Intervention de Alain David

Réunion du mercredi 27 octobre 2021 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain David, rapporteur pour avis :

Comme j'ai eu l'occasion de le souligner devant vous il y a un an, 2020 a été une année singulière pour l'audiovisuel extérieur français. Face à la crise provoquée par la pandémie de covid-19, France Médias Monde et TV5 Monde ont dû réorganiser leurs modes de travail et assurer la protection de leurs collaborateurs tout en continuant à remplir leur mission d'information, y compris en diffusant des émissions spécialisées consacrées au suivi de la pandémie et à la lutte contre la désinformation, que cette crise a pu favoriser.

Les sociétés de l'audiovisuel extérieur ont géré la crise en maintenant les rémunérations des collaborateurs, sans bénéficier d'aides supplémentaires des tutelles, à l'exception des 500 000 euros attribués à chacune d'elles dans le cadre du plan de relance, dans un second temps.

En outre, pour France Médias Monde et TV5 Monde, la crise sanitaire, qui a fragilisé les ressources propres, est survenue dans un contexte budgétaire déjà très contraint. En effet, la trajectoire financière de l'audiovisuel public a été sensiblement revue à l'été 2018, et l'audiovisuel extérieur n'a pas échappé aux exigences d'économies. Conformément à la trajectoire fixée, la dotation de France Médias Monde dans le PLF pour 2022 s'élève à 254,2 millions d'euros, en recul de près de 500 000 euros par rapport à l'année dernière, et celle de TV5 Monde à 76,17 millions d'euros, montant stabilisé après le recul de plus de 1 million d'euros intervenu en 2019.

J'ai pris l'habitude de mentionner devant vous les sommes allouées à nos principaux concurrents, et je ne peux m'empêcher de les rappeler à nouveau cette année, tant l'écart continue de se creuser. En 2021, la Deutsche Welle a bénéficié d'une subvention de 391 millions d'euros, tandis que le BBC World Service pouvait s'appuyer sur 398 millions d'euros de ressources publiques. Les budgets des concurrents chinois et russes, CGTN et Russia Today (RT), restent opaques, mais la portée offensive des stratégies de ces médias et de ces États en matière d'audiovisuel extérieur est continue.

Malgré ces contraintes budgétaires, France Médias Monde continue à se distinguer par de très bons résultats d'audience, en progression. Si la crise sanitaire a provoqué une sorte d'aubaine pour les audiences – les audiences numériques ont triplé au plus fort de la crise –, la tendance à la progression se confirme au-delà de ces effets conjoncturels. Le groupe a enregistré plus de 251 millions de contacts hebdomadaires en 2020, en hausse de 21 % par rapport à 2019. Même constat pour TV5 Monde, qui connaît une progression globale de ses audiences en linéaire, et plus encore sur le numérique.

Au-delà de ces succès d'audience, les chaînes de l'audiovisuel extérieur ont progressé dans la mise en œuvre de leurs priorités respectives. Pour TV5 Monde, l'année écoulée a été marquée par la présidence française, laquelle a notamment permis d'avancer sur l'adhésion de Monaco à la charte de la chaîne – qui devrait être officialisée d'ici à la fin de l'année – et par la montée en puissance de la plateforme francophone TV5MONDEplus, qui est le vecteur de l'un des deux axes prioritaires du nouveau plan stratégique de la chaîne, à savoir l'accroissement de la « découvrabilité » audiovisuelle francophone, le second axe consistant à faire de TV5 Monde la chaîne de la planète, en sensibilisant davantage les publics aux enjeux environnementaux.

Pour France Médias Monde, l'année écoulée a permis d'avancer dans la mise en œuvre du contrat d'objectifs et de moyens pour 2020-2022, dont nous avons débattu en janvier dernier. Le groupe a développé son offre multilingue, en se fondant notamment sur le projet Afri'Kibaaru, qui a permis de créer des rédactions en langues africaines – fulfulde, mandekan et peul –, et en étendant à vingt-quatre heures quotidiennes la diffusion de France 24 en espagnol ; je vais y revenir. La transformation numérique se poursuit, en s'appuyant notamment sur l'expérimentation de l'intelligence artificielle pour développer le sous-titrage, sous le contrôle étroit des journalistes. Le numérique est aussi le support de certains des projets phares de France Médias Monde, tels que l'offre numérique ENTR, développée à l'attention des jeunes européens avec la Deutsche Welle, ou l'offre InfoMigrants, toutes deux bénéficiant de fonds européens. S'agissant de la dimension européenne, je tiens à préciser que l'Union européenne, qui figure déjà parmi les points d'attention de France Médias Monde, fera l'objet d'une mobilisation particulière des différentes rédactions du groupe dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, afin de renforcer la dimension européenne des programmes.

France Médias Monde a par ailleurs fait évoluer sa gestion, à la suite notamment du rapport remis par la Cour des comptes. Je souhaiterais dire quelques mots sur les mesures d'économie que les différents médias ont dû mettre en œuvre ces dernières années face aux coups de rabots successifs. Pour France Médias Monde, cela se traduit encore aujourd'hui par le plan de départs volontaires mis en place au sein des rédactions de Monte Carlo Doualiya (MCD) et de Radio France internationale (RFI), à la suite du retrait des chaînes de certaines zones et de l'abandon de certains contrats. C'est chaque année plus las que les représentants du personnel me font part d'un sentiment de perte de sens face à ces restrictions, qui s'accompagnent pourtant d'un discours très ambitieux pour notre audiovisuel extérieur de la part du Gouvernement.

Pour TV5 Monde, l'application du plan d'économies s'est traduite, entre autres, par un important repli en Europe, représentant plusieurs millions de foyers. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire devant vous, il ne s'agit pas de contester la participation de l'audiovisuel extérieur aux mesures d'économie imposées à l'ensemble de l'audiovisuel public, mais d'alerter sur une forme d'obsession budgétaire qui risque de contribuer au déclin médiatique de la France, pour reprendre une expression très juste entendue lors d'une audition. Nous rencontrons encore de beaux succès, la confiance suscitée par nos médias est forte et la demande est réelle, mais il ne faut pas exiger l'impossible des chaînes et de leurs collaborateurs, à l'heure où la diplomatie d'influence est utilisée de plus en plus férocement par certains acteurs présents sur la scène internationale.

Sur le plan budgétaire, je tenais à évoquer également un point qui concerne l'ensemble de l'audiovisuel public : l'avenir de son financement. La contribution à l'audiovisuel public (CAP) est en effet remise en cause tant par la suppression progressive de son support – la taxe d'habitation – que par l'évolution des usages, qui se détournent tendanciellement de la télévision. Alors que la période électorale approche à grand pas, nous sommes toujours dans l'incertitude ; il est urgent d'y mettre fin en écartant impérativement la piste dangereuse d'une budgétisation qui ne permettrait pas à l'audiovisuel public de disposer d'un financement pérenne et affecté, élément fondateur de l'indépendance des sociétés. Pour l'audiovisuel extérieur français, il s'agit d'une question vitale, qui met en jeu sa crédibilité à l'étranger.

J'aimerais pour finir dire quelques mots du développement de notre audiovisuel extérieur en Amérique latine, auquel j'ai choisi cette année de consacrer la partie thématique de mon rapport. En effet, le développement de France 24 en espagnol, lancée en 2017 avec six heures de diffusion quotidienne, avant un passage progressif à vingt-quatre heures achevé cette année, est venu consolider notre présence médiatique dans la région, qui pouvait déjà s'appuyer sur l'implantation de RFI, qui compte plusieurs centaines de radios partenaires, et sur la diffusion sous-titrée en espagnol de TV5 Monde sur des bouquets payants. Ce développement, qui s'est fait pour France 24 à budget constant – je tiens à le souligner, car l'argument budgétaire a été avancé pour s'opposer à ce projet – a rencontré de beaux succès d'audience, signe de l'intérêt du public local pour la chaîne.

Si de nombreux concurrents sont présents en Amérique latine, tels que CNN, Deutsche Welle ou RT, nous sommes les seuls à disposer d'une rédaction locale, qui propose de ce fait des programmes réalisés au plus près du terrain et non des traductions de programmes produits à Paris. Pendant la crise sanitaire, qui a été particulièrement dure en Amérique latine, France 24 en espagnol est apparue comme un média de référence, plébiscité pour ses reportages sur le sujet.

Par ailleurs, l'audiovisuel extérieur s'inscrit pleinement dans notre diplomatie d'influence sur place. Si le français connaît un recul en Amérique latine, la région reste dans l'ensemble très francophile et les chaînes de l'audiovisuel extérieur travaillent en lien étroit avec les ambassades, instituts et Alliances françaises – près du quart d'entre elles se situe en Amérique latine – pour faire vivre notre diplomatie culturelle. Ces synergies sont particulièrement utiles en matière de francophonie, mais aussi pour soutenir des valeurs comme l'égalité entre les femmes et les hommes ou diffuser le débat d'idées.

Ainsi, comme les années précédentes, compte tenu du décalage entre les ambitions fixées à l'audiovisuel extérieur et les moyens décroissants qui y sont alloués, j'émets un avis défavorable à l'adoption des crédits consacrés à l'action audiovisuelle extérieure.

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