Intervention de Ramlati Ali

Réunion du mardi 23 novembre 2021 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRamlati Ali, rapporteure :

Comme son nom l'indique, la convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes humains, signée par la France en novembre 2019, a pour objectif principal de contribuer à l'éradication du trafic d'organes humains en prévenant et en combattant ce crime. Au sens de la convention, le trafic d'organes désigne le prélèvement d'un organe sans consentement libre et éclairé du donneur en échange d'un profit ou d'un avantage comparable, l'utilisation d'organes prélevés illicitement et la sollicitation et le recrutement d'un donneur ou d'un receveur d'organes en vue d'un profit ou d'un avantage comparable pour la personne qui sollicite ou recrute ou pour une tierce personne. Je précise que le trafic d'organes peut résulter du trafic d'êtres humains mais que ce lien n'est pas systématique, notamment parce que les prélèvements illicites d'organes peuvent se faire sur des personnes décédées.

Sur cette base, la convention du Conseil de l'Europe prévoit l'incrimination d'une série d'actes. Elle comporte aussi un volet important consacré à la protection des victimes des trafics. Enfin, elle tend à faciliter la coopération internationale pour lutter contre ce fléau mondial.

Si l'ampleur et la portée exactes des trafics d'organes sont difficiles à estimer, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) évalue à entre 5 % et 10 % la part des greffes d'organes réalisées dans le monde résultant de trafics, soit environ 15 000 greffes par an. Les estimations les plus hautes évoquent 4 millions de greffes par an. Il est vraisemblable que la réalité se situe quelque part entre les deux. Dans la majorité des cas, les trafics concernent le rein. Toutes voies confondues, le trafic d'organes dégagerait entre 600 millions et 1,2 milliard de dollars de profits par an, ce qui en fait une activité particulièrement lucrative et par là même difficile à combattre.

Les pays les plus touchés semblent être ceux dans lesquels le système de transplantation repose essentiellement sur un prélèvement sur donneurs vivants ou dans lesquels le dispositif de prélèvement sur donneurs décédés n'est pas suffisamment élaboré. On peut citer l'Inde, le Pakistan, les Philippines, le Bangladesh, l'Égypte, le Mexique, le Cambodge ou encore le Sri Lanka.

La présence d'importants flux migratoires peut être un autre facteur déterminant, comme en Égypte, en Irak ou en Syrie. Selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, la majorité des personnes victimes des trafics d'organes seraient des migrants de sexe masculin. Selon ce même organisme, un nombre croissant de victimes proviennent de pays marqués par des conflits, tels que la Syrie, l'Irak ou la Somalie.

Le trafic d'organes est un fléau d'autant plus répréhensible qu'il s'attaque à des personnes particulièrement vulnérables. Comme l'a souligné notre collègue Frédérique Dumas dans son rapport sur la proposition de loi visant à garantir le respect éthique du don d'organes par nos partenaires non européens, de nombreux abus, concernant des prélèvements illicites visant plus particulièrement des minorités ou des prisonniers politiques, ont été relevés en Chine ces dernières années.

La redistribution des organes illicitement prélevés suit les voies de la criminalité organisée transfrontalière, notamment celles de la traite des êtres humains. Depuis les années 1980 se développe ainsi un tourisme dit de transplantation, qui concerne surtout des ressortissants de pays développés qui se rendent dans un pays étranger pour acheter un organe et bénéficier d'une greffe. Ce phénomène a été condamné par l'OMS au début des années 2000, ainsi que par la déclaration d'Istanbul contre le trafic d'organes et le tourisme de transplantation, adoptée en 2008.

La déclaration d'Istanbul fait partie de l'arsenal juridique progressivement mis en place par la communauté internationale pour lutter contre les trafics d'organes. Si la convention qui nous intéresse aujourd'hui est le tout premier instrument juridique international spécifiquement consacré aux trafics d'organes, elle vient compléter un édifice existant, qui comprend notamment la convention des Nations unies de 2000 contre la criminalité transnationale organisée et son protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, ou encore la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine de 1997 et son protocole additionnel de 2007 relatif à la transplantation d'organes et de tissus d'origine humaine. En 2010, l'Assemblée générale de l'OMS a en outre adopté des principes directeurs sur la transplantation de cellules, de tissus et d'organes humains et souligné le fait que les gouvernements étaient responsables du développement de l'accès à la greffe dans des conditions éthiques satisfaisantes.

Au sein de l'Union européenne, la question peut être abordée dans le cadre non seulement de la lutte contre la traite des êtres humains, mais aussi de l'élaboration d'une réglementation commune sur les transplantations d'organes. Une directive relative aux normes de qualité et de sécurité des organes humains destinés à la transplantation a ainsi été adoptée en 2010. En 2015 a été lancée la plateforme Fœdus, qui permet de mettre en relations les États européens afin que les organes qui n'ont pas trouvé de receveurs dans leur pays d'origine soient orientés vers d'autres pays européens – ce qui souligne que le développement des greffes et transplantations non seulement constitue une prouesse scientifique et médicale, mais est aussi un magnifique symbole de la solidarité humaine.

En France, un dispositif juridique et opérationnel a été élaboré il y a plusieurs années déjà afin d'encadrer les dons, transplantations et greffes d'organes et par là même d'interdire et de sanctionner les trafics, qui contreviennent à plusieurs principes juridiques fondamentaux de notre droit, tels que la dignité humaine – principe à valeur constitutionnelle –, la liberté individuelle ou la non-patrimonialité du corps humain. La loi du 29 juillet 1994, dite loi bioéthique, a consacré les principes fondamentaux du don d'organes : gratuité, anonymat et libre consentement du donneur.

L'Agence de la biomédecine, créée par la loi de bioéthique de 2004, joue un rôle de premier plan dans la mise en œuvre du dispositif national encadrant le prélèvement et les greffes d'organes, de tissus et de cellules. Elle est notamment chargée de gérer la liste nationale d'attente de greffe et le registre national des refus, ainsi que de suivre l'évolution de la situation internationale en matière de trafics d'organes et les mesures de lutte contre ces trafics, dont elle doit rendre compte dans son rapport d'activité annuel. L'agence réalise aussi une enquête annuelle anonyme auprès des centres de dialyse et des services de greffe pour évaluer le recours, par des patients résidant en France, à des greffes rénales à l'étranger à partir de donneurs vivants rémunérés.

Il ressort de ces enquêtes que le nombre de personnes résidant en France et greffées à l'étranger est très faible. Il s'agit le plus souvent de personnes d'origine étrangère qui bénéficient dans leur pays d'origine d'une greffe réalisée à partir d'une personne leur étant apparentée, en conformité avec les lois du pays en question. Même si les besoins d'organes enregistrés en France restent supérieurs aux quantités disponibles, les ressortissants français sont très peu incités à recourir au tourisme de transplantation, tant les garanties apportées par notre système de santé sont élevées. Au niveau européen, le Conseil de l'Europe réalise chaque année une enquête similaire, qui atteste qu'un nombre très faible de ressortissants européens sont greffés à l'étranger.

Dans l'ensemble, le droit français est déjà conforme aux stipulations de la convention. Le code pénal punit de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende le fait de prélever un organe sur une personne vivante majeure, y compris dans une finalité thérapeutique, sans que le consentement de celle-ci ait été recueilli dans les conditions prévues par le code de la santé publique, ainsi que le fait d'obtenir d'une personne l'un de ses organes contre un paiement, quelle qu'en soit la forme ; il punit de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait de procéder à des prélèvements à des fins scientifiques sur une personne décédée sans avoir transmis le protocole prévu par le code de la santé publique.

Comme le permet la convention et selon une procédure classique du droit international, la France a toutefois choisi d'émettre des réserves sur certains points. En première analyse, on pourrait redouter que cela n'affaiblisse la portée de la convention, mais ce risque me semble pouvoir être relativisé.

Il s'agit en effet d'éviter une incompatibilité avec certaines dispositions fondamentales de notre droit pénal, à savoir le principe de la double incrimination et les règles de compétence des juridictions françaises pour les personnes ayant leur résidence habituelle en France mais ayant commis un crime à l'étranger. Dans le premier cas, la France a déclaré qu'elle n'exercerait sa compétence qu'à la condition que les faits soient également punis par la législation du pays où ils ont été commis et que ceux-ci aient donné lieu soit à une plainte de la victime ou de ses ayants droit, soit à une dénonciation officielle de la part des autorités du pays en question. Concernant le critère de la résidence habituelle, la compétence des juridictions françaises n'est prévue qu'en cas de crimes ou délits particulièrement graves, tels que les actes de terrorisme. Dans les deux cas, il s'agit de garantir le respect de la souveraineté de l'État sur le territoire duquel les faits ont été commis.

Ces réserves, qui ne viendront en rien fragiliser le dispositif national très solide qui existe déjà dans notre pays pour lutter contre les trafics d'organes, seront en revanche de nature à favoriser l'adhésion d'un nombre important d'États à la convention de Saint-Jacques-de-Compostelle, laquelle, étant ouverte à la signature des États non membres du Conseil de l'Europe, est susceptible de constituer une force d'entraînement mondial, en dépit de l'absence parmi les États signataires ou susceptibles de l'être des points névralgiques du trafic international d'êtres humains.

J'ajoute que l'engagement de notre pays en matière de lutte contre les trafics d'organes passe aussi par la coopération judiciaire bilatérale en matière pénale, que la présente convention encourage, et par l'encadrement des partenariats scientifiques et universitaires, qui doivent se faire, comme le prévoit le code de la santé publique, dans le respect des engagements internationaux souscrits par la France. L'Agence de la biomédecine travaille ainsi en collaboration avec le ministère des solidarités et de la santé et les postes diplomatiques pour favoriser le développement des prélèvements et transplantations d'organes éthiquement encadrés. Il s'agit d'un point sur lequel nous devons rester extrêmement vigilants, comme l'a souligné Frédérique Dumas dans sa proposition de loi. Les auditions que j'ai menées m'ont permis de vérifier qu'il existait un cadre juridique satisfaisant, dont il est essentiel d'assurer le respect.

J'espère vous avoir convaincus de voter en faveur de la ratification de cette convention, qui atteste de la capacité des États à unir leurs forces pour lutter contre un fléau mondial particulièrement répréhensible.

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