes afghanes. Nous ne sommes pas face à une simple répression, mais à une tentative de soumission. Je dois saluer le courage incroyable de ces femmes qui, parfois à vingt, à cinquante, un peu plus ou un peu moins, descendent dans la rue et osent manifester, avec un mot d'ordre formidable : « Notre voix est notre arme ».
Il ne s'agit pas d'une question de tradition. Les femmes afghanes ont été libres. Dans les années 1920, déjà, elles obtenaient des droits civiques. Dans les années 1970, elles ont obtenu le droit de vote. La tradition n'a donc rien à faire là : les femmes afghanes ont le droit d'être des citoyennes à part entière, et aujourd'hui on veut les soumettre. Elles sont privées du droit d'étudier et du droit de travailler, privées d'accès à la culture – tout chant non religieux est interdit en Afghanistan – et la pratique du sport leur est interdite. Les promesses des talibans sont donc déjà enterrées, dès les premières mesures prises. Et ne parlons pas du gouvernement inclusif : c'est un gag.
Ces femmes, et plus largement les démocrates, sont en résistance en Afghanistan. Outre les personnes qui veulent partir d'Afghanistan, comment aide-t-on les gens qui résistent sur place, qui vont se battre contre les talibans pendant des semaines, des mois et peut-être des années ? Comment la France peut-elle affirmer son soutien de façon publique et agir pour que l'Union européenne apporte son aide à ces femmes et à ces démocrates en résistance ?
Enfin, je m'interroge sur le rôle du Qatar, sur sa place et son jeu géopolitique dans les années à venir. Nous accueillerons les Jeux olympiques et paralympiques en 2024. J'espère que nous ferons en sorte qu'aucune délégation non mixte ne soit admise à défiler dans notre pays. Il s'agit d'un combat pour les femmes afghanes et pour leur pratique du sport.
Je ne suis pas certain d'avoir été bien entendu tout à l'heure sur un point qui me semble majeur. L'intervention de l'OTAN en Afghanistan visait deux objectifs. Le premier était d'éviter l'organisation, sur la plateforme afghane, de capacités terroristes projetées. Il s'agissait d'empêcher Al-Qaïda, au lendemain du 11 Septembre, de faire de l'Afghanistan une plateforme de projection terroriste. Le second objectif était d'installer en Afghanistan une gouvernance d'un type nouveau, au fonctionnement plus légitime que celui existant auparavant. Pour ce faire, nous avons déployé des forces significatives.
Je rappelle, avec un clin d'œil à Alain David, que le gouvernement de François Hollande a décidé le retrait d'Afghanistan parce qu'il considérait que le premier point était acquis et que le second n'était pas de la compétence de l'OTAN. La démonstration est faite qu'on ne peut pas changer un régime politique avec un corps expéditionnaire. En tout état de cause, si on le fait contre le peuple concerné, contre ses autorités, son histoire et sa conception de l'organisation sociale, fût-elle condamnable, on se plante.
Il faut rappeler les choses telles qu'elles sont. Il me semble qu'on oublie qu'un accord a été conclu en février 2020, au Qatar, qui était le lieu où étaient menées les négociations, entre les États-Unis et le bureau de représentation taliban. Il s'agissait de provoquer le retrait d'Afghanistan des États-Unis, en partant du constat que la situation était dans une impasse et qu'aucun corps expéditionnaire n'est en mesure de modifier la donne politique interne de l'Afghanistan. Ces négociations ont abouti à un accord dont Mme Dumas a rappelé la teneur. Le retrait devait commencer en mai 2021. À cette date, je n'ai pas entendu de protestation particulière, notamment ici. Qui avez-vous entendu demander que nous restions en Afghanistan ? Personne : la question était de savoir comment partir. Mais à écouter Mme Dumas, j'ai presque eu l'impression qu'elle demandait que nous y retournions !
La nouvelle administration Biden s'est elle aussi inscrite dans la logique d'un retrait achevé au 31 août. Cette date était claire et connue depuis longtemps. Les résolutions de l'ONU, quand elles sont adoptées à l'unanimité, avec toutes les voix sauf la vôtre, madame Dumas, sont le signe que tout le monde souhaite aboutir à une situation de paix.
Ce qui a démontré l'échec de la seconde période de présence des forces de l'OTAN en Afghanistan, c'est que, contrairement à ce que chacun envisageait, le gouvernement afghan s'est effondré en deux jours et que les forces militaires afghanes ont été mises en déroute. C'est une nouvelle preuve de l'inanité d'un changement de régime de l'extérieur, sans tenir compte de l'histoire, de la nation, des cultures et des modes de gouvernance. Ce qui provoque la crise, c'est l'accélération des événements et l'échec de la méthode, ce n'est pas le principe du retrait. J'espère que personne ici ne pense qu'il faut revenir en Afghanistan, mais si tel est le cas il faut le dire. Bref le retrait était accepté.
Et pourquoi le retrait a-t-il eu lieu ? Il faut dire les choses très clairement : les États‑Unis ont fait le choix stratégique de se retirer de guerres dites « interminables » pour se recentrer sur l'objectif majeur de leur confrontation économique, politique et militaire avec la Chine. Ils ne veulent plus se disperser. Telle est la situation à laquelle nous sommes à présent confrontés. Je m'excuse d'être si clair et si net, mais c'est ainsi que je sens les choses.
S'il y a eu chaos, ce n'est pas en raison du retrait, c'est parce qu'il y a eu un effondrement afghan. Le président afghan, M. Ghani, est parti dès le premier jour : est-ce de la résistance ? Quant aux forces armées afghanes, pour de multiples raisons tenant à la manière dont elles ont été constituées, à leur corruption et à leurs relations avec certains gouvernorats liés aux talibans, elles se sont effondrées immédiatement. Les structures dont s'était doté l'Afghanistan en présence d'un corps expéditionnaire dont l'effectif a pu atteindre 100 000 personnes se sont effondrées.
Mme Thomas m'a interrogé sur les craintes que nous pouvons nourrir. Il peut résulter du retrait américain une recrudescence d'Al-Qaïda et un renforcement de Daech, internes à l'Afghanistan, ainsi que la stimulation des acteurs du terrorisme international, qui fonctionnent sur le modèle de la franchise. L'enjeu est d'éviter la constitution d'une capacité terroriste projetée de Daech renforcé ou d'Al-Qaïda renouvelé, utilisant le pays comme base.
Cela nous amène à la question de M. Quentin sur le rôle de la Chine et de la Russie. Pour le dire avec une certaine modération, puisque la réunion est publique, on peut comprendre que la Chine et la Russie se réjouissent de prime abord de voir les États-Unis quitter l'Afghanistan dans de telles conditions. Mais il y a une ambivalence : la Russie peut aussi s'inquiéter des conséquences d'un pouvoir taliban qui se lierait avec des forces terroristes internes, d'une part car elle en a déjà fait les frais, et d'autre part à cause de la très grande proximité du pays : je disais que la géographie est têtue, et l'Afghanistan est à sa porte !
La Chine, pour sa part, s'est réjouie ouvertement de l'échec des États-Unis, allant jusqu'à recevoir une délégation taleb à Pékin. Mais, une fois encore, la géographie compte, et les Ouïgours sont proches. Les Chinois font sans doute la même analyse que nous : le choix des États-Unis, qui n'est pas celui de Joe Biden mais est bien antérieur, est la conséquence de leur priorité stratégique. Il désigne clairement leur véritable compétiteur, et il faut rassembler ses forces pour la confrontation qui se prépare.
Nous pourrons parler avec l'un et l'autre de lutte contre le terrorisme puisque nos intérêts sont communs en la matière.
En ce qui concerne le Liban, nous nous félicitons de l'installation d'un gouvernement. Enfin ! Voilà un an, même un peu plus – depuis l'explosion et la démission du Premier ministre qui s'en est suivie – que c'est attendu !
Il vaut mieux un gouvernement que pas, mais tout est devant lui. Les réformes à mener sont connues depuis deux ans : réforme du secteur de l'électricité certes, mais aussi du système bancaire, de la gestion portuaire et des marchés publics ; une négociation avec le Fonds monétaire international est aussi nécessaire. Tout a été mis sur la table lors d'une réunion, organisée sous mon égide à la fin de l'année 2019, sur l'avenir du Liban. Toutes les instances internationales demandent les mêmes réformes. Dans la déclaration qu'il fera devant le parlement dans les jours qui viennent, le Premier ministre doit, au nom de son gouvernement, engager les réformes : nous verrons alors s'ils sont au rendez-vous de l'urgence. Meyer Habib soulignait l'urgence à répondre à la souffrance de la population, mais celle-ci remonte à plus d'un an ! Les acteurs internationaux refusent de contribuer autrement que par l'aide humanitaire parce que l'état du système financier ne permet pas de savoir comment les fonds reçus seraient employés.
La réunion du groupe international de soutien au Liban que nous avons organisée en décembre 2019 a permis de réunir 11 milliards d'euros, si j'ai bonne mémoire. Ces fonds sont disponibles. Reste à engager les réformes pour sortir le Liban de l'impasse, mais aussi à respecter le calendrier prévu pour les élections municipales, législatives et présidentielle, en 2022, et à garantir la transparence et l'indépendance au cours du processus. Nous serons aux côtés du Premier ministre s'il se conforme à ce qu'il a annoncé. Le programme des réformes structurelles à mener est toutefois considérable.
Bref, la situation est meilleure qu'hier mais nous sommes encore très loin du compte pour ce qui est des réformes, dont les retards incessants ont précipité le Liban dans une dérive insupportable.
S'agissant de l'OMS, je crois avoir déjà dit que nous sommes favorables à ce que Taïwan prenne sa place au sein de ce type d'organisations.
Reprendre l'ensemble du discours de la Sorbonne nous mènerait trop loin : les questions européennes mériteraient une réunion à elles seules. Je relève simplement que l'affirmation dans ce discours de l'autonomie stratégique de l'Union était une anticipation juste. La nouveauté, à mes yeux, tenait dans la volonté de refonder une Europe souveraine, dotée d'une autonomie stratégique. Depuis 2017, de nombreux progrès ont été accomplis en ce sens, en particulier dans le domaine de la sécurité. La crise afghane impose dorénavant la prise de conscience que c'était nécessaire. L'histoire donne ainsi raison à l'intuition forte qu'exprimait le discours de la Sorbonne.
Monsieur Fuchs, monsieur David, madame Dumas, lorsque la France a quitté l'Afghanistan en 2012, elle a pris des engagements sur le retour des auxiliaires militaires. Nous en avons ramené plus de 800 – d'autres se sont installés ailleurs qu'en France – ainsi que leurs ayants droit.
Les dossiers d'auxiliaires militaires reconnus comme tels par les services des armées et qui, quelle qu'en soit la raison, n'auraient pas été acceptés, ont été réexaminés, Mme Parly vous le confirmera. Cela a permis à de nouveaux PCRL de venir en France lors des derniers mouvements, et nous continuerons à agir en ce sens.
Nous avons rapatrié 623 agents qui travaillaient pour nous dans le domaine civil lorsque l'exacerbation des tensions laissait présager des drames. À de nombreuses reprises et dès le mois d'avril, nous avons appelé publiquement, et avec force, les Français à quitter l'Afghanistan – j'ai pris position sur ce point. Nous avons été critiqués. Je l'ai été pour avoir affrété un avion afin de rapatrier des Français désireux de rentrer mais qui n'étaient pas en situation de le faire : il m'a été reproché d'abandonner l'Afghanistan ! Face à ce qui a été dit, il faut tout de même rétablir la vérité des faits. À la fin du mois de juillet, à trois reprises, nous avons répété qu'il fallait rentrer, puis de nouveau en août, y compris en envoyant des messages à la population française en Afghanistan. Et pendant ce temps, des Franco-Afghans sont partis en Afghanistan, que nous rapatrions aujourd'hui ! Il faut rappeler la réalité.
Pour répondre à M. David, les 2 600 Afghanes et Afghans que nous avons fait venir ne sont pas des auxiliaires. Si les chiffres sont plus élevés dans d'autres pays, c'est parce qu'ils ont évacué leurs armées et leurs auxiliaires, ce que nous avions fait depuis longtemps : comparons ce qui peut l'être ! La plupart de ces 2 600 personnes ont été choisies car elles couraient des risques – pas toutes. David Martinon vous expliquera demain comment nos forces ont mis en jeu leur vie pour extraire de la foule massée devant les portes de l'aéroport tels ou tels que nous avions identifiés afin d'assurer leur retour en France selon les plans du centre de crise à Paris. Il n'y a pas que les messages sur WhatsApp, il faut aussi considérer la réalité ! Lorsqu'on vous aura expliqué demain comment les choses se passaient, je pense que vous retirerez vos propos, madame Dumas.
Pour la suite, madame Autain, si les cinq conditions posées sont réunies, nous considérerons que le gouvernement est respectable. Ce n'est pas le cas, je ne rêve pas : je pose nos conditions – il n'y en a pas d'autres – et je constate que les réponses ne sont pas encore au rendez-vous – je doute qu'elles le soient un jour. Il n'y a de ma part aucune naïveté. Cette position est largement partagée au niveau international.
Mais que ferons-nous lorsque nous aurons constaté que les conditions ne sont pas réunies ?
Il ne reste que l'aide humanitaire. Si d'aventure les conditions n'étaient pas remplies et qu'aucun lien avec les Afghans ne pouvait être établi, il nous faudra imposer l'aide humanitaire, qui commence à peine au aujourd'hui. Elle devra être assurée par les agences des Nations unies – le Programme alimentaire mondial, le Haut-Commissariat pour les réfugiés… Néanmoins, nous disposons de leviers : le pays ne peut pas vivre complètement enclavé, il faudra bien que des échanges aient lieu et que l'aéroport recommence à accueillir des vols commerciaux. Je ne crois pas les talibans sur parole, mais les conditions que nous avons posées sont très fermes et claires et la pression internationale, les graves conséquences économiques d'un blocage des échanges, y compris avec les puissances que je citais précédemment, placeront les talibans devant leurs responsabilités. Sinon il ne reste que l'aide humanitaire. Le montant important des fonds promis lors de la réunion ministérielle des Nations unies à Genève hier soir – plus de cent pays se sont manifestés – est à cet égard un bon signe. Nous avons nous-mêmes annoncé une contribution de 100 millions d'euros.
Monsieur Fuchs, j'approuve votre observation : ce que les Américains appellent le nation building ne s'obtient pas par l'intervention d'une force expéditionnaire, mais suppose de prendre en considération l'histoire du pays, de faciliter l'établissement d'une gouvernance légitime en faisant confiance aux acteurs locaux pour en définir les modalités et de jouer un rôle d'accompagnement. C'est ce qui a manqué en Afghanistan et cela explique l'échec.
S'agissant du sommet de Djerba qui se tiendra en novembre et marquera les cinquante ans de la francophonie, je n'ai pas d'inquiétudes pour l'instant. C'est un peu compliqué mais les discussions avec les autorités tunisiennes se déroulent convenablement.
Monsieur David, nous instruisons les dossiers d'Afghanes et d'Afghans qui, en raison de leur engagement ou de leur profession, ont besoin de bénéficier de l'asile national ou européen. Ensuite nous les transmettons aux autorités afghanes – il se trouve que ce sont les talibans – par le biais des seuls intermédiaires que nous connaissons : les Qataris. Si vous en trouvez d'autres, dites-le-moi, pour moi ce sont les seuls. Nous devons être pragmatiques, quel que soit le jugement que l'on porte sur le Qatar. Je me suis rendu au Qatar hier et, madame Autain, c'est une femme qui est chargée du dossier au sein du gouvernement. Elle a préparé la venue des réfugiés afghans au Qatar et leurs conditions d'accueil sont, j'ai pu le constater, d'une qualité exceptionnelle. Il faut toujours considérer les faits. Il n'y a pas d'autre interlocuteur que le Qatar pour essayer – l'aéroport n'est pas vraiment ouvert – de faire sortir du pays certains Afghans, ce que vous souhaitez vous-même. Dites-moi si vous trouvez une autre solution.
Mais je suis en parfait accord avec vous, madame Autain, sur un point : Wagner. C'est une milice privée, composée principalement d'anciens militaires, qui s'est illustrée par le passé en Irak, en Syrie et en Centrafrique en se livrant à des exactions, des prédations et des violations de tous ordres. Elle ne peut en aucun cas constituer une solution et est absolument inconciliable avec notre présence – je le dis pour être entendu d'autres que vous. L'intervention de Wagner en Centrafrique a provoqué une détérioration de la situation sécuritaire. Sa présence au Mali serait incompatible avec l'action des partenaires sahéliens et internationaux du pays. Que cela soit dit.
S'agissant des questions de Mme Kuric, je me suis rendu à Madagascar l'année dernière. Nous avons procédé à la restitution de la couronne de la reine Ranavalona III pour les célébrations du soixantième anniversaire de l'indépendance du pays – j'en avais pris l'engagement auprès du président malgache. Notre relation bilatérale est très forte, puisque 20 000 Français résident à Madagascar.
Afin d'apaiser les tensions qui existent autour des îles Éparses, il a été décidé, à la suite de l'entretien entre les deux présidents, de réunir la commission mixte dédiée à ce sujet compliqué, qui ne peut se résoudre que dans la coordination et l'échange. Enfin, nous sommes pleinement conscients de la sécheresse qui sévit dans le sud de Madagascar. L'Agence française pour le développement a mobilisé des financements spécifiques au profit de cette région, et mené une action complémentaire en raison de la pandémie. Nous avons livré 200 000 doses de vaccin au cours de l'été, après l'entretien des deux présidents. Quant à nos ressortissants, leur procès devrait s'ouvrir en septembre. Ils bénéficient de la protection consulaire en vertu de la convention de Vienne sur les relations consulaires. Des visites leur ont déjà été rendues et une nouvelle doit avoir lieu dans les jours qui viennent.
Je partage votre avis sur l'importance de la relation avec Madagascar. Nous avons pris récemment la présidence de la Commission de l'océan Indien, ce qui ne manquera pas de renforcer nos liens avec la région. Les entretiens entre les deux présidents ont permis de lever une bonne part des incompréhensions et d'inaugurer un cycle nouveau de relations, délestées des petites irritations qui étaient nées l'année dernière.
Madame Buffet, les droits des femmes, leur place et l'éducation sont les sujets essentiels sur lesquels nous devrons être mobilisés. Nous le ferons aux Nations unies la semaine prochaine. J'ai dit tout à l'heure qu'au cas où les talibans ne satisferaient pas aux exigences que nous avons posées, il nous resterait l'aide humanitaire : j'y ajoute la pression internationale en faveur des femmes. Il faudra le faire en permanence et de manière spectaculaire. La moitié des 2 600 Afghans que nous avons rapatriés sont des femmes, ce qui n'était pas donné d'avance, pour de multiples raisons.
Je tiens d'abord à remercier nos agents pour le travail exceptionnel qu'ils ont effectué sur place mais aussi nos forces à Paris, dont le rôle est moins connu mais qui ont fait preuve d'un engagement incroyable, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Ma question porte sur l'influence du Pakistan en Afghanistan. Les services de renseignement pakistanais soutiennent les talibans depuis 1994. Il n'a d'ailleurs pas échappé à de nombreux observateurs que le gouvernement constitué par les talibans avait été en partie rendu public après la venue à Kaboul de Faiz Hameed, le chef du renseignement pakistanais.
Le Pakistan entretient également une relation ambiguë avec des organisations mises au ban par la communauté internationale, telles qu'Al-Qaïda – certains de ses dirigeants ont d'ailleurs été tués sur le sol pakistanais.
Aux yeux de nombre de nos concitoyens, les Occidentaux font preuve d'une grande mansuétude à l'égard d'un pays qui semble parfois en abuser.
Quelles relations la France entretient-elle avec le Pakistan ? De quelle manière seront-elles mises à contribution dans notre positionnement diplomatique futur vis-à-vis de l'Afghanistan ? Qu'attendez-vous du Pakistan dans le dialogue franc et nourri que nous devrons établir avec le régime taliban ?
Par ailleurs, pouvez-vous rappeler la position de la France dans l'affaire Philippe Delpal, jugé à Moscou en juillet dernier ?
J'étais hier soir à la gare de Strasbourg pour accueillir une famille franco-afghane de ma circonscription. Elle m'a demandé de vous faire part, ainsi qu'aux équipes diplomatiques qui ont fait un travail exceptionnel pour sauver des vies, de leur infinie reconnaissance. Que tous les citoyens qui s'interrogent sur l'utilité d'un réseau diplomatique se rappellent qu'il sert aussi à cela : à sauver la vie de citoyens français qui se trouvent dans des situations extrêmes.
Sur les quatre familles de ma circonscription dont je suis le devenir, deux ont pu revenir en France. Les deux autres sont des familles afghanes dont les proches vivent en France. En fait partie une femme ayant exercé de hautes responsabilités électives – j'ai transmis tous les éléments à votre cabinet – qui se cache et essaie de passer dans l'un des pays limitrophes.
Si ces femmes ayant exercé des responsabilités qui les condamnent si elles ne parviennent pas à s'échapper réussissent à atteindre l'une de nos ambassades, ferons-nous tout pour leur accorder un visa et leur permettre ainsi de poursuivre leur vie ?
L'exposé que vous venez de faire, monsieur le ministre, de la situation en Afghanistan était nécessaire après ces nombreuses semaines où nous sommes restés observateurs. La représentation nationale a malgré tout joué un rôle de relais pour assurer la sécurité de nos compatriotes et des Afghans.
Je souhaite, à mon tour, saluer la mobilisation exceptionnelle de notre diplomatie dans le contexte tragique du retrait américain d'Afghanistan.
Vous avez rappelé les cinq exigences que vous avez formulées il y a plusieurs jours. Vous avez fait part de vos doutes sur la capacité des talibans à y répondre, mais elles sont indispensables face à la répression particulièrement brutale de la population civile. Il importe pour nos compatriotes de savoir que la position française n'est pas purement bilatérale mais s'inscrit dans une démarche européenne et internationale. Vous avez également mentionné l'aide humanitaire.
Nous devons défendre les intérêts français mais aussi européens. Quelle forme peut prendre la convergence de nos intérêts avec ceux de la Chine et de la Russie dans la lutte contre le terrorisme ? Quelles garanties pouvons-nous espérer en matière de trafic de drogue ? Sur le plan économique, quelle peut être la place de l'Europe face aux acteurs majeurs que sont la Chine et la Russie ?
Je voudrais à mon tour saluer les responsables du Quai d'Orsay et l'ensemble de vos services pour leur action extrêmement efficace, ainsi évidemment que l'ambassadeur David Martinon, qui a manifesté tant de courage et de sang-froid dans une situation très difficile.
Ma première question porte sur les cinq conditions posées par l'Union européenne. Très franchement, on sait d'ores et déjà qu'elles ne seront pas respectées par les talibans. Pour ce qui est du respect des droits humains par exemple, on voit bien quelle est la situation faite aux femmes afghanes, qui nous obsède, notamment en ce qui concerne les conditions d'enseignement et l'accès à la culture. Ne conviendrait-il pas dès à présent de se mobiliser en leur faveur, tant au niveau national qu'international ?
Je souhaiterais également que vous nous en disiez davantage sur le rôle du Qatar, vis‑à‑vis des talibans mais aussi des autres acteurs internationaux, dont la France. Je ne crois pas que son rôle se bornera à faire fonctionner à nouveau l'aéroport de Kaboul, même si c'est important : il doit y avoir d'autres raisons expliquant son implication.
Enfin, vous avez évoqué le changement de stratégie des États-Unis et leur obsession de la compétition avec la Chine, dans tous les domaines. Vous avez dit que cela allait permettre une affirmation en actes de la souveraineté européenne, qui doit se traduire concrètement lors de la présidence française de l'Union européenne. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets ?
Je tiens à saluer à mon tour tous ceux qui se sont mobilisés pour le peuple afghan.
Je souhaite vous interroger sur le sort et la situation des filles et des femmes afghanes depuis la prise de Kaboul par les talibans. En tant que membre de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, j'ai en effet été sollicitée par la Commission sur l'égalité et la non-discrimination du Conseil de l'Europe pour témoigner de l'engagement de la France dans ce domaine, qui s'inscrit dans le cadre de notre diplomatie féministe.
Grâce à l'opération Agapan, la France a déjà évacué des Afghanes, magistrates, journalistes, artistes ou défenseures des droits humains et menacées en raison de leur métier, de leurs engagements ou de leurs liens avec notre pays.
Mais qu'en est-il des femmes afghanes qui sont encore en Afghanistan et dont la sécurité est menacée ? Quel sort pensez-vous que leur réserve l'avenir, sachant qu'aucune femme n'a été nommée dans le gouvernement provisoire, que les manifestations de femmes opposées au régime sont réprimées alors que celles le soutenant sont encouragées et médiatisées, que la mixité dans l'enseignement est remise en cause et que le port du niqab et de l'abaya a été rendu obligatoire dans les universités privées ?
Les actions de la France depuis la prise de Kaboul attestent de son engagement pour la défense des femmes et des filles afghanes, et vous avez rappelé dans votre propos liminaire notre vigilance sur cette question. Pouvez-vous nous préciser quelles sont les dernières initiatives prises par la France en la matière afin que les droits humains, et plus particulièrement les droits des femmes, soient respectés en Afghanistan ?
Je reviens sur le coup d'État du 5 septembre dernier en Guinée, qui a vu le colonel Doumbouya, chef des forces spéciales guinéennes et ancien membre de la légion étrangère, prendre le pouvoir en retenant captif le président en exercice, Alpha Condé. Son premier geste a été de dissoudre toutes les institutions, de suspendre la Constitution et de fermer les frontières, terrestres et aériennes. La France a condamné ce coup d'État, à mon sens trop mollement, en demandant seulement le retour à l'ordre constitutionnel et la libération du président Condé. Cela signifie-t-il, monsieur le ministre, que la France ne condamne pas le putschiste si celui-ci reste au pouvoir tout en rétablissant la Constitution et en libérant Alpha Condé ?
Les liens du putschiste avec la France étonnent d'autant plus que les très fortes tensions diplomatiques avec Alpha Condé ces derniers mois laissent planer le doute quant à la volonté de la France de résoudre la crise en faveur du droit et non du fait accompli, tout comme lors du coup d'État au Mali, en août 2020.
Pourquoi n'avez-vous pas, contrairement à l'Union africaine, sollicité une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies le plus rapidement possible, prenant ainsi acte de la gravité de la situation et levant les ambiguïtés de la position française ?
Ma deuxième question porte sur le Mozambique, pays dont je préside à l'Assemblée le groupe d'amitié. La France soutient-elle le déploiement de troupes rwandaises dans le nord du Mozambique, avec pour objectif de combattre l'insurrection et de permettre à Total de redémarrer son projet gazier ? Comment est financée l'opération rwandaise ? L'augmentation de l'aide au développement versée au Rwanda, annoncée par Emmanuel Macron en mai dernier, lui permettrait-elle d'augmenter indirectement son budget de la défense ? Comment réagissez-vous aux arrestations et disparitions d'opposants politiques à Paul Kagame qui ont lieu au Mozambique depuis que les troupes rwandaises s'y sont déployées ?
Enfin, je répète la question posée par Marie-George Buffet au sujet de la participation éventuelle de l'Afghanistan aux Jeux olympiques, afin que le ministre la transmette au Gouvernement.
La rapidité du retour au pouvoir des talibans a semble‑t‑il surpris beaucoup de monde dans les capitales occidentales. Et pourtant, pour nombre d'experts s'exprimant abondamment depuis quelques semaines, la montée en puissance des talibans était prévisible et même accompagnée, puisque les Américains y ont été associés.
Ne pensez-vous pas que le plus surprenant dans cette affaire, c'est l'effondrement de l'armée afghane ? L'aviez-vous anticipé ?
On l'a dit, la rapidité du retrait américain nous a surpris ; presque aussitôt, le pays a basculé sous le joug des talibans ; l'emploi de la force dans le pays n'aura pas permis de résoudre le conflit.
Peut-on présager de nos relations diplomatiques avec l'Afghanistan des talibans ? Pouvez-vous détailler les objectifs stratégiques français et européens ? Dans quelle mesure sommes-nous alignés avec les positions des autres États européens ?
Ma question porte sur la situation des défenseurs des droits humains en Biélorussie.
Le mouvement de contestation face à Alexandre Loukachenko fait l'objet d'une terrible répression, avec des milliers d'arrestations, des exils forcés, des dirigeants politiques et responsables de médias et d'ONG emprisonnés et des pseudo-aveux probablement extorqués sous la torture.
Maria Kolesnikova fait partie de ceux-là. Elle vient d'être condamnée à onze ans de prison, déclarée coupable de complot visant à s'emparer du pouvoir, d'appel à des actions portant atteinte à la sécurité nationale et de création d'une formation extrémiste. Pourriez-vous nous indiquer la réaction de la France face à cette décision arbitraire ?
Comment interpréter le rapprochement amorcé entre la Russie et la Biélorussie depuis septembre ?
Je ne vais pas du tout parler de l'Afghanistan, même si le sort des Afghanes et des Afghans m'est cher.
Ma question porte sur le programme COVAX, cette initiative qui vise à assurer un égal accès à la vaccination sur l'ensemble de la planète, en aidant notamment 200 pays. Les prévisions ont été revues à la baisse, puisqu'il ne s'agit plus désormais de vacciner que 20 % de la population des pays pauvres contre la covid-19 d'ici à la fin de l'année.
Au mois de juillet, alors que le continent africain était frappé de plein fouet par la vague du variant delta, le commissaire de l'Union africaine chargé du coronavirus a accusé COVAX d'avoir dissimulé le fait que plusieurs importants pays donateurs n'avaient pas tenu leurs promesses, sans toutefois les nommer. Par ailleurs, des études auraient démontré tout récemment que le vaccin Janssen ne serait pas efficace contre le variant delta. Or, ce produit est privilégié par le programme COVAX pour les États les plus pauvres, puisqu'il réduit les difficultés logistiques en ne nécessitant qu'une seule dose.
Où en sommes-nous ? Le sort de la planète entière dépend de la capacité à vacciner tout le monde, et pas seulement les pays développés.
Par ailleurs, qu'en est-il de la reconnaissance des vaccins chinois ? Certains de nos compatriotes qui ont pu en bénéficier à l'étranger rencontrent de grandes difficultés pour obtenir un passe sanitaire à leur arrivée en France. Il s'agit d'un problème diplomatique entre l'Union européenne et la Chine.
Plusieurs intervenants ont abordé la question des droits des femmes en Afghanistan. Il va falloir mener un combat global, de longue durée, au moyen à la fois du financement des mouvements de défense des filles et des femmes dans ce pays – par l'intermédiaire de l'agence ONU Femmes – et d'une médiatisation permanente. Il faut enrôler le maximum de pays et commencer dès maintenant. C'est la seule solution.
S'agissant des cinq critères, les talibans ne les rempliront pas. En tout cas ils ont mal commencé : leur gouvernement, loin du gouvernement de transition représentatif et inclusif qu'ils avaient annoncé, est beaucoup plus radical que ce qu'on avait imaginé et compte certains membres très liés à Al-Qaïda. Là encore, il faut réaffirmer nos exigences de manière permanente. Nous allons le faire aux Nations unies.
L'intérêt de la Chine et de la Russie est de travailler ensemble dans la lutte contre le terrorisme. On peut donc trouver un terrain d'entente de ce point de vue. La meilleure preuve en est la résolution du Conseil de sécurité sur l'Afghanistan qui a été adoptée le 30 août dernier – grâce à leur abstention, certes, mais adoptée quand même. Ce n'était pas acquis d'avance et il faut donc avancer en s'appuyant sur ces convergences possibles.
Les talibans ont des liens très anciens et connus avec le Pakistan. C'est au Pakistan qu'est installée la gouvernance religieuse du mouvement, la choura de Quetta, et ce pays a manifestement une grande influence sur le gouvernement intérimaire mis en place à Kaboul. Le Pakistan est sans doute le grand gagnant immédiat de la nouvelle donne en Afghanistan, en retrouvant de la profondeur stratégique face à l'Inde, ce qui n'est pas secondaire.
Ceci étant, le Pakistan accueille un nombre significatif de réfugiés. Lors des discussions organisées hier soir en visioconférence avec le secrétaire général des Nations unies, j'ai été frappé par le fait que le ministre pakistanais des affaires étrangères soulignait cette situation et demandait de l'aide. Nous aurons donc une discussion intéressante sur les conditions d'obtention de cette aide, qui passera par l'intermédiaire du Haut-Commissariat pour les réfugiés.
Le Pakistan peut aussi s'interroger sur un éventuel accroissement de l'autonomie des talibans et n'est pas complètement sans inquiétude face à la nouvelle situation. Il faut donc essayer d'engager des discussions pour établir une relation constructive en vue de la stabilité régionale. Le plus significatif est que le Pakistan veut manifestement intégrer les espaces de dialogue sur la situation en Afghanistan qui ont été créés depuis quelques jours. C'est un élément intéressant, même s'il faut le prendre avec précaution.
Monsieur Waserman, je crois avoir rencontré hier matin les familles dont vous parliez. Vous m'interrogez sur la suite : nous sommes en train d'instruire des dossiers. Toutes les demandes transmises au Quai d'Orsay sont répertoriées, vérifiées et suivies. Nous disposons des numéros de téléphone des intéressés, et la cellule de crise les appelle en Afghanistan lorsque nous organisons une opération, comme ce fut le cas pour les quarante-neuf personnes d'hier. La France, comme les pays membres de l'Union, est prête à accueillir des demandeurs d'asile et nous suivons tous les dossiers.
Nous le ferions aussi pour des gens qui quitteraient l'Afghanistan par d'autres moyens, mais nous insistons sur les grands risques qui sont liés au franchissement des frontières terrestres du pays. Nous déconseillons cette option, en particulier pour aller vers le Pakistan en passant par Torkham, puis la passe de Khyber : c'est très dangereux. Si certains arrivent dans une de nos ambassades, nous les prendrons bien sûr en charge, mais il ne faut pas prendre trop de risques.
S'agissant de la situation de M. Delpal, nous avons fait part à la Russie de nos très fortes réserves sur la manière dont son procès s'est déroulé. Cette affaire conduit à s'interroger sur l'évolution du climat des affaires en Russie. Nous continuons à accompagner notre compatriote de très près dans ces aventures qu'il aurait préféré éviter, et suivons le dossier avec une grande vigilance.
S'agissant de la Biélorussie, je reçois demain Mme Svetlana Tikhanovskaïa. Le régime de Loukachenko mène une répression très violente. La brutalité des autorités biélorusses n'a fait que s'amplifier – je pense en particulier au détournement du vol Ryanair le 23 mai dernier. Nous apportons tout notre soutien à l'opposition, personnifiée par Mme Tikhanovskaïa, et nous appuyons les aspirations démocratiques du peuple biélorusse. Le régime de Loukachenko ne connaît que la force et nous poursuivons notre politique de sanctions à son encontre. Nous sommes très vigilants au sujet d'une instrumentalisation de la question migratoire : c'est un levier que ce régime essaye d'utiliser, mais en suscitant des réactions très fortes chez les pays membres de l'Union européenne.
Monsieur Lecoq, nous condamnons sans ambiguïté le coup d'État qui a eu lieu en Guinée. Je peux le répéter autant que vous voudrez, mais je ne vois pas comment être plus clair. C'est une condamnation sans ambiguïté, claire et nette, comme d'ailleurs nous en faisons de tout coup d'État.
Il en avait été de même pour le Mali, ce que vous semblez oublier, tout comme Mme Autain a oublié qu'un débat sur les politiques de la France au Sahel a été organisé à l'Assemblée nationale. Nous y avons dit les choses très clairement. Le président Mélenchon, qui était présent, aurait dû la prévenir.
Bref, il faut arrêter de prétendre que nous ne serions pas assez fermes. Le cas du Tchad est différent, puisque le chef de l'État a été assassiné : il faut bien que le pouvoir continue à être assumé. Mais nous avons demandé sans ambiguïté la mise en œuvre d'un dispositif de transition, lequel fonctionne bien et doit conduire à des élections en septembre 2022. Le président de transition tchadien, que j'ai rencontré hier soir, m'a d'ailleurs confirmé qu'il soutenait ce processus.
S'agissant du Mozambique, il me semble que vous devriez être un peu plus attentif aux activités qu'y conduit Daech. C'est une filiale de Daech qui mène dans le nord du pays le mouvement djihadiste qui a déjà provoqué 3 200 morts et 800 000 déplacés depuis 2017. Total s'est retiré du paysage. Le Rwanda y intervient. C'est un État souverain qui est libre de le faire. Je ne vais certes pas condamner un pays qui combat Daech ! D'autant que le Rwanda agit en collaboration avec ses voisins, en respectant les règles de la Communauté de développement d'Afrique australe (CDAS). Au nom de quoi le critiquerais-je ?
Les attaques de Daech font des morts, et les pays de la CDAS ont décidé d'agir en soutien du Mozambique. Je le constate, et je ne le condamne pas. Je pense que vous non plus, monsieur Lecoq. Le Rwanda intervient parce qu'il est contre le terrorisme, et il a bien raison.
Madame Poletti, le programme COVAX a pris du retard, mais je pense que les engagements récemment annoncés vont permettre d'accélérer. Une task force a été établie pour accélérer le processus, tant par l'achat que par le don de doses. Lors de la réunion qui s'est tenue en Cornouilles en juin, les pays du G7 ont décidé de mettre à disposition 870 millions de leurs doses avant la fin de l'année – cela en plus des achats. La France contribue à cet effort à hauteur de 60 millions de doses, dont plus de 17 millions sont en transit actuellement. Mais cela ne va pas assez vite. Cette mobilisation doit permettre de vacciner 20 % de la population des pays pauvres.
L'autre volet du programme COVAX consiste à développer une capacité de production de doses en Afrique, où la couverture vaccinale reste très faible. À l'initiative de la France, une unité de production de vaccins à technologie ARN messager est en cours de construction en Afrique du Sud. Le projet a mis un peu de temps à démarrer pour des raisons d'organisation, y compris au niveau de l'OMS, mais nous faisons tout pour son accélération. Cela constituera l'un des sujets de discussion de l'Assemblée générale des Nations unies la semaine prochaine.
En ce qui concerne nos compatriotes qui ont reçu les vaccins chinois Sinovac ou Sinopharm, il a été décidé, après les vérifications requises, qu'une seule injection d'un des vaccins à ARN messager reconnus par l'Union européenne suffisait à leur garantir l'accès au passe sanitaire. En revanche cela n'est pas possible avec le Spoutnik V, qui n'est pas reconnu par l'OMS.
Je termine en répondant à M. Herbillon au sujet du rôle du Qatar en Afghanistan. Dans l'immédiat, ce pays s'attache à faire fonctionner l'aéroport de Kaboul. Il avait un temps été question que la Turquie l'accompagne, mais cela ne s'est pas produit, probablement parce que les talibans ne veulent pas d'un membre de l'OTAN. Le Qatar avait déjà tenu un rôle important en hébergeant les négociations entre les États-Unis et les talibans qui ont mené à l'accord de février 2020.
Notre relation avec le Qatar est pragmatique, mais sans naïveté. Il faut passer par lui si l'on veut évacuer des personnes d'Afghanistan : pour l'instant, je ne vois aucun autre moyen. Et franchement, les Qataris font preuve d'un esprit très collaboratif. J'ai rencontré hier mon homologue, Cheikh Mohamed bin Abdulrahman Al-Thani, qui rentrait de Kaboul où il venait de s'entretenir avec les autorités talibanes. Il m'a informé de la teneur de ces échanges, qui semblent avoir été toniques. Quoi qu'il en soit, il faut mener une diplomatie du concret et du possible.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Merci, monsieur le ministre, d'avoir dit autant en si peu de temps. Nous serons amenés à vous revoir régulièrement, car par les temps qui courent, votre ministère n'est pas le plus oisif. Quant aux collègues à qui je n'ai pas pu donner la parole faute de temps, ils seront les premiers à poser des questions à l'ambassadeur David Martinon demain s'ils le souhaitent.
La séance est levée à 19 heures.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Clémentine Autain, Mme Sandra Boëlle, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Marie-George Buffet, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, M. Bernard Deflesselles, Mme Frédérique Dumas, M. Pierre-Henri Dumont, M. M'jid El Guerrab, M. Michel Fanget, M. Bruno Fuchs, Mme Maud Gatel, Mme Anne Genetet, M. Éric Girardin, Mme Olga Givernet, M. Meyer Habib, M. Michel Herbillon, M. Bruno Joncour, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Aina Kuric, Mme Fiona Lazaar, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Nicole Le Peih, M. Frédéric Petit, Mme Bérengère Poletti, M. Jean-François Portarrieu, M. Didier Quentin, Mme Isabelle Rauch, M. Buon Tan, Mme Valérie Thomas, Mme Nicole Trisse, M. Sylvain Waserman.
Excusés. - M. Pierre Cordier, Mme Sonia Krimi, M. Jacques Maire, M. Jean François Mbaye, Mme Liliana Tanguy.
Assistait également à la réunion. - M. Dino Cinieri.